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REPUBLIQUE FRANÇAISE
MINISTERE DU COMMERCE, DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL
EXPOSITION UNIVERSELLE INTERNATIONALE DE 1900
À PARIS
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LE BILAN D'UN SIÈCLE
(1801-1900)
PAR
M. ALFRED PICARD
MEMBRE DE L'INSTITOT, PRlfsiDENT DE SECTION AD CONSEIL D^l^TAT
COMMISSAIRE Gl^NiRAL
TOME QUATRIÈME
MIISES ET METALLURGIE. — INDUSTRIES DE LA DECORATION ET DU MOBILIER
CHAUFFAGE ET VENTILATION
ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE. — FILS, TISSUS, VETEMENTS
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PARIS
IMPRIMERIE NATIONALE
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EXPOSITION UNIVERSELLE INTERNATIONALE DE 1900
À PAlUS
LE BILAN D'UN SIECLE
(1801-1900)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
MINISTÈRE DU COMMERCE, DE TINDUSTRIE ET DU TRAVAIL
EXPOSITION UNIVERSELLE INTERNATIONALE DE 1900
À PARIS
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LE BILAN D'UN SIÈCLE
(1801-1900)
PAR
M. ALFRED PICARD
MEMBRE DE L'INSTITUT, PRESIDENT DE SECTION AU CONSEIL D'ETAT
COMMISSAIRE GÉNÉRAL
TOME QUATRIÈME
MINES ET MÉTALLURGIE. — INDUSTRIES DE LA DÉCORATION ET DU MOBIUER
CHAUFFAGE ET VENTILATION
ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE. — FILS, TISSUS, VÊTEMENTS
PARIS
IMPRIMERIE NATIONALE
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LE BILAN D'UN SIECLE
(1801-1900)
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CHAPITRE XIII.
MINES ET MÉTALLURGIE.
S 1. MINES.
1. Considérations préliminaires. — L'exploitation des mines et
la métallurgie ont pris naissance aux premiers âges de la société , dès
que l'homme, abandonnant ses outils de silex, a commencé à se servir
du bronze et du fer. Aujourd'hui, le prodigieux développement de la
production industrielle et la disparition graduelle du combustible végé-
tal rendent la houille presque aussi indispensable que les métaux.
Un intérêt exceptionnel s'attache à l'étude du matériel et des pro-
cédés de l'industrie minérale , par suite de l'importance qu'ont acquise
ses produits, soit à raison de leur rareté et de leur grande valeur intrin-
sèque, soit à raison de leur caractère d'objets de première nécessité.
Souvent, la simple découverte d'un gisement nouveau et la constata-
tion des moyens pratiques de l'exploiter constituent à elles seules une
entreprise de longue haleine demandant beaucoup de temps et de
capitaux.
' ^* Presque toujours, l'exploitation est une œuvre considérable. Il faut,
dans beaucoup de cas, porter les travaux à plusieurs centaines de
mètres de profondeur, lutter contre les eaux, se défendre contre le
grisou, assurer une ventilation énergique des chantiers, recourir à
de puissantes machines pour l'introduction des ouvriers et l'extraction
des produits. Fréquemment impurs quand ils arrivent au jour, ces pro-
duits ont à subir diverses élaborations pour être débarrassés des ma-
tières stériles.
Habituellement, après cette préparation mécanique qui complète
l'œuvre du mineur, la matière n'est pas encore susceptible d'un emploi
1
iMntiuLniE Hiri-jNiLC.
2 EXPLOITATION DES MINES. GÉNÉRALITÉS.
immédiat dans Tindustrie; elle doit être soumise à des opérations chi-
miques et mécaniques, rentrant dans le domaine de la métallurgie.
Ainsi rindustrie minérale et métallurgique forme un ensemble par-
ticulièrement complexe; il n'est guère de procédé technique qui lui
reste étranger: on peut même dire qu'elle a contribué, pour une large
part, au développement de plusieurs sciences et aux découvertes les
plus marquantes des arts industriels. C'est, par exemple, l'exploita-
tion minière qui a engendré les sciences toutes mddernes de la miné-
ralogie et de la géologie; c'est pour les mines qu'ont fonctionné, au
moyen âge, les premiers moteurs hydrauliques rationnellement établis,
et, au xyni* siècle, les premières machines à vapeur; c'est dans les
mines qu'ont été créées les voies ferrées; ce sont les nécessités de l'ex-
traction et de la préparation des minerais qui ont fait naître et se mul-
tiplier les appareils de ventilation, de triage, de classement, etc., uti-
lisés ensuite pour les autres industries; c'est à la métallurgie enfin
que doivent être attribués les premiers progrès de la chimie, dont le
rôle est actuellement si capital pour une foule de branches de la pro-
duction.
2. Matériel et procédés de l'exploitation des mines. — i . Géné-
ralités. — Les progrès de l'industrie minière sont intimement liés à
ceux des sciences mêmes dont elle a provoqué la naissance, ainsi
qu'au développement des industries mécaniques. Rien d'étonnant, dès
lors, à ce qu'avant d'atteindre l'âge de la maturité féconde, elle ait
traversé une longue période d'enfance, alors que le précieux concours
de ces sciences et de ces industries auxiliaires lui faisait défaut.
Cet essor admirable dont nous sommes les témoins ne remonte
guère à plus de soixante ans. En comparant les mines de houille de
i83o aux grandes installations établies dans divers pays, notamment
dans le nord de la France, on n'y voit guère d'autre trait commun que
le but des unes et des autres : elles diffèrent profondément, aussi bien
par la nature des moyens mis en œuvre que par la puissance de ces
moyens et par l'intensité de l'exploitation.
La force des engins d'épuisement et surtout d'extraction s'est consi-
dérablement accrue; des procédés mécaniques ingénieux et variés
EXPLOITATION DES MINES. GÉNÉRALITÉS. 3
sont venus pourvoir à la ventilation; les méthodes d'exploitation ont
été étudiées et perfectionnées ; la préparation mécanique des minerais
a subi des transformations essentielles; on est parvenu à attaquer les
mines en traversant des terrains naguère inabordables; etc.
Il n'est pas jusqu'aux éléments en apparence le moins propres aux
nouveautés, comme l'introduction et la sortie des ouvriers, les trans-
ports intérieurs, le travail manuel du mineur à son chantier, qui
n'aient été renouvelés ou ne soient en voie de l'être d'une manière
plus ou moins complète.
Là de même qu'ailleurs, les modifications ont eu pour objet l'éco-
nomie des frais généraux , par la centralisation et l'accroissement des
moyens de production, et l'économie de main-d'œuvre, par l'usage de
plus en plus étendu des engins mécaniques.
Du reste, aucune industrie peut-être n'était plus accessible que
celle des mines à de telles modifications : en effet, ni les capitaux, ni
la compétence et l'intelligence dans la direction, ne lui ont jamais
manqué; elle a eu, de plus, la bonne fortune de trouver des débou-
chés presque indéfinis, d'être poussée par une demande sans cesse
croissante; elle a dû s'ingénier, bien moins pour placer ses produits
que pour les mettre au niveau des besoins de la consommation, bien
moins aussi pour utiliser tous les bras disponibles que pour remédier
*à leur insuffisance.
La transformation radicale du matériel est surtout apparue à l'Ex-
position universelle de 1878. A cette époque, les mines venaient de
se trouver aux prises avec les plus grosses difficultés, provenant d'une
demande excessive et d'une production insuffisante pour y faire face.
Partout, les exploitants avaient été conduits à augmenter considéra-
blement la puissance de leur outillage; cette puissance s'affirmait par
les grandes machines d'extraction et d'épuisement qu'exposaient les
constructeurs le plus en renom. La mesure avait même été dépassée,
comme toujours en pareil cas, et l'excès de la demande a fait place à
un excès temporaire de production ; il y a eu pléthore industrielle et
les prix se sont abaissés pour une assez longue [)ériode. Du reste , les
oscillations de ce genre constituent un fait presque normal dans de
nombreuses industries.
à SONDAGES.
Depuis, le progrès a continue, comme nous allons le voir par une
revue sommaire des diverses opérations que comporte l'exploitation
des mines. À côté des efforts ayant pour but de réduire les frais de
production à leurs extrêmes limites, s'est manifestée une autre pré-
occupation caractéristique de Tépoque contemporaine : je veux parler
de l'appel fait à la science afin d'améliorer la condition du travailleur,
de diminuer les dangers auxquels il est exposé, de réduire le risque
professionnel, malheureusement si redoutable dans certaines mines.
Cet aspect de l'industrie minière était un de ceux qui éveillaient le
plus l'attention et l'intérêt du public lors des Expositions universelles
de 1889 et de 1900.
2. Sondages. — Au premier rang des opérations minières se pla-
cent les sondages effectués pour reconnaître les gisements souterrains
de substances minérales utiles. Quelques exemples suffiront à en faire
apprécier le rôle et l'importance.
Depuis la découverte par M. Mulot des gisements houillers du
Pas-de-Calais (1889), les sondages destinés à la recherche de la
houille se sont multipliés non seulement dans cette région, mais
encore dans d'autres, telles que le bassin de la Moselle. La science
géologique est venue en aide au sondeur, pour lui indiquer le point
exact où devait frapper son instrument; parmi les résultats industriels
ainsi obtenus, on peut citer celui du sondage des mines de la Grand -
Combe (Gard), qui, il y a moins de vingt ans, enrichissait ces mines
d'un faisceau de couches carbonifères jusqu'alors inconnu dans la
concession et donnait une confirmation éclatante aux déductions tirées
par MM. Zeiller et Grand'Eury de leurs études paléontologiques.
Un autre exemple remarquable est fourni par les nombreux son-
dages qui ont été pratiqués dans le département de Meurthe-et-Moselle
en vue de la recherche du sel et de son exploitation au moyen de la
dissolution.
Les sondages ont aussi très fréquemment pour objet la recherche
dos eaux jaillissantes, la création dos puits dits artésiens, du nom de
la province d'Artois où la pratique des forages s'était introduite long-
temps avant qu'on songeât à l'étendre aux explorations minières.
SONDAGES. 5
À la découverte des eaux jaillissantes se rattache naturellemeut
celle des eaux minérales. L'art de trouver et de capter ces eaux floris-
sait déjà durant la période gallo-romaine, comme 1 art de les conduire
et de les distribuer; il a- largement profité des emplois de la sonde.
Dans cette voie, nous avons été précédés par l'Allemagne; on sait les
sources thermales puissantes que les sondages y ont amenées au jour
(Kreuznach, QEynhausen, Nauheim, Kissingen, etc.); cela n empêche
pas la France d'être aujourd'hui le pays le mieux doté.
Enfin la sonde joue un rôle prépondérant dans la recherche du
pétrole au Caucase, en Pensylvanie, en Galicie.
C'est à ces divers besoins, toujours plus impérieux, qu'est dû le
développement des appareils de sondage. Les progrès marquants de la
fin du siècle résident dans l'appropriation des instruments et des mé-
thodes à de plus grandes profondeurs ainsi que dans l'augmentation
de rapidité du forage.
Le sondage à la corde continue à être employé aux Etats-Unis dans
les régions pétrolifères. 11 y rencontre des conditions assez favorables
au point de vue de la composition et de l'inclinaison des couches. Pour
en démontrer les avantages, une compagnie américaine a fait au bois
de Vincennes, pendant l'Exposition de 1900, un forage qui est des-
cendu, en 13 jours, à 2 7/1 mètres. Ses effets seraient vraisemblable-
ment moins bons et des déviations se produiraient dans les trous, si
la sonde avait à traverser des roches fissurées, des bancs à forte
pente, etc.
Généralement, les grands sondages d'exploration minière ou de
puits artésiens s'effectuent au moyen de sondes à tiges métalliques,
creuses ou pleines, sejon les cas. Le procédé du forage au diamant
par rotation s'est, d'ailleurs, ajouté à celui du battage.
En ce qui concerne le procédé du battage, tantôt la tige et l'outil
sont solidaires, tantôt la sonde est à chute libre. Cette dernière dispo-
sition a été engendrée par l'approfondissement des forages; le premier
système de joint appliqué aux sondes à chute libre fut celui du joint à
coulisse d'Œynhausen ; depuis , les modèles de coulisses se sont multi-
pliés et perfectionnés. Un fait récent et capital pour les appareils per-
cuteurs à tige et outil solidaires est l'adoption du battage rapide,
6 SONDAGES.
réglable à volonté, avec injection d'eau système Fauvel; des dispositifs
élastiques équilibrent à chaque instant le poids de la colonne; l'ou-
vrier règle sans peine la course et la vitesse suivant les roches à tra-
verser; grâce aux injections d'eau, 1 élimination des débris s'accomplit
automatiquement, les pertes de temps inhérentes à l'emploi des cuillers
sont évitées et le trépan agit toujours sur la roche nette. On réalise
ainsi des avancements de i â à â o mètres dans les terrains ordinaires
et de 8 à 1 o mètres dans les terrains durs. Habituellement, les appa-
reils sont combinés de manière à permettre de passer du battage
rapide au battage à chute libre ou au forage par rotation.
Dès 1854, les inventeurs tentèrent d'utiliser le diamant dans le
travail des roches dures. Les essais échouèrent longtemps par suite de
difficultés tenant au prix du diamant et à l'imperfection de ses attaches
sur les outils. Ces difficultés ont pu enfin être vaincues; on a réussi à
employer le diamant noir ou le boort (diamant cristallisé) et à obtenir
un sertissage convenable ; bien que pouvant être fait à froid, le sertis-
sage donne un serrage plus parfait à chaud ; moyennant certaines pré-
cautions , le carbone et surtout le boort supportent sans altération la
chaleur, pourvu que l'opération soit rapide. Dans les types actuels,
l'avancement de la couronne et sa pression sont facilement réglés
d'après la dureté de la roche, ce qui prévient les ruptures de la tige
ou le bris des diamants. Outre l'avantage d'un travail rapide dans les
bancs les plus durs, la sonde au, diamant agissant par rotation offre
celui de fournir des témoins cylindriques faciles à étudier, au lieu des
débris souvent trop fins dus au trépan. Elle s'adapte aussi bien aux
explorations à des profondeurs dépassant 1,000 mètres qu'aux re-
cherches superficielles.
M. Michel Lévy, dans son introduction aux rapports du jury de
1900, cite un forage de 2,00 3 mètres exécuté àParu8chowitz(Haute-
Silésie), au travers d'un terrain houiller, et achevé en 189 5. Le
maximum antérieurement atteint était de 1,768 mètres (sondage de
Schladebach). De tels chiffres constituent le meilleur témoignage des
progrès accomplis ^^\
^*^ Récemment, le sondage d'Olhain, au sud des concessions houillères du Pas-de-Calais,
a été pousse jusqu à i ,5o^ mètres.
PONÇAGE DES PUITS. 7
Un des bienfaits de l'art du sondeur a été Touverture de forages arté-
siens dans le Sahara d'Algérie et notamment dans TOued Rir . Entre-
prise par les ateliers militaires du colonel Desvaux en 1 8 5 6 , l'œuvre s'est
vaillamment poursuivie. À partir de 1878, l'industrie privée y a con-
sacré des ressources importantes. Certains puits ont pu débiter jusqu'à
6,000 litres en une minute. De superbes oasis artificielles sont ainsi
nées dans des régions jadis désolées: la culture du dattier y a pris un
magnifique développement et produit d'abondantes récoltes; en même
temps, la distribution d'eaux pures et saines faisait disparaître l'an-
cienne insalubrité locale. Il est inutile d'insister sur les services rendus
par la création de ces oasis pour l'accroissement de la richesse algé-
rienne et la pacification du pays.
3. Fonçage des puits. — Les sondages ne se limitent plus aux petits
diamètres. Transformé par les progrès des arts mécaniques, l'instru-
ment, si simple et si modeste encore vers i84o, a pris les dimen-
sions gigantesques qui lui permettent aujourd'hui de réaliser le forage
de puits à grande section.
On sait tous les obstacles que présente la traversée des terrains
aquifères. La solution a été longtemps demandée au cuvelage ordi-
naire en bois, en fonte ou en maçonnerie, exécuté par reprises suc-
cessives dans toute la hauteur des couches perméables. Mais ce moyen ,
tel qu'il était appliqué, ne suflSsait pas toujours à vaincre les diffi-
cultés; souvent aussi, il donnait lieu à des dépenses absolument exces-
sives. Les ingénieurs ont dû chercher en conséquence de nouveaux
procédés, d'une application plus générale et plus facile, avec lesquels
le fonçage pût être pratiqué à niveau plein, ou du moins comme si
on travaillait à niveau plein ^^'.
De nos jours, le système le plus ordinairement en usage est celui
qui a été imaginé par Kind, puis perfectionné par Chaudron, inven-
teur d'un excellent cuvelage en fonte et de la boîte à mousse
(1855-1857). H consiste à foncer le puits comme un trou de sonde
de grand diamètre, puis, lorsqu'on est arrivé au terrain pouvant
(*) On est à niveau plein, quand Teau atteint la même hauteur à Tintërieur et autour
du puits.
8 PONÇAGE DES PUITS.
servir de base au cuvelage, à introduire celui-ci, en l'allongeant à
mesure qu'il descend. Appliqué pour la première fois au puits de Pé-
ronnes (Belgique), le procédé Kind et Chaudron constitua Tune des
attractions de la classe du matériBl minier à l'Exposition de 1867^*^
Ce procédé laissait bien loin derrière lui les méthodes antérieures,
telles que la méthode Triger à l'air comprimé, dont la première
application avait été faite, en 1889, à un puits foncé dans une île de
la Loire : le système Triger s'est, depuis, révélé comme un instrument
d'une admirable fécondité pour les travaux du génie civil; mais, dans
les mines, l'emploi en était limité aux terrains aquifères voisins de la
surface. Une autre méthode, publiée en i856 par Guibal et analogue
en principe à celle du bouclier employé par Brunel pour le premier
tunnel sous la Tamise, avait le défaut d'exiger des installations assez
complexes; l'expérience a montré qu'elle était d'un usage difficile.
Le système à niveau plein de Chaudron a permis, au contraire,
d'aborder des gisements qui, sans lui, n'eussent probablement jamais
été mis en valeur; grâce à son emploi, le creusement des puits ne
rencontre pour ainsi dire plus de difficultés insurmontables.
Toutefois il peut être tenu exceptionnellement en échec par les
sables boulants, quand l'épaisseur de ces sables dépasse quelques
mètres. 11 y avait là une lacune qu'est venu combler un système plus
récent. Sortant des sentiers battus, M. Poetsch a eu l'idée de conge-
ler le terrain dans lequel le puits doit être foncé ; des trous de sonde
sont, à cet effet, pratiqués sur la périphérie du puits et garnis de tubes
destinés à recevoir une solution saline à très basse température. La
première application date de i883; dès l'achèvement du puits de
Jessenitz (Mecklembourg), percé à travers une couche aquifère de
•y 5 mètres, le procédé si original de M. Poetsch avait sa place assurée
dans l'exploitation normale des mines. Quelques succès éclatants ont
confirmé depuis la valeur de ce procédé. Un exemple célèbre est celui
du puits d'Auboué (Meurthe-et-Moselle), ouvert dans des calcaires
durs et fissurés où circulait la nappe aquifère. Les déviations possibles
des sondages sont à surveiller de près; une méthode ingénieuse et
^'^ Les puils de THôpital (MoseBe), où il avait été, employé, venaient de réussir au delà de
loulo espérance, quand fut ouverte l'Exposition de 1867.
TRANSMISSION DE L'ÉNERGIE DANS LES MINES. 9
sûre pour ia mesure de ces déviations a été créée par ia Société de
fonçage de puits.
Les sondages fournissent aussi le moyen d'exécuter des travaux
délicats à de grandes profondeurs, sans qu'il soit nécessaire d'y pé-
nétrer. On peut citer, parmi les plus belles opérations de l'industrie
minière, l'établissement par M. Reumeaux d'une plate-cuve en béton,
au fond d'un puits- de Lens qu'un coup d'eau rendait inaccessible :
rbabile ingénieur fora suivant l'axe du puits un sondage dans lequel
il introduisit les matériaux de la plate-cuve.
4. Transmission de T énergie. — Avant de poursuivre la revue des
divers travaux d'exploitation minière, il importe de s'arrêter quelques
instants aux moyens mis en œuvre pour la transmission de Vénergie
à distance. En effet, presque tous les services du fond et du jour
exigent de la force motrice.
Jusqu'à une époque peu éloignée, les trois agents de transport dont
disposaient les exploitants étaient la vapeur, l'eau sous pression et
l'air comprimé.
La vapeur nécessite des distributions encombrantes et des moteurs
pourvus d'accessoires volumineux. Elle entretient une chaleur humide
nuisible à la conservation des guidages dans les puits et susceptible
de provoquer dans les chambres des mouvemenis de terrains qui ne
sont pas sans danger pour les maçonneries. Cette chaleur peut, en
outre, gêner l'aérage. Les enveloppes calorifuges demandent un entre-
tien onéreux et, malgré cet entretien, les condensations donnent lieu
à des pertes importantes, surtout quand les conduites desservent des
moteurs à marche intermittente.
Si les moteurs à eau sous pression offrent des avantages tels que
l'élévation du rendement et, en certains cas, la faculté de fonction-
nement dans des galeries ou puits inondés, la transmission hydrau-
lique est délicate à établir, coûteuse, difficile à maintenir étanche,
peu appropriée à la division et à la dispersion du travail; elle ne
convient pas aux grandes distances.
Il y a vingt-cinq ans, l'air comprimé coûtait très cher et ne don-
nait qu'un rendement minime; aussi n'était-il guère employé qu'à la
10 TRANSMISSION DE L'ÉNERGIE DANS LES MINES.
perforation mécanique. Depuis, ses applications ont pris un essor
considérable; outre la perforation, elles embrassent le bosseyement,
le percement des galeries sans explosifs» la traction mécanique, Tex-
Iraction, l'épuisement sur les vallées ou dans les puits intérieurs, la
remonte du remblai dans les chantiers d'exploitation, la mise en jeu
des ventilateurs portatifs, etc. L'air comprimé distribue partout la
force au grand avantage de la production et de l'hygiène. Grâce à lui
s'est multiplié Faérage complémentaire qui pénètre dans les moindres
recoins de la mioe pour en expulser le grisou. Dès 1889, l'évolution,
apparaissait manifeste et certaines mines possédaient des canalisa-
tions mesurant jusqu'à ào kilomètres. Pendant les dix dernières
années du siècle, le mouvement s'est accentué. Certes, le rendement
reste faible; mais la transmission pneumatique s'impose pour les
longues distances et sur les chantiers plus ou moins grisouteux. Les
efforts des constructeurs en vue de l'amélioration du rendement se
sont surtout orientés vers le perfectionnement des compresseurs. En
1889, les compresseurs humides dérivés du type à piston liquide de
Sommeiller ou du type construit par Colladon pour le percement du
Saint-Gothard conservaient sur le continent une vogue largement
méritée; l'Angleterre et l'Amérique accordaient leur faveur aux com-
presseurs secs, dont les qualités dynamiques étaient moindres, mais
qui coûtaient peu, occupaient une place restreinte et avaient une
capacité productrice élevée par suite de leur très grande vitesse. Les
dispositifs récents présentent deux caractéristiques : compoundage du
moteur à vapeur et compoundage des cylindres à air; suppression de
l'injection d'eau à l'intérieur des cylindres à air et remplacement de
cette injection par une circulation d'eau froide dans des chambres
entourant les parois ainsi que les têtes des cylindres. De la première
modification résultent une économie de vapeur et une compression
plus effective. Quant à la seconde, elle assure la siccité de l'air
comprimé, évite les inconvénients dus à la purge de l'eau d'in-
jection, prévient les dépôts minéraux dans les cylindres et les
entraînements d'eau dans la tuyauterie; l'adjonction d'un réfrigéra-
teur intermédiaire permet, d'ailleurs, de refroidir l'air échauffé par
sa compression, dans le premier cylindre et de l'introduire, à une
PERCEMENT DES GALERIES DE MINE. 11
température aussi basse que possible, dans le cylindre à haute
pression.
Un quatrième agent de transport de la force, Télectricitë, s est
introduit dans les mines, timidement d'abord, puis avec un peu plus
de hardiesse. La première installation du genre date de 1880; elle
fut établie à Blanzy. Pendant longtemps, on est resté dans la période
des expériences et, pour en sortir, il a fallu Téloignement de plus
en plus accusé entre les chantiers et les générateurs d'énergie. La
transmission électrique permet de concentrer la production de force
dans une installation du jour et de distribuer facilement cette force
à longue distance; çlle fournit un bon rendement; les moteurs et
les canalisations n exigent que des espaces restreints; le service de
réclairage peut être assuré en même temps que les autres. Ces avan-
tages ont pour contre-partie les conditions peu favorables où la chaleur
et rhumidité placent les appareils et les canalisations au point de vue
de leur conservation, les dangers des étincelles et des courts-circuits
pour les mines grisouteuses ou poussiéreuses, l'impossibilité du trol-
ley et de l'éclairage électrique direct dans ces mines. La nécessité
de pourvoir avant tout à la sécurité commande donc une extrême
prudence. Des hésitations se sont manifestées sur le choix entre le
courant continu et le courant alternatif ou polyphasé : le courant
continu, plus simple à appliquer, convient moins aux grandes dis-
tances et exige des moteurs pouvant donner des étincelles dange-
reuses pour les milieux grisouteux; si lès courants alternatifs ou
polyphasés, et spécialement les couranls triphasés, sont d'une appli-
cation plus délicate, ils se prêtent aux transports lointains sans perte
notable par l'emploi de hauts voltages et comportent des moteurs
non seulement plus robustes, mais aussi dépourvus de collecteurs,
dans lesquels il est possible de supprimer toute cause d'étincelles.
5. Percement des galeries. — Pendant une longue suite de siècles,
le travail principal du mineur, Vabatage de la roche, est demeuré
presque exclusivement manuel. Le remplacement de la force muscu-
laire par celle d'un moteur inanimé et la répartition de cette force
motrice entre une multitude de chantiers mobiles, souvent fort
12 PERCEMENT DES GALERIES DE MINE.
éloignés les uns des autres, n'avaient fait Tobjet d'aucune recherche
.sérieuse avant i85o. Toute lattention des exploitants se portait sur
les moyens d'améliorer l'utilisation de la force humaine, en munis-
sant l'ouvrier d'outils plus puissants que les instruments simples
d'alors : tel était le but des appareils Berrens et Trouillet, ainsi que
de la machine à foret Lisbet, qui figuraient à l'Exposition de 1867.
C'est dans la section des mines de celte Exposition qu'apparurent
les tentatives ayant pour but l'application d'une force motrice nou-
velle (vapeur, eau ou air comprimé) au travail du chantier. On y
voyait des perforatrices mécaniques ^ propres à creuser les trous de mine
et fonctionnant soit par percussion, soit par rodage. La première
perforatrice à percussion qui ait été pratiquement employée fut celle
dont Sommeiller se servit dans les travaux du Mont-Cenis; ses élé-
ments agissaient à la manière des fleurets et recevaient leur mouve-
ment d'un moteur à air comprimé. M. de la Roche-Tolay exposait une
perforatrice à rodage, mue par une machine rotative à colonne d'eau
et fondée sur l'emploi de la bague à diamants, dont le principe était
attribué à l'horloger suisse Leschot. A côté de ces outils, destinés au
travail des roches dures qui s'attaquent par la poudre, se plaçaient
les haveuses mécaniques, établies pour faire automatiquement le travail
de la sous-cave ou du havage, dans les couches de charbon* ou autres
substances attaquables au pic : machine à air comprimé de Jones et
Levick; machine mue par l'eau, dite Iron man, de Garrett, Marshall
et C'*. La question du havage mécanique était tout à fait à l'ordre du
jour en Angleterre, où la production des houillères augmentait
annuellement de plusieurs millions de tonnes et 011 l'exploitant avait
particulièrement à soufl^rir de la rareté des ouvriers et de leurs exi-
gences croissantes. D'ailleurs, les gisements anglais de houille se prê-
taient mieux que les gisements français ou beiges à l'usage de ces
moyens mécaniques.
En 18 7 8, le grand nombre des perforatrices à air comprimé
exposées au Champ de Mars témoignait de l'extension prise par la
perforation mécanique. Les appareils à percussion semblaient tendre
vers deux ou trois types bien définis, parmi lesquels la machine Du-
bois et François. On notait un développement nouveau dans l'appli-
PERCEMENT DES GALERIES DE MINE. 13
cation des perforatrices à rodage (appareil Brandt). Les constructeurs
paraissaient avoir renonce à l'automatisation complète de leurs ma-
chines, par suit« de la complication excessive qui en résultait pour
les organes; dans la plupart des cas, Tavancement était produit à la
main. Des efforts avaient été faits en vue de réduire le poids des
appareils et de les rendre plus maniables; cette tendance se manifes-
tait spécialement chez les constructeurs anglais, auxquels on devait
plusieurs perforatrices légères et à grande vitesse, entre autres la
perforatrice Eclipse. Quant au havage mécanique, il ne répondait
pas, même en Angleterre, aux espérances conçues par l'industrie
minière.
Lors de l'Exposition de 1889, les perforatrices mécaniques parais-
saient s'immobiliser dans quelques modèles, au nombre desquels le
système Dubois et François, plus ou moins modifié, gardait la pré-
dominance en France et en Belgique. À côté de ce système bien
connu,, il existait de petites perforatrices très répandues dans les
mines américaines et donnant, sinon la même rapidité d'avancement,
du moins un travail plus économique; les machines de l'espèce, dont
la perforatrice Ingersoll-Sergeant présentait l'une des formes les plus
perfectionnées, commençaient à pénétrer dans les mines européennes.
Le havage mécanique avait peu progressé en Angleterre depuis
1866, époque des débuts de Tlron man dans les houillères du
Yorkshire; en France, grâce à l'initiative de Blanzy, il venait d'être
appliqué à l'exploitation des couches puissantes, et les résultats
obtenus permettaient d'en espérer la généralisation pour les attaques
par tranches horizontales, que les exploitants du Centre tendaient de
plus en plus à adopter, au grand profit de l'économie et de la sécu-
rité du travail. Diverses sociétés houillères (Marihaye, Blanzy) em-
ployaient des bosseyeuses ou perforatrices à air comprimé' de très gros
calibre, pour supprimer l'usage de la poudre dans l'agrandissement
des galeries en veines et même dans le percement de certaines gale-
ries à travers bancs, où la présence du grisou rendait dangereux les
explosifs. Si les bosseyeuses ne s'étaient pas propagées davantage à
cause des installations coûteuses d'air comprimé qu'elles exigeaient,
la sécurité dans les bosseyements avait du moins profité de l'emploi
14 PERCEMENT DES GALERIES DE MINE.
des perforatrices à rodage et à bras, ainsi que des aiguilles-coins; la
plupart des houillères exposantes affirmaient les services rendus par
ces appareils, plus ou moins dérives de la perforatrice Lisbet, dont la
Société des mines de Liévin se servait depuis une vingtaine d'années.
Aujourd'hui, les perforatrices à main sont très perfectionnées au
point de vue du poids, de la marche et du rendement. Elles travaillent
par rotation. Un dispositif (frein ou organe élastique) règ^e d'une
manière automatique l'avancement selon la dureté des roches tra-
versées.
Les perforatrices mécaniques se rattachent à des types multiples et
sont mues par l'air comprimé ou par Télectricité, C'est presque tou-
jours le système de la percussion qui est adopté pour les perforatrices
à air comprimé ; leur distribution se fait au moyen d'un cylindre équi-
libré, d'une soupape guidée ou d'une combinaison de Tun et de
l'autre; elles ont gagné en simplicité el en légèreté. Primitivement,
les perforatrices électriques étaient à rotation ; le mouvement de va-et-
vient nécessaire à la percussion a été obtenu, d'abord par l'emploi
de solénoïdes, puis par celui de moteurs électriques dont la rotation se
transforme, à l'aide d'une liaison élastique, en mouvement rectiligne
alternatif. Une innovation importante dans la perforation mécanique
est l'injection d'eau, système Fauvel, pour les appareils à percussion;
c^tte innovation assure l'enlèvement automatique et immédiat des
détritus, évite l'çncrassement de l'outil, double le travail, dégage
l'atmosphère des poussières et améliore la condition de l'ouvrier.
Très répandues en Amérique, les baveuses ont moins bien réussi
en France où les couches offrent une allure moins favorable. Lorsque
^le toit est bon, lorsque les couches sont homogènes, épaisses, dures
et relativement peu inclinées, on met en œuvre des machines à chaîne
coupante ou à roues, mues par l'air comprimé ou l'électricité; l'en-
combrement de ces engins a été réduit au niinimum. Malheureuse-
ment, dans beaucoup de cas, la présence d'impuretés, rognons de
pyrite ou de carbonate de fer, provoque la rupture des couteaux ou de
la roue; il faut alors recourir à des baveuses percutantes, dont le
fleuret traverse ou tourne les rognons. Les baveuses à percussion ayant
un travail moins rapide que les baveuses à couteaux, des essais ont
PERCEMENT DES GALERIES DE MINE. 15
ëté entrepris, çans grand succès d'ailleurs, avec une baveuse à
faux.
À propos du matériel et des procédés spéciaux au géqie civil, j'ai
déjà mentionné le débitage des pierres par le fil bélicoïdal ou la scie
diamantée. Les perfectionnements apportés au fil bélicoïdal en Italie
permettent de lutiliser dans les carrières pour entailler les bancs de
rocbe en place.
Sans traiter ici la question des explosifs qui a déjà été abordée et
sera reprise avec plus de détails dans un autre cbapitre, il importe
cependant d en dire quelques mots au point de vue spécial de l'exploi-
tation des mines.
La réglementation fondamentale des explosifs dans l'industrie mi-
nière date d'une circulaire ministérielle du 19 novembre 1888, ré-
digée à la suite des travaux remarquables de la Gomoiission du gri-
sou, travaux auxquels Mallard et Le Ghatelier prirent une très large
part. Cette circulaire indiquait les mélanges d'azotate d'ammoniaque
et de dynamite ou de dérivés nitrés assurant une sécurité sinon
absolue, du moins beaucoup plus satisfaisante que la dynamite; elle
signalait en outre les dangers des mèches de sûreté. Une circulaire
nouvelle de 1890, complétant celle de 1888, spécifiait les conditions
requises des explosifs pour leur emploi dans les mines grisouteuses :
absence d'éléments combustibles (hydrogène, oxyde de carbone, car-
bone, etc.) dans les gaz provenant de l'explosion; limitation de la tem-
pérature de détonation à i,5oo ou 1,900 degrés suivant les cas.
Les explosifs de sûreté devenaient obligatoires dès que les mines
étaient grisouteuses ou poussiéreuses. Aussitôt après la mise en appli-
cation des principes qui avaient inspiré les circulaires de 1888 et de
1890, le nombre des accidents de grisou imputables aux explosifs a
subi une diminution remarquable. La fabrication des explosifs de
sûreté s'est considérablement développée; on peut citer en France les
explosifs Favier, les grisoutines et le coton octonitrique, à base d'azo-
tate d'ammoniaque.
Malgré les perfectionnements apportés aux mèches de sûreté (com-
bustion intérieure à l'abri de l'atmosphère de la mine, emploi d'allu-
16 AÉRAGE DES MINES.
meurs de sûreté), l'usage des exploseurs et amorces électriques se
généralise de plus en plus, en raison de leur facilité d'emploi et de
leur sécurité.
Parmi les explosifs récents figurent les cheddites ou explosifs Street,
fondés sur la propriété des huiles végétales ou animales de dissoudre
^ chaud des dérivés nitrés qui peuvent alors être mis sans danger en
contact avec des chlorates.
6. Aérage. — En 1 869, un ingénieur belge, M. Harzé, déplorant
le défaut de soin que ses compatriotes mettaient à la ventilation des
mines non grisouteuses, n'hésitait pas à exprimer le désir de voir se
multiplier les exploitations à grisou, si la perfection de V aérage devait
en être le prix. Jamais, notre industrie minière n'a donné lieu à de
telles constatations. Bien plus, c'est aux expériences et aux calculs des
ingénieurs français. Combes, Murgue, etc., que Taérage de nos mines
doit son renom universel.
Les procédés d'aérage appliqués aux travaux souterrains ne datent
pas de ce siècle. Dès 1760, Spedding avait posé le principe de, la
subdivision du courant d'air. Avant lui, Fysen (1696) rapportait que
les ouvriers chassaient à coups de bâton les gaz délétères. Sans insister
sur les coutumes de ce genre, déjà mentionnées par Pline, je rappel-
lerai qu'on a successivement eu recours à des foyers d'aérage, puis à
des ventilateurs pour produire un courant d'air artificiel. Depuis le
milieu du siècle, les machines se sont propagées en Belgique et en
France, restreignant de plus en plus l'usage des foyers, qui est si peu
efficace et si dangereux quand ont lieu des venues puissantes de
grisou. Le même mouvement commençait, lors de l'Exposition de 1867,
à se manifester en Angleterre, où l'emploi presque exclusif des foyers
avait pu se maintenir, eu égard à la grande section des puits ou galeries.
Toutes les machines aspirantes ou soufflantes sont en principe
susceptibles de servir à la ventilation, pourvu qu'elles fassent circuler
un volume d'air suffisant. Mais, par suite des conditions spéciales aux
mines, les machines pratiquement utilisées se ramènent à un petit
nombre de types. Les ventilateurs à force centrifuge jouissent aujour-
d'hui d'une faveur à peu près universelle.
AÉRAGE DES MINES. 17
Des discussions se sont instituées sur le choix entre 1 aérage
soufflant et Taérage aspirant. Les avantages prédominants de i'aérage
par aspiration et ia diflSculté de réaliser l'aérage soufflant par le puits
d'extraction ont conduit à donner la préférence au premier, qui,
actuellement, se rencontre dans la plupart des houillères.
Les ingénieurs ont aussi débattu longuement la question du vo-
lume d'air à faire circuler dans la mine, au point de vue de la lutte
contre le grisou. Certains d'entre eux combattaient un aérage trop
vif, capable, à leur avis, de véhiculer rapidement le grisou, d'étendre
ainsi les coups de feu, de soulever les poussières et de créer, par
suite, des atmosphères dangereuses. Néanmoins l'aérage intensif a
prévalu et les faits d'expérience, notamment les heureux résultats
des prescriptions administratives dans le bassin de Saint-Etienne, l'ont
définitivement consacré ; il noie les gaz dès leur apparition ; un arro-
sage soigné des galeries et des tailles permet, d'ailleurs, de lutter,
quand il y a lieu, contre les poussières.
Vers la fin du siècle, les ventilateurs ont reçu beaucoup de perfec-
tionnements. Au ventilateur Guibal se sont ajoutés d'autres appareils
remarquables, tels que le ventilateur centrifuge Râteau et le ventila-
teur diamétral Mortier,
Dans les mines françaises, la ventilation générale est complétée
par des ventilateurs de petit calibre, produisant un aérage local et
complémentaire. Ces appareils auxiliaires sont souvent actionnés par
des moyens mécaniques : on est ainsi prémuni contre les négligences
que pourrait subir le service des ventilateurs à bras.
Les procédés de contrôle de la ventilation ont été systématisés, par-
ticulièrement dans nos mines grisouteuses. Plusieurs fois par mois,
les courants d'air font l'objet d'un jaugeage sur les différents points de
l'exploitation , et le résultat des opérations est consigné sur des plans
dits d'aérage.
Des appareils maintenant classiques servent au dosage du grisou.
Tels la iurette ou le grisoumètre de M. Le Chatelier, qui fournissent
un dosage exact sur échantillon prélevé dans la mine ; telle encore la
lampe grisoumétrique Chesneau, donnant sur place un dosage immé-
diat, approché au millième. Récemment, un ingénieur des mines.
IHr»iUfclllC «ATIOHILK.
18 ÉCLAIRAGE DES MINES.
M. Léon, a établi un indicateur électrique très précis, basé sur la dif-
férence de conductibilité des fils de platine portés au rouge dans Tair *
pur et dans une atmosphère grisouteuse ; cet indicateur se prête à un
enregistrement continu et aux signaux à distance.
7. Éclaîrofre. — Le mode usuel d'éclairofre dans les mines métal-
liques est encore l'éclairage au moyen de lampes ouvertes; il y a peu
de progrès à signaler sous ce rapport, le type primitif des lampes mi-
nières présentant avec la lampe antique une analogie frappante.
Mais les exploitations de houille ou, plus exactement, les mines gri-
souteuses n'admettent pas la lampe à feu nu, et Davy a rendu aux
mineurs un inappréciable service en lui substituant la lampe dite de
sûreté, dont la flamme est entourée d'un réseau métallique à mailles
serrées.
Cependant la lampe de Davy éclairait assez mal et n'offrait pas une
sécurité absolue. Upton et Roberts, Glanny, Muesoler, etc., s'effor-
cèrent de remédier au défaut de lumière et au danger des courants
d'air extérieurs ou d'un échauffement excessif du tamis. Ce fut la
lampe Mueseler qui passa le plus largement dans la pratique, notam-
ment autour de Liège. Puis la lampe Marsan t vint rivaliser avec elle
et recueillit les préférences des pays où les exploitants étaient libres
de choisir le mode d'éclairage qui leur paraissait donner le maximum
de garanties. Il est juste de citer aussi la lampe Fumât, qui, au lieu
de recevoir l'air par le haut comme les lampes Mueseler et Marsaut,
le reçoit par le bas, disposition favorable au point de vue de l'éclai-
rage et de la résistance à l'extinction ; cette lampe brûle d'ailleurs
le grisou, au fur et à mesure de son introduction, sans qu'un vo-
lume détonant puisse se former; sa sensibilité au grisou en fait un
véritable grisoumètre pour les personnes habituées à son manie-
ment.
De nouveaux efforts ont été faits pour perfectionner les lampes
Mueseler et Marsaut, pour trouver un type léger, éclairant bien, abso-
lument protégé contre les tentatives d'ouverture de la part des ouvriers
imprudents et contre les erreurs dans le montage à l'allumage. La
benzine et l'essence légère de pétrole ont fourni le moyen d'obtenir
TRANSPORTS DANS LES MINES. 19
une flamme brillante, sans encrasser les toiles ou enfumer les verres ;
cette flamme est d'ailleurs sensible au grisou. Des fermetures de sû-
reté, soit à rivet de plomb, soit à enclenchement magnétique, per-
mettent le vissage rapide de la lampe, mais empêchent le mouvement
inverse. 11 existe divers modèles de rallumeurs : les uns, automa-
tiques, se trouvent dans la lampe et fonctionnent par la déflagration
de capsules détonantes adaptées à un ruban qui est enroulé sur lui-
même et fixé près de la mèche ; les autres sont des rallumeurs élec-
triques et nécessitent Imstallation de postes spéciaux à Tintérieur de
la mine. La lampe Wolf et celle des mines de Lens peuvent être
regardées comme très satisfaisantes.
L'éclairage électrique portatif a également provoqué des recherches
actives. Jusqu'ici, la difficulté est de réunir la légèreté à une durée
suffisante d'éclairage régulier (lo ou 12 heures) : en effet, les élé-
ments d'accumulateurs indispensables ont un poids élevé. L'Exposition
de 1900 montrait des types acceptables, ouvrant la voie dans laquelle
le progrès des accumulateurs pourra conduire au succès. Ces modèles
étaient disposés de telle sorte que l'électrolyte, renfermé dans une
boîte hermétique, ne put jamais s'échapper; la lampe, munie d'un
réflecteur, avait une protection très sûre.
8. Transport des produîls à l'intérieur de la mine. — Dans l'anti-
quité, lé transport intérieur des produits de la mine^ depuis le chantier
jusqu'au jour, se faisait quelquefois au moyen d'une file d'ouvriers qui
se passaient le minerai de main en main, et, pour ainsi dire, morceau
par morceau. Le portage à dos, le traînage sur le sol des galeries et le
transport à la brouette furent déjà des procédés relativement perfec-
tionnés : on les voit encore en usage aujourd'hui. Mais, dans toutes
les mines un peu étendues, il a fallu recourir aux chemins de fer'^^,
combinés avec des plans automoteurs pour racheter les différences de
niveau des divers étages. Un moyen exceptionnel, spécial au cas du
transport à niveau^ consiste à se servir d'embarcations circulant sur
des rigoles navigables : indiqué au xviii^ siècle par l'ingénieur Bradiey
^*^ Il y a près de trois siècles , les mines de houille de Newcostle-sur-Tyne liaient déjà pour-
vues de chemins h rails en bois. Les premiers rails en fonte datent de 1770.
20 TRANSPORTS DANS LES MINES.
et appliqué pour la première fois près de Manchester, dans les mines
de Worsley, ce système n a pu prendre beaucoup d extension.
L'emploi des chemins de fer à l'intérieur des mines a réduit les
frais de transport dans une énorme proportion et permis, dès lors,
d'augmenter les distances, c'est-à-dire l'étendue du champ d'exploi-
tation de la mine et sa puissance de production.
Au début, les voies ferrées ont été exclusivement desservies par des
hommes, ou par des chevaux lorsque la section des galeries le per-
mettait et que les transports étaient longs.
En même temps qu'on reconnaissait les avantages considérables des
transports sur rails comparés aux transports sur le sol naturel des
galeries, on constatait aussi la nécessité, au point de vue de l'effet
utile, non seulement de maintenir la voie en bon état d'entretien , mais
aussi d'en améliorer le tracé et le profil en long. Les rampes durent
être adoucies, et, comme il n'était plus possible, avec des voies presque
de niveau , d'atteindre sans développement excessif tous les chantiers
d'une couche inclinée, le complément naturel des chemins de fer sur
niveau fut l'établissement de plans inclinés, sur lesquels les agents
ordinaires de traction devenaient insuffisants.
Souvent, on utilisa l'action de la gravité pour remonter les wagons
vides et descendre les wagons pleins sur des plans automoteurs, en
tête desquels se trouvait le mécanisme recevant les câbles de remor-
que; Bourdaloue imagina, en i845, les plans bisautomoteurs, qui
remontent les wagons vides à un niveau dépassant celui d'où descen-
dent les wagons pleins.
Il peut arriver que le quartier à desservir soit en contre-bas de la
recette inférieure. Dans ce cas, le transport en remonte sur le plan
incliné (qui prend alors le nom de vallée) ne saurait plus se faire
qu'à l'aide d'un moteur fixe. Au lieu d'utiliser le travail de la gravité
sur les wagons pleins, le mécanisme portant les câbles de remorque
doit, au contraire, recevoir l'action d'un moteur ayant à surmonter
comme résistance principale le poids de ces wagons diminué de celui
des véhicules vides. Primitivement, ce moteur consistait en un treuil
installé au sommet du plan et mû à bras d'homme, ou en un manège
actionné par un cheval. Puis l'accroissement de la production con-
TRANSPORTS DANS LES MINES. 21
duisit à remplacer les moteurs animés par des moteurs inanimés,
machines hydrauliques ou machines à vapeur.
L'installation de moyens mécaniques à l'intérieur des mines pour
desservir les vallées devait assez naturellement amener les ingénieurs
à en étendre l'action aux transports sur niveau , lorsque les quantités
à transporter étaient considérables, les distances longues et les terrains
propres à donner aux voies ,de fer une stabilité suffisante. Une fois
réalisé, l'établissement de la traction par câble à l'intérieur de lamine
permit d'augmenter encore l'activité de la production et de donner
une nouvelle extension au champ des travaux.
C'est surtout dans les grandes mines du centre et du nord de l'An-
gleterre que ces transports mécaniques par machines fixes ont pu se
généraliser rapidement, grâce à l'allure favorable des couches. Ils y
étaient déjà fort développés en 1867, alors que, sur le continent, les
mines de Saarbrûck en offraient seules un exemple. Depuis, l'essor des
exploitations a déterminé à les appliquer au roulage souterrain dans
des conditions plus difficiles qu'en Angleterre, eu égard à l'irrégularité
des couches et à la moindre section des galeries.
Voici un demi-siècle que l'Angleterre n'bésite plus à installer dans
l'intérieur de la mine des machines à vapeur spéciales actionnant
soit les cordes-queue, soit les câbles ou chaînes sans fin. Mais, dans
les mines grisouteuses, les générateurs de vapeur ne pouvaient sans
inconvénient, ni même sans danger, être établis souterrainement : en
ce cas, on a pris le parti de ne maintenir au fond que le moteur et de
l'alimenter par des chaudières placées au jour. Fréquemment aussi,
dans le but d'éviter les vices inhérents aux longues conduites de
vapeur, on a préféré mettre le moteur au jour, à portée de son géné-
rateur, et transmettre la force par des câbles sans fin, par l'eau sous
pression, par l'air comprimé ou par l'électricité, à des récepteurs dis-
posés dans la mine. L'emploi de l'air comprimé surtout, adopté dès
avant 1867 par la Compagnie de Sars-Longchamp (Belgique) et par
celle des charbonnages belges, s'est largement répandu pour ce genre
de transmissions.
En 1878, on pouvait constater le développement des transports
mécaniques dans certaines régions où ils étaient presque inconnus
22 EXTRACTION DES PRODUITS MINIERS.
auparavant. Le système des machines fixes commençait même à ne
plus suffire, et plusieurs exploitants reprenaient le problème des trans-
ports intérieurs par locomotives. À cet égard, TExposition de 1878
présentait quelques applications remarquables de Pair comprimé, dont
la première remontait au percement du Saint-Gothard; elle démon-
trait aussi la possibilité de faire usage des locomotives à vapeur, même
dans des galeries de section relativement faible.
Depuis lors, les transports mécaniques ont encore progressé. C'est
ainsi que l'Amérique du Nord a créé un excellent type de locomotive
électrique avec prise de courant par trolley, type qui, d ailleurs, ne
saurait être introduit dans les mines grisouteuses. Les progrès se sont
principalement accusés pour les transports mécaniques à la surface,
transports sur le sol ou parfois transports aériens; la chaîne flottante
et les plans automatiques ont permis de résoudre heureusement, dans
les pays accidentés, la question du transport des produits d une exploi-
tation vers des points éloignés ou celle de la concentration des produits
de plusieurs exploitations en un point unique: tel est le cas dans le
Lancashire et aux mines de Sommorostro (Espagne).
La substitution du métal au bois et de Taeier au fer dans la struc-
ture du matériel na cessé de se poursuivre. Maintenant, les voies de
nombreuses mines ont des traverses métalliques, dont les types ration-
nels datent de quarante ans environ. Le remplacement des wagonnets
en bois par des wagonnets métalliques est entrepris depuis plus long-
temps encore, puisque la Compagnie d'Anzin l'opérait dès 18/18; en
i884 sont apparues, dans les houillères du Nord et du Pas-de-Calais,
les premières berlines en acier. Il n'est pas jusqu'aux pièces de soutè-
nement des galeries (rappelons-le en passant), pour lesquelles la
même tendance au remplacement du bois par le fer et l'acier ne se soit
manifestée.
Tous ces progrès se traduisent, en fin de compte, par l'accroisse-
ment de productivité des sièges d'exploitation et par la diminution du
prix de revient.
9. Extraction des produits. — L'évolution consistant à remplacer la
force de l'homme par d'autres forces naturelles, pour Vexlraetion des
EXTRACTION DES PRODUITS MINIERS. 23
matières exploitées, était accomplie dès les premières années de la
seconde moitié du siècle. Aujourd'hui, l'extraction au moyen de treuils
à bras n'est plus qu'un souvenir du passé, sauf dans les exploitations
sans importance et d'un caractère en quelque sorte^éphémère. L'em-
ploi des chevaux lui-même, plus économique que celui des hommes,
a dû céder la place à l'emploi plus économique encore des moteurs
hydrauliques, quand les circonstances s'y prêtaient, et généralement
des moteurs à vapeur.
Ces derniers ont, d'ailleurs, subi de profondes transformations, et il
n'y a presque plus rien de commun entre l'installation primitive, uti-
lisée avant i84o dans le Nord at dans la Loire pour sortir quelques
centaines ou un millier d'hectolitres de houille par jour, et celles dont
sont maintenant pourvues les exploitations bien outillées des mêmes
régions; quoique la profondeur des puits ait notablement augmenté,
on leur demande une production triple ou quadruple, et parfois bien
davantage.
Vers 1867, les appareils d'extraction ordinairement employés dans
les houillères, tant françaises que belges, étaient des machines à deux
cylindres conjugués, à haute pression, à faible détente et sans con-
densation. L'attaque directe de l'arbre des bobines par la manivelle,
appliquée pour la première fois en Belgique parMarcellis (18/17), avait
prévalu avec l'accroissement des vitesses d'extraction. À peine est-il
besoin de faire remarquer que les machines d'alors péchaient au point
de vue essentiel de la dépense de combustible.
Gomme l'approfondissement des puits augmentait notablement les
frais d'extraction des produits, l'attention se porta vers les économies
de combustible, auxquelles les exploitants de charbonnages n'avaient
guère songé jusque-là. On dut recourir aux moteurs à détente, et,
dès 1878, on n'installa plus qu'exceptionnellement des machines à
pleine pression. Après avoir admis timidement la détente fixe, les ingé-
nieurs se rendirent compte des avantages de la détente variable pour
l'équilibre des machines; en 1878, ils étaient arrivés dans plusieurs
installations à ne plus rechercher cet équilibre autrement que par la
variation de la détente.
Lors de l'Exposition de 1889, les tâtonnements avaient cessé, et le
24 EXTRACTION DES PRODUITS MINIERS.
type de la machine d'extraction, pour les grandes profondeurs, sem-
blait désormais fixé: c'était la machine horizontale à deux cylindres,
avec détente variable par le régulateur, datant à peine de la précé-
dente Exposition.^
Cependant les études ont continué pendant la dernière période
décennale. Une machine exposée en 1900 par la Société des mines
d'Anzin inaugurait les applications du compoundage aux moteurs
d'extraction.
Parmi les tendances modernes, Tune des plus caractéristiques a été
de grouper l'extraction en un nombre minimum de sièges et d'accroître,
par suite, la puissance des installations.
Un autre fait à noter est le développement considérable qu'ont pris
l'usage des treuils à air comprimé, comme appareils d'extraction sou-
terrains, et leur emploi à la remonte des remblais dans les couches qui
ne donnent pas assez de pierres. La production de la vapeur au fond
de la mine se heurte à de telles difficultés, qu'on n'y a recours, sur le
continent, que dans des conditions spéciales; les conduites de vapeur
venant de la surface présentent également de graves inconvénients.
Au contraire, l'air comprimé offre une solution simple et facile; le
système Woolf et le système compound permettent, d'ailleurs, de l'uti-
liser à détente complète.
Récemment, les treuils électriques sont entrés en lutte avec les
treuils à air comprimé. Ils avaient une représentation brillante à
l'Exposition de 1900.
Les causes qui amenaient la transformation des machines d'extrac-
tion ont aussi conduit à modifier les autres parties de l'outillage, les
câbles, les bennes, les dispositions accessoires.
Il est manifeste que l'accroissement de la profondeur des puits
donnait une importance capitale à la question des câbles. Les câbles
métalliques, dont la fabrication et l'emploi paraissent avoir pris nais-
sance en Allemagne et s'être introduits en Angleterre vers i835 ou
i84o, ont sur les câbles végétaux l'avantage indiscutable de la légè-
reté. Malgré la tendance générale à adopter l'acier, comme la matière
la plus légère pour une même résistance, certains ingénieurs persis-
tent à se servir des câbles en aloès.
EXTRACTION DES PRODUITS MINIERS. 25
Les câbles ordinaires doivent avoir une force d autant plus grande
que les puits sont plus profonds. A la fois plus gros et plus longs, ils
se surchargent par leur propre poids, tout en créant une irrégularité
croissante dans la résistance que doit vaincre la machine. On a ima-
giné, pour les grandes profondeurs, des câbles ce diminués ??, dont la
section diminue du sommet à la base; ces câbles permettent d aug-
menter sensiblement la profondeur accessible dans les puits d'extrac-
tion. Ils ne peuvent être enroulés que sur des tambours cylindriques ou
coniques. Les tambours cylindriques sont simples et donnent un bras
de levier constant pour Tenlèvement de la charge, mais nécessitent un
système d'équilibrage des câbles, régularisant le travail de la machine;
ils ont en outre le défaut de provoquer lobliquité du câble entre le
tambour et la poulie-molette , par rapport au plan d'enroulement sur
le cylindre et à celui de la molette : M. Morgans est Tauteur d un dis-
positif de déplacement du tambour parallèlement à son axe, qui
maintient constamment le câble dans le plan de la poulie-molette.
Dune construction moins facile, les tambours coniques remédient
en partie à l'augmentation de la charge lors du déroulement,
par la variation du bras de levier; ils présentent une gorge héli-
coïdale.
Des dispositions très variées ont été mises en pratique pour prendre
le minerai arrivant à laccrochage, l'élever au jour et le déposer au
bord du puits. Originairement, les bennes ou cuffats n'étaient pas
guidés dans le puits; la vitesse d'ascension restait limitée à i mètre
par seconde et descendait quelquefois à om. 60. Un grand progrès
fut réalisé, du jour où on prit des mesures afin de guider les bennes,
d'éviter ainsi leurs dégradations et celles des parois du puits, de pré-
venir par surcroît les dangers de rencontre, et surtout afin d'accroître
la vitesse d'ascension. Le guidage, dont la nécessité devient plus
impérieuse quand les centres d'extraction augmentent de profondeur,
se concentrent et sont appelés à un service plus intensif, peut être
assuré de différentes manières. Un système recommandable est celui
des guides rigides et des cages à un ou plusieurs étages, recevant
plusieurs wagons à la fois et permettant de faire arriver très rapide-
ment au jour les produits du chantier sans aucun transbordement.
26 EXTRACTION DES PRODUITS MINIERS.
Les effets de tassement des puits peuvent, s'il y a lieu, ^tre compensés
par un guidage en longrines écli^ssées.
L'importance du service de l'extraction dans les mines exige que ce
service ait une marche non seulement économique, mais encore très
régulière: quelques heures de chômage suffisent, en effet, à jeter la
perturbation dans les ateliers et à occasionner des pertes sensibles.
Aussi les exploitants se sont-ils grandement préoccupés de tout ce qui
paraissait de nature à prévenir les intermittences si fâcheuses dans la
production. Divers moyens ont été proposés et employés pour rendre
le mécanicien entièrement maître de sa machine, pour lui permettre à
tout instant d'en régler la vitesse et de l'arrêter, pour maintenir l'en-
roulement régulier des câbles. Il convient de signaler particulièrement
les évite-molettes qui limitent automatiquement la vitesse à proximité
de la recette supérieure, qui bloquent le frein lorsque la cage dépasse
cette recette d'une hauteur donnée et qui empêchent ainsi cette cage
de monter jusqu'aux poulies.
Des accidents graves peuvent résulter de la rupture du câble, no-
tamment quand la cage porte des hommes. On a cherché à s'y sous-
traire ou à en atténuer les effets au moyen de parachutes. Ces appa-
reils, dont l'usage commençait à se propager en Angleterre lors de
l'Exposition universelle de i85i à Londres et dont se servait à la
même époque l'administration des mines de Decize, sont aujourd'hui
fort répandus et se rattachent à des types très multiples ; ils agissent
sur les faces des guides, soit par friction, soit par pénétration.
Pour augmenter le rendement de l'extraction, on s'est efforcé de
réduire au minimum la durée de l'encagement et du décagement des
berlines, en rendant ces manœuvres automatiques. Des modèles d'in-
stallations de ce genre ont été créés à Anzin et à Dourges.
Toutes les recettes des puits sont pourvues d'appareils de sécurité,
barrières, taquets, signaux, etc., qui, en général, fonctionnent auto-
matiquement. Les chutes du personnel et du matériel ne surviennent
plus que très rarement.
Le matériel moderne d'extraction est le plus souvent construit en
vue des grandes profondeurs. Avec cette tendance, les installations
devaient nécessairement subir des transformations analogues à celles
CIRCULATION DES OUVRIERS DANS LES MINES. 27
du matériel fixe et du matëriel roulant des transports souterrains.
Depuis plus de trente ans, le métal se substitue, dans la construction
des châssis de molettes, au bois dont les avantages en ce qui concerne
la dépense s atténuent à mesure que l'extraction devient plus active.
L emploi de Tacier, pour les cages, est, sur le continent, un progrès
qui date de 1867. Enfin les guidages en acier sont souvent adoptés
dans les aménagements modernes; cependant les guidages en bois leur
restent supérieurs pour les puits à retour d'air et pour ceux où la dé-
consolidation des terrains provoque des mouvements.
10. Circulation des ouvriers. — Une conséquence intéressante de
Tapprofondissement des puits a été l'abandon des échelles qui ser-
vaient à la descente et à la montée des ouvriers : en effet , le temps et la
force dépensés pendant ce pénible trajet réduisaient d'autant le tra-
vail utile susceptible d'être demandé au mineur, dont la santé s'alté-
rait, d'ailleurs, rapidement sous l'influence des excès d'effort mus-
culaire. Au delà d'une certaine profondeur, les moyens mécaniques
s'imposent aussi impérieusement pour le transport des hommes que
pour l'extraction.
11 n'était pas besoin d'être grand clerc pour penser à faire usage
de la machine d'extraction elle-même, sans établir aucun appareil
spécial. Néanmoins ce système, en apparence si simple, rencontra de
vives résistances; longtemps encore après la généralisation des bennes
et des cuffats, le privilège de descendre ou de monter par le câble
d'extraction demeurait ordinairement réservé aux maîtres mineurs,
aux chefs de poste et à quelques ouvriers spéciaux.
Cependant la raison et l'humanité finirent par avoir le dessus. Ce
qui n'était qu un privilège devint le droit commun. Les ouvriers furent
tous autorisés soit à profiter des bennes, soit, comme dans plusieurs
districts miniers, notamment en Angleterre, à descendre et à monter
accrochés au câble par des chaînes, en forme de grappes humaines.
Le système des cages guidées est venu procurer aux ouvriers toutes
les facilités voulues, tous les avantages désirables de rapidité et de
sécurité. Si le perfectionnement des appareils d'extraction a puissam-
ment aidé l'industrie minière en augmentant la productivité des ex-
2M ÉPI ISEMENTS DANS LES MINES.
ploj talions, il ne lui a pas été moins utile en permettant d'introduire
sans fatigue dans la mine le personnel nécessaire à un travail plus in-
tfmseetde réduire dans une Irèsforte proportion le nombre desaccidents.
Bien que le transport des ouvriers par câble soit maintenant la
règle, cette pratique comporte des exceptions. La descente et la
remonte des ouvriers à la fin de chaque poste sont des opérations
assez longues ; leur durée croit nécessairement avec l'importance nu-
mérique du personnel, comme avec la profondeur du puits. Dun autre
côté, rinstallation des puissants moyens d'extraction qui se prêtent
h ce mode de transport ne serait point rationnelle dans les mines à
production limitée; elle devient même impossible quand Textraclion
doit se faire par des plans inclinés: tel est assez fréquemment le cas
des filons métalliques, dont l'exploitation se poursuit cependant à de
grandes profondeurs et qui, à ce litre, appellent des moyens méca-
niques pour la circulation des ouvriers. On a imaginé, afin d y pour-
voir, les échelles mécaniques, désignées en Allemagne sous le nom
de Fahrkunste et disposées de manière à placer Thomnie dans les
mêmes conditions que s'il cheminait sur un plan horizontal ; le pre-
mier appareil dé ce genre fut installé au Harz, vers i83o, sous l'in-
spiration d'Albert, à qui est due aussi l'introduction des câbles en fil de
fer; quelques années plus tard, des échelles analogues étaient établies
ihm les mïnt's de Cornouailles; puis le système s'étendit à d'autres
dislriets mï'lîillifères et à des bassins houillers. La puissance des
FîilirkuriHtlc a éiv augmentée; il en est de même de la sécurité qu'elles
olVn^nt aux ouvii^TS. En France et en Belgique, les appareils modifiés
dans ro but sont habituellement dénommés warocquères^ parce que
\v mérih* àv Ipur invention appartient à Warocqué (mines de Marie-
monl. i8à5). LVmploi des Fahrkunste est devenu exceptionnel dans
\pB milles de liouille.
Cerlains exploitants soucieux d'éviter à leur personnel la fatigue
des longs parcours souterrains les transportent en wagon sur les voies
de service^ notamment sur celles des plans inclinés.
i I . Epumments. — Les appareils à'epuisenicnt excluent, plus en-
cor t* peuL-etre i|ue les appareils d'extraction, l'usage des moteurs
I
EPUISEMENTS DANS LES MINES. 29
animes; car le poids de leau à extraire journeHement est dans
beaucoup de cas égal ou même notablement supérieur à celui du
minerai.
A lorigine, les moteurs inanimés dont on se servait pour lasséche-
ment des mines consistaient surtout en roues hydrauliques. Le mou-
vement de ces roues se transmettait, au moyen de bielles, de tirants
et de varlets, à la maîtresse tige des pompes placées sur le puits
dexhaure; tantôt la maîtresse tige était unique, tantôt elle se décom-
posait en deux tiges équilibrées, suivant la disposition longtemps
classique en Angleterre et en Allemagne. Parfois, les exploitants em-
ployaient, au lieu de roues hydrauliques, des machines à colonne
d'eau, de préférence à simple effet.
Plus tard sont apparues les machines à vapeur, à simple effet, fonc-
tionnant dans les mêmes conditions que les machines analogues à
colonne d eau. C'est à ce type que se rapportent les machines dites de
CornouailleSy renommées pour leur faible dépense de combustible et
restées pendant longtemps, de ce fait, en possession d'une suprématie
presque absolue.
Tandis que les machines à balancier étaient préférées en Angle-
terre, on utilisait sur le continent des machines à traction directe et
sans détente, auxquelles leur simplicité et l'économie de leur installa-
tion avaient assuré, dès 1887, une vogue persistante. Pour les épui-
sements considérables, la dépense de charbon, avec ces .dernières
machines, pesait lourdement sur l'exploitation ; on reconnut la néces-
sité de réduire la consommation par l'usage de la détente, appliquée
depuis de longues années aux machines de Cornouailles. Le système.
Woolf fut adapté , pour la première fois, en 1889, aux machines à
traction directe. En 186/i, Ehrhardt commença à construire dans la
Westphalie des moteurs à double effet.
Ces perfectionnements marquèrent la transition vers un progrès
plus important, l'emploi d'un moteur rotatif pour les grands épuise-
ments. Le succès de ce moteur s'aflirma à partir de 1867 , en raison
des vitesses jusqu'alors inusitées et des détentes prononcées qu'il per-
mettait d'obtenir sans exagération des masses.
L'Exposition de 1878 fut le triomphe des machines rotatives à
30 PRÉPARATION DES CHARBONS ET MINERAIS.
double effet. Dans la machine Guinotte, qui constituait le type le plus
parfait, un moteur à cylindre unique avait été substitue au moteur
Woolf, afin d'accroître les vitesses moyennes.
À une époque déjà reculée, les ingénieurs avaient eu Tidée d'in-
staller souterrainement les machines : témoin un brevet belge de
i83o, décrivant une pompe souterraine sans volant, analogue aux
pompes dites américaines qui se sont répandues en Europe après
l'Exposition de 1867. En 1878, l'un des types les plus usuels de
pompe sans volant était celui de MM. Tangye.
Après 1878, les pompes souterraines à volant prirent une place
de plus en plus large dans le matériel des mines. Utilisées depuis
longtemps en Angleterre pour des profondeurs moyennes et de petites
quantités d eau, elles s'implantèrent fortement sur le continent et rem-
placèrent les moteurs de surface , même pour les grandes profondeurs
et les épuisements à fort débit. L'Exposition de 1889 accusait bien
cette tendance vers la substitution de machines souterraines aux ma-
chines à maîtresse tige; réalisant une pensée fort heureuse, la Com-
pagnie d'Anzin mettait en parallèle au Champ de Mars la machine de
Newcomen employée en 1789 dans ses mines et la machine com-
pound souterraine, qu'elle considérait comme la caractéristique du
progrès. Il existait, chez nos voisins de Belgique, des machines sou-
terraines refoulant jusqu'à 676 mètres (la Louvière).
Les poppes souterraines peuvent être actionnées par lair com-
primé, l'eaii ou l'électricité. En 1900, l'intérêt des modèles exposés
se portait sur les efforts faits pour développer et perfectionner la
commande électrique. Une diflîculté sérieuse résulte de l'écart entre
les vitesses normales des moteurs électriques et des pompes à plon-
geurs. La liaison doit s'établir généralement par des engrenages,
plus rarement par des courroies. Quelques constructeurs ont tenté le
couplage direct, en réduisant au minimum (3oo ou 260 tours) la
vitesse des moteurs et en augmentant celle des pompes, malgré l'insé-
curité relative du fonctionnement des soupapes avec la marche rapide.
12. Préparation des charbons et des minerais. — Aujourd'hui, la
plupart des exploitants de charbonnages s'attachent à rendre leurs
PRÉPARATION DES CHARBONS ET MINERAIS. 31
produits plus propres à la vente en les préparant , en les oflVant au
consommateur dans un état, sous des formes et. avec des teneurs
appropriés aux divers usages spéciaux du charbon.
D'ailleurs, le classement, le triage, le nettoyage, le lavage présen-
tent de grands avantages pour les combmtibles minéraux consommés
par la métallurgie. Ces opérations assurent la production régulière et
économique des hautes températures; elles évitent Tinfluence nuisible
de certains éléments au contact des métaux en élaboration. Ainsi
s'explique la généralisation rapide du lavage des houilles, qui, au
début de la seconde moitié du xix^ siècle, n'était encore usité que
dans la fabrication du coke destiné aux chemins de fer.
Le triage est opéré sur des cribles fixes ou sur des cribles mus
mécaniquement, soit à barreaux mobiles, soit à tôles perforées. Actuel-
lement, les cribles fixes sont rares; ils ont été supplantés par les
cribles mobiles , tels que les cribles à mouvements alternatifs ou oscil-
latoires et, dans une moindre mesure, les criblés rotatifs sans choc.
On organise les services de manière à réaliser la séparation des sor-
tes voulues ou la reconstitution à volonté des mélanges de plusieurs
sortes.
En ce qui concerne le lavage, la France a devancé l'Angleterre.
Ce fait s'explique par la qualité inférieure des houilles brutes que
livraient beaucoup de nos mines et par les tendances des consomma-
teurs français qui appréciaient mieux les avantages de la pureté du
charbon. Les premiers essais de lavage remontent à plus de soixante
ans et ont eu lieu à Saint-Etienne; dès 1867 , l'opération était deve-
nue courante pour le charbon destiné à la fabrication du coke et
même pour les menus consommés en nature. Etudiés dans leurs dé-
tails, les appareils de lavage accusent une extrême variété; pourtant,
on y rencontre presque toujours un principe commun , celui du crible à
piston, appareil bien connu, dans lequel la matière en traitement, sous
l'influence des secousses qui lui sont imprimées, se dépose en couches
superposées par ordre de densité.
Une méthode maintenant répandue consiste à établir les ateliers
de triage près de la sortie des fosses et à concentrer les ateliers de
lavage, qui sont, par suite, munis d'un puissant outillage.
32 AGGLOMÉRATION DES CHARBONS.
Généralement, i'inslallatlon des chantiers de criblée, de triage
et de lavage est organisée de telle façon que les produits utilisent
le plus possible la gravité à partir du culbuteur ou de la noria d élé-
vation.
La préparation mécanique des minerais comprend tout un ensemble
d'opérations, souvent fort complexes, qu'ils doivent subir depuis la
sortie de la mine jusqu a l'instant où une épuration convenable per-
met de les livrer à la métallurgie. Elle emploie dis appareils d'une
très grande diversité, qu'il ne saurait être question de décrire ni
même d'énumérer ici. Parmi les manipulations successives, on dis-
tingue ordinairemement : les concassages et triages, qui s'exécutaient
autrefois à la main; puis le travail du crible mobile, applicable aux
matières grenues ; enfin les lavages sur tables, spéciaux aux matières
ténues, depuis les graviers trop petits pour le crible mobile jusqu'aux
schlamms les plus fins. Le matériel était resté fort primitif avant le
milieu du siècle. À cette époque, la nécessité de réduire la main-
d'œuvre s'est fait sentir avec plus de force et a donné naissance aux
progrès qui ont transformé les anciens ateliers et qui s'accusaient si
nettement lors de l'Exposition de 1867. On a dû chercher un juste
milieu entre le système aspirant au minimum de déchet, moyennant
un travail coûteux, et le système visant surtout à réduire la main-
d'œuvre, en opérant d'une manière plus rapide et plus sommaire.
Dans cet ordre d'idées, les industriels se sont attachés à généraliser
l'usage des moyens mécaniques, à construire des appareils simples et
d'une grande capacité de production, à les rendre automatiques dans
leur alimentation en les étageant les uns au-dessus des autres. Eu
égard à cette solidarité des différents appareils, il a fallu rendre leur
marche aussi régulière que possible, modifier leur installation jadis
fort grossière, y introduire les matériaux et les procédés d'une bonne
construction mécanique. Après ces perfectionnements et la transfor-
mation complète qui en était résultée pour l'ancien outillage, les pro-
grès de la préparation mécanique des minerais se sont ralentis.
i3. Agglomération des charbons. — Comme le lavage, ï agglomé-
ration des combustibles minéraux est une industrie d'origine essentiel-
FOURS À COKE. 33
lement française. Ses débuts se sont accomplis dans le bassin de
Saint-Etientie ; le premier brevet date de i833.
La fabrication des agglomérés de menu, créée pour les besoins
des chemins de fer en même temps que pour ceux de la navigation
à vapeur, a pris une grande extension et permis à beaucoup d'exploi-
tants d'utiliser une partie de leur production autrefois rejetée comme
inutilisable et sans valeur. Toutes les difficultés ont été successivement
vaincues pour le coke, les lignites et la tourbe aussi bien que pour la
houille. On emploie habituellement un mélange en proportion variable
de combustible et de brai.
Ce n est pas seulement aux combustibles que s'applique l'agglomé-
ration. Pour ne citer qu'un exemple, l'industrie fait des briquettes
de minerai de fer et de chaux hydraulique, destinées aux hauts
fourneaux.
De nombreuses machines à agglomérer ont été imaginées depuis
que RévoUier, Biétrix et C*^ construisirent leur premier type de i849
dont le modèle figura à l'Exposition de 1867. En 1878, Biétrix et G**"
exposaient un appareil très remarqué. Des presses à double et triple
compression jouissant d'une légitime réputation figuraient en 1900
dans l'exposition minière.
i/i. Fours à coke. — hes fours à coke appellent quelques obser*
vations intéressantes. Du jour où la fabrication du coke a été entre-
prise en grand pour les besoins des industries métallurgiques, il a
fallu se préoccuper de l'utilisation des gaz combustibles, riches en
hydrocarbures et en oxyde de carbone, qui se dégagent des cornues ou
des fours. Ces. gaz ont d'abord servi à chauffer des batteries de géné-
rateurs et à fournir ainsi de la vapeur employée aux services de la
mine. Puis est venue la récupération, aujourd'hui classique dans les
nouvelles installations, des sous-produits, goudron, ammoniaque,
benzols. A leur sortie des fours, les gaz se rendent dans une usine
spéciale où ils déposent les sous-produits; après l'épuration, une
partie retourne aux fours où sa combustion détermine la distillation,
tandis que l'autre partie alimente des chaudières, des moteurs à
gaz, etc. La récupération diminue sensiblement le prix de revient du
ly. a
IMrKIMXRIK NâTIOlALB
34 SÉCURITÉ DES OUVRIERS MINEURS.
coke et fournit le brai nécessaire à la fabrication des briquettes.
En 1900, la France possédait plus de mille fours à récupération.
Récemment, une chute énorme du cours des benzols a provoqué
de vives inquiétudes; Tindustrie espérait un relèvement par suite de
lextension que prend l'usage des alcools carbures k la benzine.
Une nouveauté, lors de l'Exposition de 1900, était la production
d'un coke résistant et compact avec des charbons k haute teneur en
matières volatiles, au moyen d'une compression de la houille pendant
la distillation.
i5. Sécurité du personnel. — Parmi les caractéristiques de la un
du siècle, l'une des plus frappantes est la sollicitude sans cesse en
éveil de l'Administration et des exploitants pour la sécurité du per-
sonnel, l'assaut d'ingéniosité et de dispositions originales que se sont
livré les industriels afin de protéger la vie et la santé des ouvriers,
de prévenir des dangers dont la gravité augmentait d'ailleurs avec la
profondeur et l'intensité des exploitations minières.
En nombre de cas, les accidents résultent d'une maladresse, d'une
inattention, d'une imprudence de la victime, soit qu'elle ouvre in-
tempestivement une lampe, soit qu'elle néglige de s'assurer qu'une
voie de transport est libre avant de s'y engager, soit qu'elle procède
À une manœuvre aux recettes sans vérifier la présence de la cage au
niveau voulu, etc. Le mineur, constamment exposé à certains périls,
finit par y devenir presque indifférent et par s'abstenir des précautions
indispensables: cette tendance, inhérente à la nature humaine, est
générale dans l'industrie. Il fallait mettre les ouvriers à l'abri même
des conséquences d'un acte irréfléchi de leur part; les concessionnaires
s'y sont attachés au prix des plus grands efforts et des plus lourds
sacrifices.
Chemin faisant, j'ai indiqué les principales dispositions prises dans
l'intérêt de la sécurité; il ne me reste pour ainsi dire qu'à les réca-
pituler. ^
Un des ennemis les plus redoutables des mineurs est le grisou. Les
commissions officielles instituées dans divers pays et notamment la
Commission créée en France à la suite de la loi du 26 mars 1877
SÉCURITÉ DES OUVRIERS MINEURS.
35
peuvent revendiquer Thonneur d'avoir répandu des notions saines et
précises sur les moyens de le combattre par un aérage convenable,
par l'emploi de lampes inoffensives, par lusage d'explosifs de sûreté
et le tirage à l'électricité, par la grisoumétrie.
Les mouvements des ouvriers dans les puits étaient particulièrement
dangereux; grâce aux évite-molettes, aux parachutes, etc., le péril a
été conjuré.
Des systèmes de barrières, d'enclenchements, de signaux, empê-
chent toute manœuvre intempestive d'ouverture des puits ou des plans
inclinés et s'opposent aux chutes graves qui en seraient la consé-
quence. Généralement, les appareils de fermeture sont automatiques
et ne peuvent être manœuvres que lorsque les cages ou berlines sont
au niveau voulu. Cette automaticité réduit au minimum la part d'ini-
tiative laissée aux ouvriers.
En dehors des mesures habituellement prescrites pour le service du
boisage des galeries, il est, au besoin, procédé à un étayage provi-
soire au moyen d'allonges métalliques supportant le toit en porte à
faux pendant les travaux d'abatage.
Le tableau suivant donne, de i833 ou de i85t à 1900, la pro-
portion du nombre des ouvriers tués au nombre des ouvriers employés
dans les différentes exploitations minérales en France :
PÉRIODES.
NOMBRE DES OUVRIERS TUÉS PAR 10.000 OUVRIERS EMPLOYÉS 1
(motknnbs annuelles). I
Mliin M OOHIUSTIBLK.
m/IKS DtVSUIS.
CiiaiBBKS
soulerraincB.
CilHIKIieS
& ciel ouvert.
ArcidenU
de grisou.
Ensemble
des acridents.
1833-1840
1841-1850
1851-1860
1861-1870
1871-1880
1881-1890
1891-1900
5.9
a.'i
4.6
5.4
5.0
5.8
0.7
40.7
(0 37.5
W 34.3
39.8
22.3
18.2 •
11.8
a
K
^*) 18.0
16.8
,7.5
i4.5
15.9
n
a
W 16.4
17.7
18.1
iS.'i
18.4
n
5.1
7.4
7.0
10.5
r'} Moyf>ône de 3 années. — O Moyenne dn 7 années. — (^) Moyenne de 8 années. 1
36 COMBUSTIBLES MINÉRAUX.
Voici, (l'autre part, quelques chiffres comparatifs pour la France,
la Belgique, la Grande-Bretagne et la Prusse:
PKRIODES.
1831-1840
1841-1850
1851M860
1861-1870
1871-1880
1881-1890
1891-1900
GHARBO?INAGKS.
HoMiii DIS omriiBBS Tués
PAB 10,000 ootims npLoris
(moy(>ones annuelles).
I
4o.7
37.5
34.11
19.8
93.3
18.9
11.8
S
f
3i.i
29-7
99.3
96.1
94.5
«9-9
13.9
4o.7
33.3
93.5
19.4
i4.i
I
E
a.
90. a
98.6
98.5
98.6
94.3
iiOMiie BBS ooftiiM mis
rAB ■i&uoB M Tosnt mmAmi
(moyraoes aaaadies).
94.7
»9-7
13.7
9.95
5.75
§
33.9
96.4
94.t
18.9
16.8
11.4
8.0
1 •
II
16.3
10.7
8.4
6.9
5.3
i4.55
13.9
i3.o
9.3
7.8
MINES
ftS TOUT! NATCBE.
loaiu MS mrrtfns tvà
p«r 10,000 oavrien
employës
(oMijenaet nuiieliM)
e
96.1
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99.9
19.05
i3.8
#
B
94.6
94.7
i4.55
91.85
3. Produits des industries minières. — 1. CombusUblcs miné'
raiix. — Les combustibles minéraux enfouis dans les différents étages
des terrains stratifiés se ramènent à trois types principaux : le lignite,
la houille et Tanthracite. Tous sont dWgine végétale; cette origine,
admise depuis le commencement du xix*' siècle, a été confirmée non
seulement par les traces ou les empreintes de végétaux qu on y ren-
contre, mais aussi par les expériences synthétiques qui ont permis de
transformer artificiellement des plantes ou du bois en houille ou en
anthracite, sous l'action simultanée de la chaleur et de la pression. Il
est à peu près certain que la formation des combustibles minéraux
résulte de la carbonisation humide d'amas considérables d'arbres et
de plantes. enfouis sous des sédiments, soustraits ainsi à l'action de
l'atmosphère, et soumis en même temps à une compression énergique,
ainsi qu'à une température assez élevée. Les variations de leur nature
et de leur qualité tiennent sans doute à des dissemblances dans la
végétation dont ils sont nés et à des différences dans les conditions
de température, de pression, de milieu, où ils se sont trouvés lors de
leur constitution.
C'est seulement à partir du xiii^ siècle qu'on a des preuves de l'ex-
traction de la houille. En 1800, la production britannique était de
COMBUSTIBLES MINÉRAUX.
37
10,100,000 tonnes. D après les rapports des jurys de 1 867 et de 1 878 ,
celle du globe entier s'élevait à 170 millions de tonnes pour lannéo
i865 et à 288 millions de tonnes pour Tannée 1876. Les statistiques
officielles du Ministère des travaux publics de France accusent les
chiffres suivants en 1880, 1889 et 1900:
PAYS.
1880.
1890.
1900.
/ Grande-Bretagne et Irlande . .
Allemaime
tODoet.
169,020,000
53,670,000
• 16,960,000
19,360,000
16,870,000
a,9ao,ooo
85o,ooo
60,710,000
i,33o,ooo
600,000
1,01 5,000
i»77o,ooo
365,000
tonaet.
i86,53o,ooo
89,130,000
37,530,000
96,080,000
20,370,000
6,01 5,000
1,210,000
163,160,000
2,670,000
2,610,000
9,080,000
9, '170,000
l,t 10,000
tonnes.
228,780,000
169,550,000
39,o3o,ooo
33,600,000
23,660,000
16,160,000
2,670,000
963,390,000
6,860,000
7,63o,ooo
6,990,000
7,.590,ooo
1,610,000
Autriche-HoniFrie
Eurooe - . / France
J Bdflicue
1 «^«ç*»!"^
1 Russie
\ Esnamie
\ »j»p«5"^
Etats-Unis
Amérique. ^^^
Japon
Austral- ( Australie, Nouvelle-Zélande ol
asio. Tasmanie
Autr**s pays
ToTAOS
395,010,000
508,765,000
763,910,000
On voit rénorme développement de la production houillère du
monde pendant les vingt dernières années du siècle. L'augmentation
proportionnelle a été de 3oi p. 100 aux Etats-Unis, 54 p. 100 en
Angleterre, 180 p. 100 en Allemagne, i3o p. 100 en Autriche-
Hongrie, 73 p. 100 en France, 38 p. 100 en Belgique, 453 p. 100
en Russie, etc. Jusqu'en 1899, l'Angleterre tenait le premier rang;
elle a été dépassée, à partir de 1899, par les États-Unis. Il y a lien
de remarquer d'ailleurs que l'Amérique du Nord a sur son propre
territoire un immense champ de consommation et s'est à peine en-
gagée dans la voie de l'exportation; dès maintenant, au contraire,
la Grande-Bretagne, grâce à sa puissante marine, déverse le quart
environ de sa production sur le littoral de pays souvent fort loin-
tains.
Le tableau ci-après récapitule, pour la France et par périodes
décennales, les chiffres annuels moyens de la production, de la eon-
38 COMBUSTIBLES MINÉRAUX.
sommation, du prix sur le carreau de la mine et du prix dans les
centres consommateurs :
PÉRIODES
00 ANNEES.
PRODUCTION
EH MILLIEB8
Dl TOHHtS.
CONSOMMATION
EH MILLIRIS
M Tomn.
PRIX 1
AU UEO
0*nTKAimoi.
AD UEO
N CP^tOmiTIOl.
1811-1820
1821-1830
1831-1840
1841-1850
1851-1860
1861-1870
1871-1880
1881-1890
1891-1900
1900
895
1,495
2,571
4,078
6,857
11,836
16,775
21,543
39.190
33,4o4
1,082
1,961
3,469
6,129
11,4/18
i8,56o
24,222
31,753
4o,527
48,8o3
fr. c.
0) 10 56
10 23
9 82
9 69
ti 45
11 61
ih 34
11 58
11 96
i4 95
fr. e.
g
g
t
»
a
22 87
25 25
20 64
20 85
26 57
(') Moyenne de 7 aonéfs. 1
C'est la houille qui constitue presque seule notre production : elle
entre, en effet, pour 80,967,000 tonnes, ou 99.7 p. 100, dans le
chiffre total de 33,4o4,ooo tonnes afférent à Tannée 1900. L'anthra-
cite ne fournit que 1,764,000 tonnes et le lignite 683, 000 tonnes.
Voici quelle a été, depuis 1820, la progression pour les principaux
bassins .
ANNÉES.
1820
1830
1840
1850
1860
1870
1880
1890
1900
NORD.
PAS-
DE-CALAIS.
LOIRE.
GARD.
ROORGOGNE
et
NIVERNAIS.
TARN
el
AVETROM.
BOURBONNAIS.
Milliers de tonnes.
323
494
776
1,00s
1,595
2,4i8
3,702
5,1 35
5,669
a
448
a
a
a
n
806
a
a
a
a
1,100
200
292
127
^9
i,55o
3io
498
180
590
2,36o
870
795
538
1,895
3,35o
i,3oo
1,029
708
4,844
3,588
1,936
1,548
986
9'077
3,587
2,oo5
1,915
1,453
1^,595
/|,022
2,o45
2,010
1,700
55
264
607
975
967
1,070
1,094
L effort dominant de l'industrie houillère s'est porté sur les bassins
du Nord et du Pas-de-Calais. Ce dernier, à peine exploité en i85o,
donne aujourd'hui près de moitié de notre production totale.
COMBUSTIBLES MINÉRAUX. 39
Malgré les progrès de son exploitation, la France ne suflSt pas à ses
besoins. Elle a dû importer, en 1900, 18,819,000 tonnes de houille
et 1,679,000 tonnes de coke, ce qui représente 16,177,000 tonnes
de houille crue, à raison de i5o tonnes de houille pour 100 tonnes
de coke. L'importation s'est répartie comme il suit, d'après les pro-
venances :
PAYS.
Angleterpo.
Belgique . .
Allemagne .
ÉUts-Unb .
Autres pays
HOUILLE.
tonnes.
8,33l,000
6,606,000
8o5,ooo
59,000
18*000
COKE.
99,000
736,000
810,000
a
9,000
TOTAL
KfPBIllé
B^ UOLILLI.
tonnf>s.
8,375,000
5,693,900
3,090,000
59,000
3 1,000
Pour la première fois, les charbons américains sont apparus en
quantité notable sur le marché français.
Les entrées moyennes de la période décennale 1891-1900, expri-
mées en houille, avaient été : Angleterre, 5,5 1 4, 000 tonnes; Bel-
gique, 4,809,000 tonnes; Allemagne, 1,935,060 tonnes; ensemble,
12,377,000 tonnes.
Notre exportation reste peu considérable : moyenne de {^hh\Qoo
tonnes, pendant la période 1891-1900; 937,000 tonnes en 1900.
Elle est principalement dirigée vers la Belgique et la Suisse.
La consommation propre des mines a été, en 1900, de 3,238,000
tonnes; celle de la grosse métallurgie, de 8,265,ooo tonnes; celle
des chemins de fer, de 6,229,000 tonnes; celle de la marine mar-
chande, de 1,028,000 tonnes.
Il y a longtemps déjà que le monde industriel s'est inquiété de faire
une sorte d'inventaire des richesses houillères accumulées par les
siècles et de supputer l'époque à laquelle ces richesses seraient épui-
sées. Vers 1860, des savants et des praticiens anglais poussèrent un
cri de détresse ; le Parlement britannique s'en émut et une enquête
fut instituée sous la direction de sir Roderick Murchison, célèbre par
40 MATIÈRES BITUMINEUSES. HUILES MINÉRALES.
ses connaissances géologiques. La Commission d'enquête déposa en
1871 un volumineux rapport concluant à lexistence de 1 46 milliards
5oo millions de tonnes dans le sous-sol de la Grande-Bretagne; elle
s'abstint, d'ailleurs, de calculer la vie probable de cet immense stock,
en se retranchant avec infiniment de raison derrière l'aléa des exi-
gences et des transformations de l'industrie.
Dans son introduction aux rapports du jury de l'Exposition de 1 867,
Michel Chevalier se posait la même question pour la France ; il envi-
sageait avec anxiété l'épuisement possible du bassin alors le plus pro-
ductif, celui de Saint-Etienne et de Rive-de-Gier, avant la fin du
xx*' siècle.
Bien qu'atténuées par la mise en exploitation de nouveaux bassins,
soit en Europe, soit sur d'autres points du monde, ces craintes eurent
néanmoins des effets salutaires et poussèrent à l'économie du com-
bustible, ainsi qu'à un meilleur aménagement du domaine fores-
tier. Dès 1867, Michel Chevalier pouvait signaler des résultats
sérieux obtenus, notamment par l'emploi du four Siemens et du
four annulaire Hoffmann , par l'utilisation de la houille menue sous
forme d'agglomérés, par la consommation plus générale de l'an-
thracite.
L'accroissement énorme de l'extraction à la fin du xix* siècle n'est
pas faite pour calmer les préoccupations d'avenir. Cependant il con-
vient de remarquer que le globe recèle encore de vastes gisements
inexploités ou même inexplorés. En pratique, les prévisions actuelles
doivent s'attacher moins à l'épuisement futur des houillères qu'à un
déplacement des centres de production, comme celui qui commence
à se manifester dans la situation relative de l'Amérique et de l'Europe.
On peut, d'autre part, fonder de légitimes espérances sur les res-
sources qu'apportera un meilleur emploi des chutes d'eau, de la houille
blanche, grâce à l'électricité.
2. Matières bilumineuses. Huiles minérales. — Parmi les matières
donnant lieu à une exploitation assez active se rangent les matières
bilumineuses. En 1800, l'extraction dans les différentes parties du
monde était de 1,100,000 tonnes environ; elle a dépassé 3 millions
MATIÈRES BITUMINEUSES. HUILES MINÉRALES. 41
de tonnes en 1900. Les pays où la production est le plus élevée sont
les suivants :
1880. 1900.
tonnes. tonnes.
Grande-Bretagne et Irlande 85o,Aoo 819,000
France i4û,ooo 366,000
La Trinité ? 161 ,3oo
Italie 13,300 101,000
Allemagne 36,000 90,000
États-Unis 3,ooo /i5,ooo
L'Angleterre tient de beaucoup la première place. Il y existe des
gisements considérables, non de schistes bitumineux proprement dits,
mais de roches produisant du boghead ou du cannel-coal.
Nous avons des schistes bitumineux à Autun en Saône-et-Loire (pro-
duction de 1 46,000 tonnes pendant Tannée 1900) et à Buxières dans
TAUier (7^,000 tonnes); ces fichistes ont donné i9,/ioo tonnes
d'huile brute. Les calcaires asphaltiques se rencontrent dans TAin, le
Gard, le Puy-de-Dôme et la Haute-Savoie (34, 000 tonnes en 1900).
Enfin le bassin d'Autun fournit iâ,ooo tonnes de boghead.
Pendant les vingt années de la période 1880-1900, la production
du luip^e dans le monde est passée de 3,74o,oooà i9,â5o,oootonnes.
Les deux pays qui alimentent presque seuls le marché sont la Russie
et les Etats-Unis d'Amérique. Bien loin en arrière viennent, avec une
extraction restreinte, la Galicie, la Roumanie, les Indes anglaises et
néerlandaises, le Japon, le Canada, l'Allemagne.
Il y a vingt-cinq ans, l'exploitation commençait à peine en Russie;
le rendement de 1880 ne dépassait pas 35â,ooo tonnes; celui de
1900 a atteint 9,8^6,000 tonnes. Le naphte se rencontre tout le long
des versants du Caucase, sur 1,360 kilomètres de longueur, entre
les presqu'îles d'Apchéron (mer Caspienne) et de Taman (mer d'Azof),
ainsi qu'à Arkhangel, au pied des Karpathes, à Sakhaline. Toutefois
la mise en valeur n'est guère entreprise qu'aux deux extrémités du
massif caucasien et spécialement dans la presqu'île d'Apchéron ; l'abon-
dance des sources de Bakou a nécessairement restreint les tentatives
nouvelles et la Russie garde ainsi d'immenses réserves pour l'avenir.
42 MATIÈRES BITUMINEUSES. HUILES MINÉRALES.
Actuellement, le naphte de Bakou fournit environ 37 p. loo de
pétrole, dont un tiers est embarqué sur le Volga et destiné à la con-
sommation intérieure, tandis que les deux autres liers vont par che-
min de fer à Batoum et sont dirigés vers l'étranger; au pétrole s'ajoute
rhuile de graissage, qui représente 3 p. 100 ; dans l'ensemble, le pé-
trole, les huiles solaires ou de graissage et la benzine ne forment pas plus
de 3 1 p. 1 00. Le surplus est perdu ou brûlé comme simple combustible.
En 1880, les États-Unis tiraient déjà de leurs gisements
3,338,000 tonnes; ce chiffre est monté à 8,7^19,000 tonnes en 1900.
On trouve le naphte dans les Etats de Pensylvanie, dlndiana, d'Ohio,
de la Virginie occidentale, de la Californie, de New-York, du Texas,
du Colorado, du Kansas, etc. Les régions productives par excellence
sont toujours celle des Appalaches (67 p. 100 du total) et celle de
Lima-Indiana (37 p. 100); parmi les autres régions, la Californie
développe rapidement son exploitation. On peut évaluer à 90 p. 100
le rendement moyen du naphte des Etats-Unis en produits oléagineux;
le pétrole américain a une suprématie incontestée au point de vue de
sa teneur en huile lampante et en matières volatiles.
M. Michel Lévy, dans son rapport général sur l'Exposition de 1 90 >,
et M. Haller, dans son rapport spécial relatif aux arts chimiques, si-
gnalent la diversité de composition des pétroles, qui se distinguent en
deux classes principales : série aliphatique (Pensylvanie, Ohio, Canada,
Roumanie) ; série des naphtènes (Russie, Californie, Texas). Cette diver-
sité contribue à obscurcir la question de l'origine des huiles minérales ;
il n'est pas téméraire de supposer que les formations ont des processus
différents et dérivent tantôt de combinaisons minérales (carbures mé-
talliques), tantôtde matières organiques (plantes, cadavres d'animaux).
Une particularité intéressante des Etats-Unis est l'exploitation du
gaz naturel , qui se dégage des terrains pétrolifères. La production de
ce gaz a notablement diminué depuis 1889; jadis gaspillé, il est
aujourd'hui recueilli avec soin, distribué à des distances souvent consi-
dérables et utilisé pour le chauffage industriel, l'éclairage à Imcandes-
cence, le fonctionnement des moteurs à gaz, etc. Au Canada, les dégage-
ments de gaz naturel trouvent également d'utiles emplois. La Russie, qui
en possède aussi, ne les exploite jusqu'ici que dans une faible mesure.
MINERAIS DE FER.
/i3
Pendant les trois dernières années du siècle, la France a importé
en moyenne 33 5,ooo tonnes d'huile brute de pétrole ou de schiste
et 969,000 hectolitres d'huile raffinée ou d'essence. Son exportation
d'huile raffinée et d'essence s'est élevée à 43,ooo hectolitres.
3. Minerais de fer. — Aucun minerai métallique ne donne lieu à
une extraction aussi considérable que les minerais do fer. Les statis-
tiques du Ministère des travaux publics de France évaluent comme il
suit la production du monde en 1880 et 1900:
PAYS.
Europo.. ,
Amëriquo.
Afrique. .
Grande-Bretagne et Irlande
Allemagne
Espagne
Luxembourg
Russie
France
Autriche-Hongrie
Suède
États-Unis
Algérie
Ensemilb du monde
1880.
tenues.
i8f3oo,ooo
6,a65,ooo
590,000
1,610,000
980,000
2,870,000
960,000
775,000
7,a3o,ooo
610,000
88,690,000
1900.
tonnes.
iâ,a5o,ooo
19,790,000
8,700,000
6,170,000
5,800,000
5,â5o,ooo
3,53o,ooo
9,610,000
96,330,000
600,000
87,570,000
La production moyenne annuelle de la France, la production spé-
ciale du de'partement de Meurthe-et-Moselle, le prix moyen du mi-
nerai et les mouvements du commerce extérieur sont indiqués, par
période décennale , au tableau suivant :
PÉRIODES
OU ASHÉES.
PnODUCTlON
TOTALE
m lULuns
de tonnes.
PBODIJCTION
de
MEURTHE-
ET-MOSELLE
ER HfLLinS
de tonnes.
PRIX
DE LA TOîïNB.
IMPORTATION
EN MILLIERS
Dl TOMHBS.
EXPORTATION
EN MILLIERS
DE TOXIIS.
1833-1840
1841-1850
1851-1860
1861-1870
1871-1880
1881-1890
1891-1900
1900
906
1,967
9,690
3,o35
a,5i6
9,936
6,906
5,668
ff
H
968
880
1,117
9,o66
3,63o
6,666
fr. r.
7 61
6 76
5 5l
6 86
5 39
6 09
3 60
3 78
t
a
99
663
897
1,389
1,816
9,119
H
a
a
i3o
166
175
989
379
hh MINERAIS DE FER.
D'après leur nature miaéralogîque, les minerais extraits de nos
mines se repartissent en cinq classes : le minerai hydroxydë oolithique
(86.9 p. 100 de Textraction totale pendant Tannée 1900); Thëmatite
brune (7.5i p. 100); les autres minerais hydroxydés et les minerais
oxydulës(6.8op. ioo);rhëmatiterougeetleferoligiste(5.98p.ioo);
le fer carbonate principalement spathique (4.71 p. 100).
Le minerai hydroxydé oolithique forme de beaucoup la majeure
partie de l'extraction; il est aussi le moins coûteux. On l'exploite sur-
tout dans le département de Meurthe-et-Moselle. Ce département,
dont les mines ont pris un merveilleux essor et fournissent plus des
quatre cinquièmes de la production française, comprend deux bassins,
celui de Nancy eK celui de Longwy ; le bassin de Longwy se subdivise
lui-même en deux groupes, Longwy et Briey; découvert récemment,
le groupe de Briey a fait l'objet de nombreuses concessions, mais n'est
pas encore le siège d'une exploitation intensive. La puissance de la
formation lorraine oscille autour du chiffre moyen de 1 3 mètres et
se répartit entre quatre étages : à la partie supérieure, on rencontre
un calcaire ferrugineux, ayant une teneur de 30 à 36 p. 100 de fer
et donnant une excellente castine; au-dessous viennent la mine rouge,
la mine grise et la mine noire, dont la teneur varie de 35 à /i3 p. 1 00,
avec 0.6 de phosphore, et qui deviennent plus riches, mais en même
temps plus siliceuses et plus friables , au fur et à mesure que l'on descend.
Malgré ses ressources, la France ne peut suffire à sa consommation.
Pendant l'année 1900, elle a importé i,5o 1,000 tonnes d'Allemagne
et du Luxembourg, 488, 000 d'Espagne, 53, 000 d'Algérie, 33, 000
de Belgique, 30,000 d'Italie, i5,ooo de Grèce, i3,ooo de Suède,
6,000 d'autres pays. Son exportation, dirigée vers la Belgique, les Pays-
Bas , l'Angleterre , etc. , ne s'est pas élevée au-dessus de 3 7 3 , o o tonnes.
Les minerais algériens n'ont d'autre débouché que l'exportation.
Ils se vendent dans les Pays-Bas, en Angleterre, en France, etc.
A l'étranger, les principales régions productrices sont : pour l'An-
gleterre, le Cleveland et le North-Yorkshire (carbonate), ainsi que le
Cumberland et le Norlh-Lancashire (hématites rouges); pour l'Alle-
magne, la Prusse; pour l'Espagne, le district de Bilbao, qui donne
des hématites brunes d'une teneur moyenne de 57 p. 100 (campanil.
MINERAIS MÉTALLIQUES DIVERS. 45
vena et rubio); pour la Russie, l'Oural (magnélites, limonites, liéma-
tiles), Krivoï-Rog (hématites et fer oxydé rouge), Kerlch (minerais
oolithiques); pour rAutriche-Hongrie , la Bohême, surtout TErzIbprg
styrien et le pied des Karpathes. En ce qui concerne les Etats-Unis, un
fait digne de remarque est le développement des mines de fer dans la
région du Lac Supérieur (hématites); les quatre cinquièmes de la
fonte américaine proviennent des minerais de cette région.
à. Minerais métalliques divers. — Peu utilisé, V antimoine ne donne
lieu qu à une exploitation restreinte. La quantité de minerai extraite
dans le monde entier en 1900 est évaluée à 30,000 tonnes. Ce mi-
nerai se présente surtout sous forme de sulfure ou stibine. La France
se place au premier rang avec 7,800 tonnes (Haute-Loire, Mayenne,
Cantal, Corse); ce chiffre accuse une progression sensible, car, de
1881 àiSgoetdeiSgi àigoojles moyennes annuelles n'avaient
été respectivement que de i,33o et 6,910 tonnes. Après la France,
viennent Tltalie (7,600 tonnes) et rAutriche-Hongrie (â,6oo tonnes).
Depuis l'association du chrome à Tacier, les demandes de ce métal
ont sensiblement augmenté. La production des minerais de chrome
doit être de 5 0,0 00 tonnes environ. Au nombre des pays producteurs,
il y a lieu de citer la Russie, la Nouvelle-Calédonie, la Turquie, la
Grèce, la Nouvelle-Galles du Sud, le Canada.
La statistique de 1 9obaccusepourlaproductiondesmineraisdecwiWr',
abstraction faite des Etats-Unis et du Canada, un total de 3,8 1 t,ooo
tonnes : Espagne, 2,715,000 tonnes; Allemagne, 7/18,000; Italie,
96,000; Terre-Neuve, 89,000; Russie, 45, 000; etc. Après la baisse
survenue dans fes cours du cuivre en 1 891 et 1 893 , le développement
des exploitations espagnoles s'est arrêté. Aujourd'hui, les Etats-Unis
et spécialement les trois régions du Montana, de l'Arizona, du Lac su-
périeur, fournissent plus de cuivre que tous les autres pays réunis.
Pour Yélain, la statistique du Ministère des travaux publics n'enre-
gistre qu'une production de 9,000 tonnes: Angleterre, 6,900 tonnes;
Australie, 1,800 tonnes; etc. Mais cette statistique est incomplète. Elle
ne comprend pasles centres principaux d'extraction, Détroits et presqu'île
de Malacca (5 0,0 00 tonnes) ; Indes néerlandaises (1 5,ooo tonnes).
46 MINERAIS MÉTALLIQUES DIVERS.
Gomme le chrome et pour les mêmes raisons, le manganèse est
maintenant très recherche. L'extraction de 1 900 a dépassé 1 million
âoo,ooo tonnes, dont 63o,ooo en Russie, 330,000 au\ Etats-Unis,
1 10,000 en Espagne, 90,000 dans les Indes anglaises, 58, 000 en
Prusse, 39,000 en France. Notre production annuelle mojenne, qui
était de 4,980 tonnes pendant la période décennale 1861-1870, est
montée à 81,900 tonnes pendant la période 1891-1900; elle se
partage entre TAriège, Saône-et-Loire et les Hautes-Pyrénées.
Le seul minerai de mercure est le sulfure ou cinabre. D'aprè* la
statistique du Ministère des travaux publics pour l'année 1900, TAu-
triche a extrait 96,000 tonnes de minerai, la Russie 84,ooo, Tltalie
3A,ooo, TEspagne 3 0,300. Les Etats-Unis, qui ne sont pas men-
tionnés, doivent avoir produit 1,000 tonnes de métal.
Peu de gisements sont aussi rares que ceux de nickel et de cohall.
Jusqu'à une époque récente, le nickel n'était guère employé quà
l'état de maillechort, c'est-à-dire d'alliage avec le cuivre et le zinc;
son prix atteignait 3o francs le kilogramme; la consommation ne
dépassait pas /ioo ou 5 00 tonnes par an. Une véritable révolution
est résultée de la découverte des gisements néo-calédoniens. Eu égard
à leurs propriétés remarquables, les alliages de fer et de nickel ont
conquis des débouchés importants; ils servent en particulier à la
confection des blindages, des projectiles pour armes à feu portatives
de guerre. Le minerai de nickel se rencontre en Nouvelle-Calédonie
sous forme d'hydrosilicate double de nickel et de magnésium, et
constitue de vastes amas encaissés dans des roches serpentineuses.
Transformé en mattes par fusion au cubilot en présence du sulfate de
chaux ou d'autres matières sulfurées, ce minerai est ensuite dirigé
vers l'Europe. L'extraction de 1900 a été de 100,000 tonnes. Notre
colonie recèle également dans son sous-sol du minerai de cobalt, à
l'état de métal oxydé noir; la production de 1900 est évaluée à
3,5oo tonnes. On fonde de grandes espérances sur des gisements
canadiens de pyrrhotites nickelifères et cobaltifères, dont le rende-
ment approche déjà de celui des massifs néo-calédoniens.
La production des minerais de ^/ow6 en 1900, non compris celle
des Etats-Unis et du Canada, a été de 1,100,000 tonnes: Australie,
MÉTAUX PRÉCIEUX.
47
470,000 tonnes; Espagne, 3 10,000; Allemagne, i5o,ooo. Aux
Etats-Unis, l'extraction paraît comparable à celle de l'Australie. De
12,870 tonnes pendant la période 1861-1870, notre production est
montée à ââ,33o tonnes pendant la période 1891-1900; la princi-
pale exploitation a pour siège Pontpéan, dans l'Ille-et-Vi laine; on
en tire de la galène, de la blende et de la pyrite argentifères; les
autres départements producteurs sont le Var, le Cantal, le Gard, les
Hautes-Pyrénées, le Tarn, l'Ardèche.
En 1900, le minerai de zinc extrïiit des pays autres que les Etats-
Unis a représenté i,24o,ooo tonnes: Allemagne, 64o,ooo; Italie,
160,000; Espagne, 86,000; France, 67,000; etc. Quoique peu
développée^ la production américaine est déjà sensiblement supérieure
à celle de la France. Nos mines, situées dans le Gard, le Var, l'Avej-
ron, l'Jlle-et-Vilaine et quelques autres départements, ont donné en
moyenne 76,200 tonnes pendant la période 1891-1900, au lieu de
•i,55o tonnes seulement pendant la période 1861-1870.
5. Métaux précieux. — Jusqu'à la découverte des gisements de Cali-
fornie et d'Australie, l'orentrait à peine pour un tiers dansla valeur des
métaux précieux et, dès 1 878, le rapporteur du jury de l'Exposition pou-
vait affirmer que l'or tenait une place à peu près égale à celle de l'argent.
Voici quelle a été la production en 1900 (or fin) :
PAYS.
POIDS.
VALEUR.
PAYS.
POIDS.
VALEUR.
ÉUta-Unis
Australasie
Canada
kilogr.
119,337
108,776
A 1,953
38,656
i4,i58
13,807
6,670
3,970
3,463
3,209
3.190
3,978
fraocf.
/il 1,069,000
37/1,673,000
i64,5o5,ooo
i33,i48,ooo
68,766,000
67,557,000
33,286,000
13,693,000
11,938,000
ii,o53,ooo
10,988,000^
10,358,000
Corée
kilogr.
3,76a
3,071
1,956
1,353
i,i38
1,061
969
865
683
6i5
373
761
fraocs.
9,665,000
7,i36,ooo
6,737,000
6,657,000
3,930,000
3,586,000
3,338,000
a,979»ooo
1,666,000
1,639,000
1,385,000
3,630,000
Guyane française . . .
Japon
Russie
Chili
Mexicnie
Pérou
Indes anglaises
Cliine ...•
Madagascar
Guyane boliandaiso. .
Amérique centrale . .
Venezuela. . . .
Brésil
Colombie
Honcrie. •••.....•
Grande-Bretagne et
Irlande
Guyane anglaise. . . .
Cap et possessions
anglaises du Sud
de l'Afrique
Indes néerlandaises ,
Autres pays
Totaux
376,138
1,388,696,000
A8 MÉTAUX PRÉCIEUX.
Depuis dix ans, la production a plus que double, maigre les évé-
nements temporaires qui ont fait passer le Transvaal de la première à
la douzième place. Il faut donc prévoir, pour un avenir prochain, une
extraction triple.
Aux Etats-Unis, Taccroissement est très rapide, i4o p. loo pen-
dant la période décennale. Rangés par ordre d'importance, les Etats
producteurs sont le Colorado, la Californie, le South Dakota, TAlaska,
le Montana, l'Utah, etc.
En Australie, la progression, de 1890a 1900, a été de 120
p. 100.
Primitivement, Tor du Canada provenait surtout de la Colombie et
de la Nouvelle-Ecosse. Aujourd'hui, le district du Yukon entre dans le
total pour près des quatre cinquièmes. Il y a d'ailleurs dix ans à
peine que le pays est entré sérieusement en lice.
La Russie ne progresse pas. Ses principaux dépôts d alluvions sont
dans la Sibérie orientale, dont la quote-part représente 70 p. 100 ;
rOural donne 26 p. 100 et la Sibérie occidentale 5 p. 100.
H y a peu d'années encore, l'attention du Mexique se concentrait
presque exclusivement sur l'argent, qui constitue la monnaie natio-
nale si réputée jusqu'en Extrême-Orient. La dépréciation du métal
blanc a provoqué des efforts pour la recherche de l'or, et l'heureuse
activité de ces efforts s'est particulièrement accusée après 189/1.
L'or est assez abondant aux Indes, soit à l'état alluvial, soit dans
les quartz aurifères. Ce sont les placers de Mysore qui alimentent
presque toute la production actuelle.
Sans poursuivre cette revue des divers pays producteurs, il convient
cependant de consacrer quelques indications au -Transvaal et à la
Guyane française. L'exploitation transvaalienne ne date guère que de
1867 ; à la veille de la guerre, elle approchait de 5oo millions de
francs. Parmi les zones aurifères, la plus riche est celle du Witwaters-
rand. Des villes très peuplées y sont sorties de terre comme par un
coup de baguette. Malgré les écarts d'une spéculation effrénée, les
résultats ont été considérables. Quant à la Guyane française, elle
possède de riches placers et des filons d'une belle teneur ; malheureu-
sement, les conditions économiques du pays sont peu favorables; le
SOUFRE.
à\)
Gouvernement se préoccupait en 1900 de les améliorer par l'établis-
sement d'un chemin de fer.
En dépit de l'avilissement des cours, la production de Yargent a
notablement augmenté. Le tableau suivant donne la valeur et la ré-
partition des quantités de métal fin extraites pendant l'année 1900 :
PAYS.
POIDS.
VALEUR.
PAYS.
POIDS.
VALEUR.
ÉUts-Unis
Mexique
kilogr.
1,853,888
1,794,168
683,716
334,490
i4o,457
179,553
168,349
139.616
i4i,9oo
87,089
60,131
francs.
191,445,000
179,416,800
70,174,000
33,187,000
1 8,359,000
17,816,000
17,340,000
l4,34l,000
14,190,000
8,907,000
6,546,000
Japon.
kilogr.
56,3o8
45,000
31,473
â3,44o
14,067
1 3,353
11,930
18,704
francs.
5,63o,8oo
4,465,000
3,147,000
3,376,000
1,406,700
i,335,boo
i,i84,ooo
1,849,500
Amérique centrale..
Grèce
Australie
Bolivie
Italie
KsBaffue
France
K!::::.::::
Turquie
Allemagne
Canada
République Argen-
tine
Autres pays
TOTIUI
Pérou
r^nlnmKîp
Autriche-Hongrie . .
5,787.6» 9
593,815,800
Pour l'argent comme pour Tor, le premier rang appartient aux
Etats-Unis, qui ont des gisements très riches dans le Colorado, le
Montana, l'Utah, etc.
L'argent est le métal national du Meîdque, où il se rencontre asso-
cié le plus souvent au plomb et parfois à un peu d'or.
A la suite d'une régression temporaire, l'extraction australienne
atteste un mouvement sérieux de reprise.
Le platine existe à l'état natif dans un certain nombre de régions ;
il y accompagne ordinairement les sables aurifères des alluvions mo-
dernes. Des méthodes ingénieuses, dues à Sainte-Glaire Deville et
Debray, permettent de le séparer, pur ou combiné avec l'iridium, des
autres métaux qui lui sont associés.
En fait, le platine est à peu près exclusivement tiré de l'Oural ; les
statistiques accusent pour 1890 et 1900 des productions respectives
de 9,833 et 5,100 kilogrammes.
6. Pyrites de fer. Soufre. — Par suite du rôle qu'elles jouent dans
la fabrication de l'acide sulfurique, les pyrites de fer sont l'objet d'une
lantmtHiK xAriuKikt.
50 SEL.
consommation sans cesse croissante; leur valeur dépend non seu-
lement de la pureté du minerai et de sa richesse en soqfre, mais
aussi de la nature de la gangue. Les exploitations des différents pays
ont fourni, en 1900, de i,3oo,ooo à i,/ioo, 000 tonnes : France,
3o5,ooo tonnes; Portugal, 276,000; Etats-Unis, soB,ooo; Alle-
magne, 169,200 ; Hongrie, 99,100; Italie, 79,000; etc. Notre
production annuelle moyenne n'avait pas été supérieure à 101,000
tonnes pendant la période 1861-1870; elle a atteint 976,400 tonnes
pendant la période 1891-1900. Cette production vient presque tout
entière de Saint-Bel (Rhône).
On sait que le remplacement du sov^re par les pyrites, dans la
fabrication de Tacide sulfurique, a été largement compensé par les
demandes de Tagriculture ; aussi Timportance de l'extraction s est-elle
accrue, au lieu de diminuer. L'Italie reste le fournisseur presque
exclusif du monde: en 1900, elle a donné 3,63o,ooo tonnes de mi-
nerai, tiré principalement de la Sicile et, pour une faible part, de la
Homagne ainsi que de la Toscane. Le contingent des autres pays
atteint à peine 100,000 tonnes, dont plus de moitié pour l'Espagne.
7. Sel. — La quantité de«c/ produite par les divers pays du monde
était évaluée à 7,898,000 tonnes en 1880; elle l'a été à 1 3, 353, 860
tonnes en 1900 :
PAYS.
Europe.
Amérique. . .
Asie
Autres pays .
Ruane ,
Grande-Bretagne et friande.
Allemagne
France
Autriche-Hongrie
Espagne
Italie
ÉUts-Unis
Japon
Indes anglaises
Totaux.
1880.
7,323,000
1900.
tOUUM.
tonnes.
8^8,000
S, 95 1,000
9,685,000
1,891,000
667,000
1,517,000
700,000
1,089,000
606,000
519,000
«9,000
&5o,ooo
333,000
367,000
861,000
9,6SMoo
f
1,719,000
768,000
1,079,000
56,000
1 5 1,860
1 3,853,860
SEL.
51
En France, la progression de la seconde moitié du siècle est indi-
qua aa tableau suivant :
PÉRIODES.
SEL
TOTAUX.
GEMME.
MARIN.
1851-1860
tonnes.
93,900
181,800
936,000
398,900
556,900
toUDCS.
683,300
691,100
353,100
337,700
638,300
tonnes.
576,500
673,900
,589,100
735,900
993,900
1861-1870
1871-1880
1881-1890
1891-1900
Pour le sel gemme, lapins forte production du territoire français
appartient au département de Meurthe-et-Moselle (en 1900, 1 16,000
tonnes de sel raffiné, 98,000 tonnes de sel brut et 3 1 5, 000 tonnes
de sel en dissolution dans Teau ayant servi à la fabrication du carbo-
nate de soude). Les gisements de Meurthe-et-Moselle se trouvent
intercalés dans l'étage supérieur du trias. Une partie de ces gisements
est passée entre les mains de l'Allemagne après la guerre de 1870-
1871. Us sont exploités tantôt à la mine, tantôt par dissolution. Le
surplus de Textraction se répartit entre le Jura, le Doubs, les Basses-
Pyrénées, les Landes, la Haute-Saône et la Haute-Garonne.
La surface des marais salants exploités en 1900 était de 17,000
hectares, situés dans douze départements : six sur le littoral de la
Méditerranée et six sur les côtes de TAtlantique (Charente-Inférieure,
Loire-Inférieure, Bouches-du-Rhône, Gard, Vendée, etc.).
Nous exportons actuellement 1 66,000 tonnes de sel et nous en impor-
tons 3 2, 000. L'exportation est dirigée principalement vers la Belgique et
vers Saint-Pierre (pêche). Quant à l'importation, elle comprend des sels
revenant de Saint-Pierre et des sels expédiés du Portugal, d'Algérie, etc.
Les prix du sel ont varié ainsi depuis 1 87 1 :
PÉRIODES OU ANNÉES.
PRIX DE LA TONIE. |
SEL 6KM1II
MOT.
8EL 6KHMK
MOT.
1871-1880
fr. C.
jo 00
8 16
5 91
6 00
fr. c.
33 86
3i 36
»6 o3
26 70
fr. C.
id 89
18 69
i3 93
9 83
1881-1890
1801-1900
1900
5J PRODUITS DES CARRIÈRES.
8. Produits des carrières. — Dans l'ensemble, les carrières de
France contiennent d'iramerfses richesses de toute nature. L'extraction
en 1900 a dépasse /i3 millions de tonnes valant plus de 935 mil-
lions de francs :
QUlNTlTés. VALEURS.
ToonM. Millions de fraucs.
Matériaux de construction 94,700,000 i5a
Matériaux pour Tindustrie 3,i/io,ooo 13
Matériaux pour Tagriculture 3,&9o,ooo 22
Matériaux de pavage et d'empierrement 1 2,890,000 38
Matériaux d'ornement et divers 260,000 1 1
Il m'est impossible de passer en revue des matériaux si divers. Je
ne veux insister que sur la bauxite d'où est tiré l'aluminium, sur les
phosphates de chaux si utiles à l'agriculture et sur les marbres qui
tiennent la première place parmi les roches d'ornement.
Par sa légèreté et son inaltérabilité, l'aluminium convient à de
nombreux usages, par exemple à la fabrication des instruments d'op-
tique, de physique, de chirurgie, de musique, ainsi que des usten-
siles de table et de cuisine. Même à dose très minime, il modifie les
caractères des métaux auxquels il est allié; un millième ou un demi-
millième d'aluminium suffit pour empêcher tout dégagement de gaz
pendant la solidification de l'acier et pour rendre ce métal plus doux,
plus homogène, plus résistant. Le bronze d'aluminium se recommande
par sa résistance et rend d'utiles services dans certaines pièces de
machines; il donne d'excellents fils. Des indications relatives à la ge-
nèse des procédés d'élaboration industrielle de l'aluminium ont été
déjà données à propos de l'électro-Kîhimie. Un des composés soumis à
cette élaboration est la bauxite; pendant l'année 1900, nous en avons
extrait 58,5oo tonnes (Var, 46, 900 tonnes; Bouches -du -Rhône,
10,800; etc.); la production des Etats-Unis a été de 38,800 tonnes
et celle de l'Angleterre de 6,900 tonnes.
La France est riche eu phosphates de chaux, que l'on rencontre à
l'état de nodules, de rognons ou de sable, dans différentes assises de
la série sédimen taire, notamment dans le terrain crétacé et le terrain
jurassique. C'est vers i8o5 que l'exploitation régulière en a été entre-
prise; l'importante découverte des sables phosphatés de Doullens ne
PRODUITS DES CARRIERES. 5S
remonte qua 1886. Pendant la période 1886-1900, l'extraction est
passée de 1 84, 000 à 588, 000 tonnes. Les départements où elle pré-
sente le plus d'activité sont: la Somme (379,000 tonnes), l'Aisne
(io5,ooo), le Pas-de-Calais (io3,ooo), l'Oise (5o,ooo), la Meuse
(19,000), le Gard (9,600), les Ardennes (9,000), le Lot (6,5oo).
On estime à 19 p. 100 la proportion minimum d'acide phospho-
rique et à 89 p. 100 la proportion maximum. L'excédent des impor-
tations sur les exportations a atteint près de 200,000 tonnes en 1900.
Notre grande colonie algérienne fournit 820,000 tonnes environ; la
valeur de cette production, ajoutée à celle de la production métro-
politaine, donne un total dépassant 20 millions de francs. D'autres
pays ont également des amas considérables de phosphates : tels la
Floride, la Caroline du Sud et le Tennessee aux États-Unis (i,3 3 0,0 00
tonnes en 1898).
En 1900, nos carrières de marbre ont produit i5/i,ooo tonnes,
dont 117,000 pour le Pas-de-Calais, 1/1,000 pour le Nord, 7,000
pour l'Isère, 2,800 pour l'Hérault, 2,3 00 pour la Sarthe, 2,260
pour la Mayenne, 1,600 pour l'Ariège, etc. L'importation a été de
47,000 tonnes et l'exportation de 8,4oo. Aux Etats-Unis, l'extraction
a un rendement triple de celui des carrières françaises; l'Etat de
Vermont est de beaucoup le plus favorisé.
U MÉTALLURGIE. GÉNÉRALITÉS.
S 2. MÉTALLURGIE.
1. Considérations préliminaires. — D'admirables progrès onl éié
réalisés par la métallurgie au cours du xix® siècle. Ils se sont particu-
lièrement accusés pendant les dernières années. A peine ai-je besoin
d'ajouter que la science y a joué un rôle prépondérant. En même
temps que se perfectionnaient les procédés et que s amélioraient les
qualités des métaux, la production acquérait un énorme développe-
ment. Le traitement au four électrique et l'électrolyse préparaient
une véritable révolution pour certaines industries métallurgiques. Des
alliages nouveaux et remarquables apparaissaient et entraient dans la
consommation courante.
Parmi les faits scientifiques les plus récents, M. Michel Lévy,
auteur d'une magistrale introduction aux rapports du jury interna-
tional de 1900, cite l'étude méthodique des métaux et de leurs
alliages ou combinaisons, la recherche des lois auxquelles obéissent
les dissolutions de corps solides les uns dans les autres, la détermi-
nation des isoméries et des points critiques de changement d'état '*l
Comme il le rappelle, les auteurs de- ces études ont fait de larges
emprunts aux diverses branches de la science : à la physique, pour
l'observation précise des hautes et des basses températures, des
dilatations, de la conductibilité, de l'aimantation; à la chimie,
pour l'extension des lois de la dissolution; à la mécanique, pour les
essais par traction, par compression, par flexion et par choc; à la
minéralogie, pour la mesure de la dureté des corps; à la pétro-
graphie , pour l'examen microscopique des corps opaques et des cris-
taux en creux provoqués par une attaque superficielle. Ainsi a été
recueillie une abondante moisson de données ouvrant la voie à des
méthodes précises, qui élimineront complètement l'empirisme du
passé.
^'^ H convient toutefois de remarquer, d'une part, que la thA)rie aHotropique destinée h
part , qu'en nombre de cas les prétendues so- expliquer les propriétés des aciers perd chaque
lu tiens solides sont simplement des mélanges jour du terrain,
intimes d'éléments très divisés, et, d'autre
SIDÉRURGIE. FONTE. 55
2. Sidérurgie. — Il n est pas d'industrie métallurgique plus im-
portante que celle du fer. La sidérurgie montre avec une incomparable
ampleur lespace franchi, au point de vue des applications indu-
strielles de la chimie, comme au point de vue de la hardiesse dans les
moyens d'exécution et de la puissance des installations. Peut-être les
résultats acquis sont-ils de nature à frapper encore davantage, si l'on
considère les abaissements de prix dont les progrès techniques ont été
la cause dominante.
1 . Fonte. — Dans le procédé primitif, mis en œuvre depuis les
temps préhistoriques et naguère encore appliqué sous le nom de mé-
thode catalane , le fer et l'acier s'obtenaient par réduction directe du
minerai dans un bas foyer, en présence d'un excès de charbon. A par-
tir du xni^ siècle, apparut une méthode plus facile, ne demandant pas
des minerais si riches et si purs. Cette méthode consistait à réduire le
minerai et à carburer assez fortement le métal dans la même opéra-
tion pour obtenir delà fonte, puis à décarburer partiellement la fonfo
au moyen d'un feu d'affinerie. L'appareil à produire \r fonte était le
haut fourneau, cet instrument merveilleux auquel l'industrie du fer
est redevable de sa puissance actuelle. Au début, la hauteur du four-
neau ne dépassait guère 7 à 8 mètres; le vent lui venait de grands
soufflets analogues au soufflet de forge et généralement mus par une
roue hydraulique. Vers 1789, nos hauts fourneaux les plus grands
donnaient par vingt-quatre heures â,6oo livres de fonte et brûlaient
un poids double de charbon de bois , combustible à peu près seul
employé à cette époque, du moins sur le continent. En Angleterre,
où la consommation des bois de haute futaie pour la marine présen-
tait une importance exceptionnelle, des mesures législatives avaient
été prises dès i557, afm d'empêcher le déboisement du littoral par
les maîtres de forges; les métallurgistes anglais s'étaient, par suite,
efforcés de substituer le coke au charbon de bois dans les hauts four-
neaux et le problème pouvait être considéré comme résolu depuis lo
xviii* siècle (Abraham Darby, vers 1735).
Alors que la fabrication de la fonte au coke se développait en An-
gleterre et s'y pratiquait avec des hauts fourneaux de dimensions crois-
56 SIDÉRURGIE. FONTE.
santés, la France restait fidèle aux vieilles traditions. Elle n'avait, en
effet, ni l'active production de la Grande-Bretagne, ni les mêmes res-
sources en combustible minéral, ni les mêmes facilités de transport;
le bois continuait à ne pas lui faire défaut. D'ailleurs, la fusion au
bois demeurait pour nos métallurgistes la seule garantie de la bonne
qualité du produit. Théoriquement, le résultat aurait pu sans doute
être atteint, même avec le coke, par un choix convenable des matières
premières; mais les moyens de communication ne permettaient pas
d'aller chercher au loin des minerais spéciaux, propres à modifier, à
améliorer d'une façon souvent radicale les minerais du pays. Réduits
sous ce rapport aux ressources locales, les fabricants devaient de-
mander à des fontes au bois, employées seules ou en mélange avec
des fontes au coke, l'excellence de leurs fers et de leurs aciers. Ajou-
tons que les ingénieurs les plus expérimentés ne connaissaient pas
l'influence exacte des divers éléments de la fonte sur la marche et le
résultat de l'affinage, qu'ils ignoraient l'action épurante exercée par
certains de ces éléments pendant la marche même du haut fourneau.
H a fallu des études attentives et une expérience prolongée pour les
fixer sur la composition de fonte le mieux appropriée à chaque sorte
d'afiinage, pour les convaincre que souvent les fontes au coke rem-
placent sans inconvénient les fontes au bois, non seulement dans
l'affinage, mais aussi dans le moulage.
Une innovation capitale accomplie vers i83o fut le soufflage à l'air
chaud des hauts fourneaux, dont la hauteur s'était accrue. Cette inno-
vation rendait possible la fonte de matières plus réfractaires et procu-
rait en outre une économie notable de combustible; les calories appor-
tées par le vent venaient en déduction de celles dont la production à
l'intérieur du fourneau était nécessaire aux réactions. L'amélioration
eût perdu beaucoup de sa valeur si on avait du brûler du charbon
pour le chauffage de l'air: on y utilisa bientôt les gaz perdus sortant
du gueulard. Les premiers appareils à air chaud datent de 1838 et
sont dus à J. Neilson; ils ont servi de point de départ aux appareils
connus sous le nom des usines par lesquelles débuta leur application :
appareil Calder, appareil Wasseralfingen , etc.
Quand s'ouvrit l'Exposition de 1867, le combustible végétal avait
SIDÉRURGIE. FONTE. 57
presque entièrement céàé la place au combustible minerai. Une aug-
mentation considérable se manifestait dans la production moyenne
journalière des hauts fourneaux; les chiffres de ko à 45 tonnes par
jour en fonte d'affinage et de 3o à 35 tonnes en moulages n'étaient
pas rares pour les usines bien montées de France, de Belgique et
d'Allemagne; en Angleterre, certains fourneaux offraient un rende-
ment bien supérieur, grâce à la richesse des minerais. L'augmentation
tenait en grande partie aux dimensions des fourneaux ainsi qu'à la
puissance des appareils de chauffage et de soufflage du vent. Des
transformations successives avaient amené le remplacement des an-
ciens soufflets en cuir ou des caisses mobiles garnies de liteaux par des
machines à double effet, pourvues de pistons et de cylindres en fonte;
pour la commande du piston soufflant, l'action directe du piston à
vapeur s'était substituée, vers i8/i5 ou i85o, à l'action indirecte des
machines à balancier d'abord en usage sur le continent, suivant le
type longtemps adopté en Angleterre; les grandes souffleries verticales
du Greusot et de Seraing mettaient en évidence l'étendue des progrès
réalisés à cet égard. Limitée originairement à i6o degrés, la tempé-
rature du vent avait été progressivement élevée à 35o degrés, puis à
4oo et 45o degrés, par un agrandissement graduel de la surface de
chauffe.
En même temps apparaissait dans les usines métallurgiques une
nouvdle classe d'appareils de chauffage des gaz fondée sur le prin-
cipe de la régénération de la chaleur, principe que Robert Stirling
avait posé dès i8i6 et que reprit ensuite G. W. Siemens. Ge principe
consistait à faire circuler tour à tour et en sens inverse, à travers des
carneaux sinueux en terre réfractaire, d'une part les gaz brûlés, qui
cédaient leur chaleur aux carneaux avant de se rendre dans la chemi-
née, d'autre part le gaz ou l'air à chauffer, qui reprenait cette chaleur
pour aller la porter dans les fours d'élaboration. Siemens avait trouvé
tout à la fois des dispositions simples, peu coûteuses, pour la gazéifi-
cation des combustibles , et résolu habilement le problème de l'obten-
tion des plus hautes températures sans complication des appareils.
Cowper (i858) et Whitwell (i865) appliquèrent le principe de la
régénération au vent des hauts fourneaux. Les dispositions ainsi créées
58 SIDÉRURGIE. FONTE.
et successivement perfectionnëes furent en quelque sorte Tâme des
progrès de la fonte ; elles permirent de pousser le vent à des tempé-
ratures antérieurement inabordables, d accroître énormément la pro-
duction, de réaliser d'importantes économies sur le combustible, de
faire plus facilement les fontes spéciales que réclame aujourd'hui l'in-
dustrie des aciers.
Le jury de 1867 enregistrait aussi des perfectionnements dans
l'industrie des fontes moulées. En France, cette industrie ne profitait
pas seulement des améliorations de la matière première, c'estrà-dire
de la fonte brute ; elle avait de meilleurs procédés de moulage : pour
les produits ordinaires, elle appliquait largement les méthodes expé-
ditives de fabrication mécanique des moules, qui lui étaient venues
d'Ecosse.
Après 1867, la capacité des hauts fourneaux reçut de nouveaux
accroissements, dont témoignèrent l'Exposition universelle de 1878
et celle de 1 889. Un fait caractéristique mis en lumière par cette der-
nière Exposition était la fabrication de fontes de plus en plus spéciales,
telles que les fontes d'alliages à haute teneur de phosphore, de sili-
cium, de manganèse, de chrome, grâce auxquelles les ingénieurs se
trouvaient en mesure de préparer, dans des conditions certaines de
régularité et de prix de revient, des fers et surtout des aciers doués
de qualités particulières. L'initiative de ces produits spéciaux appar-
tenait à la France (usines de Terrênoire) et à TAutriche-Hongrie
(Sava, dans la Carniole); mais l'Angleterre avait suivi de près.
D'autres progrès d'un réel intérêt fixaient également l'attention pu-
blique: par exemple, l'amélioration des appareils à air chaud et l'em-
ploi rationnel des gaz perdus à l'éclairage des usines ainsi qu'au
chauffage des chaudières.
Nous venons de jalonner par quelques repères le chemin parcouru
jusqu'à l'approche de la fin du siècle. Cherchons maintenant à mar-
quer les traits essentiels de la situation en 1900.
Parfois, la calcination des minerais de fer s'impose avant leur trai-
tement au haut fourneau. Tantôt cette calcination a pour but d'éli-
miner la plus grande partie du soufre et, en même temps, de rendre,
SIDÉRURGIE. FONTE. 59
par une modification de l'ëtat physique, le minerai plus apte à 1 action
réductrice des gaz; elle se pratique, à température élevée, dans des
fours Westman , où sont brûlés les gaz de haut fourneau et dont la
création remonte à 1 85 o. Tantôt l'objet de lopération est simple-
ment d'éliminer les matières volatiles contenues dans le minerai,
notamment l'acide carbonique; on y affecte alors des fours coulants
avec abondante admission d'air à la partie inférieure, et il suffit d'une
dépense de charbon de 5 k id kilogrammes par tonne suivant la
division et le degré d'humidité du minerai.
Fréquemment, les minerais doivent être agglomérés, parce qu'ils
sont assez menus pour opposer une résistance excessive au passage
du vent, même débité sous une forte pression. La méthode usuelle
d'agglomération consiste à additionner la matière d'une faible pro-
portion de chaux hydraulique, à l'humecter, à la comprimer énergi-
quement au moyen de presses, à constituer de la sorte des briquettes
ordinairement cylindriques et k sécher ces briquettes.
Les Anglais ont inauguré la construction de hauts fourneaux gigan-
tesques et leur exemple n'a pas tardé k être suivi par les Américains,
qui se sont d'ailleurs attachés à pourvoir largement chaque fourneau
d'une quantité de vent correspondant à ses dimensions. En 1900,
la Compagnie Carnegie possédait des appareils d'une hauteur de
3o mètres et d'une capacité intérieure de 700 mètres cubes, soufflés
par 10 tuyères d'air à 1 kilogramme de pression et 1,000 degrés
Fahrenheit de température; depuis, elle a établi des installations
encore plus puissantes. L'Europe continentale s'est engagée dans la
même voie et commence à avoir des hauts fourneaux capables de
produire dei5oà3oo tonnes de fonte par vingt-quatre heures, selon
la richesse de^ minerais.
On remarque dans les nouveaux appareils une tendance très nette
à dégager la base et même la cuve, à supprimer les revêtements exté-
rieurs en maçonnerie de briques ordinaires, à faire supporter la plate-
forme du gueulard par des pylônes métalliques, à revêtir les parois
de l'ouvrage et du creuset au moyen d'une armature métallique
presque continue, k en assurer la réfrigération active par aspersion
ou par circulation d'eau, à faciliter la coulée en surélevant la sole du
fiO SIDÉRURGIE. FONTE.
creuset. L'enlèvement des scories s'effectue soit en gros blocs soli-
difiés, soit en poches, soit à l'état grenaille; ce dernier procédé, qui
entraîne une dépense d'eau considérable, permet d'utiliser le laitier
pour la fabrication de ciment ou de briques et se prête en outre à
l'emploi de transporteurs aériens.
Dans la plupart des usines, le chargement a lieu par le système
classique du monte-charge; le lit de fusion et le coke sont ainsi
montés verticalement dans des brouettes ou des wagonnets, puis roulés
jusqu'au gueulard, où des ouvriers procèdent au déversement; ordi-
nairement, le gueulard est fermé pendant les intervalles des ma-
nœuvres de chargement. Ce système absorbe beaucoup de main-
d'œuvre et détermine des pertes de gaz lors de Tintroduction des
charges dans le fourneau. Malgré sa simplicité, malgré les avantages
qu'il présente pour la desserte simultanée de deux fourneaux par un
monte-charge unique, les ingénieurs devaient chercher à l'améliorer :
de là sont nés les systèmes de chargement automatique et les dispo-
sitifs propres à assurer l'étanchéité du gueulard, spécialement [)ar
deux fermetures superposées entre lesquelles est éclusée la charge.
Les installations de chargement automatique comportent un plan in-
cliné servant à la circulation des bennes et un treuil de manœuvre
généralement placé bien au-dessous du gueulard; il y a intérêt à
relever ce treuil au niveau de la plate-forme du gueulard, afin de
mieux surveiller le fonctionnement des appareils et aussi afin de ne
pas avoir nécessairement un treuil par haut fourneau. Quel que soit le
mode de chargement adopté, la reprise des combustibles et des mi-
nerais mis en stock constitue toujours une manutention compliquée;
les métallurgistes se sont efforcés de la simplifier en y affectant des
dragues, en organisant les dépôts de manière à charger par le seul
effet de la gravité les wagonnets ou les bennes, etc.
A la sortie du haut fourneau, les gaz contiennent une proportion
sensible de poussières, dont ils doivent être débarrassés quand on les
utilise sous des chaudières ou dans des appareils de chauffage du vent
et surtout quand on les emploie à la production directe de la force
motrice. Pour les chaudières, en effet, ces poussières ont l'inconvé-
nient d'adhérer aux surfaces métalliques et d'obstruer les carneaux;
SIDÉRURGIE. FONTE. 61
pour les appareils de chauffage du vent, elles amènent également des
obstructions et quelquefois provoqueàt la fusion partielle des empi-
lages; pour les moteurs, elles rendent lusure des organes très rapide
et le graissage fort coûteux. Autrefois, on se contentait d une précipi-
tation à sec dans des tuyaux en tôle de section et de longueur sufli-
santes. Du jour où les gaz de haut fourneau ont servi d'agent direct
de force motrice, il a fallu rechercher une solution plus complète,
recourir au filtrage, au passage à travers une couche d'eau, à la cir-
culation dans des ventilateurs centrifuges à injection, etc. L'expérience
n'est pas encore décisive.
La puissance des machines soufflantes n a cessé de croître. Aujour-
d'hui, elles débitent jusqu'à 1,60.0 mètres cubes par minute, sous une
pression de 80 centimètres de mercure. Le type vertical compound à
grande vitesse parait prédominer. Des tentatives intéressantes se pour-
suivent en vue d'actionner les machines soufflantes par des moteurs à
gaz de haut fourneau; le problème ne laisse pas d'être délicat, eu
égard à la nécessité impérieuse d'une marche absolument régulière;
il convient de pouvoir, le cas échéant, recourir aux gaz d'autres four-
neaux ou de gazogènes indépendants; une précaution utile, en dé])it
de la complication qu'elle entraîne, consiste à fractionner la puissance
entre plusieurs machines.
Sauf de fort rares exceptions, le chauffage du vent est de pratique
courante. Les appareils en fonte ont été conservés dans les usines où
il n'est pas nécessaire d'aller au delà de 4oo ou 45 o degrés, princi-
palement dans celles qui travaillent au charbon de bois. Ailleurs, les
appareils sont en terre réfractaire et se rattachent au type Gowper ou
au type Whitwell; sur le continent, les préférences vont au type Gow-
per, qui n'offre pas les facilités de nettoyage en marche du second
type, mais qui utilise mieux la masse réfractaire et ne présente pas
les mêmes résistances à la circulation du gaz.
Je viens de faire allusion à la fabrication au charbon de bois. Elle
subsiste dans l'Oural, en Suède, en Styrie, en Hongrie, en Bosnie,
aux Etats-Unis.
Des variations considérables peuvent exister dans la composition
chimique des coulées successives d'un même haut fourneau et engen-
62
SIDÉRURGIE. FONTE.
(Irer des difficultés pour Taffînage en première fusion au convertisseur.
À lorigine, les maîtres de foires y remédiaient au moyen d'expédients
tels que le mélange, dans une poche, des fontes provenant de plusieurs
hauts fourneaux. Depuis, sont apparus les mélangeurs de fonte. Aux
Etats-Unis, ces appareils sont des récipients en tôle rivée, à revête-
ment intérieur réfractaire, auxquels un système de pistons hydrau-
liques ou d'engrenages imprime des oscillations; la fonte y est emma-
gasinée temporairement, chauffée par un jet de gaz naturel ou un
brûleur à pétrole, puis évacuée dans les poches qui alimentent les
aciéries. En Europe, la forme rappelle celle des convertisseurs. Le
passage au mélangeur a pour effet accessoire rélimination de la plus
grande partie du soufre , lorsque la fonte contient du manganèse.
L'industrie du moulage reste une industrie active, absorbant en
France le quart de la production de fonte brute. Elle na, d'ailleurs,
cessé de se perfectionner. Parmi ses produits récents, on peut citer
les gros tuyaux avec frettes en acier posées à chaud ou avec frettes en
iils d acier enroulés sous une tension de âo kilogrammes par milli-
mètre carré, fixés par soudure, puis recouverts d asphalte; il y a lieu
de mentionner aussi les pièces en fonte mélangée d acier, employées
pour boites k graisse, chaudières de caustification de la soude, cornues
à acide nitrique , etc.
Certaines fontes, coulées dans d'épais moules métalliques et dites
trempées, acquièrent superficiellement une dureté remarquable, tout
en conservant beaucoup de ténacité au-dessous de leur épiderme. Elles
servent pour la confection^des cylindres de finissage des tôles et pour
celle des roues portant les véhicules de chemins de fer ou deU-amways.
En 1900, les principaux pays ont produit environ Uo millions de
tonnes de fonte, savoir :
tonnes.
États-Unis 13,760,000
Grande-Bretagne et
brlande 9,108,000
Allemagne 7,55o,ooo
Russie . 2,906,000
France 9,71/1,000
Aulrirlie-Hongrie. , . % ,/i66,ooo
tonnes.
Belgique 1,01 9,000
Luxembourg 971,000
Suéde 6*7,000
Espagne . . . .* 91,000
Canada 86,000
Italie 24,000
Japon 'ai ,o<M»
SIDÉRURGIE. FER ET ACIER. 63
Le tableau suivant récapitule les principales données relatives à la
production et à la consommation françaises depuis i83i :
PÉRIODES
ea
ANNÉES.
NOMBRK
dtt
■AUTS
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954 00
f
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1851-1860..
#
M
393
780
89
99
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930 00
a
H
18Ô1-1870..
176
905
190
t,t9t,5
t6o
98
99 00
i85 00
a
9
1871-1880..
80
169
9»
1,391
397,5
89
99 00
190 00
i55
44
34f
1881-1890..
a&
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98,5
«.796
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66 00
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909
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1891-1900..
6
9«
10
a,tG7
1,386
77
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ti5 00
i55
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439
1900
10
11 t
i5
9,71/1
1,670
9a.
80 00
t35 00
ïi5o
170
559
f^ Moyenne de t
<^' Non r«HiprM
moyenne pendant
âiumét.
wpt ann^.
tes (NitM UMMilëM provf oMt da viaiUaa natièm , dont la produrliou
a pi'riode 1891-1900 et de 178,000 tonnes en 1900.
« t'té do
18s. 000 1
Aune» ea
Plusieurs faits sont nettement mis en lumière par ce tableau : dis-
parition presque complète de la fonte au charbon de bois; augmen-
tation considérable de la puissance productive des hauts fourneaux;
réduction progressive du prix de la fonte; énorme accroissement delà
production dans le déparlement de Meurthe-^t-Moselle, dont la quote-
part atteint 60 pour 100. Âpres Meurthe-et-Moselle viennent, mais
très loin en arrière, le Nord (3 1 3, 000 tonnes), le Pas-de-Calais
(100,000 tonnes), Saône-et-Loire (85,ooo tonnes), les Landes
(78,000 tonnes), le Gard (76,000 tonnes), etc.
a. Fw $1 acier, — Comme je lai précédemment rappelé, le fer et
lacier s'obtenaient autrefois par réduction directe du minerai dans un
bas foyer, en présence d'un excès do charbon. Ce creuset simple , avec
ses tuyères plongeantes destinées à y diriger un courant d'air forcé ,
servit, dès l'antiquité, au traitement du cuivre, du plomb, de l'ar-
gent, de même qu'à celui du fer; on le retrouve aujourd'hui dans les
U SIDÉRURGIE. FER ET ACIER.
montagnes de la Haute-Asie et chez les nègres du continent africain.
L opération nécessitait un travail manuel des plus pénibles; elle don-
nait une loupe de fer spongieux, que louvrier devait marteler et ré-
chauffer plusieurs fois, pour la transformer en une barre propre à la
forge. Après avoir brûlé un poids de combustible triple de celui du
métal extrait, on avait finalement un bloc de i5o kilogrammes au
maximum.
A partir du xvi* siècle, apparut une méthode plus facile, ne deman-
dant pas des minerais si riches et si purs. Elle consistait à produire
d'abord de la fonte, puis à décarburer partiellement cette fonte au
moyen d'un feu d'affinerie (feu comtois ou feu allemand), qui servait
également au corroyage ultérieur des massiaux. Le seul combustible
employé était alors le bois.
En même temps qu'ils cherchaient à brûler le coke dans les hauts
fourneaux, les métallurgistes anglais s'efforçaient de substituer la
houille au bois pour l'affinage. Cette substitution offrait de grosses
difficultés avec le bas foyer. L'ingénieur Cort résolut le problème en
1784, par l'application du four à réverbère, déjà utilisé pour la cou-
pellalion du plomb et l'épuration du cuivre brut. Malgré les tenta-
tives entreprises dès 1808 dans quelques forges de la Nièvre, le nou-
veau procédé, dit anglais^ d'affinage au réverbère ou puddlage ne se
répandit chez nous que fort lentement. D'ailleurs, ses résultats lais-
sèrent à désirer jusque vers i83o ou i835, époque à laquelle les
soles en sable battu des anciens fours furent remplacées par des soles
en fonte recouvertes d'oxyde de fer ou de scories basiques.
Après l'invention de Cort, l'Angleterre introduisit, en i835, dans
la pratique le four bouillant qui permettait de puddler sans mazéage
préalable et dont l'usage fut la source de grands progrès pour le nou-
veau mode d'affinage, surtout au point de vue de la qualité des fers.
Grâce à un triage sévère des produits, à une surveillance minutieuse
des opérations, les fers de Lowmoor arrivaient à rivaliser avec les
fers au bois du continent. Calvert et Johnson allaient inaugurer les
recherches chimiques sur le puddlage et ouvrir une voie féconde en
beaux résultats (18 56). De leur côté, les maîtres de forges de la
Styrie (i835), puis ceux de la Westphalie (i8/i5), favorisés par la
SIDÉRURGIE. FER ET ACIER. 65,
qualité exceptionnelle de leurs minerais, aboutissaient à la fabrication
normale de Tacier puddlë , dont l'apparition eut lieu vers Tëpoque de
la première Exposition universelle. Dès l'Exposition de i855, on put
se rendre compte du pas franchi dans la production et l'emploi des
aciers naturels à la houille. C'est aussi à cette Exposition que les visi-
teurs purent voir pour la première fois l'acier fondu par masses
jusqu'alors inconnues et appliqué à des ouvrages, dans lesquels il
remplaçait la fonte moulée : conquête d'un haut intérêt, dont les fours
Siemens devaient bientôt étendre la portée en donnant le moyen de
fondre des quantités importantes d'acier à l'aide de combustibles
inférieurs et avec une économie notable sur les anciens procédés de
fusion à la houille et au coke dans les fours à creusets.
Une transformation plus radicale de l'affinage des fontes ne tarda
pas à sortir de tous ces efforts. En 1 85 5, Sir Henry Bessemer proposa
la conversion directe de la fonte en acier fondu par le passage au
travers de la masse en fusion, dans une grande cornue, de jets d'air
fortement comprimé : l'air accomplissait, à lui seul, l'oxydation, la
chauffe et le brassage de la matière métallique. La brillante collection
de produits exposée par Bessemer à Londres, en 1862, montra qu'à
cette date le procédé était industriel : déjà, la Suède et l'Allemagne
l'avaient expérimenté avec succès; la Belgique et la France com-
mençaient à y recourir.
L'Exposition universelle de 1867 attesta le rapide essor du procédé
Bessemer. Toutefois la métallurgie n'avait encore obtenu au conver-
tisseur que des aciers à haute dose de carbone, et cela avec des fontes
provenant de minerais de choix. Le rapporteur du jury faisait remar-
quer que,Your les aciers fins, le métal sorti des convertisseurs Besse-
mer constituait seulement un demi-produit et nécessitait des élabo-
rations supplémentaires (seconde fusion au creuset, martelages, etc.),
sans lesquelles il n'aurait eu pi la qualité ni la pureté voulues. M. Lan
constatait, de plus, l'insuccès des tentatives entreprises pour obtenir
régulièrement du fer fondu, pour s'arrêter exactement au point requis
de la conversion, quelle que fût la nature de la fonte. Il en con-
cluait que le bas foyer ou mieux le four à puddler restait l'appareil
le mieux approprié à la préparation du fer nerveux et capable de
5
IMrkIMklIIK .tATIORAtK.
66 SIDERURGIE. FER ET ACIER.
grands allongements. Ses conclusions étaient les mêmes relativement
aux fers communs, la cornue Ressemer n ayant encore réussi nulle
part avec les fontes médiocres au coke.
Si le procédé Ressemer n'était pas considéré comme susceptible de
détrôner entièrement le puddlage^ on n'espérait non plus rien de sem-
blable du procédé Siemens-Martin, qui faisait alors ses débuts. Depuis
longtemps et à diverses reprises, la métallurgie avait essayé de pro-
duire de l'acier ou du fer fondu au réverbère ordinaire sans creuset;
mais l'élévation de la température au degré voulu soulevait de grosses
difficultés, et cette méthode ne pouvait devenir pratique qu'après l'in-
vention des fours à gaz. C'est dans un four Siemens que P. Martin,
de Sireuil, parvint, en 186 5, à obtenir de l'acier fondu par le traite-
ment de riblons mélangés avec la quantité de fonte nécessaire pour
en limiter l'oxydation. Un autre procédé consistant k affiner la fonte
par le minerai [ore process) fut longtemps expérimenté par C. W. Sie-
mens à Landore (pays de Galles); l'introduction de la sole basique
put seule le rendre industriel.
La conviction que le puddlage était toujours appelé à conserver sa
place à côté des nouveaux procédés se traduisait par des essais ayant
pour but d'économiser la main-d'œuvre dans les fours à puddler. En
effet, le brassage ( puddling) constitue l'une des opérations qui épuisent
le plus les forces de l'homme et qui comportent la rémunération la
plus forte : on devait donc chercher à faire cette opération mécani-
quement. Tel fut l'objet des agitateurs automatiques, comme ceux de
Lemut (1862), et des méthodes consistant à faire mouvoir le four
lui-même ou au moins la sole (fours rotatifs, oscillants, à sole tour-
nante). En 1867, aucun de ces dispositifs n'assurait encore tout en-
semble une perfection suffisante de l'affinage et une économie sen-
sible des frais de façon.
*
Pendant la période de 1867 à 1878, on vit les deux procédés
Ressemer et Martin se développer parallèlement et parfois se combiner.
Dans les aciéries Ressemer, les études étaient partout dirigées vers
l'économie du combustible; cette économie s'imposait surtout en
Suède, où les usines sidérurgiques subissaient une crise redoutable
due à la concurrence de l'acier fondu et à son emploi de plus en plus
SIDÉRURGIE. FER ET ACIER. 67
gênerai pour de nombreux usages, antérieurement réservés aux
excellents fers de ce pays. Quant à Tacier Martin -Siemens, il com-
mençait à partager avec Tacier Bessemer l'alimentation du monde
entier, poor les aciers de grande consommation ; après avoir fonctionné
au début avec i,»oo à i,5oo kilogrammes de matières, sans pouvoir
fournir plus de deux op^tions par vingt-quatre heures et en con-
sommant 900 kilogrammes de combustible par tonne de lingots, les
fours Martin-Siemens arrivaient, en 1878, à recevoir des charges
de 5,5oo kilogrammes, à terminer chaque opération en sept ou
huit heures, à produire ainsi 18 tonnes en vingt-quatre heures, à ne
consommer que lioo kilogrammes de charbon aux gazogènes par
tonne de lingots. On considérait alors comme un progrès l'application
du four Pernot à sole tournante dans la fabrication de Tacier Martin,
de manière à faciliter les réparations tout en diminuant les dépenses
de combustible; mais depuis, ce four a été abandonné.
Parmi les divers avantages du four Martin-Siemens, Tun des plus
essentiels était de permettre aisément le mélange des fers et des fontes
à divers dosages de matières étrangères. Ce fut la source des remar-
quables études poursuivies par la Société de Terrenoire sur les aciers
à dose variable de carbone, de manganèse, de phosphore, et sur les
aciers sans soufflures obtenus par l'addition des alliages fer-man-
ganèse-silicium. Représentées en 1878 au moyen d'une série d'échan-
tillons et d'analyses, ces études ouvrirent à la métallurgie des aperçus
nouveaux.
Le procédé basique de déphosphoration des fontes au convertis-
seur Bessemer, qui a illustré les deux noms de Thomas et Gilchrist et
s'est brillamment affirmé k l'Exposition de 1889, date précisément de
1878. Reprenant les idées théoriques émises en 1 869 par Emile Muller
et en 1878 par Gruner, Thomas et (lilchrist furent les initiateurs de
ce traitement des fontes phosphoreuses, origine d'une véritable révo-
lution industrielle. Trois faits caractérisaient la méthode Thomas-
Gilchrist : le garnissage du convertisseur en dolomie frittée, pour
résister à la désagrégation et à l'attaque de la scorie basique; une
forte addition de chaux, pour assurer la basicité de la scorie; le sur-
soufflage au delà du départ du carbone, pour éliminer le phosphore
68 SIDERURGIE. FER ET ACIER.
de la fonte. Grâce au procédé Ressemer basique, on pouvait non
seulement fabriquer des aciers avec des fontes antérieurement réputées
impropres à cet usage, mais aussi produire des aciers doux, extra-
doux et même soudables, qui, dans des cas nombreux, remplaçaient
avantageusement le fer puddlé. Le succès a été si rapide que , dès
1 888, les statistiques n'évaluaient pas à moins de 2 millions de tonnes
la masse d'acier préparée pendant Tannée par la méthode Thomas et
Gilchrist; depuis 1879, la production totale avait atteint 8 millions et
demi de tonnes. En se reportant à l'époque encore récente où les fontes
à acier exigeaient des minerais de choix, en se rappelant les prix
élevés auxquels se vendaient alors les produits, il était facile d'ap-
précier la haute valeur d'une invention qui permettait de se servir
des minerais les moins estimés et les plus répandus, qui nivelait les
prix du fer et de l'acier. Les chifiPres cités plus haut disent éloquem-
ment l'étendue des services qu'elle avait rendus à l'industrie.
Dans plusieurs pays, la fabrication s'était déplacée, passant des
régions de minerais purs aux régions de minerais communs. Cela
avait été un coup de fortune pour le bassin minier de Meurthe-et-
Moselle, notamment pour Longwy et Jœuf.
Notons encore à l'actif du procédé Thomas que le phosphore enlevé
au métal se retrouve allié aux scories sous forme d'acide phosphorique,
que ces scories se vendent comme amendement et qu'il y a là, dès
lors , un double service rendu aux industriels et aux cultivateurs.
A côté de cette invention capitale, il en était une autre moins
importante, mais digne cependant d'être signalée. Le procédé Bes-
semer nécessitait des installations coûteuses et restait peu accessible
aux usines à production limitée. Divers ingénieurs cherchèrent à
créer des réductions satisfaisantes de l'outillage Bessemer. Une so-
lution recommandable parmi beaucoup d'autres, celle dû convertis-
seur G. Robert, fut présentée à l'Exposition de 1889. L'inventeur
avait réussi à maintenir une température convenable, malgré le refroi-
dissement dû au faible volume de la masse en fusion , et à affiner des
charges ne dépassant pas 5 00 kilogrammes, tandis que les appareils
Bessemer opéraient sur des charges de 8 à 1 o tonnes.
L'application des garnitures basiques aux fours à sole chauffés par
SIDÉRURGIE. FER ET ACIER. 69
le gaz permettait ëgalement d'y traiter des fontes jusque-là impropres
à Tobtentiou de lacier Martin, mais non peut-être des fontes aussi
phosphoreuses qu'avec le convertisseur Thomas, qui demeurait l'in-
strument de la déphosphoration proprement dite. Eu égard à la facilité
de la conduite du travail , les fours à sole se prêtaient admirablement
à la préparation des produits les plus variés et les plus soignés.
Une invention récente, celle de la garniture neutre en fer chromé de
MM. Valton et Rémaury, tendait à faire de la cuvette du four à sole
un vase aux parois à peu près inattaquables. Elle promettait de fournir
des aciers extra-doux ou fers fondus, rivalisant avec les meilleurs
fers au bois. L'expérience a prouvé que la garniture se réduit partiel-
lement, introduit du chrome dans le bain métallique et donne une
certaine dureté aux aciers.
L'extension prise par la fabrication des aciers fondus avait eu pour
conséquence inévitable un amoindrissement très marqué de la pro-
duction des anciens métaux, des fers fins puddlés et affinés, auxquels
ces aciers se substituaient dans maintes circonstances.
Cet aperçu historique rendra très brèves les indications qu'il me
reste à fournir au sujet de la situation en 1900.
L'affinage de la fonte au bas foyer accuse une rétrogradation bien
marquée. En France, il a presque disparu. La Suède est le seul pays
où il ne faiblisse pas : aujourd'hui encore , le fer soudé s'y prépare
pour ainsi dire exclusivement au bas foyer. Deux méthodes sont en
présence dans les forges suédoises, la méthode wallonne et celle du
Lancashire. La première a pour caractérisques la prédominance de
l'affinage par le vent, le faible poids des loupes obtenues, leur réchauf-
fage dans un bas foyer distinct avant l'étirage en barres; ne donnant
pas plus de 1 o tonnes par semaine et par foyer, entraînant un déchet
de âo p. 100 sur le poids de la fonte et consommant 31 mètres
cubes de charbon de bois par tonne de fer en barres, elle est très
coûteuse, mais fournit des produits d'une pureté exceptionnelle. Plus
économique, la méthode du Lancashire est aussi moins parfaite; le
foyer voûté comporte deux tuyères sur les parois latérales et un dis-
positif de refroidissement de la sole par l'eau; à la sortie, les flammes
70 SIDÉRURGIE. FER ET ACIER.
vont successivement réchauffer la fonte destinée à ropération suivante,
puis circuler dans un appareil tubulaire servant au chauffage du vent;
souvent on adjoint au bas foyer un réverbère qui porte les massiaux
à la température d'étirage.
Bien que, d'une manière générale, il soit en décroissance sensible,
le puddlage ne touche pas à la fin de sa carrière; il reçoit même cer-
taines applications nouvelles, comme dans TOural ou le four à puddler
au bois remplace le bas foyer. Aucun perfectionnement remarquable
ne lui a, d'ailleurs, été apporté pendant les dernières années du siècle.
De nombreuses usines continuent à pratiquer le puddlage bouillant
des fontes fines. Dans presque tous les pays, la production du fer
puddlé se maintient à un niveau assez élevé, malgré la concurrence
croissante du métal fondu; cela tient aux habitudes acquises et à des
préventions excessives au sujet de la soudabilité du métal obtenu par
fusion. Le puddlage mécanique n'offre plus qu'une importance secon-
daire; on a cessé l'installation de nouveaux fours Lemut; les fours
rotatifs n'ont pas répondu aux espérances et leur rôle se limite à la
préparation de massiaux qui vont au four Siemens-Martin après cin-
glage. Il y a lieu de remarquer que les statistiques confondent ordi-
nairement la production du fer de riblon avec celle du fer puddlé;
une distinction est, au surplus, diflficile entre les deux modes de fa-
brication.
La fusion au creuset, après cémentation ou puddlage des matières
premières, fut longtemps l'unique moyen d'obtenir des masses d'acier
homogènes et exemptes de scories. Actuellement, sa part dans l'en-
semble de la production du métal fondu est tout à fait secondaire; elle
fournit certains aciers spéciaux pour outils, obus, tôles ou fils de
résistance exceptionnelle, etc.
Alors que le convertisseur à garnissage acide gardait la prédomi-
nance en Angleterre, en Suède, en Russie, aux Etats-Unis, la variante
basique du procédé Ressemer s'est, au contraire, développée rapidement
en Allemagne et dans l'Est de la France. Quel que soit le garnissage,
les grands convertisseurs se rattachent, depuis 1860, au type oscillant
sur tourillons autour d'un axe horizontal, avec soufflage par le fond;
ils présentent généralement la forme d'un cylindre prolongé vers le haut
SIDÉRURGIE. FER ET ACIER. 71
par un tronc de cône oblique et terminé vers le bas, soit par un fond
plat, soit et plus souvent par un tronc de cône symétrique du premier;
l'enveloppe est en tôle rivée. De nombreux orifices distribuent le vent,
qui arrive par l'un des tourillons; ces orifices se trouvent répartis
uniformément sur le fond ou groupés dans des tuyères en.terre réfrac-
taire; pour les convertisseurs à garnissage basique, les tuyères ordi-
naires peuvent être remplacées avec avantage par des tuyères en
magnésie, qui assurent aux fonds une durée beaucoup plus grande
(6b à 100 coulées, au lieu de âS à 35). La manœuvre s'effectue à
l'aide d'un piston hydraulique, d'une crémaillère et d'un pignon. Il y a
similitude entre les machines soufflantes desservant les convertisseurs
et celles des hauts fourneaux; la pression normale est de 3 kilo-
grammes par centimètre carré. Des engins et des dispositifs méca-
niques servent à la manœuvre des poches de coulée , en particulier à
leur conduite vers des rangées de lingotières sur trucs; les lingotières
sont elles-mêmes envoyées immédiatement aux halles de démoulage
et de laminage; grâce à la rapidité des transports, les lingots se re-
froidissent peu et peuvent être réchauffés dans des conditions écono-
miques. On coule à part les scories des convertisseurs basiques; puis ,
afin de les amener à l'état commercial, on les broie finement et on les
débarrasse des grenailles métalliques. Les aciers produits peuvent for-
mer une gamme complète depuis le métal extra-doux contenant à
peine des traces de carbone jusqu'au métal dur; un recuit, sans mo-
difier sensiblement leur résistance à la rupture et leur allongement,
les rend moins cassants.
Pour les petits convertisseurs, affectés d'ordinaire à la fabrication
des moulages, les métallurgistes sont revenus assez souvent au souf-
flage latéral expérimenté à l'origine par Bessemer et bientôt aban-
donné. Ce mode de soufflage donne de forts déchets, ne fournit que
des produits d'une homogénéité médiocre et détermine une corrosion
rapide de la paroi au-dessus des tuyères.
L'affinage sur sole acide, avec ou sans addition de minerai, s'est
largement répandu en Angleterre d'abord, aux Etats-Unis ensuite.
Quant à l'affinage sur sole basique, il a pris son développement ini-
tial dans l'Europe continentale et tend à se propager aux États-Unis.
72 SIDÉRURGIE. FER ET ACIER.
La variante basique a beaucoup plus d'ëlasticitë que la variante acide,
permet de refondre tous les riblons indistinctement,* se prête à Taffi-
nage de fontes trop peu pbospboreuses pour un traiteihent avanta-
geux au convertisseur, donne d excellents fers fondus, pourvu que les
matières ne soient pas sensiblement sulfureuses, paraît devoir rem-
placer le puddlage dans un grand nombre de cas et même Taffinage
au convertisseur pour certaines fabrications. Elle demande des mi-
nerais ne contenant quune faible proportion de silice, 3 à 4 p. loo,
et nécessite une température notablement plus élevée que le travail
sur sole acide. Parfois, la coulée s'effectue directement dans des lingo-
tières portées par des chariots; ordinairement, elle est faite par Imter-
médiaire d'une poche-locomotive qui dessert les fours et va, dans un
autre atelier, alimenter les lingotières en fosse ou sur truc. Les sco-
ries de déphosphoration se préparent comme celles des convertisseurs ;
elles sont un peu moins riches en acide phosphorique. Une question
intéressante est celle de l'augmentation du nombre des coulées; on a
cherché à la résoudre par divers moyens , tels que l'introduction de la
fonte à l'état liquide avec interposition de chaux protégeant la sole
magnésienne, traitement préalable au Ressemer acide et achèvement
sur sole basique, méthode Bertrand-Thiel de transvasement d'un four
à l'autre. À cette question se rattache celle du chargement mécanique
des fours, qui présente une réelle importance surtout quand les
riblons prédominent dans la composition de la charge; parmi les solu-
tions, il y a lieu de citer celle des fours oscillants, auxquels des pis-
tons hydrauliques donnent l'inclinaison nécessaire pour y introduire
les matières à l'aide de couloirs en tôle; l'Europe emploie peu le
chargement mécanique. M. Talbot (Pensylvanie) est arrivé à rendre
l'aflRnage presque continu, avec des fours Wellmann dont le mouve-
ment d'inclinaison ne sert qu'à la coulée; il coule, à des intervalles
rapprochés, une fraction de la charge et la remplace par une quantité
équivalente de fonte additionnée de minerai. Plusieurs tentatives de
soufflage dans le bain métallique ont échoué : les projections de sco-
ries détruisaient trop rapidement la sole ou la voûte.
Dans la plupart des cas, les lingots d'acier contiennent des souf-
flures dues soit au dégagement de gaz pendant la solidification du
SIDÉRURGIE. FER ET ACIER. 73
•
mëtal liquide, soit à la contrdction de ce mëtal après solidification
superficielle. M. Brinell (Suède), reprenant les expériences de Terre-
noire, a établi d'une manière précise Tinfluence bienfaisante, à cet
égard, du silicium, du manganèse, et principalement de laluminium.
Un autre procédé pour la suppression des soufflures est la compression
énergique du lingot au moyen d un piston hydraulique, durant la so-
lidification; il exige un matériel coûteux et ne convient pas aux fabri-
cations courantes.
La fabrication des moulages d acier ne remonte pas au delà de la
seconde moitié du siècle. Difficile et onéreuse lorsque le creuset don-
nait seul de lacier liquide, elle na grandi qu'après lapparition des
fours Siemens-Martin, puis des petits convertisseurs. Ces derniers
appareils, sans régler aussi exactement que les fours Siemens-Martin
la composition du métal, s'imposent pour les productions restreintes;
ils travaillent vite et fournissent un acier très fluide, quoique doux.
Une difficulté sérieuse réside dans la préparation des moules, qui
doivent être fortement réfractaires, avoir été étuvés à haute tempéra-
ture et offrir des garanties contre les accidents de retrait. Ici, Tunique
moyen d'éviter les soufflures est l'addition de silicium, de manganèse
ou d'aluminium. L'application méthodique du recuit, parfois suivi
d'un refroidissement rapide à l'air, améliore notablement les coeffi-
cients mécaniques du métal. En recourant à lare électrique ou à
l'aluminothermie, on est parvenu à réparer extérieurement les pièces
par application de métal fondu.
Tantôt les lingots d'acier sont laminés, tantôt ils subissent le for-
geage; cette dernière opération est réservée aux pièces spéciales et son
champ tend à se restreindre par suite du développement des applica-
tions de l'acier moulé. Préalablement au laminage, le lingot doit être
porté à une température plus ou moins élevée. Autrefois, on le laissait
se refroidir complètement avant de le réchauffer; cette pratique est
aujourd'hui exceptionnelle, car elle augmente la dépense de combus-
tible et expose à des fissures au moins superficielles. Quelquefois, on
supprime tout réchauffage en introduisant les lingots dès leur démou-
lage dans des pits ou fosses à parois réfractaires, où l'excès de chaleur
de la partie centrale du métal relève la température des zones super-
74 SIDÉRURGIE. FER ET ACIER.
•
ficielles (méthode imaginée par M. Gjers); dans certaines usines, les
pits sont chauffés extérieurement d'après le système Siemens. En tout
cas, il importe de réduire au minimum le refroidissement des lingots
démoulés; maintenant, le démoulage s'exécute le plus près possible
des pits ou des appareils de réchauffage, à l'aide d'engins mus par
l'eau sous pression ou l'électricité. Un pont roulant porte les lingots
chauds au basculeur, qui les couche sur les rouleaux du premier train
(blooming); le déplacement transversal et le retournement de ces
lingots sont obtenus au moyen d'appareils à commande hydraulique;
de petits moteurs réversibles à vapeur ou des moteurs électriques
mettent les rouleaux en mouvement. A la sortie du train, le bloom
est ordinairement découpé par des cisailles hydrauliques. Les blooms
destinés à la vente peuvent être repris par des transporteurs qui les
versent dans un wagon ; ceux qui sont destinés à l'étirage immédiat
vont au laminoir, selon les cas, sans ^voir été réchauffés ou après
réchauffage dans des fours horizontaux, les uns chauffés directement,
les autres se rattachant au type Siemens } les manœuvres se font méca-
niquement. Généralement, le laminage des billettes, poutrelles, rails
et autres profils de grande section est effectué par un duo réversible;
celui des grosses tôles et des larges plats , par un train réversible puis-
sant; etc.
Actuellement, les machines à vapeur employées pour la commande
des trains de laminoirs ont une puissance considérable. Pour les trains
à rotation continue, ce sont des machines à un seul cylindre ou des
machines compound tandem. Pour les gros profils, les machines ré-
versibles s'imposent; au point de vue de la régularité du fonction-
nement, l'emploi de trois cylindres à 120 degrés donne des résultats
satisfaisants; certaines machines vont jusqu'à 10,000 chevaux; la com-
mande a lieu par servo-moteurs.
Une des fabrications les plus dignes d'attention est celle des plaques
de blindage. Il convient de distinguer entre les blindages de forte
épaisseur, capables d'arrêter les projectiles qui les frappent sous un
angle d'incidence accusé, et les plaques de pont de faible épaisseur,
destinées à faire ricocher les obus. Les blindages de forte épaisseur
exigent une grande dureté, au moins superficielle, unie à une duc-
SIDÉRURGIE. FER ET ACIER. 75
tilitë suffisante, qualités dans une certaine mesure incompatibles et
devant être plus ou moins sacrifiées lune à Tautre. Autrefois, le peu
de dureté relative des projectiles et leur médiocre puissance de péné-
tration conduisaient k la prédominance de la résistance au choc et à
l'emploi du fer puddlé. L'augmentation du calibre et de la vitesse des
projectiles amena à des accroissements d'épaisseur compromettants
pour la navigabilité, et bientôt, la substitution dobus en fonte
trempée aux obus en fonte ordinaire compliquant encore le problème,
les métallurgistes durent, à partir de 1877, recourir soit à 1 acier
homogène au carbone, soit à une paroi extérieure en acier dur soudée
sur un sommier en fer (procédé Wilson). Plus tard, ladoption des pro-
jectiles en acier forgé et trempé rompit de nouveau l'équilibre ; il fallut
ajouter à l'acier, soit du nickel seul, soit du nickel et du chrome. Ces
additions exagèrent les difficultés du travail mécanique, quand l'épais-
seur devient un peu grande. Aussi préfère-t-on maintenant, pour les
plaques très épaisses, un durcissement superficiel, qui comporte, par
exemple, les manipulations suivantes : chauffage de la surface extérieure
au contact du charbon de bois, pendant un délai de plusieurs jours;
refroidissement sous la couche de charbon jusqu'à la température du
rouge sombre; réchauffage pour gabarier définitivement la plaque;
nouveau réchauffage et trempe par arrosage de la surface carburée;
recuit local au moyen de l'électricité ou de l'aluminothermie, à l'em-
placement des trous de boulons; finissage à la meule d'émeri. En ce
qui concerne les plaques de pont, la qualité essentielle est la ducti-
lité; au fer puddlé de qualité supérieure a succédé, en 1887, l'acier
extra-doux. Des essais ont été entrepris en vue de la fabrication des
plaques par moulage.
Le travail de grosse forge se répartit entre deux types distincts d'ap-
pareils : pilons et presses. On est tout étonné, en se reportant aux
rapports sur les anciennes Expositions, de voir avec quel enthousiasme
Michel Chevalier, organe du jury de 18/19, citait les marteaux-pilons
ffdu poids énorme w de 8,000 à 4, 000 kilogrammes. Ces merveilleux
engins n'étaient que des joujoux, à côté du marteau de 80 tonnes que
le Creusot exposait en 1878 et qu'il destinait k la fabrication des
canons de 1 90 tonnes ou des blindages de om.70aom.80. Malgré la
76 SIDÉRURGIE. FER ET ACIER.
concurrence naissante des presses, les dimensions des marteaux-pilons
ont continué à croître et leur poids a atteint 126 tonnes. Néanmoins
ils sont restés d'une souplesse admirable, obéissant à la main de
rhomme avec une docilité merveilleuse, pouvant au gré du forgeron
broyer une masse gigantesque de métal ou fendre délicatement une
coquille de noisette : c'est un jeu que le préposé au marteau ne manque
pas de pratiquer devant les visiteurs de distinction. Depuis quelques
années, on n'installe plus de pilons d'une puissance exceptionnelle.
Un mouvement très marqué se manifeste en faveur de la substi-
tution des presses hydrauliques aux appareils de choc. Les presses
peuvent être alimentées d'eau sous pression, soit directement, soit
par l'intermédiaire d'accumulateurs, au moyen de pompes que com-
mandent des machines à vapeur à rotation continue; mais ce système
entraîne des dépenses élevées de premier établissement, une fâcheuse
complication de fonctionnement et des risques d'avaries. Mieux vaut
l'action directe de la vapeur sur un piston multiplicateur; l'installation
devient économique et la manœuvre très simple. La puissance des
presses atteint 16,000 tonnes.
Quel que soit le procédé de forgeage, un intérêt capital s'attache à
ce que l'organisation des appareils de levage et de manœuvre permette
d'éviter toute perte de temps. Les ponts roulants prévalent sur les
grues, depuis qu'on y a adapté des moteurs électriques.
La fabrication des tubes et pièces embouties s'est beaucoup déve-
loppée et a subi de profondes modifications, grâce à la résistance et à
la ductilité des nouveaux métaux fondus. Jadis, les tubes étaient sou-
dés par rapprochement, suivant la méthode Whitehouse, brevetée en
1825. Ensuite vint la soudure par recouvrement, que l'Angleterre
avait inaugurée vers 18/12 et que MM. Mignon et Rouart installèrent
chez nous vingt ans plus tard. À partir de 1880, Brunon et Valette,
Ehrhardt, Mannesmann, Robertson ont créé des procédés sans sou-
dure. Ces procédés consistent soit à emboutir progressivement des
disques en tôle,, soit à faire pénétrer des mandrins ou des poinçons
dans des blocs compacts dont la matière se trouve refoulée latéra-
lement, soit à laminer une barre ronde entre des cylindres dont les
axes ne sont pas dans le même plan. La fabrication des ébauchés
SIDERURGIE. FER ET ACIER. 77
est généralement suivie d un étirage et d un laminage sur mandrin.
On obtient ainsi des obus, des bouteilles à fond pour gaz comprimés,
des tubes ayant jusqu'à 17 mètres de longueur et o m. 10 de dia-
mètre. Le matriçage s'applique parfaitement à Tacier dur, à lacier
au nickel.
A l'époque de l'emploi exclusif du combustible végétal, les produits
ferreux étaient, à l'exception des fontes grises, des composés de fer
et de carbone, que l'on classait, suivant la proportion de ce métalloïde,
parmi les fers, les aciers ou les fontes; seules, les fontes grises conte-
naient un peu de silicium, dont le rôle restait d ailleurs mal connu,
comme celui du manganèse entrant parfois dans la composition de la
fonte. Le changement de régime dû k l'usage du combustible minéral
et au chauffage plus intense du vent amena la production de fontes
plus riches en silicium ou en manganèse, qui trouvèrent un débouché
important dans l'industrie du métal fondu. Ainsi naquit l'industrie
des fontes spéciales. Bientôt parurent les ferro-chromes et les ferro-
tungstènes, puis une série d'alliages ou aciers spéciaux, caractéri-
sés soit par l'introduction isolée du nickel, du molybdène, du vana-
dium, etc., soit par l'intervention simultanée de plusieurs de ces corps,
seuls ou associés avec le carbone, le manganèse, le silicium.
Quelques^ indications sur les aciers spéciaux ne seront pas inutiles.
Mais auparavant, il convient de rappeler les propriétés des aciers
purs au carbone de Suède. L'augmentation de la teneur en carbone,
du moins jusqu'à un certain chiffre, relève la limite d'élasticité appa-
rente et la résistance à la rupture ; elle diminue l'allongement.
Additionnés de silicium, les aciers doux continuent à se forger
assez facilement jusqu'à la teneur de 4 p. 100; au delà de ce chiffre,
leur travail à chaud devient difficile; la difficulté s'atténue avec une
proportion plus forte de carbone. Pour une résistance donnée, les
alliages au silicium ont une limite élastique et un allongement supé-
rieurs à ceux des aciers au carbone. La trempe, même à une tempé-
rature très élevée, ne modifie pas sensiblement leurs propriétés méca-
niques, s'ils sont exempts de carbone; dans le cas contraire, elle
relève les limites d'élasticité et de résistance , sans changer beaucoup
l'allongement de rupture ni la striction; un recuit est indispensable.
78 SIDÉRURGIE. FER ET ACIER.
Les aciers au manganèse se forgent sans peine josqn a une l^^eiir
de 18 p. ioo, mais sont très durs et deviennent impossibles à per-
cerau-dessus de 8 ou 9 p. 100. Allie à l'acier dans une proportion de
3 ou /( p. 100 au plus, le manganèse relève notablement la limite
d'élasticité et la résistance à la rupture, tout en laissant à rallonge-
ment une valeur suffisante. De 4 à 8 p. 100, la fragilité et la faible
résistance des alliages les rend impropres à toute utilisation pratique.
Au delà de 8 p. 100, leurs propriétés se transforment; très durs et très
tenaces, ils conservent une limite d'élasticité de valeur moyenne et
acquièrent un allongement avant rupture considérable; en outre, de
même que les aciers à haute teneur en nickel, ils s'adoucissent par la
trempe à l'eau, suivie d'un fort recuit.
Réunis, le silicium et le manganèse fournissent des aciers moins
fragiles que ceux au silicium , moins durs et un peu plus faciles à forger
que ceux au manganèse. Les effets de la trempe à l'eau se rapprochent
de ceux qui ont été indiqués pour les aciers au silicium seul.
En ajoutant du chrome aux aciers peu carbures, on obtient un
métal facile à forger et à travailler. La limite élastique et la résistance
à la rupture de ce métal, après recuit, sont voisines de celles des
aciers à teneur moyenne en carbone; mais elles se relèvent notable-
ment par la trempe et le recuit au rouge sombre; l'allongement de
rupture prend alors une valeur moyenne et la striction reste fort
élevée. Quand la proportion de chrome atteint 30 ou 3o p. 100, le
métal accuse une extrême fragilité perpendiculairement au sens du
laminage, ce qui semble résulter d'une structure en aiguilles allon-
gées suivant la direction de l'étirage.
Depuis vingt ans, l'industrie emploie des aciers au chrome et au
carbone. Ils sont durs, tenaces; néanmoins leur allongement assez
fort permet de les utiliser dans les applications exigeant une haute
résistance au choc.
Une fois recuits, les aciers à faible teneur en tungstène ont des
propriétés analogues à celles des aciers d'une teneur moyenne en car-
bone; cependant leur limite élastique est plus élevée. La trempe à
l'eau et le recuit au rouge sombre relèvent leur résistance et leur limite
élastique, en même temps qu'ils leur laissent un allongement de rupture
SIDÉRURGIE. FER ET ACIER. 79
de 8 à là p. 100. Avec 6 p. loo de tungstène et lo p. loo de man-
ganèse, on obtient un acier dit ir^emal, dont la dureté s'intercale
entre celles du feldspath et du quartz.
Le molybdène produit des effets semblables à ceux du tungstène,
mais plus accentues. Après trempe et recuit, les aciers au molybdène
acquièrent une résistance k la rupture pouvant dépasser 170 kilo-
grammes par millimètre carré.
Vers la fin du siècle, les aciers au nickel sont franchement entrés
dans la période de production industrielle. L'étude de leurs propriétés
mécaniques reste pourtant incomplète. Une addition de nickel, jus-
qu'à 6 ou 7 p. 100, aux aciers peu carbures augmente leur résis-
tance à la rupture, relève surtout leur limite élastique et leur laisse
un allongement considérable; un refroidissement rapide à Tair les
rend très durs, difficiles à travailler, et ils ne reviennent à Tétat mal-
léable que par un recuit prolongé. Alliés à o.3 ou o.û p. 100 de
chrome, les mêmes aciers présentent, après recuit, les caractéristiques
suivantes: limite élastique, 4o à 45 kilogrammes; résistance à la
rupture, 55 à 65 kilogrammes; allongement, i5 à 18 p. 100. Entre
7 et 1 5 p. 100 de nickel, les meilleurs résultats sont obtenus avec
une très faible teneur en carbone et moyennant un recuit prolongé:
limite élastique, 75 kilogrammes; résistance à la rupture, 1 1 5 à 1 20
kilogrammes; allongement, 16 p. 100. Quand la proportion de
nickel atteint ou dépasse 16 p. 100 et celle du carbone o.k ou
0.5 p. 100, les propriétés éprouvent une modification profonde et se
rapprochent, notamment après la trempe à l'eau, de celles des aciers
à haute teneur en manganèse. Pour une teneur de 2 5 p. 100 en
nickel, on trouve: limite d'élasticité, 2 5 kilogrammes; résistance à la
rupture, 65 à 75 kilogrammes; allongement, 55 p. 100. Les alliages
riches sont dépourvus de dureté, à moins qu'ils ne contiennent un
autre corps exerçant par lui-même une action durcissante. Cinq à six
millièmes de chrome déterminent, après recuit, un durcissement re-
marquable et donnent une limite élastique de 90 kilogrammes, une
résistance à la rupture de 1 10 kilogrammes, un allongement de 10 à
i4 p. 100. Aujourd'hui, le métal à 20 ou 25 p. 100 de nickel, o.5 à
0.6 de chrome et 0.6 à 0.9 de manganèse est d'un usage fréquent
80
SIDÉRURGIE. FER ET ACIER.
pour les pièces mécaniques de grande résistance ; les aciers à s o ou
3 5 p. 100 de nickel et â ou 3 p. loo de chrome sont aussi employés
et se distinguent par leur allongement. Les propriétés mécaniques des
îiciers au nickel semblent liées à d'autres propriétés physiques anor-
males, telles que propriétés magnétiques différentes suivant les tem-
pératures, variations de volume, etc.
En 1900, la production dans les principaux pays a dépassé
8 millions de tonnes de fer et presque atteint 3 o millions de tonnes
d'acier. Les tonnages des deux métaux réunis sont:
Etats-Unis 1 9,8 1 7,000 tonnes.
Allemagne et Luxembourg 7,872,000
Grande-Bretagne et Irlande 6,981,000
France 1,985,000
Russie 1,877,000
Autriche-Hongrie 1, 33 1,000
Belgique 937,000
Suède 488,000
Italie 807,000
1 98,000
Les principales données relatives à la production et à la consom-
mation françaises depuis i83ooui8&o sont récapitulées ci-après :
FER.
PRODUCTION
PRODUO
PRIX MOYEN
IMPORTA-
EXl^OR-
CONSOM-
PÉRIODES
NOMBRE
EN M1LL1BB9
TION
de
TION
TATION
MATION
des
DE TO.NXKS
des
LA TOMlfE.
en
en
en
POCBS
■ ^— ^- ^
TÔLES
-^-^ —
MILLIEBS
MILLIEBS
MILLIERS
AlfUéBS.
X PODDLn.
aa
charbon
de bois.
toUle.
%}{ MILLIMS
de tonnes.
PSBS
marchands
spéciaux.
TétW.
de
T0!fMRS.
de
TOKNIS.
de
TONSKS.
francs.
francs.
1831-1840.
(') 236
io4
196
18
4ai
684
f
a
a
1841-1850.
w 370
97
303
3a
354
(») 591
#
a
a
1851-1860.
II
96
^79
64
34o
W 486
H
a
a
1861-1870.
1,069
7a
783
91
a4i
345
. a
a
M
1871-1880.
97»
48
807
126,5
243
35i
83
l42
798
1881-1890.
777
36
87a
139
171
a6i
118
168,5
849
1891-1900.
553
8
793
9a
169
ai6
i35
175
753
1900
463
6
708
67
aao
a59
23a
190
750
(') Moyenne d« s«pt ann^s
. — f'> Moyenne de sb
années. —
(>) Moyenne de hoit ani
lëes.
SIDERURGIE. FER ET ACIER.
81
AGIEA.
PÉRIODES
ou
1831-1840..
1841-1850..
1851-1860..
1861-1876..
1871-1880..
1881-1890..
1891-1900..
1900.......
PRODUCTION EN MILLIERS DE TONNES.
rmùti.
6
10
S3
35
»9
98
3o
0) 3o,5
9l3
A76
bit
703
3U
6
10
93
59,5
9^3
5o3
893
IMPORTA-
TION
on
MILLIKRS
de
Toimit.
f
a
a
7.8
93,6
i3,i
97
EXPORTA-
TION
en
IIILLIRR9
de
TOMHBt.
a
a
a
a
93,5
5o
5o,i
GONSOM.
MATION
en
MILUBIIS
de
TOHNBS.
a
a
a
Ê
99G
477
856
1,310
(') Moyenne de huit années.
RAILS.
PÉRIODES OU ANNÉES.
1842-1850...
1851-1860..
1861-1870..
1871-1880..
1881-1890..
1891-1900..
1900
PRODUCTION
EH MILLIERS DE TONNES.
43
ll5
195
9<5
9
a
a
a
a
99
173
973
3l3
378
43
ii5
S17
968
983
3l3
378
PRIX MOYEN
DE LA TONNE.
francs.
317
373
901
911
(O171
a
a
fr. c.
a
a
W 556 5o
960 00
i56 00
i43 00
180 00
Moyenne de cinq années. — (*) Moyenne de huit années.
De ces tableaux se dégagent les faits suivants: disparition du tra-
vail au charbon de bois; arrêt de la production du fer depuis une
trentaine d'années, par suite de la concurrence des aciers fondus sui-
vant les nouveaux procédés; réduction progressive des prix, avec
fluctuations correspondant à celles du prix des fontes ; énorme déve-
loppement de la production totale d acier, due tout entière aux con-
vertisseurs et aux fours Siemens -Martin; remplacement du fer par
lacier dans la fabrication des rails.
larSIHIMB lATlOIAU.
82 MÉTALLUUGIE. MÉTAUX AUTRES QUE LE FER.
Les principaux départements producteurs sont: pour le fer, ceux
du Nord (290,000 tonnes en 1900), des Ardennes (72,000), de
la Haute- Marne (63, 000), de Meurthe-et-Moselle (87,000); pour
les lingots d acier Bessemer et Martin , ceux -de Meurthe-et-Moselle
(587,000), du Nord (32/4,000), de Saône-et-Loire (126,000), de
la Loire (107,000), du Pas-de-Calais (97,000), de la Loire-Infé-
rieure (89,000), du Gard (68,000), des Landes (56, 000); pour
lacier ouvré, ceux de Meurthe-et-Moselle (271,000), du Nord
(2/10,000), de Saône-et-Loire (96,000), de la Loire (88,000), du
Pas-de-Calais (79,000), de la Loire-Inférieure (68,000), du Gard
(53,000).
3. Métallurgie des métaux autres que le fer. — En 1827,
Wôhler isolait, je lai déjà rappelé, Yaluminium sous forme d'une poudre
grise ou de petits globules, par la réaction du potassium sur le chlo-
rure d aluminium. A partir de i854, Sainte-Claire. Deville obtenait
des masses assez importantes de ce métal , en substituant au potassium
le sodium et au chlorure d aluminium le chlorure double d'aluminium
et de sodium; il régularisait la réaction au moyen dun fondant
spécial (la cryolithe), signalait la bauxite comme matière première et
donnait une formule pratique pour la fabrication de Talumine pure. Le
prix du kilogramme d'aluminium, qui était de 3 00 francs en 18 56,
descendit lentement jusqu'à 100 francs environ. Une réduction beau-
coup plus forte pouvait seule permettre le développement de la pro-
duction. Plusieurs inventeurs proposèrent, en 1880 et pendant les
années suivantes, divers procédés, les uns chimiques, les autres à la
fois chimiques et électroly tiques. Finalement, la méthode qui a pré-
valu et qui porte le nom de Héroult ou de Hall est basée sur l'élec-
trolyse au four de l'alumine dans un bain fondu de cryolithe, addi-
tionné, par exemple, de sel marin et de fluorure de calcium. La
composition de l'électrolyte doit lui assurer une fusibilité presque
égale à celle du métal et une densité un peu moindre. On introduit
dans le bain, par étapes successives, l'alumine pure et calcinée. Il y a
lieu de fondre d'abord le mélange dans une cuve spéciale et de séparer
une petite quantité d'aluminium concentrant toutes les impuretés du
MÉTALLURGIE. MÉTAUX AUTRES. QUE LE FER. 83
bain; le mélange fondu est ensuite transvase dans les cuves de la
série normale, et le métal, réuni au fond de ces cuves, s'extrait à
laide de cuillers.
L'alumine pure est tirée de la bauxite et généralement préparée
aujourd'hui par le procédé Bayer. Préalablement broyée et calcinée,
la bauxite subit l'attaque d'une solution de soude caustique dans des
lessiveurs chauffés extérieurement à la vapeur d'eau et pourvus d'agita-
teurs; il se forme de l'aluminate de soude, dont on précipite l'alu-
mine après fîltration; la présence de cristaux d'alumine hydratée fa-
vorise l'opération, qui est suivie d'une calcination.
On refond le métal brut, soit dans des creusets en graphite, soit
dans des fours à réverbère avec sole magnésienne. La coulée se fait
dans des moules en sable ou dans des lingotières en fonte; pour les
lingots destinés au laminage, ces lingotières sont enduites de gra-
phite ou de craie. Très accusée, la contraction du métal fondu atteint
â p. 100 en moyenne.
Le forgeage peut être effectué à froid ou mieux à chaud, vers la
température de carbonisation du bois dur. Ordinairement, le laminage
est exécuté à froid.
Un des principaux débouchés de l'aluminium est fourni par la sidé-
rurgie, qui emploie ce métal pour empêcher les soufflures de la fonte
ou de l'acier et qui absorbe presque la moitié de la production.
Bien qu'ayant une conductibilité inférieure à celle du cuivre, l'alu-
minium offre dans certains cas, par suite de son faible poids spéci-
fique, des avantages appréciables dans l'établissement des conducteurs
électriques isolés. Une difficulté sérieuse réside dans la soudure du
métal sur lui-même; M. Heraeus recommande de souder à basse tem-
pérature, beaucoup au-dessous du point de fusion, par simple mar-
telage ou compression.
La corrosion de l'aluminium par l'eau de mer a déçu les premières
espérances sur l'utilisation de ce métal pour la construction de ba-
teaux légers. Au contraire, l'automobilisme en développe l'emploi seus
forme de pièces moulées n'ayant à subir que des efforts mécaniques
restreints.
D'après les statistiques du Ministère des travaux publics, la pro-
G.
8& MÉTALLURGIE. MÉTAUX AUTRES QUE LE FER.
duction de 1900 a été de 3, s 63 tonnes aux Etats-Unis, de i,3oo
tonnes en Suisse, de 1,036 tonnes en France, de 669 tonnes en
Angleterre. Pendant la période 1871-1880, la production spéciale
de la France ne dépassait pas 1 tonne 3 ; elle est passée à 7 tonnes 2
pendant la période 1881-1890 et à 61/1 tonnes pendant la période
1891-1900.
La métallurgie de VanUmoine se subdivise en trois branches, qui ont
respectivement pour objet la production du sulfure liquaté, de loxyde
et du régule. De ces trois fabrications, les deux premières ne consti-
tuent souvent que les préliminaires de la troisième.
Autrefois, la concentration du sulfure d antimoine par liquation
était très répandue; ce mode de concentration n'est cependant appli-
cable quà des minerais tenant plus de âo p. 100; d autre part, une
certaine volatilisation se produit toujours au cours de la liquation,
et le chauffage en vase clos nécessaire pour atténuer cette volatili-
sation ainsi que pour éviter loxydation partielle du sulfure liquaté
entraîne de fortes dépenses.
La fabrication du. régule peut s'effectuer au moyen d'une préci-
pitation par le fer; elle exige une fusion au creuset ou sur sole. Ce
procédé ne convient qu'aux minerais riches d'une teneur de 3 p. 1 00 ,
si on opère au réverbère, ou de 5 o p. 100, si on opère au creuset.
Pour les minerais pauvres , plusieurs inventeurs avaient eu , dès 1 8 4 4,
l'idée d'obtenir directement l'oxyde d'antimoine en grillant le minerai
et en volatilisant le métal. Ce traitement est, aujourd'hui, réalisé sui-
vant diverses formules. Les fours employés de préférence sont des
fours à cuve, avec grille ordinaire ou grille à gradins, dans lesquels
on charge le minerai mélangé d'une proportion convenable de coke et
dont un ventilateur assure le tirage. Des chambres de condensation
reçoivent les gaz qui y déposent de l'oxyde d'antimoine plus ou moins
divisé. Sur les parois du carneau précédant les tubes de refroidissement
se forment des croûtes d'antimoniate d'antimoine qu'on réduit au
creuset ou sur sole, à l'aide de charbon de bois et avec un fondant
(carbonate de soude, chlorure de sodium, etc.).
La production française d'antimoine (régule, sulfure ou oxyde)
MÉTALLURGIE. MÉTAUX AUTRES QUE LE FER. 85
n'atteignait pas loo tonnes pendant la période 1879-1880; elle est
montée à 1,578 tonnes en 1900. Celle de quelques autres pays peut
être évaluée ainsi : Allemagne, 3, 160 tonnes; États-Unis, i,459;
Italie, 1,9 00; Autriche, 990; Japon, 3/io.
Il existe, pour l'extraction du cuivre y des procédés par voie humide
et des procédés par voie sèche. Parmi ces derniers, lancienne méthode
galloise fondée sur Temploi exclusif du four à réverbère n'est plus
guère appliquée dans sa pureté primitive; après avoir eu dans TÂri-
zona une importance considérable, lors des débuts de Imdustrie minière
et métallurgique en cette région de l'Amérique, la réduction des mine-
rais oxydés au four à cuve a décru rapidement; presque toutes les for-
mules en usage comportent un grillage , une fusion pour mattès au four
à cuve , un affinage et un raffinage opérés au réverbère sans interruption.
La transformation de la matte en cuivre présente d'ailleurs des variantes
nombreuses; elle peut s'effectuer, par exemple, au convertisseur. Un
appareil nouveau de ce genre, dû à M. P. David et dit sélecteur,
mérite d'être mentionné. Le sélecteur, de forme sphérique, offre, près
du gueulard, un renflement destiné à recueillir les parties les plus
denses du bain liquide et évacuaAt par un trou de coulée spécial la
fraction de la masse ainsi séparée. On oxyde d'abord la matte ; quand
l'éclaircissement de la flamme accuse l'achèvement de la conversion
en protosulfure, on élimine la scorie ferrugineuse, on continue le
soufflage pendant quelques minutes et on détermine une première
liquation de cuivre impur, contenant l'arsenic, l'antimoine, l'or et une
petite partie de l'argent. Ce cuivre impur est reçu dans la poche du
sélecteur et coulé. Le soufflage se continue ensuite jusqu'à ce que la
coloration rouge sombre de la flamme et les projections de globules
de cuivre indiquent le moment de la coulée définitive.
Presque partout aujourd'hui et principalement aux États-Unis, la
métallurgie recourt aux procédés électrolytiques pour séparer les mé-
taux précieux du cuivre brut.
Une innovation intéressante dans l'élaboration du cuivre est la
fabrication des tubes et corps creux suivant la méthode Ëlmore. Les
traits caractéristiques de cette méthode sont la précipitation éleclro-
86 MÉTALLURGIE. MÉTAUX AUTRES QUE LE FER.
lyliquo du cuivre sur des mandrins en fonte, ou mieux en paraffine
enduile de graphife, et la compression simultanée du dëpôtau moyen
de brunissoirs en agate presses par des ressorts. Des divergences
d appréciation subsistent au sujet de la rësistance du mëtat obtenu
par le procède Elmore.
Vers le commencement du siècle, la production annuelle du cuivre
dans le monde était de 9,000 tonnes seulement; elle a dépassé
5oo,ooo tonnes en 1900. Le prix de la tonne est descendu de
6,000 francs à une moyenne de i,3oo francs pendant la dernière
période décennale.
La production du monde en 1900 s'est répartie comme il suit :
Etals-Unis, 278,000 tonnes; Grande-Bretagne et Irlande, 61,600;
Espagne, 67,800; Allemagne, 3 1,000; Chili, 26,000; Japon,
25,700; Mexique, 22,600; Australasie, 20,200; Italie, 10,600;
Russie, 8,900; Canada, 8,600; France, 6,600; Bolivie, 2,100;
Norvège, i,3oo; Autriche-Hongrie, 1,060. Celle de la France a peu
varié depuis trente ans : de 1871 à 1880, 5, 800 tonnes; de 1881
à 1890, 3,100 tonnes; de 1891 à 1900, 6,000 tonnes.
Jamais la fabrication de Yetain n'a été très importante. Quelques
métallurgistes français en tirent une petite quantité de minerais étran-
gerspar un traitement et un raffinage au réverbère.
Les pays producteurs sont les Etats malais (63, 100 tonnes en
1900), les Indes néerlandaises (18,200), la Grande-Bretagne
(9,010), la Bolivie (6,800), TAustralasie (6,110), TAUemagne
(2,o3o).
Quoique assez répandu dans les roches de Técorce terrestre, le
mfrcure se présente souvent en un état de dissémination qui rend l'ex-
ploita tien fort difficile. Les minerais subissent un grillage, pour lequel
ou emploie des fours très divers : fours à moufles, fours coulants, fours
a réverbère, fours à cascades, etc. Après leur sortie du four, les gaz
sont refroidis dans des tuyaux, des serpentins et des chambres de
condensation où le métal se dépose.
En 1900, la production du mercure a été de 3, 600 tonnes environ:
MÉTALLURGIE. MÉTAUX AUTRES QUE LE FEU. 87
Espagne, 1,100 tonnes; Etats-Unis, 967; Autriche-Hongrie, 542 ;
Mexique, 353; Russie, 3o4; Italie, 260.
Deux régions fournissent seules les minerais de nickel : la Nouvelle-
Calëdonie et le Canada.
Les minerais nëo-calëdoniens, qui sont des minerais oxydés conte-
nant 7 à 8 p. 100 de nickel à Tétat sec, viennent se faire traiter en
Europe. Il faut d abord les fondre au four à cuve avec des matières
sulfurées, puis concentrer la matle au réverbère ou au converlisseur
pour obtenir du sulfure de nickel sensiblement pur, broyer le pro-
duit, le griller jusqu a élimination complète du soufre, enfin réduire
en vase clos à une température qui provoque l'agglomération du métal
en disques ou en grenailles.
Quant aux minerais canadiens, formés d'un mélange de pyrrhotite
nickélifère et de clialkopyrite, ils subissent, en partie au Canada et
en partie aux Etats-Unis, une longue séiîe d'opérations : grillage en
tas; fonte dans des water-jackets; concentration de la matte au
convertisseur pour éliminer presque entièrement le fer; passage de la
matte mixte au four à cuve avec du sulfate de sodium; coulée dans
des récipients coniques en fonte; démoulage des pains ; séparation de
la partie supérieure, riche en cuivre, et de la parlie inférieure, consti-
tuée surtout par du sulfure de nickel; concassage des deux produits;
lixiviation ; évaporation ; renvoi du résidu au traitement de la matte ;
grillage du sulfure de nickel ; purification de l'oxyde et réduction sous
forme de grenailles ou plaquettes. Le raffinage se fait par électrolys(*.
Pendant la période 1889-1900, la production totale du nickel s'est
élevée de 85o tonnes h plus de 7,000. Le Canada a fourni, en 1900,
3,200 tonnes; la France, 1,700 tonnes; l'Allemagne, 1,376 tonnes.
De 1881 à 1890, notre contingent annuel moyen ne dépassait pas
95 tonnes; de 1891 à 1900, il a atteint i,^48 tonnes.
Beaucoup de minéraux renferment du plomb. Mais le sulfure de
plomb ou galène et, dans une moindre proportion, le carbonate sont
seuls assez abondants pour servir de minerais.
On sait que les méthodes classiques de traitement des galènes
88 MÉTALLURGIE. MÉTAUX AUTRES QUE LE FER.
peuvent se ranger dans trois catégories : ia première, applicable aux
minerais riches , consiste à griller ces minerais dans des fours à réver-
bère jusqu'à ce qu'il se soit formé une certaine quantité d oxyde et de
sulfate, puis à donner un coup de feu et à déterminer une réaction
dégageant l'acide sulfureux et mettant le plomb en liberté; une seconde
méthode, appropriée aux minerais moins riches et moins purs, com-
porte le grillage intégral et la réduction par le charbon dans des
fourneaux h manche ou des demi-hauts fourneaux ; enfin la dernière
est celle de la fusion du minerai avec du fer, qui enlève le soufre,
forme un sulfure de fer fusible et libère le plomb.
Souvent, le plomb d'œuvre ainsi obtenu renferme assez d'argent
pour qu'il y ait intérêt à extraire ce métal précieux. L'extraction se
fait par le procédé de la coupellation, qui a pour base la propriété
du plomb de s'oxyder quand on le chauffe au contact de l'air, tandis
que l'argent ne s'oxyde pas et se concentre indéfiniment dans le plomb
resté à l'état métallique.
La coupellation directe ne peut être avantageuse que si les plombs
d'œuvre sont suffisamment riches. Dans le cas où la teneur en argent est
trop faible, il faut procéder à un enrichissement préalable, soit par
la méthode de cristallisation dite pattinsonage (i83â), soit par lezin-
gage dont l'idée première appartient à Karsten (iSiia). L'affinage par
cristallisation repose sur le principe suivant : quand une masse de
plomb argentifère fondu se refroidit lentement, les premiers cristaux
ne contiennent que du plomb à peu près pur; la proportion d argent
augmente ensuite progressivement; des opérations successives per-
mettent donc d'avoir du plomb de plus en plus riche. Dans le second
mode d'affinage, on ajoute un peu de zinc au bain de fusion, et ce
métal monte à la surface entraînant avec lui presque tout l'argent. Les
Américains ont mis à l'essai la désargentation du plomb par éioc-
trolyse.
Après le fer, c'est le plomb qui donne lieu à la plus grosse produc-
tion dans le monde, 860,000 tonnes environ en 1900: Etats-Unis,
2 5 0,0 00 tonnes; Espagne, 179,600; Allemagne, 12 1,800; Mexique,
84,700; Australasie, 67,000; Grande-Bretagne et Irlande, 42,000;
Canada, 29,000; Italie, 28,800; Belgique, 16,400; Grèce, 16,000;
MÉTALLURGIE. MÉTAUX AUTRES QUE LE FER. 89
France, i5,90o; Autriche -Hongrie, 19,700; Japon, 1,900; Suède,
1,49 4. Notre production annuelle moyenne a été de 7,100 tonnes
pendant la période 1871-1880, de 6,000 tonnes pendant la période
1881-1890 et de 10,000 tonnes pendant la période 1891-1900.
Deux minerais sont utilisés pour la production du zinc : le carbo-
nate ou calamine et le sulfure ou blende. Qu il s'agisse de calamine ou
de blende, un grillage préliminaire s'impose. Si le minerai est de la
blende, ce grillage peut se combiner avec la fabrication de lacide
sulfurique : on broie la matière et on la calcine, par exemple, dans
des fours à soles superposées, où elle chemine progressivement sou-
mise à Taction d^un courant inverse d air chaud; les gaz passent dans
des chambres, y déposent leurs poussières et vont à la tour de Glover,
puis aux chambres de plomb.
Une fois ramené à Tétai d oxyde, le minerai est mélangé avec du
charbon anthraciteux menu et subit une distillation réductrice en vase
clos. Ce procédé étant très onéreux, des tentatives ont été faites, mais
sans succès, pour opérer la réduction au four à cuve; on n obtient
ainsi qu une poussière de zinc partiellement oxydée, dont la transfor-
mation en lingots exige une seconde dijstillation. Les seuls progrès
récents sont des progrès de détail : fabrication mécanique des creusets
ou moufles et chauffage au gaz avec récupération plus ou moins com-
plète de la chaleur.
La production de 1900 dans le monde a été de 670,000 tonnes
environ : Allemagne, 1 5 6,0 00 tonnes; Belgique, 119,000; Etats-
Unis, 112,000; France, 3 6,3 00; Grande-Bretagne et Irlande,
94,900; Autriche-Hongrie, 6,700; Russie, 5,900; Espagne, 5, 600.
Nos usines ont fourni une moyenne annuelle de 19,160 tonnes pen-
dant la période 1871-1880, de 17,900 tonnes pendant la période
1881-1890, de 99,800 tonnes pendant la période 1891-1900.
A propos de la sidérurgie, j ai déjà cité des exemples nombreux
d'associations de métaux. De tout temps, on a pratiqué des associations
de cette nature pour produire des alliages doués de qualités spéciales.
C'est ainsi que les anciens obtenaient du bronze en alliant le cuivre à
90 MÉTALLURGIE. MÉTAUX AUTRES QUE LE FER.
l'élain. Bien avant la découverte du zinc métallique, la calamine était
mélangée au cuivre rouge fondu, avec addition de charbon, et ce
mélange donnait du laiton. L'alliage du cuivre, du zinc et du nickel
fournit le maillechort; celui du cuivre et du nickel, la silvérine; celui
du cuivre et du cobalt, un produit analogue. Uni k laluminium, le
cuivre procure des bronzes d'aluminium d'une ténacité, dune ducti-
lité et d'une malléabilité remarquables ; Taddition de zinc à ces bronzes
conduit aux laitons d'aluminium, dotés également d'intéressantes pro-
priétés. Le bronze phosphoreux, dur et tenace, a trouvé des emplois
dans la fabrication des pièces mécaniques; sa dureté et son élasticité
augmentent considérablement sous l'action de l'écrouissage; d'heu-
reuses applications en ont été faites aux fils télégraphiques et télé-
phoniques. Au lieu du phosphore, on peut unir le silicium au bronze et
avoir des bronzes silicieux propres à certains usages. Certains alliages
de cuivre et de manganèse , introduit sous forme de ferro-manganèse,
se distinguent par leur haute résistance. Le métal Borna et le métal
Delta ont eu leur célébrité : le premier est un bronze phospho-man-
ganésé, ductile, malléable à chaud et à froid, inoxydable, ne prenant
pas la trempe et atteignant la résistance de l'acier; quant au second,
il résulte de la combinaison du cuivre avec un alliage de zinc et de
fer, offre une belle couleur jaune d'or, est aussi peu oxydable que le
bronze phosphoreux, se travaille aisément à froid et à chaud, résiste à
la corrosion dans les eaux sulfureuses et acides.
Cette liste pourrait être singulièrement allongée. Elle suffît à éta-
blir la variété des ressources que l'union des métaux usuels entre eux
ou parfois avec un métalloïde est susceptible d'apporter à l'industrie.
Celle-ci dispose aujourd'hui de toute une série de corps complexes
dont elle règle à volonté les éléments et les propriétés spéciales.
Les minerais d'or sont peu nombreux. Ils consistent surtout en or
natif et en tellurures. Parmi les divers procédés de traitement, on
distingue les procédés de voie sèche et les procédés de voie humide,
qui, d'ailleurs, peuvent se combiner. Le rôle principal appartient tou-
jours à l'amalgamation^ à la chloruration pour les concentrés et les
matières exceptionnellement riches , enfin à la cyanuration pour les
MÉTALLURGIE. MÉTAUX AUTRES QUE LE FER. 91
minerais pauvres ou s'amalgamant mal. En nombre de cas, 1 or natif
est uni à l'argent , ce qui complique les opérations.
Ne pouvant passer en revue toutes les méthodes, je me borne à
quelques exemples.
Le plus souvent aujourd'hui, on procède par amalgamation directe
dans les sluices pour les alluvions, dans les mortiers des bocards pour
les minerais de filons. Quand ce dernier procédé est mis en œuvre,
les résidus sont soumis à la coupellation.
Dans le cas de filons contenant avec lor d'autres métaux, le minerai
est fréquemment traité pour l'obtention de ces derniers métaux, où
lor se concentre. Les minerais de plomb donnent un plomb d'œuvre,
dont on extrait par coupellation Tor allié à l'argent; les mattes cui-
vreuses se traitent par voie humide ou les cuivres bruts subissent
félectrolyse.
À l'Exposition universelle de 1900 figurait un spécimen des exploi-
tations du Transvaal et spécialement du procédé de cyanuralion. Les
opérations se succèdent ainsi : triage du minerai brut et enlèvement
de la partie stérile; broyage du minerai utile et amalgamation; à
la suite de cette première extraction, reprise du minerai, concentra-
tion au moyen de la table à secousses, séparation par les Spitz kasten
(appareils hydrauliques) des tailings, ou éléments granuleux et po-
reux, et des slimes ou argiles; cyanîiration des concentrés, des tai-
lings et des slimes; filtration des tailings; agitation et décantation des
slimes; précipitation par le zinc découpé en fils fins et additionné de
plomb pour les slimes; traitement par l'acide sulfurique et fonte de
l'or. Une variante des deux dernières manipulations, due à Siemens
et Halske, est la précipitation électrolytique sur le plomb, suivie de
la fonte et de la coupellation.
Lorsque l'or et l'argent sont unis , on peut les séparer par l'acide
sulfurique concentré et chaud qui ne dissout que l'argent. Un dé-
pôt contenant la plus grande partie de l'or se forme au fond de la
chaudière. La liqueur décantée passe dans des chaudières en plomb
renfermant les eaux mères de purification du sulfate de cuivre par
.cristallisation et chauffées à la vapeur, où a lieu un dépôt d'or com-
plémentaire. Une nouvelle décantation a lieu et la liqueur claire va
9J OUTILLAGE DE LA GROSSE MÉTALLURGIE.
h d'autres chaudières dans lesquelles des lames de cuivre précipitent
1 argent; ce mëtal est comprimé et fondu. Lor provenant de la pre-
mière attaque par l'acide sulfurique retient un peu d'argent; on le
chauffe dans une chaudière en platine avec de l'acide sulfurique qui
achève la séparation. La poudre d'or subit enfin un lavage et une
fusion.
Ces exemples suffisent à montrer la complexité des méthodes de
traitement et à faire comprendre l'étendue des recherches auxquelles
elles ont dû donner lieu pendant le cours du xix'' siècle.
Parmi les minerais d'argent, les plus connus sont le sulfure d'argent
pur ou combiné avec des sulfures d'arsenic et d'antimoine, le chlo-
rure, le bromure, les galènes, les blendes, les minerais cuivreux con-
tenant de l'argent disséminé, l'argent natif.
Les minerais pauvres en plomb ou en cuivre peuvent, soit après
un bocardage, soit après un grillage si cela est nécessaire, subir
Tamalgamation. la chloruration ou la lixiviation aux hyposulfiles. Ce
dernier procédé se répand aujourd'hui et tend à remplacer les an- .
ciennes formules d'amalgamation.
Quand les minerais sont riches en plomb ou en cuivre, on les traite
pour l'obtention de ces métaux communs et on a, suivant les cas, du
plomb d'œuvre, du cuivre brut, des mattes cuivreuses, auxquels
s'appliquent la liquation, l'amalgamation, l'électrolyse, etc.
L'affinage de l'argent impur peut s'effectuer par la fonte dans un
courant d'air qui oxyde les métaux étrangers.
4. Outillage de la grosse métallurgie. — L'outillage général de
la grosse métallurgie se compose d'engins, de machines et d'appareils
très variés. Des indications précises sur l'état actuel de cet outillage
ont été consignées par M. Lodin dans son savant rapport relatif à
l'Exposition universelle de 1900, rapport auquel j'ai déjà fait de
nombreux emprunts. Quelques points spéciaux doivent seuls nous
arrêter ici.
Souvent aujourd'hui, les chaudières sont chauffées par le gaz des^
hauts fourneaux; il importe alors de prendre les dispositions voulues
OUTILLAGE DE LA GROSSE METALLURGIE. 93
pour lé nettoyage facile des carneaux. Dans d'autres cas, les mêlai-
lurgistes ont recours aux flammes perdues de fours à coke ou de
foyers métallurgiques : Tessentiel est de réduire au minimum les dan-
gers auxquels serait éventuellement exposé le personnel de Tusine;
on y arrivé avec les chaudières aquatubulaires à petits éléments.
Pendant longtemps, les cisailles furent exclusivement actionnées
à laide de transmissions rigides, qui donnaient lieu à des ruptures
fréquentes; la variation de la course s'obtenait difficilement et le gui-
dage était compliqué. Depuis i855, les constructeurs ont fait pré-
valoir la commande par un piston hydraulique, qui reçoit lui-même le
mouvement d'un piston différentiel à vapeur.
Un progrès de la dernière période décennale du siècle est l'in-
troduction des appareils électriques de manutention , notamment des
ponts roulants qui se généralisent pour la manœuvre des lingots, des
grosses pièces et des poches de coulée.
L'industrie des produits réfractaires se lie intimement à l'industrie
métallurgique : sans les briques de silice fournissant des voûtes ca- •
pables de résister aux très hautes températures, les fours à récupé-
ration n'eussent pas pris le développement constaté depuis quarante
ans; la déphosphoration de la fonte n'est devenue pratique que grâce
à la préparation des revêtements basiques dans des conditions de prix
abordables. Aujourd'hui encore, les produits réfractaires sont cuits le
plus souvent au moyen de fours à chauffage intermittent : le chauffage
continu avec récupération de chaleur soulève des difficultés, en raison
des risques que l'introduction directe du combustible pulvérulent ferait
courir au point de vue de la qualité des produits; si la gazéification
du combustible permet d'éviter cet inconvénient, elle a le défaut de
compliquer les installations. La fabrication des briques de silice, bien
que remontant au commencement du siècle et n'ayant pas varié dans
son principe, a été largement perfectionnée : un silicate très acide sert
à agglomérer les grains de silice; les briques subissent une compres-
sion énergique et une cuisson à température élevée. Malgré l'essor de
la production des briques de silice, les pâtes silico-alumineuses con-
servent la prépondérance avec une composition qui se diversifie selon
la destination des produits; la proportion de silice doit être faible pour
94 PETITE MÉTALLURGIE.
les briques ayant à subir l'action corrosive des laitiers basiques. Cer-
tains creusets servant à la fusion du cuivre , du laiton et des métaux
précieux sont établis en pâte graphiteuse. Les produits réfractaires
basiques peuvent être à base dolomitique ou à base magnésienne;
entre autres avantages, la magnésie a celui de donner plus facilement
des briques régulières et de se prêter à des formes relativement com-
pliquées, en même temps qu'elle résiste mieux à Fair et ne fond pas,
même à haute température, au contact des revêtements siliceux; la
dolomie ou le carbonate de magnésie sont calcinés, broyés, agglomé-
rés par une matière plastique et cuits; on emploie comme agglomérant
du goudron déshydraté ou, pour la magnésie, une pâte de même
matière faiblement calcinée et broyée avec de l'eau.
6. Petite métallurgie. — La petite métallurgie comprend tout un
ensemble d'industries transformant les métaux usuels en objets manu-
facturés pour les besoins de la mécanique, de la construction, de
l'économie domestique. Elle a réalisé, au cours du siècle, d'immenses
progrès, notamment par les modifications successives de son outillage
en vue d'une production plus intense et moins coûteuse.
Une des branches importantes est la fonderie (fonte de deuxième
fusion, fonte malléable, acier coulé, bronze, zinc, étain). Longtemps
immuable dans ses procédés, la fonderie a récemment fait de vigou-
reux efforts en vue du moulage mécanique. Peu à peu, l'emploi de la
fonte malléable s'est généralisé : on obtient cette fonte en décarburant
plus ou moins les objets de fonte moulée par un chauffage en vase clos
au contact d'un mélange de sable et de minerai de fer non hydraté;
des matières propres à atténuer l'action oxydante du minerai sont
ajoutées au mélange. Les usages des pièces en acier coulé ont éga-
lement pris beaucoup d'extension, grâce à la résistance de ce métal et
aux réductions de poids qu'il procure.
De nombreux objets en fonte reçoivent un revêtement en émail
céramique ou sont nickelés par électrolyse. Le mode ancien d'émail-
lage présentait de graves dangers pour la santé des ouvriers : M. A. Dor-
moy est parvenu à empêcher la diffusion des poussières d'émail dans
l'air ambiant, en effectuant l'émaillage à l'intérieur d'une cage her-
PETITE MÉTALLURGIE. 95
inétique; un plateau tournant et oscillant, manœuvré du dehors, porte
les produits à émailler.
Autrefois, les pièces de forge se fabriquaient toutes à la main. Le tra-
vail mécanique a remplacé, dans une large mesure, le travail manuel
et apporté avec lui ses avantages de précision en même temps que
d'économie. Parallèlement à cette évolution, avait lieu la substitution
progressive de lacier au fer.
Parmi les produits venus de forge se rangent les boulons et les vis.
La boulonnerie n existe guère que depuis le commencement du siècle,
et, à cette époque, elle se trouvait entre les mains d'ouvriers travaillant
chez eux pour le compte de patrons; ses progrès se sont accusés après
1 8 7 o ; les foyers principaux de production en France sont les Ardennes ,
le Nord, la Loire et la région du centre. Belfort et ses environs mono-
polisent en quelque sorte la visserie, surtout pour les vis à bois.
Au nombre des industries tributaires de la forge figure aussi celle
des chaînes y centralisée dans le Nord et la Loire. Souvent aujourd'hui,
les chaînes se composent de maillons sans soudure alternant avec des
maillons soudés; cette disposition offre le mérite de restreindre les
points dangereux. Les procédés de soudure électrique ont fait leur
apparition pour les petites chaînes.
La substitution de lacier doux au fer fin et la création d'alliages
ferro-métalliques dont la résistance atteint 3oo kilogrammes par mil-
limètre carré ont puissamment contribué à l'amélioration de la tréji-
lerle. Cette amélioration s'est répercutée sur les industries filiales de
la clouterie et de la poinlerie. Actuellement, la fabrication des clous et
des pointes dites de Paris, en Allemagne et aux Etats-Unis, constitue
presque un monopole entre les mains de syndicats. Il ne sera pas in-
utile de rappeler que, jadis, la Norvège défiait la concurrence pour
les clous blancs forgés, servant à la ferrure des chevaux, mais que
la situation a été modifiée par l'introduction des aciers extra-doux
susceptibles de rivaliser avec les meilleurs fers de Suède.
Chaque jour, 1^ câbles métalliques de traction étendent leur do-
maine. A résistance égale, leur poids et leur volume sont sensiblement
moindres que ceux des câbles textiles; ils ne se détériorent pas sous
l'influence des phénomè.nes atmosphériques et ont d'ailleurs la sou-
96 PETITE METALLURGIE.
plesse voulue. On est arrivé à faire des câbles d'une très grande sécu-
rité, par exemple en emboîtant les fils d'acier de telle sorte qu'ils ne
puissent s'échapper dans le cas de rupture partielle.
Les grillages absorbent des quantités considérables de fils à fin
numéro. Ils sont, au besoin, ondulés mécaniquement et appropriés
ainsi à la clôture des parcs ou jardins.
J'ai, précédemment, signalé le métal (Ipployé, Ce produit se fait à la
machine Golding, au moyen de tôles en acier doux Martin-Siemens
décapées, recuites, planées et coupées d'équerre.
Longtemps , la fabrication des aiguilles fut exclusivement anglaise ;
elle était localisée autour de Redditch, près de Scheffield, où les ou-
vriers possédaient par atavisme une extraordinaire habileté pour un
travail ne comportant pas moins de trente opérations successives. Cette
habileté a cessé d'être un facteur indispensable depuis les progrès de
la mécanique de précision. Aussi la production s'est-elle implantée
en France.
H y eut un temps où la laillandene se cantonnait par catégories
dans certaines régions privilégiées au point de vue de la matière pre-
mière. Les progrès de la grosse métallurgie et de l'outillage industriel
ont modifié cette situation. Des différentes spécialités, l'une des plus
intéressantes est celle des/aiu?, bien que l'emploi des faucheuses mé-
caniques lui ait enlevé une partie de son importance. Les faux fran-
çaises se font en acier fondu au creuset, à la fois résistant et souple,
prenant bien la trempe et revenant au recuit sans s'amollir. Si simple
qu'elle soit en apparence, leur préparation est compliquée et demande
beaucoup de main-d'œuvre : il faut d'abord couper les barres laminées
en barrettes d'un poids correspondant à celui de l'outil, puis étirer ces
barrettes au martinet et en faire des ébauches (couteaux) amincies en
biseau à l'une de leurs extrémités et repliées à l'autre extrémité, sou-
mettre les ébauches au platinage qui donne à la faux sa courbure et
l'étiré transversalement, procéder ensuite au planage, à la trempe,
au recuit, au releyage, à l'aiguisage et au finissage. Des tentatives
ayant pour objet l'étirage et le platinage mécaniques ont échoué.
Comme la fabrication des faux, celle des limes constitue une spé-
cialité exigeant des ouvriers habiles et exercés; la matière première
PETITE MÉTALLURGIE. 97
doit être de qualité exceptionnelle et offrir à Tusure le maximum de
résistance. L'emploi de plus en plus fréquent de la meule à émeri
et la précision croissante des machines-outils ont réduit le rôle de la
lime; cependant lusage de cet instrument continue à s'imposer en
nombre de cas. Entre autres progrès récents, on peut citer la mise
en œuvre d'aciers spéciaux très durs et très résistants , la substitution
du forgeage mécanique des ébauches au forgeage à la main, la propa-
gation des machines à tailler, enfin d'heureuses modifications dans la
trempe et le recuit.
Très accusés dans leur ensemble, les perfectionnements de Isi quin-
caillerie eUàe la serrurerie ne'présentent pourtant aucun fait saillant
sur lequel il soit nécessaire d'insister ici.
A l'origine, les coffres-forts étaient de robustes armoires en chêne
recouvertes de tôle. Puis vint un type composé d'une cage et d'un bâti
en fer, avec revêtement en tôle rivée. Dès 1 844, la France construisit
des coffres-forts d'une seule pièce au moyen de tôles repliées quatre
fois à angle droit. Les modèles actuels, capables de résister à l'in-
cendie, comportent presque tous deux caisses s'emboîtant l'une dans
l'autre et séparées par une substance mauvaise conductrice de la cha-
leur; ils sont fermés par une porte à double feuille de tôle, avec inter-
position d'une matière réfractaire. Il existe d'excellentes combinaisons
de serrures à quatre jeux de chiffres invisibles. Parfois, on garnit les
serrures de pênes diagonales condamnés par un chronomètre à mou-
vement automatique; mais alors le dérangement du chronomètre,
celui de la combinaison, un oubli des chiffres ou la mort de celui qui
les a composés exposent à de graves embarras.
Les fermetures métalliques pour baies ne datent que d'une quaran-
taine d'années; elles se sont rapidement généralisées. Toute l'ingé-
niosité des constructeurs a tendu à en simplifier la manœuvre, par
exemple en recourant à des servo-moteurs hydro-électriques.
Pour la petite chaudronnerie ^ comme pour les autres fabrications
que nous venons de passer en revue, le développement de l'outillage
mécanique a exercé son influence bienfaisante sur l'activité de la pro-
duction, sur le fini des objets et sur leur prix.
Stationnaire jusqu'au milieu du xi\* siècle, la robinetterie a été ré-
/
mrUlIKftll RâTIOXâLK.
98 PETITE MÉTALLURGIE.
volutionnée par Femploi des fluides sous pression. Les qualités maî-
tresses des modèles actuels sont la stabilité de la clef, Tétanchéité et,
s'il y a lieu, Tautomaticité de la fermeture.
La fonderie de cloches a participé au progrès général. Parmi les
cloches de construction récente, Tune des plus réputées, la Savoyarde,
pèse près de 1 9 tonnes.
C'est en 181 5 qu'a pris naissance Vd ferblanterie proprement dite.
Son domaine était alors limité au fer-blanc. Aujourd'hui, la dénomi-
nation s'applique à une industrie produisant des objets très variés pour
l'économie domestique , pour la conservation des denrées et des liquides,
pour des usages industriels, et travaiHant beaucoup de métaux ou
d'alliages. La fabrication se fait par des moyens presque exclusivement
mécaniques; les progrès de l'outillage ont permis de diminuer les
prix, tout en conditionnant mieux les articles. Souvent, la même ma-
chine effectue le découpage, l'emboutissage, l'estampage et le perçage;
parfois, elle y ajoute l'agrafage et la soudure. La presse a pris la place
du balancier. Aux métaux fondus et étirés se sont substitués les métaux
emboutis. De nombreux ustensiles reçoivent un émaillage, dans un
double but de décoration et de préservation; les objets émaillés sont
plus faciles à entretenir que les objets étamés, résistent à l'attaque des
substances acides et à l'action des hautes températures, présentent un
aspect agréable; mais il faut que l'émail soit d'excellente qualité et ne
se désagrège pas.
Une industrie fort ancienne, celle de la poterie d'étain, a eu son
heure de célébrité, alors qu'elle fournissait seule la vaisselle de table
et les couverts. La mode y revient, mais surtout au point de vue artis-
tique et décoratif. Elle reçoit d'ailleurs encore quelques applications
dans l'économie domestique , dans la limonaderie , etc.
À la petite métallurgie se rattachent l'affinage des métaux précieux,
le battage et le broyage de l'or, le laminage et le battage du platine
et de l'aluminium, la fabrication des capsules métalliques pour le
bouchage des bouteilles. Je n'insisterai que sur le battage de Vor, à
titre d'exemple. Ce travail s'exécute à la main, au moyen de lingots
laminés en lames minces et divisés en petites plaquettes. 11 comporte
trois séries d'opérations : deux de dégrossissage au caucher (sac en
PETITE MÉTALLURGIE. 99
parchemin) et au chaudret (sac en baudruche ou boyau de bœuf);
une de finissage à la moule (sac également en baudruche ou boyau
de bœuf). Un lingot de a2oà24o grammes est ainsi divisé en
5,000 feuilles.
Beaucoup d'autres produits, plumes et porte-plume, œillets métal-
liques, meubles et lits en fer, serrurerie et ferronnerie d'art, etc.,
pourraient être encore cités comme relevant de la petite métallurgie.
Mais les courtes indications qui précèdent suffisent à montrer les pro-
grès caractéristiques du siècle. Ces progrès sont dus pour une large
part à l'intervention de machines-outils ingénieuses et à la transfor-
mation de la matière première. L'évolution est loin d'avoir pris fin.
CHAPITRE XIV.
INDUSTRIES DE LA DÉCORATION ET DU MOBILIER.
CHAUFFAGE ET VENTILATION. ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE.
S 1. DÉCORATION ET MOBILIER
DES ÉDIFICES PUBLICS ET DES HABITATIONS.
La décoration et le mobilier des édifices publics et des habitations
ont fait précédemment lobjet d une étude assez complète au point de
vue artistique. Ce chapitre sera donc strictement limité à une revue
sommaire du matériel, des procédés d'exécution, des faits industriels
et commerciaux.
1. Décoration fixe. — Presque toutes les indications que pourraient
appeler les matériaux mis en œuvre pour la décoration fixe ou leur
mode de travail et d'emploi avaient, à d'autres titres, leur place
marquée ailleurs, notamment dans la partie consacrée au génie civil.
Il ne me reste à aborder ici qu'un petit nombre de questions spéciales.
Dès l'antiquité , le remplacement économique du marbre a provoqué
de nombreuses recherches. Ces recherches ont abouti à l'invention du
stuc. Ordinairement, on prépare le stuc en gâchant le plâtre fin avec
un liant comme la gélatine, en le colorant dans la niasse et en le polis-
sant. Il peut également être obtenu au moyen de marbre pulvérisé et
de chaux. Enfin, de nos jours, certains simili-marbres sont faits de
matières siliceuses et non calcaires, ce qui les rend inattaquables par
les acides ordinaires. Un avantage du stuc est de se prêter au moulage.
Au commencement du xix® siècle, les moulages en plâtre jouaient
un grand rôle dans l'ornementation généralement peu saillante des
édifices. En 1817, Méziers tenta de répandre l'usage du carton-pierre;
plus tard, la composition de la matière reçut d'heureuses modifica-
tions. Vers i85o, surgit une innovation importante, fournissant de
grands moulages en plâtre, minces, légers et solides : le procédé
102 VITRAUX.
consistait à utiliser la gëlatine pour les moules et à doubler de toile
le plâtre moulé. Les pièces sans couture ainsi réalisées offraient une
finesse d'exécution très supérieure à celle du carton-pierre et se scel-
laient facilement au plâtre, alors que le carton, se déformant sous
Faction de Thumidité du scellement, devait être cloué. Telle fut lori-
gine du staff, auquel les architectes eurent immédiatement recours
pour établir de vastes ensembles d'entablements, d'acrotères, etc., et
les accrocher à des carcasses métalliques; jamais encore, ils n'avaient
disposé de moyens d'une pareille élasticité. Depuis, les spécialistes,
obéissant à des vues d'économie, ont supprimé la doublure de toile en
mélangeant de la filasse de chanvre au plâtre.
2. Vitraux. — Les matières premières utilisées pour le vitrail sont
le verre coloré en masse ou plaqué , la grisaille , l'émail , l'acide fluor-
hydrique, le plomb, l'étain.
Au commencement du xix* siècle, la décadence du vitrail était
telle qu'on avait oublié jusqu'à la technique de fabrication des verres
colorés. Vers i8â5, le chimiste Bontemps reprit cette fabrication à
Choisy-le-Roy; plus tard, une autre usine s'ouvrit à Saint-Just-sur-
Loire. Mais c'est à MM. Appert qu'appartient vraiment le mérite de la
reconstitution si longtemps cherchée. Les verres des anciens se carac-
térisaient par la présence constante de l'alumine et des oxydes de fer.
Depuis la fin du xiv* siècle jusqu'au xvii% ils comportaient, pour la
plupart, des couches de teintes différentes soudées entre elles ou plu-
tôt plaquées les unes sur les autres au moment de leur fabrication
en manchon ou en plateau. Leur intérêt résidait moins dans la facilité
de dégagement de la couche inférieure par un travail de gravure,
alors rarement pratiqué, que dans la dégradation des tons et la déli-
catesse surprenante des teintes. Ils donnaient lieu à des effets de
réfraction tout différents de ceux des verres d'une seule couche cl
d'une teinte uniforme.
En traitant de l'art décoratif appliqué aux vitraux, j'ai cité les verres
américains si curieux par leur demi-transparence, leurs nuances indé-
cises et troubles, leur coloration diffuse, leurs rugosités, etc. Recou-
rant à des procédés de moulage ou de martelage des verres coulés et
VITRAUX. 103
multipliant les variétés de verres opalins, irisés ou jaspés, MM. Appert
nous ont dotés de produits non seulement analogues, mais encore
supérieurs par la mesure et la pondération des effets : en France, la
qualité essentielle reste k transparence et, si séduisants que soient
les verres simulant des agates ou des marbres, leur opacité en limile
remploi.
Aujourd'hui, les peintres verriers disposent de ressources plus
abondantes que leurs devanciers, peut-être même de ressources exces-
sives : les verrières des premiers temps, d'une intensité de couleur et
d'un éclat si merveilleux, étaient faites avec une gamme de tons des
plus restreintes.
Les fours actuels sont des fours à gaz, fours Siemens ou autres, et
le soufflage se fait par des méthodes perfectionnées, sans intervention
du souffle humain.
11 importe que le peintre verrier ait d'avance une réserve de verres
nuancés pouvant se prêter aux harmonies de sa composition. Ajourner
les commandes à l'époque de l'exécution serait courir le risque de
longs retards et parfois de graves mécomptes.
L'artiste gagne à préparer lui-même ses grisailles, dont le ton dé-
pend du choix de l'oxyde de fer ainsi que de la division déterminée
par le broyage. Il doit aussi savoir faire ses couleurs vitriGables, qui,
d'ailleurs, ne conviennent guère qu'aux vitraux de petites dimensions,
vus à faible distance.
Remplaçant la gravure au louret, l'action de lacide fluorhydrique
permet de changer partiellement la coloration d'une pièce par le déga-
gement de la couche inférieure des verres plaqués.
La création d'un vitrail comporte une série d'opérations successives :
composition, prévoyant avec soin les harmonies colorées qui résulteront
du passage de la lumière; calque des traits représentant le réseau de
plomb, report sur papier fort, découpage du papier suivant le contour
des pièces qui composeront le vitrail, emploi des patrons ainsi obtenus
pour couper au diamant les morceaux de verre coloré; montage en
plomb provisoire et changement des pièces qui accuseraient un défaut
d'harmonie; exécution en grisaille du trait décalqué sur le carton et
des ombres ou des modelés; démontage et passage au feu, à 6 5o ou
104 PAPIERS PEINTS.
700 dejjrës, pour assurer ladhérence de la grisaille au verre; remon-
tage en plomb.
3. Papiers peints. — Presque toutes les sortes de papiers peints
comportent une teinte plate de fond ; l'application de cette couche
porte le nom àefonçage. Autrefois, le fonçage s exécutait à la main, au
moyen de brosses. Cette main-d'œuvre pénible peut être remplacée
aujourd'hui par le travail automatique d'une machine : le papier cir-
cule dans un appareil à cylindres et reçoit la couleur d'un rouleau
fournisseur; de grandes brosses, animées d'un mouvement épicycloï-
dal assez rapide, étalent la matière colorante et uniformisent la teinte.
Ainsi recouvert de la teinte plate du fond, le papier est soumis à
l'impression. On imprime soit à h planche, soit au cylindre.
Dans le premier cas, on se sert de planches et de baquets analogues
à ceux des imprimeurs sur étoffes. Les planches sont vigoureusement
pressées à l'aide d'un levier.
Quant au second procédé, maintenant très répandu, il offre la plus
grande similitude avec l'impression au rouleau des étoffes. Mais les
cylindres sont généralement gravés en relief; la couleur est répartie
à leur surface par un drap sans fin , convenablement tendu et plon-
geant en partie dans la cuve alimentaire. Un gros cylindre couvert de.
molleton presse le papier contre les cylindres imprimeurs. Isidore Leroy
est le premier qui ait, à Paris, employé des machines de ce genre
fonctionnant dans des conditions industrielles et d'une manière très
satisfaisante (iSiâ); afin d'éviter les marbrures dans les larges sur-
faces, il eut recours à un châssis armé de petites brosses qui corres-
pondaient aux parties saillantes du cylindre imprimeur, rencontraient
le papier après l'action de ce cylindre et assuraient l'uniformité de
la teinte.
Pour l'application simultanée des couleurs différentes, on a des
machines formées d'un gros tambour central, sur lequel circule le
papier, et d'une série de cylindres imprimeurs répartis autour de
ce tambour; chaque cylindre dépose une couleur.
L'emploi des rouleaux gravés en creux peut convenir pour quelques
genres de papier peint, peu chargés eh couleur.
PAPIERS PEINTS. 105
Des machines spéciales ont été imaginées pour les papiers rayés.
Leur organe essentiel est un petit réservoir composé d'autant de com-
partiments qu'on veut faire de bandes; percés d'ouvertures régulières,
les compartiments représentent une série de tire-lignes, au-dessous
desquels passe le papier.
A peine est-il besoin de dire que, si la machine a pu étendre son
domaine, le mérite en revient pour une large part à Robert, l'inven-
teur de la fabrication du papier sans fin. Le clichage est également
un auxiliaire très utile. De nos jours, les machines sont ordinairement
mues à la vapeur.
Les rouleaux peints doivent être séchés sur des tringles et sur des
baguettes. Il existe des appareils qui accrochent le papier aux baguettes
et le promènent jusqu'à ce qu'il puisse être roulé par longueurs de
8 mètres, après avoir été préalablement abattu et coupé.
Quand le papier doit être satiné ou glacé, le lissage a lieu, soit au
moyen d'une pierre à lisser ou d'un petit cylindre qu'on fait circuler
sur l'envers, soit au moyen d'une machine à brosses cylindriques,
appelée saltnetise, soit encore avec une brosse plate manœuvrée à la
main.
Parmi les papiers de luxe, je citerai notamment les papiers veloutés,
les papiers gaufrés. Le veloutage s'obtient en fixant, par des mouve-
ments de trépidation, de la tontisse de laine sur une couche d'huile
cuite. Quant au gaufrage, qui imite si heureusement les cuirs de
Cordoue, il se réalise à l'aide de cylindres repousseurs, portant, l'un
en creux, l'autre en relief, le dessin voulu; quelquefois, le rouleau
creux, en même temps qu'il joue le rôle de matrice, applique une
seconde teinte accusant davantage les saillies.
Sous le bénéfice de ces indications préliminaires, passons rapide-
ment en revue les étapes successivement franchies par le travail du
papier peint, au cours du xix* siècle.
Jusqu'en 1827, l'impression s'est faite exclusivement à la planche
plane (bloc de bois gravé en relief), que l'ouvrier appliquait à la
main sur des feuilles collées les unes au bout des autres; un repérage
à pointes assurait la correction des raccords. M. Follot cite un très
106 PAPIERS PEINTS.
beau dëcor (Psyché et Cupidon), exécuté de cette maDière en 181/1
par des artistes français et pour lequel il avait fallu graver plus de
1,5 00 planches. La France jouissait d ailleurs dune primauté incon-
testée; elle comptait de nombreuses maisons fournissant des produits
hors pair : Jacquemart,!. Dufour, Zuber, Mader, Gillou et Thorailler,
J. Dufour et A. Le Roy, etc.
Parfois, les planches étaient faites en cuivre, quand les traits offraient
trop de délicatesse pour le bois.
En 1827, apparut à Mulhouse, dans lusine Zuber, l'impression au
cylindre de cuivre gravé en creux, déjà appliquée aux tissus de coton;
la machine, manœuvrée à bras, ne donnait que de petits quadrillés et
des diagonales. Trois ans plus tard, Newton, ingénieur à Londres,
perfectionnait le procédé et se faisait délivrer une patente pour un
appareil qui comprenait des cylindres gravés, des cylindres distri-
buteurs ou fournisseurs, un grand tambour recouvert de drap et muni
à sa circonférence de rouleaux presseurs pour assujettir le papier, des
cylindres sécheurs, des bobines ensouples servant à dérouler d'un bout
et à enrouler de l'autre la bande de papier sous une pression con-
venable.
Les recherches mécaniques allaient se multiplier, notamment à
Paris, non sans éveiller les^ craintes et les résistances des ouvriers.
Une véritable révolution se préparait par l'entrée en scène du papier
sans fin, qui devait mettre à la disposition des industriels, d'abord des
rouleaux de 8 à 9 mètres, puis des bobines d'une longueur pour ainsi
dire indéfinie.
Vers 1887, Marchais et Bissonnet créaient une machine à une couleur
avec cylindres de bois gravé en relief, appropriée aux coutils et aux
petites rayures. Bientôt, Leroy inaugurait des machines vraiment pra-
tiques à une ou deux couleurs; entre autres mérites, il avait notam-
ment celui de l'invention du drap sans fin pour la répartition des couleurs
sur les cylindres. A côté de ce fait capital, on peut mentionner la
construction d'auges à compartiments remplis de couleurs parfaitement
dégradées, pour l'obtention mécanique des teintes fondues précé-
demment réalisées par l'emploi du pinceau ou par l'application de
teintes plates superposées (Zuber et Spœrlin, de Vienne), et celle des
PAPIERS PEINTS. 107
machines tire-lignes, traçant des bandes d'an parallélisme rigoureux
(Zuber fils).
M. Wolowski, rapporteur de la Commission française à TExposition
universelle de Londres (i85i), put rendre un légitime hommage à
la supériorité de notre fabrication, tout au moins pour les papiers
peints de qualité supérieure. L'honneur des principales améliorations
revenait à la France; aucun autre pays ne réalisait au même degré
la correction du dessin, Tampleur de la composition et le fini de Texé-
cution. Sauf de rares exceptions, les manufactures étaient concentrées
à Paris. Pour les produits de qualité inférieure, la Grande-Bretagne
et les États-Unis arrivaient, en faisant largement appel aux procédés
mécaniques, À fabriquer économiquement et à nous concurrencer ainsi
avec succès : dès 1 84o, Potter, imprimeur d'étoffes à Manchester, avait
organisé l'impression à la vapeur du papier continu.
Dans les premières années de la seconde moitié du siècle, Seegers,
ouvrier doreur sur cuir, étendit au papier peint l'usage du balancier
pour dorer et fournit un genre nouveau, qui devait conduire plus
tard aux papiers avec relief et aux imitations de tous les grains ou points
d'étoffe. Bientôt, la France importa des machines à huit couleurs; en
1860, Gillou et Thorailler montèrent de grandes machines anglaises,
mues par la vapeur. Les faits saillants constatés à l'Exposition de 1867
furent : le développement considérable du travail mécanique ; l'inven-
tion d'un certain nombre de papiers frappés, veloutés, dorés; le perfec-
tionnement des papiers-cuirs, qui avaient conquis la faveur du public;
l'application de couleurs nouvelles. Deux machines figuraient au groupe
de la mécanique : un appareil à foncer; un appareil d'impression à
six cylindres en relief, reproduisant les dispositions de l'ancien métier
à surface des Anglais et assurant dé bons résultats pour l'encrage.
Malgré les améliorations dont ils avaient été l'objet , les procédés mé-
caniques demeuraient impuissants à fournir plus de vingt-quatre cou-
leurs et à atteindre la perfection du travail manuel au point de vue du
coloris, de l'harmonie des tons et de la dégradation des teintes. La
France conservait d'ailleurs sa prééminence pour la variété des mo-
tifs, la richesse et la beauté des papiers de luxe.
Parmi les progrès mis en lumière par l'Exposition de 1878, se
108 PAPIERS PEINTS.
rangeaient lemploi plus fréquent des machines à foncer, l'accroissement
du nombre des machines d'impression, le succès avec lequel la fabri-
cation mécanique avait abordé les genres élégants et riches, lusage
plus répandu des moteurs à vapeur, la fidélité d'imitation des étoffes
(soieries, velours, tapisseries, etc.), la tendance à une simplicité plus
grande des dessins : il semblait que les manufacturiers eussent renoncé
aux tours de force de i855 et de 1867, aux compositions exigeant
jusqu'à 3,000 ou /(,ooo planches. La France, en possession du premier
rang même dans l'ordre mécanique, montrait de beaux dessins com-
portant â li couleurs et tirés à la machine.
En 1889, l'industrie française était restée digne de son passé. La
fabrication à la planche continuait à être préférée pour les papiers
riches; ses produits se recommandaient plus que jamais par leur belle
qualité et leur bon goût. D'autre part, la fabrication mécanique avait
pris de nouveaux développements et considérablement progressé : on
comptait plus de âoo machines, dont beaucoup mues à la vapeur.
Chaque jour, le travail au cylindre étendait son domaine et conquérait
des articles naguère réservés au travail à la planche. Les papiers dorés
à la machine, à peine abordés en France depuis douze ans, surpassaient
ceux de nos rivaux étrangers, sans être plus coûteux. Une innovation
était l'emploi mécanique du mica, si bien approprié aux effets de
soieries à reflets. Les pointillés, les petits quadrillés et les mille raies
au cylindre, particulièrement utiles pour les motifs de tapisserie,
constituaient de même une invention récente ^^K L'imitation des cuirs
patines avec leurs ors de différentes teintes, des velours d'Utrecht ou
de Gênes, des faïences, etc., se montrait admirablement réussie.
Peu de changements essentiels se sont produits après 1889. Ce-
pendant la machine a poursuivi ses progrès. Deux nouvelles pâtes à
papier ont fait leur apparition : l'une, imitant la toile avec chiné de
jute; l'autre, dite veloutinej de genre laineux, remplaçant les papiers
veloutés. On attribuait à cette dernière l'avantage de ne pas retenir la
poussière et d'être plus facile à imprimer et à coller, en même temps
que plus économique; mais l'expérience n'en a pas consacré la supé-
riorité.
(')
Cependant Rëveillon en avait eu Tidëe vers la fin du xviii* siècle.
PAPIERS PEINTS. 109
Aujourd'hui, plusieurs maisons françaises livrent des couleurs d ex-
cellente qualité à des prix déliant toute concurrence. Nous trouvons
sur notre sol ou dans nos colonies les matières premières de nos
vernis si recherches, même à Tëtranger. Le nord de la France fournit
les huiles; le Midi, Tessence de tërébenthine; le Sénégal, Madagascar
et la Nouvelle-Calédonie, des 'gommes excellentes. D'habiles indu-
striels de Charleval ont rompu le monopole que possédait l'Allemagne
pour la fabrication des bronzes en poudi^e.
L'industrie du papier peint a pris une extension rapide en Alle-
magne; après s'être confinés dans les articles à bas prix, nos voisins
ont abordé une production plus soignée. Aux États-Unis, la fabrication,
bien que ne remontant pas au delà de 1836, est devenue fort active,
grâce aux procédés mécaniques; les papiers, inférieurs à ceux de
l'Europe, répondent aux besoins de la clientèle locale, ainsi que des
marchés de l'Amérique du Sud et des Indes. En Angleterre, les fa-
bricants ont formé une association qui dispose de puissants moyens
d'action; comme je l'ai déjà indiqué, l'article lavable dit sanîtary
entre pour une large part dans leur production; ils emploient beau-
coup aussi diverses sortes de pâtes à papier moulées et conservant
de forts reliefs, pour tentures riches.
Notre exportation dépasse sensiblement l'importation; mais la con-
currence étrangère a réduit l'écart pendant les deux dernières années
du siècle.
On rattache ordinairement aux papiers peints de tenture les pa-
piers dits de fantaisie, bien que ceux-ci servent surtout au cartonnage,
à la reliure, au paquetage, à la chromolithographie, à la photo-
gravure, etc.
La dénomination de papiers de fantaisie comprend d'innombrables
variétés de papiers colorés, unis, marbrés, cailloutés, teintés en mo-
saïque, dorés, argentés, maroquinés, imitant l'écaillé vernie, etc.
Jusqu'en 1876, la fabrication en France était purement manuelle;
à cette époque, a commencé la fabrication mécanique , qui est aujour-
d'hui d'un usage général. Nous sommes parvenus à lutter contre la
concurrence redoutable de l'Allemagne et à faire économiquement
110 MEUBLES.
des articles comme le papier couché or et argent, le papier ëtain et
le papier imitation de cuir, qui, naguère, provenaient exclusivement
de rëtranger : aussi notre exportation prësente-t-elle un excédent sen-
sible sur l'importation. D'heureuses améliorations ont été, d'ailleurs,
apportées aux conditions d'hygiène et de salubrité dans lesquelles tra-
vaillent les ouvriers.
Les stores transparents nous viennent de TOrient, où ils ont pré-
cédé les verres à vitres; c'est sous le règne de Louis XV que l'usage a
commencé à s'en répandre sur le sol français. H en existe de nombreux
genres, suivant les fluctuations de la mode qui est allée par exemple,
vers la fin du siècle, aux étoffes plissées et aux types flamands avec
broderies. Mais, seuls, les stores en papier ou en tissu, peints ou
imprimés, appellent ici de courtes indications.
Tandis que d'autres pays et notamment l'Allemagne fabriquent des
stores imprimés à bas prix, la France continue à livrer des produits
d'un prix élevé. Sa spécialité est toujours le décor à la main ou au
pochoir; ni les procédés à la planche, ni les procédés mécaniques, ne
s'y sont répandus. L'industrie française pourrait utilement modifier
son orientation.
4. Meubles. — L'industrie du meuble emploie les essences les
plus diverses : acajou, amarante, aulne, bambou, bois d'or, bois
de rose, bois de satin, bois des Indes, bois pétrifié, buis, cam-
phrier, cèdre, cerisier, châtaignier, chêne, citronnier, ébène, érable,
frêne, hctre, noyer, orme, osier, palissandre, peuplier, pitch-pin,
poirier, rotin, sapin, sycomore, thuya, tilleul, etc. Souvent, elle
marie des bois de colorations différentes, notamment pour la mar-
queterie.
Au travail du bois s'associent le vernissage (vernis Martin, laque,
etc.), la peinture, la sculpture, la dorure, la gravure, les incrustations
(nacre, écaille, émaux, etc.), certains emplois de l'ivoire, les adap-
tations de marbre, de céramique, dé verrerie, de métaux (fer, acier,
cuivre, bronze, etc.). L'ébénisterie trouve également des auxiliaires
dans le cuir, le drap, la broderie, etc.
MEUBLES. 111
Les évolutions du meuble intëressent surtout Tart décoratif.
Quelques-unes, cependant, touchent à la matière ou à son élabo-
ration.
Sous le Consulat et TËmpire, lacajou dominait. L'introduction de
ce bois en Europe remonte à 1 730 ; elle est due à un célèbre médecin
de Londres, Gibsons, qui en avait reçu de son frère, capitaine de
vaisseau, plusieurs billes apportées comme lest sur un navire venant
des Indes orientales et qui, après bien des résistances, finit par les
imposer à son ébéniste WoUaston, pour la confection d'un bureau.
Grâce à la variété de ses veines et de ses ronces, à la facilité de son
polissage, à la franchise de ses tons, à sa durée, l'acajou conquit la mode
et devint bientôt abordable aux plus modestes fortunes, sous la forme
de placage. Au temps de Louis-Philippe, la vogue de l'acajou com-
mença à faiblir; nos ébénistes firent les plus louables efforts pour
répandre l'usage des bois indigènes, noyer, frêne rosé, orme noueux,
chêne, aulne, merisier, érable, platane, peuplier, sapin. Lors de
l'Exposition universelle de 1 85 5, on put constater un recul notable
de l'acajou et d'un autre bois exotique, le palissandre, en faveur du
noyer, du chêne et du poirier teint, plus souples et plus dociles aux
caprices de la sculpture. Vers 1878, le meuble plaqué, si fragile et
si faux, avait perdu beaucoup de terrain et cédait devant le meuble
massif. En 1889, le délaissement du placage s'était encore accusé, au
profit des meubles en bois simplement ciré ou teint; comprenant les
avantages d'une décoration moins chargée, mais plus solide, l'ébé-
nisterie marquait une tendance très nette à réduire les pièces rapportées,
clouées ou collées; les meubles légers et propres en pitch-pin verni
trouvaient une clientèle nombreuse, en particulier pour les appar-
tements de villégiature.
Jadis, les meubles étaient exclusivement fabriqués à la main. Les
nécessités de la lutte contre la concurrence étrangère et, par suite, de
la production à bon marché amenèrent, vers 1830, l'ébénisterie à se
servir des machines-outils. Bientôt l'utilisation de ces machines s'étendit
aux meubles de luxe. C'est ainsi que les moulures sont faites à la tou-
pie et les hauts ornements à la scie mécanique. Pour les ornements
sculptés, diverses tentatives de substitution du travail mécanique au
112 TAPISSERIES, TAPIS, ETC.
travail manuel ont été entreprises sans succès, et la gouge reste loutil
de prédilection.
A la Bn du siècle, la valeur de nos importations était de
7,5oo,ooo francs et celle des exportations de i4 millions. Dans les
entrées figurent principalement les meubles en bois courbé d'Au-
triche, les sièges d'Italie, les meubles divers des Etats-Unis, d'Angle-
terre, d'Allemagne, de Belgique , d'Espagne , du Japon. Nos expéditions
sont destinées à l'Algérie, à l'Angleterre, à la Belgique, à l'Allemagne,
aux Etats-Unis, à la République Argentine, à la Suisse, etc.
5. Tapisseries, tapis, tissus divers d'ameublement. — Sauf
exception, les instruments et les procédés de l'art du tapissier restent
à peu près ce qu'ils furent dès l'antiquité.
On distingue la tapisserie de haute lisse, comme celle de la Manufac-
ture nationale des Gobelins, et la tapisserie de basse lisse, comme celle
de la Manufacture nationale de Beauvais ou des établissements parti-
culiers d'Aubusson et de Felletin. Elles se font à l'envers, l'une sur un
métier vertical, l'autre sur un métier horizontal. La chaîne est tendue
à ses deux extrémités par des rouleaux et l'ouvrier y passe des fils de
trame en laine, en soie ou en métal, enroulés sur de petites bobines
quHl change à sa fantaisie pour l'interprétation de la peinture du
modèle.
A Beauvais, par exemple, les anciens métiers en bois ont fait place
à des métiers en fonte, établis d'après le même principe, mais plus
solides et moins encombrants. Ces métiers sont montés sur un axe
pivotant, au moyen duquel l'ouvrier peut basculer le châssis et se
rendre compte, à l'endroit du tissu, de l'efl^et ainsi que de la bonne
exécution du travail. La chaîne est constituée par des fils de coton
cordonnés retors; deux pédales, mises en communication par des
nœuds avec les fils de cette chaîne, permettent de l'ouvrir et d'y faire
les passées ou duitées. Tandis que la laine fournit les ombres et les
demi-teintes, la soie sert aux clairs et aux rehauts. Au-dessous du mé-
tier se trouve un décalque (trait ou lavis) du modèle.
Parmi les faits du siècle intéressant la technique, il y a lieu de citer
notamment : l'annexion progressive d écoles à nos manufactures natio-
TAPISSERIES, TAPIS, ETC. 113
nales; la création, en 1812, du système de hachures à deux ou trois
tons; Tinvention, par Chevreul, de son cercle chromatique, qui dé-
finit plus de 1/1,000 tons. C'est en 1826 que les manufactures des
Gobelins et de Beauvais ont eu leur domaine nettement délimité, la
première monopolisant la tapisserie de haute lisse et recueillant les
ateliers de la Savonnerie, alors que la seconde se cantonnait dans la
tapisserie de basse lisse pour meubles, canapés, causeuses, fauteuils,
tabourets, écrans, feuilles de paravent, dessus de portes et panneaux
de tenture décorative.
Nîmes fabrique au métier Jacquard, mû à la main, de belles tapis-
series en laine et soie. Roubaix et Tourcoing produisent aussi et à très
bas prix des tapisseries similaires sur des métiers Jacquard, manœu-
vres à la vapeur et exigeant, pour certains dessins, un nombre consi-
dérable de cartons.
La mode a adopté, malgré leur prix élevé, des peintures décoratives
sur tissus à gros grains. Certaines imitations des Gobelins ou des
Flandres, dues à des artistes de talent, éveillent une illusion accep-
table.
v Avant 1789, les tapis constituaient des objets de luxe inaccessibles
à la consommation courante; Imdustrie ne produisait, pour ainsi dire,
que de grands morceaux extrêmement coûteux. Cette situation sest
heureusement modifiée et la fabrication des tapis ordinaires a pris
une importance considérable pendant le xix"" siècle , grâce aux progrès
de la mécanique.
" La première place appartient aux Iwfu à points noues y comme ceux
de la Savonnerie et comme la plupart des tapis orientaux» Ils reçoivent
souvent la dénomination de tapis d'Orient, bien que certaines contrées
orientales fabriquent, en outre des tapis veloutés, diverses sortes de
tapis ras genre Aubusson et d'autres d'une contexture très serrée, très
résistante, dits schiimaks ou chamahis. Les tapis à points noués se
font sur un métier de haute lisse, dont la chaîne généralement en
laine et la trame en fil de chanvre ne sont ni l'une ni l'autre appa-
rentes; à l'inverse de ce qui a lieu pour les tapisseries, l'ouvrier voit
l'endroit du tissu ; il noue à la main des brins de laine ou de mohair
8
laraiiiLaiB satiumaui
114 TAPISSERIES, TAPIS, ETC.
sur les fils de la chaîne et en coupe les mèches à une certaine hauteur,
a6n de former une surface veloutée. Depuis 1870, la fabrication des
tapis k points noués a pris chez nous un vif essor. Quelques efforts
intéressants ont été faits, notamment h Aubusson, en vue de la pro-
duction mécanique de ces tapis.
On donne le nom de moquelle à un tissu intermédiaire entre le tapis
ras et le velouté d'Orient, moins sec, plus moelleux et plus chaud que
le premier, beaucoup moins cher que le s3cond. Les premiwes mo-
quettes, qui paraissent avoir été fabriquées k Abbeville en 1667,
étaient veloutées et avaient, par suite, leurs mèches coupées. Peu
après sont nées en Belgique les moquettes bouclées ou épinglées , sans
mèches coupées. Les tisseurs combinaient une chaîne inférieure, ten-
due entre deux ensouples ordinaires, avec une ou plusieurs autres
chaînes à fils lâches, ourdies sur des séries de bobines indépendantes
(roquetins), qui s'adaptaient h un cantre ; ces derniers fils étaient suc-
cessivement levés ou abaissés, soit pour laisser passer la trame, soit
pour recevoir les tringles en fer servant à former les boucles; après
un certain nombre de coups de battant, louvrier retirait progres-
sivement les tringles du tissu et, à ce moment, une sorte de rabot
tranchait, s'il y avait lieu, le sommet des boucles sur toute la lar-
geur du tapis.
^ Les moquettes commencèrent à se répandre en Angleterre au com-
mencement du siècle, et les manufacturiers de la Grande-Bretagne
ne tardèrent pas à diriger leurs efforts vers la fabrication économique
des tapis communs. Ces industriels furent les premiers à appliquer
la mécanique Jacquard aux métiers de tissage des moquettes. Entre
temps étaient inventés les moquettes à grils, c'est-à-dire à plusieurs
chaînes de couleurs, les tapis chenille, les tapis à points tubes. Bien-
tôt nos fabriques d' Aubusson, d'Amiens, de Roubaix, etc., suivirent
l'exemple de l'Angleterre. L'année i83A marqua la généralisation du
métier Jacquard ; à la même époque, on constatait un notable dévelop-
pement de la moquette bouclée ou épinglée.
^ Pendant un certain temps, le tissage resta purement manuel, et
les améliorations se bornèrent à des dispositifs ingénieux pour la ma-
nœuvre des fers et le tranchage des mèches. W.Wood,de Wilton,ac-
TAPISSERIES, TAPIS, ETC. 115
coniplit une vëritable révolution en remplaçant le bras de Thomme par
la machine à vapeur; grâce à de persévérantes études entreprises dès
i84o, il parvint à établir un métier mécanique où les diverses fonc-
tions de lappareil, mouvement du battant et de la mécanique Jacquard,
insertion et extraction des fers, coupage des boucles à Taide de lames
obliques adaptées à ces fers, s'effectuaient automatiquement. L'inven-
teur présenta son métier h l'Exposition universelle de i855, après
y avoir apporté divers perfectionnements. Tandis que la fabrication
mécanique se propageait en Angleterre et ensuite aux Etats-Unis, la
France reculait devant une transformation de son matériel, et il faut
aller jusqu'à 1880 pour voir nos industriels s'engager vraiment dans
la voie nouvelle, sous la pression d'une concurrence redoutable. Les
constructeurs français n'arrivaient, d'ailleurs, pas à futter contre ceux
d'Outre-Manche; aussi fut-il nécessaire d'importer des métiers méca-
niques anglais du système Wilton.
Une autre innovation heureuse et remarquable apparut en Angle-
terre vers i855 : le procédé d'impression sur chaîne, simulant les
dessins et les coloris des moquettes fabriquées à l'aide de la jacquard.
La fabrication mécanique des moquettes bouclées ou veloutées, ainsi
imprimées sur chaîne, permettait d'obtenir des tapis d'un bon marché
extraordinaire. Nous nous sommes, plus tard, pourvus d'un outillage
analogue à celui de nos voisins.
L'Exposition universelle de 1900 a attesté, tout à la fois; des pro-
grès nouveaux et le comblement des lacunes que [)ouvait encore pré-
senter naguère la fabrication française. A nos métiers mécaniques est
maintenant adaptée la jacquard en fer du type Vincenzi, qui assure
une économie sensible sur les cartons. La machine Jacquard, elle-
même, a été très réduite, et il devient facile d'en avoir trois, quatre
ou cinq pour un seul métier : de la sorte, les producteurs font aisé-
ment des carpettes d'une largeur de 3 à 4 mètres sans répétition dans
les dessins.
Afin de pénétrer dans les pays dont les droits de douane sont
presque prohibitifs pour les moquettes en laine, plusieurs fabricants
recourent au coton et au jute.
Entre autres nouveautés mises en lumière par l'Exposition de 1 900.
8.
116 TAPISSERIES, TAPIS, ETC.
le rapport du jury signale les tapis parmem de MM. Duquesne et C'*^,
obtenus sur des métiers mécaniques assez analogues aux grands mé-
tiers à dentelle ; les fils de la chaîne destinés à faire velours s'enrou-
lent autour de la chaîne de force en chanvre , lin , jute ou coton ; il en
résulte un envers laineux reproduisant, en une sorte de gros points de
tapisserie, le dessin que lendroit montre en velouté.
Le jonc, le chanvre, le bambou, l'aloès, l'alfa, les fibres du coco-
tier, etc., fournissent depuis longtemps des lapis de sparlerie. Divers
pays orientaux, tels que le Japon, Tlndo-Chine, le Siam, sont parve-
nus à produire des nattes d'une finesse extrême et d'une grande ori-
ginalité. La France et la Belgique excellent à fabriquer, en sparte et
en aloès, des tapis aux gros points noués, dont les dessins de colora-
tion chaude rappellent les tapis d'Orient.
Une étude complète des tissus d'anieuhlement serait fort longue. 11
me sera permis de l'abréger en élaguant d'une manière à peu près
absolue le matériel, qui fera plus loin l'objet d'un examen d'ensemble
pour tous les tissus autres que les tapisseries et les tapis.
Après la Révolution, le premier fait important fut l'application
de la mécanique Jacquard, vers 1802. Les centres industriels de
Lyon, Tours, Nîmes, adoptèrent les premiers cette mécanique. Ils
monopolisaient les soieries lancées à plusieurs lats, les velours de
Gênes ou de Venise, les brocarts, les brocatelles et les lampèzes,
soieries brochées ou spoulinées. L'ameublement n'employait guère
alors, outre ces étoffes, que les velours d'Utrecht unis ou gaufrés,
les calicots imprimés, les draps unis et les tissus de crin, dont la
fabrication avait pris pied en France à la fin du xviii'^ siècle ou au
commencement du xix®.
Vers i8/io, la région du Nord introduisit, à son tour, la jacquard
dans la fabrication des étoffes de fantaisie. Diverses additions, notam-
ment celle des mécaniques d'armures, simplifièrent et accélérèrent le
tissage. Aux damas de laine, aux satins à chaîne de laine avec dessins
de couleur enlevés par une trame de laine se joignirent peu à peu des
étoffes mélangées, des damas et des satins de soie et laine, des reps
de laine avec rayures à dessins enlevés en soie.
TAPISSERIES, TAPIS, ETC. 117
Pendant assez longtemps, ces étoffes, aujourd'hui dëniodëes, suf-
firent aux demandes du public. Les étoffes unies formaient, à cette
époque, la base de lameublement bourgeois; à l'étranger, comme en
France, les stoffs (sortes de toile en pure laine), les satins de laine,
les reps de laine épingles à côtes plus ou moins fines, les velours
d'Utrecht tissés à Amiens, avec des éléments de pékinades coloriées
par ourdissage, jouissaient d'une extrême faveur.
En 1871, la mécanique Jacquard fut appliquée aux métiers mus
par la vapeur pour les étoffes d'ameublement. Ce progrès mécanique
détermina la multiplication des tissus mélangés de fantaisie en soie
et laine, en laine et coton, en coton et jute, ainsi que des tissus tout
en coton et tout en jute. La fabrication française par métiers auto-
matiques prit un vif essor.
L'Exposition universelle de 1878 montra le chemin parcouru par
la France. A côté des soieries de Lyon et de Tours, des riches étoffes
de Nîmes, Paris et Bohain, figuraient les nombreuses étoffes mélan-
gées du Nord ; d'admirables imitations de velours de Gênes frisés et
coupés, des reproductions sur métier mécanique de lampas, soieries,
brocarts et brocatelles, constituaient une révélation; les étoffes de
coton, les tissus de jute et spécialement les velours, les rideaux et
tentures en armures diverses tirées de cette matière, les velours unis
en lin d'une largeur de 1 m. 3o, recueillaient le plus franc succès.
A l'Exposition de 1889, les conquêtes de la production mécanique
s'affirmèrent hautement, en particulier pour les tissus de fantaisie
fabriqués à Roubaix, Tourcoing, Lannoy et Thizy. Lyon, Tours,
Nîmes, Bohain continuaient d'ailleurs le tissage à la main de leurs
riches soieries. Ces soieries étaient imitées mécaniquement et à des
prix moins élevés, grâce au remplacement de l'organsin par la schappe
dans la chaîne et de la soie des Gévennes ou de Chine par la soie
tussah dans la trame. On remarquait les étoffes de coton à dessins
français ou plutôt orientaux, obtenus au moyen de la superposition de
plusieurs chaînes lattées. Les reps, satins et damas de laine avaient
presque disparu; fabriqué en double pièce à la fois, le velours de lin
éliminait le velours d'Utrecht. Sans avoir rien perdu de ses mérites,
l'impression mécanique était moins active , par suite des progrès du
118 TAPISSERIES, TAPIS, ETC.
tissage à la machine; les imprimeurs revenaient au travail manuel,
plus apte à certains effets décoratifs; ils opéraient non seulement sur
coton, mais aussi sur lin, jute, laine, poil de chèvre.
La période 1889-1900 na pas été stérile. Des imitations de
soieries en coton mercerisé pour tentures murales ont efficacement
aidé notre commerce d'exportation. Le mariage de la soie et du co-
ton mercerisé donnait en même temps d'autres imitations très inté-
ressantes de soieries. Mais la nouveauté principale, Tune des plus im-
portantes dont aient jamais bénéficié les étoffes d ameublement de
qualité courante, est la fabrication à fardages. En combinant quatre,
cinq ou six chaînes de couleur avec deux, trois ou quatre trames,
selon le dessin, elle fournit mécaniquement à la jacquard des étoffes
d'une richesse surprenante ; ces étoffes peuvent être en coton. On exé-
cute ainsi soit des tapisseries d'une étonnante finesse de détails, soit
d'autres tissus dont le dessin enlevé en tons vifs ou rompus, tantôt sur
fond de coton, tantôt sur fond de soie, est des plus séduisants.
Il y a lieu de mentionner aussi des procédés nouveaux d'encartage
photographique, puis un système électrique de lecture et de perçage
des cartons.
Nous avons 17,000 métiers mécaniques ou à bras affectés aux
étoffes d'ameublement, et notre production comprend des tissus très
variés : tissus unis et classiques, tissus de crin, tissus mélangés, tissus
imprimés, tissus brodés, toiles peintes en imitation de tapisserie.
La toile cirée, remonte au xviii'' siècle. Soij enduit a pour éléments
l'huile de lin et le blanc de Meudon; le tissu est en coton, en jute ou
en chanvre. Après impression, la toile cirée passe à l'étuve. Les pro-
cédés d'impression à la planche de bois (i834), ceux de la litho-
graphie et l'emploi d'engins mécaniques pour la pose des fonds ainsi
que pour le ponçage ont puissamment concouru au développement de
la fabrication. Nous luttons avec peine contre l'étranger au point de
vue des prix.
Galloway imagina eh 1 844 un nouvel enduit formé par des déchets
de caoutchouc et de la poudre de liège; le kamptulicon, fabriqué au
moyen de cet enduit, était chaud, hydrofuge, élastique, mais coûtait
TAPISSERIES, TAPIS, ETC. IID
cher. En 1860, Wallon substitua au caoutchouc l'huile de lin et créa
le linoléum, dont Tusage ne larda pas à se répandre. La préparation
du linoléum exige une assez longue série d'opérations : oxydation de
l'huile, suivant les méthodes Wallon, Taylor ou Bedford, par contact
intime avec l'air; addition de gommes, de résines, et cuisson, donnant
un composé dit cimjent; concassage de déchets de liège préalablement
triés, moulure et blutage; mélange du ciment, du liège en poudre
et d'ocrés ou d'oxydes de fer dans des appareils broyeurs et divi-
seurs; application de l'enduit chaud sur une toile de jute, à l'aide de
calandres; pose d'un autre enduit sur l'envers; séchage ou envoi aux
ateliers d'impression, soit manuelle, soit mécanique. Un défaut com-
mun à toutes les impressions est de s'altérer rapidement. MM. Wallon,
Leake, Godfrey, Lucas, Nairn, cherchant à y porter remède, ont in-
venté des linoléums granités ou incrustés; le principe général des
procédés d'incrustation consiste à distribuer les enduits des différentes
nuances sur le tissu, au moyen de formes spéciales, puis à lier le
tout par la chaleur et la pression.
On utilise le cuîr pour les tentures murales et les garnitures de
sièges. Les moyens de décor sont l'estampage, le gaufrage, la ciselure
à main levée, la peinture, la dorure. Jadis, les fabricants employaient
à l'estampage et au gaufrage des matrices de bois en creux et en
relief; le bois a été remplacé par le cuivre. L'usage des cylindres de
cuivre gravé a réduit le prix des cuirs gaufrés.
Les cuirs factices sont entrés en concurrence avec les cuirs naturels.
Ils s'obtiennent par le mélange et la compression de matières diverses,
puis par l'application d'enduits spéciaux.
Récemment est apparu le cuir aggloméré. On le prépare en encol-
lant et en soumettant à la presse hydraulique des déchets de corroirie
provenant du dragage des peaux tannées.
Parmi les articles qui viennent d'être passés en revue, quelques-uns
donnent lieu à un commerce extérieur assez actif.
C'est ainsi qu'en 1900 l'importation des tapis de laine pure ou
mélangée a atteint 2,610,000 francs (dont 1,765,000 francs pour
les tapis d'Orient ou leurs imitations, principalement envoyés par la
120 CÉRAMIQUE.
Turquie et TAngleterre) , et Texportation , 9,770,000 francs; l'impor-
tation des étoflfes de pure laine et des velours de même matière pour
Tameublement, 960,000 francs, et l'exportation, 8,770,000 francs;
l'importation des toiles cirées et du linoléum, 8,960,000 francs (dont
la plus grosse part pour les provenances d'Angleterre), et l'expor-
tation, 84o,ooo francs.
6. Céramique. — Les différentes variétés de produits céramiques
se rangent dans la classification suivante : porcelaines; grès; faïences;
briques, tuiles, poteries de construction, terres cuites architecturales.
Toutes les porcelaines doivent être blanches, translucides et vitri-
fiées dans leur masse; elles sont imperméables à l'eau et résistent à
Taclion de la gelée, même sans couverte. On distingue : i"* la porce-
laine dure, qui cuit entre i,3oo et i,4oo degrés (pâte de kaolin, de
feldspath et de quartz; couverte de feldspath et de quartz parfois
additionné de carbonate de chaux); 2** la porcelaine tendre anglaise,
qui cuit entre 1,100 et 1,300 degrés (pâte de kaolin, souvent d'argile
plastique blanche, de feldspath, de quartz et de phosphate de chaux;
glaçure en verre alcalino-plombeux contenant de l'alumine et de
l'acide borique); 3° la porcelaine tendre française, qui se rapproche
du verre et cuit vers 1,100 degrés (pâte obtenue par le mélange d'une
fritte alcaline, de marne blanche et de craie; émail en verre alcalino-
plombeux analogue au flint-glass). Une autre matière, encore plus
proche du verre par sa composition, mais façonnée comme la céra-
mique, est apparue à la fin du siècle, sous le nom de pâte de verre.
Dans les porcelaines dures, il existe deux types bien tranchés : le type
européen à couverte feldspath ique; le type oriental à couverte feldspa-
thique et calcaire. Le premier de ces deux types, plus alumineux,
cuit à très haute température, est plus dur, se prête bien à la fabri-
cation d'objets usuels, mais ne comporte que des procédés restreints
de décoration; quant au second, qui cuit à une température infé-
rieure, son désavantage au point de vue de la solidité a comme
contre-partie le mérite d'offrir des ressources décoratives très variées.
Tandis que les Chinois et les Japonais emploient soit, au feu de four,
les couvertes colorées, les couleurs sous couverte, les couleurs entre
CÉRAMIQUE. 121
deux couvertes, soit, au feu de moufle, les ëmaux translucides et
opaques, les Européens se contentent des pâtes colorées et des pein-
tures au petit feu; cependant ils sont arrivés récemment aux cou-
leurs de grand feu posées sur ou sous couverte.
Durs, sonores, opaques, légèrement vitriGés dans leur masse et
par suite imperméables aux liquides sans le secours d'un vernis, les
grès-cérames ne diffèrent des porcelaines que par leur défaut de
transparence et de blancheur. Us se divisent en deux catégories, sui-
vant qu on les fabrique au moyen d argiles propres à donner naturel-
lement une poterie imperméable après cuisson ou de pâtes rendues
dans une certaine mesure fusibles par laddition de matières feldspa-
thiques. Ceux de la première catégorie fournissent des tuyaux, des
ustensiles de ménage, des pièces dart ou d'architecture; ceux de la
seconde catégorie sont utilisés pour les carrelages, les revêtements
décoratifs, la mosaïque, et, grâce à leur couleur claire, peuvent être
colorés dans la masse des tons les plus divers. Le grès reçoit au be-
soin des couvertes colorées, analogues à celles de la porcelaine, mais
moins glacées; souvent, ces couvertes mates ne sont que des matières
naturelles ou des résidus de l'industrie (laitiers, scories de hauts
fourneaux, laves, basaltes, pierres ponces). Pour les objets usuels, on
se contente d une glaçure par projection de sel marin humide dans le
four à la fin de la cuisson.
Une démarcation très nette s'établit entre la faïence fine et la
faïence stannifère. La faïence fine est à pâte opaque, blanche ou légè-
rement jaunâtre, fine, sonore, difficilement rayable par l'acier; cette
pâte se compose d'une argile plastique plus ou moins fusible, de
kaolin, de silice fournie par des galets calcinés, enfin d'une roche
fusible (cornwall stone, feldspath ou sables naturels feldspathiques
et micacés); sa glaçure transparente et relativement dure consiste
en un verre alcalino-plombeux qui contient ordinairement de l'acide
borique et de l'alumine. Pour la faïence stannifère, la pâte, opaque,
perméable, en général colorée dans sa masse, tendre, à texture
lâche, à cassure terreuse, est constituée soit par une argile natu-
relle renfermant du sable quartzeux et du calcaire, soit par un mé-
lange d'argile réfractaire, de sable et de marne; quelquefois, on y
122 CÉRAMIQUE.
introduit le calcaire à l'ëtat de craie; habituellement, TAnglelerre
emploie de largile non calcaire; la glaçure se fait au moyen d'un
émail opacifié par Tétain ou beaucoup moins fréquemment d'émaux
colorés transparents.
Les briques, tuiles, poteries de construction, terres cuites archi-
tecturales, sont des céramiques à pâte tendre, perméables, présentant
une cassure terreuse; leur matière première est de largile siliceuse
ou de l'argile calcaire; elles peuvent être émaillées. Une différence
essentielle sépare les produits de l'argile siliceuse et ceux de l'argile
calcaire : alors que les premiers résistent h l'action des feux les plus
violents, les autres ne conviennent qu'aux matériaux n'ayant pas à
subir de hautes températures.
En traitant de l'art décoratif, j'ai été conduit à jalonner l'évolution
de la céramique au cours du xix*' siècle. Il suffira ici de très brèves
indications complémentaires.
La composition des pâtes destinées à la porcelaine a été progressi-
vement améliorée : c'est ainsi, par exemple, que Brongniart établissait,
en i836, pour la porcelaine dure, une formule scientifique depuis
indiscutée; c'est encore ainsi qu'apparaissait, en 1882, la pâte dure
nouvelle de MM. Lauth et Vogt. Récemment, la Manufacture de
Sèvres a repris, d'après les vieilles formules, la fabrication de la por-
celaine tendre, qui jadis avait fait sa renommée. Dans son rapport
sur l'Exposition de 1889, M. J. Loebnitz développait avec force les
avantages de cette résurrection pour les décorateurs : quand Brongniart
renonça à la pâte tendre, il vendit tout ce qui restait à Sèvres de por-
celaine non décorée, et les pièces blanches ainsi mises en circulation
alimentèrent pendant un certain temps le travail des artistes étrangers
à la manufacture; une fois le stock épuisé, ces artistes durent s'adres-
ser aux usines privées de Saint-Amand et de Tournay; enfin leur seule
ressource fut la pâte phosphatée anglaise, dont les qualités n'étaient
pas les mêmes.
Peu à peu, l'usage du grès cérame pour les distributions d'eau et
les appareils sanitaires s'est répandu grâce aux garanties de dureté
et de propreté qu'offre cette matière; les fabricants ont pu développer
CÉRAMIQUE. 123
et perfectionner leur industrie, d'abord en Angleterre, puis en Bel-
gique, en Allemagne, en France; aujourd'hui, nous sommes en
mesure de lutter victorieusement contre la concurrence étrangère.
D autre part, la fabrication du grès pour dallages, carrelages, mo-
saïques, construction, décoration architecturale, a pris une réelle
activité.
Au xYiii*" siècle ' déjà , l'Angleterre produisait abondamment la
faïence fine. Ce fut seulement en iSai que M. de Saint-Amans,
après plusieurs voyages au delà de la Manche, entreprit d'importer
dans notre pays la fabrication de cette faïence : ses essais aboutirent,
avec le concours de Brongniart, alors directeur de Sèvres, qui mit
généreusement à sa disposition un atelier, un four, des moules et une
collection de terres argileuses. L'impulsion était donnée et gagna nos
principales manufactures; celles de Montereau et de Creil firent
preuve d'une grande initiative et contribuèrent largement à doter la
France du nouveau produit. De leur côté, la Prusse, la Belgique,
la Hollande, la Suède, s'engageaient dans la même voie. Partout,
des progrès ont été réalisés; la France tient dignement sa place. Les
conquêtes de la porcelaine et de la faïence fine devaient nécessaire-
ment atteindre la faïence stannifère, dont la réputation avait été si
haute durant plusieurs siècles, sous les noms de Bouen, Nevers,
Moustiers, Strasbourg, Urbino, Delft, etc.; cette^faïence conserve
pourtant d'utiles débouchés dans les revêtements d'intérieur et les
appareils de chauffage; les efforts tentés depuis i85o pour la remettre
en honneur au point de vue artistique eussent pu être plus heureux,
si les céramistes ne s'étaient pas contentés, pour la plupart, de pas-
tiches du passé; une application intéressante à la décoration architec-
turale a fait naître, en 1878 et 1889, ^^^ espérances bientôt déçues
par suite de la concurrence du grès.
Des diverses branches de la céramique, nulle n'a accusé autant de
progrès industriels que la briqueterie et la tuilerie. Pour les couver-
tures ordinaires, le type le plus répandu est celui de la tuile à emboî-
tement, imaginée en i835 par Gilardoni. Les architectes recourent
souvent aux briques colorées dans la pâte en tons rouge, rose, blanc,
noir, et aux briques ou tuiles émaillées; les briques émaillées coûtent
124 CÉRAMIQUE.
encore trop cher et beaucoup ont le défaut d'être tressaillées. Depuis
plus de vingt ans, nos manufacturiers produisent des terres cuites
architecturales de la meilleure qualité.
En ce qui concerne les matières premières, le fait marquant a été
Tessor pris par la fabrication des couleurs vitrifiables. Jadis, les pro-
ducteurs n'étaient guère réputés chacun que pour une couleur. La
situation s'est entièrement tranformée ; celte transformation doit être
attribuée en grande partie aux études et aux publications de savants
tels que Brongniart, Salvétat, MM. Lauth et Vogt, M. Seger. Cepen-
dant la science n'a pas notablement augmenté Tétendue de la palette
céramique.
. Les dangers d'intoxication auxquels peuvent être exposés les ou-
vriers qui manipulent des émaux plombeux en poudre ont éveillé la
légitime sollicitude des hygiénistes et des industriels. Parmi les moyens
indiqués en vue de prévenir ces dangers, deux méritent d'être signa-
lés : ils consistent, l'un à introduire de l'acide borique dans les émaux,
à substituer la chaux à l'oxyde de plomb et k préparer ainsi des silico-
borates de chaux et de potasse, l'autre à remplacer l'oxyde de plomb
par l'oxyde de bismuth.
Jusqu'à une date très peu éloignée, tout l'or brillant employé en
France venait de l'étranger. Les recherches entreprises, dès 1 85o , par
plusieurs de nos compatriotes ont enfin abouti. Mais, quelle que soit
sa provenance, l'or brillant ne donne pas une dorure de longue
durée.
L'argile ne constitue pas une matière minéralogique définie ; elle
est généralement formée par le mélange des débris de roches avec
une matière plastique. Aussi sa composition ne peut-elle être facile-
ment déterminée d'une manière certaine. Malgré les savants travaux
de Forchammer, de Brongniart et Malaguti, de Mitscherlich, plus
d'un point restait obscur ; l'analyse mécanique , l'analyse chimique et
l'étude micrographique ont jeté quelque lumière sur la question.
L'analyse mécanique, perfectionnée par Schœn en 1867, consiste à
séparer les éléments de l'argile par ordre de grosseur des grains, à
l'aide d'un courant d'eau ; l'analyse chimique est basée sur la pro-
CÉRAMIQUE. 125
priétë que possède 1 acide sulfurique de décomposer les seules matières
plastiques dans les argiles. Synthétisant les résultats de nombreuses
expériences, M. Vogt formule les conclusions suivantes : les kaolins
et les argiles doivent leur plasticité à la kaolinite , silicate d alumine
hydraté et cristallisé en petites lamelles hexagonales ; les alcalis sont
introduits dans les kaolins et les argiles par des débris impalpables de
mica blanc, minéral auquel un broyage soigné donne la plasticité et
les propriétés générales de la kaolinite ; enfin la matière argileuse des
marnes semble être formée par des débris de minéraux magnésiens,
biotite, chlorite ou autres.
Il est manifeste que, pour éviter la tressaillure ou Técaillage, un
accord doit exister entre la dilatation de la pâte et celle de la cou-
verte. L'initiative des recherches relatives à ces dilatations appartient
à M. Seger (1882); le problème a été ensuite serré de plus près par
MM. Le Chatelier, Damour, Goupeau. Plusieurs faits paraissent
acquis : accroissement du coefficient de dilatation par la présence du
quartz, surtout finement broyé ; effet inverse du feldspath et générale-
ment des matières vitrescibles'; existence de variétés de silice à dilata-
tions très différentes ; élévation du coefficient, pour les pâtes non vitri-
fiables, avec la température de cuisson; décroissance du coefficient
des pâtes vitrifiables quand la température de cuisson augmente;
réduction ou accroissement de la dilatation des pâles par les argiles,
suivant la composition de ces dernières.
La préparation des matières premières exige diverses nnanipula-
tions, qui se font aujourd'hui mécaniquement.
Pour les porcelaines et la faïence fine, par exemple, une opération
essentielle est le broyage. On y a employé des bocards, des pilons, des
moulins à meules verticales avec râteaux, des moulins à meules hori-
zontales analogues aux moulins à blé et poursuivant l'œuvre des meules
verticales, etc. Les moulins à blocs, dits à Taméricaine^ ont eu aussi
beaucoup de vogue : des blocs de pierre , traînés ou poussés sur une
aire circulaire, mélangeaient en même temps qu'ils trituraient; l'es-
pace occupé était considérable et le rendement médiocre. Maintenant,
les céramistes recourent de préférence aux moulins Alsing, qui n'oc-
126 CÉRAMIQUE.
cupent (juun emplacement restreint et consomment peu de force:
ces moulins se composent de cylindres en fonte, avec revêtement inté-
rieur en briquettes de porcelaine ou de grès ; la matière à broyer y
est chargée en même temps que des galets de quartz ; pendant la
rotation des cylindres, matière et galets sentre-choquent, et la réduc-
tion en poudre impalpable se produit très rapidement, surtout en pré-
sence de Teau.
Avant le façonnage de la pâte à porcelaine ou à faïence, il faut la
raffermir, lui donner la consistance voulue. Les anciens procédés
consistaient soit à la chauffer dans des étuves, soit à la déposer dans
des caisses de plâtre aux parois poreuses et filtrantes. Ces procédés
ont été abandonnés pour celui du filtre-presse, inventé en iSBy par
Needham et Kite, présenté en 1862 à l'Exposition de Londres et
bientôt adopté en raison de ses avantages au point de vue de la ra-
pidité d'action aussi bien que de Tespace occupé. Des batteuses ou
marcheuses, remplaçant le pied de l'homme, complètent le travail
du filtre-presse et assurent l'homogénéité des galettes.
La terre à briques, à tuiles, à tuyaux de poterie, etc., doit être cor-
royée. Ce corroyage s'effectue au moyen de machines variées (cylindres
broyeurs, tonneaux malaxeurs, etc.).
Une fois préparée, la pâte subit le façonnage. Jadis, l'instrument
classique pour la porcelaine et la faïence était le tour à axe vertical ,
muni d'un disque inférieur en bois que l'ouvrier faisait tourner avec
le pied et d'un disque supérieur plus petit qui recevait la pâte à façon-
ner; cet appareil élémentaire servait non seulement à l'ébauchage,
mais aussi au tournassage. Vers 1860, sont apparus les tours propres
à façonner mécaniquement les objets.
M. Faure, ingénieur et constructeur à Limoges, a très heureuse-
ment résolu le problème de la fabrication mécanique des assiettes en
porcelaine dure. Ses appareils, qui figuraient à l'Exposition de Vienne
(1878), comprenaient une machine à faire les croules, une machine à
centrer, une machine à mouler et à calibrer; tandis qu'à la main un
ouvrier ne produisait pas plus de 100 assiettes par jour, les machines*
Faure, conduites par un ouvrier et deux aides, en donnaient de 45o
CÉRAMIQUE. 127
à 600 ; la fabrication offrait en outre beaucoup plus de régularité. En
1878, les mouvements étaient encore partiellement réglés à la main ;
peu après, M. Faure parvint à rendre le travail tout à fait automa-
tique. Allant plus loin dans la même voie , l'inventeur réussit à fabri-
quer les plats ovales. Puis il présenta en 1889 une machine nouvelle,
complétant l'outillage de fabrication des pièces régulières et destinée
à la confection du creux fermé.
Aujourd'hui, l'usage des tours à façonner mécaniquement est telle-
ment répandu, qu'il devient très difficile de trouver un ouvrier tour-
neur apte à l'exécution d'une pièce importante avec le seul secours du
tour et des mains.
Le moulage de la pâte à porcelaine dans des moules métalliques ,
au moyen de la presse, avait été longtemps restreint à des pièces
simples comme les anses et les pernettes ; des améliorations récentes
en ont étendu l'application à de petites pièces présentant des formes
très compliquées et très précises ; cependant il est encore loin d'élimi-
ner le tour. On moule Bussi à la presse les carreaux de revêtement en
faïence : la compression se fait sur de la pâte en poudre presque sèche.
Le même procédé sert pour les carrelages en grès.
Employé pour la première fois en 1789 à Tournay, puis à Fon-
tainebleau, le coulage des pâtes à porcelaine est largement entré
dans la pratique. 11 permet d'obtenir des pièces minces qui ne pour-
raient être fabriquées par d'autres moyens. Pour les pièces de grandes
dimensions, l'opération exige le secours de l'air comprimé ou du vide.
Le façonnage des briques pleines et des tuiles plates appelle des
indications un peu plus complètes. Un bon ouvrier peut mouler
1 0,000 briques en douze heures; on conçoit donc que le façonnage à
la main n'ait pas été facilement détrôné par le façonnage mécanique.
Cependant les recherches des inventeurs remontent à une époque
déjà lointaine. Les procédés automatiques ont été inaugurés au com-
mencement du Mx"" siècle par Hattenberg (Russie) et Kinsley (États-
Unis): Hattenberg se servait d'une auge horizontale, fermée sur
quatre faces, avec double piston refouloir et tuyère pyramidale aux
deux bouts; Kinsley employait une tonnelle ou baquet tronconique,
où la pâte se malaxait pour descendre ensuite dans les moules, ame-
128 CÉRAMIQUE.
nés successivement sous le baquet et rasés par le revers de lames
hélicoïdales. Vers la même époque, Potter essayait k Paris le re-
battage au balancier à vis des briques moulées et séchées à la façon
ordinaire. Il y a lieu de citer encore, pour la période des débuts,
une machine américaine perfectionnée par Doolittle (Etats-Unis) et
Bradley (Angleterre), ainsi qu^une autre machine imaginée par
Cundy (Angleterre). En i85i, Salvétat, rapporteur du jury, rangeait
les différents systèmes dans quatre groupes: i"" machines imitant le
travail à la main ; s"* machines opérant le moulage par un mouvement
de rotation continu; S"" machines faisant le moulage avec un moule
qui découpait ; 4** machines faisant le moulage au moyen d'une filière
et découpant ensuite, soit par un couteau, soit par un fil. Les
machines de la première catégorie comportaient un cadre en fonte,
animé d un mouvement continu ou d un mouvement de va-et-vient :
dans la première partie de sa course , le moule se remplissait en pas-
sant sous une trémie; dans la seconde, il se présentait sous une pièce
exerçant la pression nécessaire; enfin dans la troisième, il débordait la
plaque de fond pour arriver sous un poussoir destiné au démoulage.
Entre les machines de la seconde catégorie et celles de la première, la
seule différence était le remplacement du moule unique par plusieurs
moules disposés sur un plateau circulaire tournant autour d'un axe
vertical, ou sur la face d'un cylindre tournant autour d'un axe hori-
zontal. Les machines de la troisième catégorie découpaient, à la ma-
nière d'emporte-pièce , la pâte préalablement réduite en nappe d une
épaisseur convenable. Quant aux machines de la quatrième caté-
gorie, elles comprenaient une filière^ un piston poussant la terre et
l'obligeant à se mouler, ainsi qu'un couteau ou un fil de laiton opé-
rant le découpage. Le général Poncelet recommandait spécialement
une machine de la première catégorie, imaginée par Carville en
i84o et récompensée l'année suivante par l'Académie des sciences.
Rien de bien nouveau n'apparut en 1 855 ni en 1867 ; mais une ten-
dance se manifestait vers l'emploi simultané d'appareils combinés de
telle sorte que la matière se déversât de l'un à l'autre sans Tinterven-
tion de l'ouvrier. En 1878, les machines s'étaient multipliées et
avaient fait l'objet de divers perfectionnements ; on n'hésitait plus à
j
CÉRAMIQUE. 129
reconnaître les avantages qu elles pouvaient offrir dans beaucoup de
cas. Depuis, le mouvement s'est encore accentué. Sous des formes
variées, les machines continuent à se classer dans Tune oulautre des
catégories de la nomenclature de i85i ; elles sont, en général, bien
construites et très rustiques.
On peut façonner les briques pleines et les tuiles plates à pâte
molle, k pâte ferme ou k pâte sèche. Le choix dépend de la machine
et de largile. Pour le travail k pâte molle, les machines de la
quatrième catégorie sont les plus répandues ; leur capacité de produc-
tion va jusqu'à 10,000 briques par heure. Les mêmes machines, avec
une structure plus robuste, conviennent également au travail à pâte
ferme. Il faut, pour le travail k pâte sèche, des presses d'une grande
puissance, agissant par pression progressive. Ce dernier mode de
travail a toujours eu plus d'adversaires que de partisans : son avantage
principal est de donner des produits qui, eu égard à leur siccité,
peuvent subir directement la cuisson; en revanche, il paraît assurer
moins bien l'épuration et le mélange des matières.
M. Borie a vulgarisé les briques creuses en inventant une machine
hautement appréciée lors de l'Exposition de i85i. Cette machine
extrêmement simple comportait deux caisses qu'on remplissait de
terre, deux pistons mus par des crémaillères et des engrenages, des
cribles placés à l'arrière des caisses, et des filières faisant suite aux
cribles. Les pistons chassaient la terre vers les cribles qui arrêtaient
les corps étrangers, puis vers les filières; la nappe moulée s'avançait
sur une table et le découpage avait lieu au moyen d'un châssis armé
de fils de fer.
Pour les tuiles mécaniques, il existe d'assez nombreuses machines
travaillant soit en terre molle, soit en terre dure. Quand le travail se
fait en terre molle , là terre est jetée dans un moule en plâtre et fonte ;
un contre-moule s'y applique et reçoit l'action d'une forte presse.
Lorsque le travail s'effectue en terre dure, l'opération commence par
un étirage en galettes et se termine par la transformation de ces
galettes en tuiles. Tels sont, du moins, les procédés en quelque sorte
classiques.
Bien longtemps avant qu'apparussent les briques creuses, on
9
mPBIHKBIC mriOIALC.
130 CÉRAMIQUE.
faisait dëjà mécaniquement des tuyaux en poterie. Toutefois la
première machine réellement bien conçue ne remonte qu'à i838;
elle a été inventée par Reichenecker, d'Ottwiller (Haut-Rhin), qui
obtint, en i846, le prix fondé par la Société d encouragement. Cet
industriel plaçait la pâte d'argile dans un cylindre de fonte vertical
et la refoulait, à laide dune presse hydraulique, vers une tuyère à
noyau plein adaptée au fond du cylindre. Le développement du drai-
nage imprima bientôt une vive impulsion à la fabrication mécanique
des tuyaux. Dès i85i , le rapporteur des arts céramiques à l'Exposi-
tion de Londres dénombrait un grand nombre de machines appar-
tenant à des systèmes divers, mais aboutissant toutes au passage de
la pâte sous pression dans des filières. Quoique perfectionnées dans
leur mécanisme , les machines actuelles fonctionnent d'après les mê-
mes principes que leurs devancières.
Les briques et les tuiles' destinées à être cuites dans les fours
continus sont séchées au moyen d'appareils d'un débit aussi grand
que possible. Un progrès notable a été l'utilisation des chaleurs per-
dues par les fours et les machines motrices. Vers la fin du siècle, les
céramistes, franchissant une nouvelle étape, ont installé des sé-
choirs-tunnels, dont le principe est le même que celui des fours à
circulation; la disposition de ces séchoirs prévient, en général, les
condensations de vapeur d'eau sur les briques ou tuiles et assure
souvent la récupération d'une partie de la chaleur. La combinaison
des séchoirs-tunnels et des fours à circulation résout admirablement
le problème de la fabrication rapide et économique.
Avant de passer à la cuisson, il me reste à signaler la substitution,
en i885 , des machines à imprimer aux anciennes presses à bras pour
le tirage des épreuves chromo-lithographiques servant à décorer la
faïence et la porcelaine.
Au premier rang des appareils de cuisson se placent les fours à
alandiers. Originairement, ils n'avaient ni second laboratoire, ni se-
conde voûte; la cuisson étant discontinue, on perdait, après chaque
fournée, la chaleur accumulée dans les parties supérieures. Divers
fabricants eurent l'idée d'utiliser cette chaleur mise pour ainsi dire en
réserve, en l'employant soit à la cuisson de poteries plus tendres
CÉRAMIQUE. 131
n'exigeant pas une température aussi élevée que celle du laboratoire
inférieur, soit à la cuisson de poteries semblables aux premières par
laddition d'alandiers spéciaux. Bonnet, d'Apt, établit, d après ce prin-
cipe, le premier four à plusieurs laboratoires et foyers superposés. En
1822, le marquis Ginori (manufacture de Doccia, près de Florence)
construisit un four à quatre étages, cuisant des poteries de nature
difiérente; quand la poterie inférieure était cuite, on cessait le feu
dans rétage correspondant et on le continuait dans les alandiers supé-
rieurs. Des fours analogues ne tardèrent pas à s'élever dans les faïen-
ceries et les fabriques de porcelaine ou d'autres poteries. Sèvres no-
tamment fit, en 1862, son four à trois étages superposés pour la
cuisson de la porcelaine dure. Les ouvrages sur la céramique et les
dictionnaires technologiques donnent tous la description des fours à
trois étages de Sèvres: étage supérieur sans alandiers, consacré au
dégourdi; étages inférieurs avec alandiers, fournissant le grand feu.
Ëbelmen et Salvétat, dans leur étude de i85i sur les progrès de
la cuisson, signalaient surtout les améliorations apportées aux fours à
alandiers; ils mettaient principalement en relief l'économie de com-
bustible réalisée par le système des étages superposés.
Une préoccupation dominante, à celte époque, élait de substituer
la houille au bois. Les premières tentatives eurent sans doute lieu en
Angleterre; mais la date ne saurait en être précisée. Sur le sol fran-
çais, la cuisson économique de la porcelaine dure, à l'aide de la
houille, fut essayée à Lille vers 1785. Quelques années plus tard
(180/i), un brevet garantissait à Revol, de Lyon, la cuisson de la
faïence stannifère au combustible minéral, problème difficile dont
la solution devait, en i846, procurera l'usine de Bourg-la-Reine une
réduction de 5o p. 100 sur la dépense de combustible. Ebelmen et
Salvétat, rendant compte de ces faits dans leur rapport relatif à
l'Exposition universelle de i85i, ajoutaient que la fumée produite
par la combustion de la houille exerçait une influence tantôt nui-
sible, tantôt favorable, sur les fonds de couleur dits de frrand feu;
ils voyaient dans l'emploi des flammes combinées du bois et de la
houille, suivant la proposition de Chevandier, un moyen de composer
l'atmosphère des fours à porcelaine de telle sorte qu'on pût y cuire
132 CÉRAMIQUE.
avec succès et à volonté les couleurs demandant des gaz réducteurs ou
des gaz oxydaints. Le remplacement du combustible végétal par le
combustible minéral continua à s opérer lentement et ne devint un
fait à peu près général en France que vers 1878. Entre temps, les
efforts se poursuivaient pour réduire la dépense de chauffage : Aimé
Girard, rapporteur du jury de 1867, mentionnait, par exemple, la
reconstruction des fours de Montereau d'après le système Boch de
Maestricht, qui utilisait beaucoup plus complètement le calorique des
flammes.
Les tentatives de cuisson au gaz remontent à 18/17. Ët>6lin^Q ^t
Salvétat en signalèrent la première manifestation dans leur rapport
de i85i : on pensait alors à lemploi du gaz de houille et de lair
chaud, du gaz de tourbe, des gaz de hauts fourneaux, des gaz de fours
à coke. Ces tentatives ne prirent réellement corps qu après i858,
sous rimpulsion de Salvétat. Malgré certains résultats pratiques obte-
nus en 1860, malgré l'initiative de Creil pour Tusage des fours Sie-
mens, elles devaient rester infécondes, tant qu'elles s'appliqueraient
à des fours intermittents, exigeant l'arrêt périodique des gazogènes,
entraînant un manque d'air chaud à chaque reprise et, par suite,
inaptes à un bon rendement calorique. Un succès rapide leur était,
au contraire, réservé avec les fours continus.
Plusieurs dispositions peuvent être admises pour la continuité de la
cuisson : mobilité du foyer, de manière à cuire successivement les diffé-
rentes masses de produits céramiques contenues dans le four; fixité du
foyer et mobilité des produits, qui se présentent tour à tour devant lui;
fixité des produits et du foyer, qui est mis alternativement en commu-
nication avec diverses chambres. Muller avait établi, en 1766, un
four du premier système à six compartiments pourvus chacun de son
foyer; pendant la période de cuisson d'un compartiment, les flammes
perdues allaient échauffer les produits placés dans le second compar-
timent; on allumait ensuite le foyer de ce deuxième compartiment et
on l'alimentait au moyen d'air échauffé sur les produits encore incan-
descents du premier compartiment; l'opération se poursuivait ainsi de
proche en proche. Reprise en 1 889 , l'idée aboutit en 1 858 au célèbre
four Hoffmann et Licht, sans foyers distincts et sans cloisons fixes.
CÉRAMIQUE. 133
Avec la houille, Tintrocluction directe du combustible dans le milieu
ou se trouvaient les produits à cuire avait des inconvénients pour la
céramique soignée; elle se prêtait mal au réglage des allures oxy-
dantes ou réductrices. Le chauffage au gaz (1866) a fait disparaître
ce défaut.
Le principe des fours à circulation n'est pas moins ancien que celui
des fours à foyer mobile; car, dès 1761, Gérin construisait un four à
moufle mobile, divisé en trois compartiments d'entrée, de cuisson et
de sortie; les produits s'échauffaient lentement dans la case d'entrée
et se refroidissaient de même dans la dernière case. M. Otto Bock a
amené ces fours à un haut degré de perfection, vers 1876; ils sont
fréquemment désignés sous le nom de fours-tunnels.
Actuellement, bien que la Manufacture royale de Berlin ait installé,
il y a trente ans, un four continu au gaz, les porcelainiers persistent
à se servir des fours à flammes renversées avec la houille comme com-
bustible ; toutefois le développement des impressions chromo-lithogra-
phiques a provoqué le remplacement des moufles à feu intermittent
par des moufles à cuisson continue. Les fours continus à sole mobile
et les fours à circulation ont été introduits récemment dans la fabri-
cation de la faïence fine pour la cuisson de l'émail et pour celle du
décor. Souvent encore, les potiers de grès restent fidèles aux anciens
procédés, au vieil outillage, aux fours traditionnels à sole inclinée;
cependant les manufactures importantes sont dotées de fours continus
où les pièces se cuisent en une seule fois, sauf le cas exceptionnel de
décor au feu de moufle par des émaux plombeux ou boraciques. La
cuisson en plein air des briques et des tuiles n'a pas été abandonnée;
mais l'usage des fours s'est répandu; à cet égard, les brique tiers et les
tuiliers ont réalisé d'énormes progrès pendant les dernières années du
siècle, en faisant un large emploi des fours Hoffmann, puis des fours
à circulation, et en combinant ces derniers avec les séchoirs-tunnels.
Certaines industries céramiques ont des fours spéciaux : telle l'in-
dustrie des boutons de porcelaine, qui se sert de moufles groupés
autour d'un foyer central. Les appareils de ce genre n'appellent ici
aucune observation particulière.
La détermination précise des hautes températures est d'un puis-
\U CRISTAUX, VERRERIE.
sant intërêt pour les cëramistes : un pyromètre, fondé sur la contrac-
tion progressive de l'argile, avait été inventé par Wedgwood en 1 78a ;
aujourd'hui , les fabricants disposent d'un instrument beaucoup plus
parfait, le pyromètre, thermo-électrique proposé par Becquerel en
i83o, étudié par Pouillet et réalisé par M. Le Chatelier en 1886;
les indications de cet instrument résultent de la mesure des forces
électromotrices que développe la différence des températures dans
deux soudures thermo-électriques semblables, opposées Tune à l'autre.
Il importe, en tout cas, de pouvoir suivre les phases de la cuisson: on
recourt, dans ce but, aux montres fusibles, petites pyramides formées
d'un mélange, en proportions variables, de feldspath, de craie, de
kaolin et de quartz, dont la fusion échelonnée donne les températu-
res de 20 en s o degrés, entre 600 et 1,800 degrés (MM. Lauth et
Vogt, 1882; M. Seger, 1886). Un appareil récent, dérivé du mano-
mètre de M. Kretz, permet de mesurer le tirage et d'estimer la dépres-
sion à 1/100* de millimètre près. Enfin, grâce à M. Orsat (1876),
l'analyse des gaz circulant dans le four se fait en quelques minutes
avec une exactitude suffisante , sans travail de laboratoire.
7. Cristaux, verrerie. — Au point de vue de leur composition
chimique, les verres peuvent se diviser en trois grandes classes : i"* les
verres incolores ordinaires, qui sont des silicates doubles de chaux et
de potasse ou de soude; â** les verres communs généralement colorés ,
silicates multiples de chaux, d'oxyde de fer, d'alumine, de potasse ou
de soude, dont le type est le verre à bouteilles; 3"* le cristal, silicate
double de patasse et d'oxyde de plomb.
Le verre dissout la plupart des oxydes métalliques, en conservant
sa transparence, mais en prenant des couleurs souvent très belles :
c'est ainsi qu'on le colore en vert foncé par le protoxyde de fer, en vert
de nuances différentes par l'oxyde de cuivre et l'oxyde de chrome, en
jaune par le sesquioxyde de fer, en bleu par l'oxyde de cobalt, en violet
par le sesquioxyde de manganèse, en noir par un mélange d'oxyde de
cobalt et d'oxyde de fer, en rouge par l'oxydule de cuivre, en pourpre
par le chlorure d'or, etc. Au lieu de fabriquer des verres entièrement
colorés dans la pâte, il est facile de produire dès verres plaqués, c'est-
CRISTAUX, VERRERIE. 135
à-dire composés d une couche incolore et d'une couche colorée ; Tin-
tensitë de la teinte varie avec l'épaisseur relative des deux couches.
Vers le commencement du siècle, en raison de l'abondance du
combustible végétal, la potasse, obtenue par lévigation des cendres de
bois, était d'un usage plus général qu'aujourd'hui. On tirait la soude
des cendres de plantes marines; ce mode de préparation ne tarda pas
à faire place au procédé Leblanc; plus tard, Pelouze remplaça le
carbonate par le sulfate ; puis les verriers revinrent au carbonate de
soude obtenu à l'aide des méthodes modernes et employé seul ou en
mélange avec le sulfate.
Le matériel de la verrerie peut se diviser en deux parties bien dis-
tinctes : matériel de préparation des matières premières ; matériel de
la fabrication proprement dite. Je n'ai presque rien à dire du matériel
de préparation; il comprend surtout des appareils à laver le sable, à
préparer les sels alcalins et le minium, à effectuer les mélanges; encore
cet outillage n'existe-t-il point dans la plupart des verreries. Au con-
traire, le matériel de la fabrication mérite un examen plus attentif;
ce sont les fours qui y jouent le rôle principal (fours de fusion, fours
àfritter les matières premières et à recuire les objets fabriqués, fours
à étendre les manchons de verrp).
Autrefois, les fours de fusion étaient tous chauffés soit au bois,
soit à la houille depuis 18&0. Ils recevaient une série de creusets ou
pots, dans lesquels s'opérait la fonte, et, pour le verre enlaces, des
cuvettes d'affinage. Leur sole affectait une forme circulaire, elliptique
ou rectangulaire ; au pourtour régnait une banquette destinée à por-
ter les creusets. Tantôt le foyer occupait le centre du four; tantôt
il se trouvait placé latéralement. Un ouvreau, ménagé au-dessus de
chaque pot, permettait d'y cueillir le verre et d'y introduire les ma-
tières à fondre. Quand l'opération exigeait l'emploi de creusets fermés,
le col de ces creusets, en forme de cornues, passait par des embra-
sures analogues ménagées dans la paroi du four. L'air arrivait par
des galeries souterraines. Les fours de fusion servaient d'ailleurs
au réchauffage des objets ébauchés, que l'on y introduisait par des
ouvreaux de travail.
Pour fritter et recuire, on se servait de fours à réverbère continus
136 CRISTAUX, VERRERIE.
ou discontinus, chauffés à flammes perdues ou par un foyer spécial.
Une disposition fréquente consistait à placer aux angles du four de fu-
sion des fours annexes ou arches, chauffés par les gaz du premier four
et affectés aux frittes ainsi qu'à la cuisson des creusais.
Enfin les fours à étendre, chauffés par un foyer latéral, présen-
taient ordinairement deux chambres avec cloison séparative, lune pour
Fétendage, l'autre pour le refroidissement.
Dès 1869, la Commission française à l'Exposition de Londres si-
gnalait lapparition des fours Siemens à régénération de chaleur, dont
j'ai déjà parlé à propos de la métallurgie. M. Péligot, rapporteur du
jury à l'Exposition de 1867, insista tout spécialement sur les avan-
tages de ces fours gazogènes, où le combustible était distillé plutôt
que brûlé et qui assuraient une bien meilleure utilisation de la cha-
leur. Certaines cristalleries, comme celles de Baccarat, Saint-Louis
et Clichy, venaient de les adopter; grâce à leur emploi, l'établisse-
ment de Saint-Louis, en particulier, avait pu travailler à pots décou-
verts avec de la houille pour combustible. Cependant ils ne se répan-
daient pas aussi rapidement qu'on aurait pu le croire. En 1878,
M. Clémandot constatait encore les hésitations de nombreuses verre-
ries devant la dépense de transformation de l'outillage et devant les
difficultés pratiques que les appareils Siemens paraissaient offrir pour
la petite industrie; mais il mentionnait en même temps une modifica-
tion heureuse des fours anciens suivant le système Boêtius, à grilles
inclinées et très profondes ; ce système donnait une température plus
régulière et n'exigeait pas la même habileté de la part des chauffeurs.
Depuis, le temps perdu a été regagné et l'emploi du gaz s'est généra-
lisé dans les usines, non seulement pour les fours de fusion, mais
encore pour les fours à étendre.
Un autre progrès suivit de près celui de l'introduction des fours à
gaz : je veux parler de la substitution des bassins aux creusets, d'abord
limitée à la fabrication des bouteilles. Blanzy ouvrit la voie avec des
fours intermittents. Puis Frédéric Siemens établit à Dresde des fours
continus, dont un modèle figurait à l'Exposition de Vienne en 1878 ;
M. Richarme, de Rive-de-Gier, appliqua bientôt un dispositif sem-
blable, en apportant toutefois au système Siemens divers perfectionne-
CRISTAUX, VERRERIE. 137
ments. On enfournait d un côté pendant que le cueillage du verre
s'effectuait de l'autre côte ; la production était ainsi portée du simple
au triple. Les fours à bassins et k fusion continue, chauffés par le gaz,
ne tardèrent pas à prendre une très grande extension dans les fa-
briques de verre k vitres et de glaces, comme dans les fabriques de
verre k bouteilles. Pour les autres branches de la verrerie, Tusage des
fours k creusets s est maintenu.
Pendant la dernière période décennale du siècle, Teffort principal a
porté sur les gazogènes^ dont la conduite est pénible et délicate. Dans
son ouvrage remarquable, la Verrerie au jx^ siècle^ M. Jules Henrivaux
donne des détails intéressants au sujet des divers types entre lesquels
se répartissent ces appareils : i ^ gazogènes k gaz d'air, ayant pour ori-
gine le premier modèle Siemens et produisant la gazéification au
moyen de l'air seul ; a** gazogènes k gaz mixte (mélange de gaz d'air et
de gaz à l'eau), fonctionnant en général par soufflage et exceptionnel-
lement à combustion renversée ; 3"^ gazogènes à gaz régénéré des fu-
mées; 4** gazogènes pour gaz k l'eau; 5"* gazogènes à cornues. Les gazo-
gènes de la première catégorie ont un rendement modique, leurs
grilles sont sujettes k une usure rapide et ils ne donnent que des gaz
d'une faible puissance calorifique ; il ne semble pas que la pratique
ait consacré les appareils de la. troisième catégorie; on peut reprocher
aux gazogènes de la quatrième catégorie leur intermittence et leur
complication.
Les fours de fusion alimentés par du gaz de gazogène sont, les uns
k circulation continue et uniforme des courants gazeux, les autres à
renversement. Ils se rattachent d'ailleurs k plusieurs genres d'après-
le mode de récupération : simple récupération par l'air secondaire,
c'est-à-dire par l'air admis au four pour brûler le gaz ; double récu-
pération par l'air secondaire et le gaz, comme dans le four Siemens
primitif; double récupération par l'air total, encore incomplètement
appliquée; triple récupération par l'air total et le gaz, jusqu'ici sans
réalisation industrielle. Actuellement, les récupérateurs à renversement
prévalent dans les industries qui se servent de fours k bassin; pour les
autres fours, les récupérateurs continus se recommandent par leur
simplicité et paraissent dans l'ensemble plus avantageux.
138 CRISTAUX, VERRERIE.
Certains fours de fusion sont alimentes par des gaz naturels;
d'autres, par des combustibles liquidés (benzine, pétrole brut, rësidus
de distillation du pétrole). Récemment ont eu lieu des essais de fours
électriques ; mais la période d'expérimentation n est pas close.
Les limites de cet ouvrage m'empécbent d'insister sur les disposi-
tions des fours à recuire. Parmi ces fours, les uns sont discontinus:
après les avoir portés au rouge sombre, on y place les objets et on en
ferme les issues, pour les laisser refroidir lentement. Dans d'autres,
le travail est continu ; les objets y circulent sur des chariots et sortent
en un point où la chaleur est presque nulle.
Je dois également passer sans m'arréter aux fours à étendre, fours
à pierre fixe, fours à pierres tournantes, fours à pierre roulante, éteii-
deries Biévez.
L'industrie des glaces coulées comporte un matériel fort intéres-
sant: grues, tables, chariots, chemins de fer de service, machines et
instruments divers employés k dégrossir, à doucir, à savonner et h po^
lir les glaces, etc.
Mentionnons encore les meules à tailler. Ces meules en métal, en
grès, en pierre, en bois, en liège, etc., sont mues au pied ou plus
souvent commandées par des transmissions mécaniques.
La gobeleterie se fait swt en verre, soit en cristal. Après avoir dé-
buté à Saint-Gloud vers la fin du xviii* siècle (i 78/i), la fabrication du
cristal a pris un rapide développement, non seulement dans l'an-
cienne usine de Saint-Gloud, mais dans celles de Saint-Louis, de Bac-
carat et de Choisy-le-Roy. Dès nos premières Expositions nationales,
on en pouvait constater les progrès incessants, et ces progrès n'ont
fait que s'accentuer depuis.
Un perfectionnement de haut intérêt, qui s'applique d ailleurs à
toute la verrerie et dont M. Léon Appert fut l'initiateur dès 1879, a
été le remplacement du soufflage à la bouche par le soufilage à l'air
comprimé; les appareils se manœuvrent au pied ou mécaniquement.
L'Exposition de 1900 montrait la souplesse du procédé, qui, avec des
modalités difl'érentes, convient aux plus petits objets comme aux plus
grosses pièces. En combinant le soufilage mécanique de l'air com-
CRISTAUX, VERRERIE. 139
primé avec une utilisation de la malléabilité du verre, M. Sievert, de
Dresde, a pu obtenir des pièces de très grandes dimensions, telles
que des baignoires.
Grâce aux travaux de Gay-Lussac, de Thénard et de Kessler, lacide
fluorhydrique, dont les propriétés étaient connues dès la fin du
XVII* siècle, mais qu'on n'avait pas su employer immédiatement, est
venu fournir un nouveau procédé de gravure. Jusqu'alors, le verre et le
cristal se gravaient seulement à la roue. Il existe un troisième moyen,
celui du jet de sable. Souvent, les divers modes de gravure se com-
binent entre eux.
Dans la gobeleterie, les bords des verres doivent être rodés ou
rebrulés. Le rebrûlage au gaz, malgré son prix légèrement supérieur
à celui du rodage, a constitué une réelle amélioration.
Il y a lieu, parfois, de donner au cristal un blanc mat opaque. Le
rapport du jury de 1867 signalait, pour la première fois, l'emploi, à
cet effet, du spath-fluor, qui entrait en. lutte avec le dépoli ou avec
l'opatisation par lacide arsénieux et par le phosphate de chaux, dans
la préparation des pièces d'éclairage.
Vers i 865, la fabrication des bouteilles différait peu de celle du
moyen âge. Quand furent apparus les fours à bassin, elle entra dans
une voie de tran formations profondes.
Aux anciens moules ouverts en argile ou en fonte se substituèrent,
d'abord en Allemagne, puis en France et dans les autres pays, les
moules fermés déjà en usage pour la confection des carafes, des fla-
cons et des bouteilles de verre blanc. Ces derniers moules, primitive-
ment fixes, furent ensuite animés d'un mouveftient de rotation : le
tournage de la bouteille par l'ouvrier souffleur était ainsi supprimé.
Il fallait encore, comme jadis, sectionner le col et y rapporter la
bajg^ue; le souQlage à la bouche subsistait; peu de travaux étaient aussi
p^bles et exigeaient un apprentissage aussi prolongé. De nombreux
inventeurs cherchèrent à combiner des machines remplaçant le souf-
flage humain par le soufflage à l'air comprimé, réduisant au minimum
les manipulations de mise en œuvre du verre, fournissant des bou-
teilles finies au moyen de procédés purement mécaniques. M. Boucher,
140 CRISTAUX, VERRERIE.
de Cognac, eut la bonne fortune de résoudre le problème, après des
essais persévérants entrepris en iSg^. Ce fut un immense bienfait au
point de vue de la perfection des produits, de Téconomie et de Thygiène
professionnelle. En même temps, M. Boucher inventait un four de fu-
sion et une arche de recuisson justement appréciés par les spécialistes.
Deux procédés peuvent servir à fabriquer les verres pour vitrages :
celui des cylindres et celui des plateaux. Le procédé des cylindres, uni-
versellement appliqué en France , consiste h souffler le verre sous une
forme cylindrique, à le fendre après séparation des deux calottes, à le
ramollir dans un four d'étendage, puis à le planer et à le recuire. Dans
le second procédé, que l'Angleterre appliquait autrefois, mais quelle
a abandonné depuis vingt ans, la matière est soufflée en boule, em-
pontie, réchauffée, développée en plateau par une rotation rapide de
la canne et enfin découpée en segments. La méthode des cylindres,
importée chez nous par Drolenvaux, fondateur de la célèbre verrerie
de Saint-Quirin (1780), donne des vitres de dimensions plus grandes,
d une épaisseur plus uniforme, d'une planimétrie bien supérieure, mais
d un éclat beaucoup moindre.
A une époque relativement récente, les Américains ont imaginé une
nouvelle méthode fondée sur le laminage du verre entre des cylindres
chauffés au gaz.
Les verres cannelés, d'un usage fréquent eu égard à leur propriété
de laisser passer la lumière tout en interceptant la vision, se fabriquent
comme les verres ordinaires par le procédé des cylindres. Mais la pa-
raison doit être soufflée au début dans un moule à cannelures.
M. Emile Trélat aT eu l'idée de recourir à des verres perforés pour
la ventilation. Le mérite du procédé de fabrication de ces verres appar-
tient à M. Léon Appert. Ils sont coulés sur une table portant des
saillies, qui réservent dans la masse vitreuse des trous fermés h la
partie supérieure par un très mince tampon. On débouche ces trous à
l'aide de sable, d'acide fluorhydrique ou mieux d'un foret.
Les verres de montre proviennent de globes coupés au diamant par
des machines spéciales. Une fois détaché, le verre brut reçoit, à la
CRISTAUX, VERRERIE. 141
meule, le biseau qui lui permet d^entrer et de se maintenir dans le
drageoir.
Autrefois, ce mode de préparation était inapplicable aux verres
pour montres plates; la courbure eût été, en effet, trop accentuée; il
fallait user à la roue des lames planes. Le soufflage de boules d'un
grand diamètre a fait disparaître la difficulté ; au besoin , on diminue
encore la concavité des verres en les chauffant dans un four à réver-
bère sur un moule très aplati.
L'industrie des glaces soufflées et étendues par le procédé du verre
à vitres en cylindres est fort ancienne. Celle des glaces coulées a pris
naissance vers la fin du xv!!*" siècle.
Après avoir fondu et affiné la matière, on la coule sur une table
métallique préalablement saupoudrée de sable fin ; puis on Tétend à
laide d un rouleau. La glace est ensuite rapidement enlevée et intro-
duite dans un four à recuire ou carcaise, que surmonte une voûte ellip-
tique très basse et qui comporte deux foyers, Tun à lavant, Tautre à
larrière. Ce four doit être à la température du rouge sombre, quand
la glace y pénètre ; son refroidissement graduel dure de trois à quatre
jours. Sortie du four, la glace subit une visite minutieuse, à laquelle
succède Téquarrissage au moyen de molettes en acier.
Trois opérations successives sont nécessaires pour supprimer les
rugosités superficielles, assurer le parallélisme des faces et réaliser la
transparence. Elles ont reçu le nom de doucissage, de savonnage et
de polissage. Le doucissage s'obtient par frottement de lames en fonte
ou en fer, avec interposition de grès ou gros sable et ensuite de sable
fin; pour le savonnage, on remplace le sable par de Témeri de gros-
seur décroissante ; le polissage consiste à frotter les surfaces au moyen
de feutres , en interposant de Toxyde de fer ou potée.
Jusqu'en 1768, le travail des glaces était exclusivement manuel.
Après cette date, la machine à vapeur s'est substituée à la main de
l'homme. Des dispositifs mécaniques très divers ont été tour à tour
expérimentés. Aujourd'hui, le doucissage s'effectue sur une table qui
tourne autour d'un pivot central et au-dessus de laquelle circulent
des plateaux frotteurs excentrés à rotation. Dans les systèmes de savon-
142 CRISTAUX, VERRERIE.
nage les plus répandus, la glace reste fixe elle frotteur, constitué par
une plaque de verre, décrit un 8 allongé; on est cependant parvenu
à utiliser la plate-forme de doucissage. Pour le polissage, la table reçoit
ordinairement un mouvement rectiiigne, tandis que les frotteurs sont
animés d une translation circulaire ; l'opération se fait aussi à la plate-
forme. Les glaces doivent être soigneusement scellées sur les tables T
il existe, à cet effet, des appareils spéciaux.
Jadis pratiqué à la main , le biseautage lest maintenant au moyen
de meules en, fonte et en grès , contre lesquelles la glace frotte dans un
mouvement continuel de va-et-vient. L'opération se termine par un
polissage mécanique au feutre.
L'ancien étamage des miroirs à l'étain et au mercure soumettait les
ouvriers à l'action pernicieuse des vapeurs mercurielles. Il a été rem-
placé par l'argenture, c'est-à-dire par le dépôt d'une mince coucbe d'ar-
gent métallique , qu'on obtient en décomposant sur place un sel d argent
et en précipitant le métal ainsi réduit; l'argenture peut être rendue
plus solide à l'aide d'une amalgamation ; une application de vernis et
de peinture protège en général l'argent contre l'influence des agents
atmosphériques. En 1 865 , Dodé a inauguré le platinage; la résistance
du platine aux agents chimiques permet de le déposer à l'avant de la
glace, de ne travailler le verre que d'un côté, d'en réduire l'épais-
seur et de ne pas demander à la matière vitrifiée autant de perfection;
malheureusement, l'aspect est défectueux et les glaces de grandes di-
mensions supportent mal la température élevée nécessaire à l'opération.
Très employées en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, les
glaces bombées le sont fort peu en France. On est arrivé à faire le
bombage des grandes glaces sur sole sans recourir à des moules.
Des méthodes rigoureuses et des instruments précis ont été créés
pour la vérification de l'épaisseur des glaces , de leur planimétrie et
du parallélisme de leurs faces.
La vente des glaces a pris beaucoup d'extension, par suite de leur
substitution aux verres à vitres dans les devantures de boutique et pour
les fenêtres des habitations luxueuses. Du reste, leurs dimensions se
sont considérablement accrues, en même temps que leur prix dimi-
nuait dans une énorme proportion. Vers le commencement du siècle.
CRISTAUX, VERRERIE. 143
la superGcie des glaces de Saint-Gobain ne dépassait pas 4 m. q. 2 5 ; en
1900, elle a atteint 34 mètres carrés. La réduction de prix dépasse
80 p. 100 pour les glaces de 1 mètre carré, 86 pour les glaces de
51 mètres carrés, 90 pour les glaces de 3 mètres carrés, 96 pour les
glaces de li mètres carrés, etc.
Entre autres usages récents des glaces, il est intéressant de signa-
ler leur emploi pour rétablissement de cuves à vin, auxquelles elles
apportent des garanties exceptionnelles de propreté.
L utilisation du verre dans la couverture des ateliers, des gares,
des marquises, etc., et dans la construction des serres a beaucoup
augmenté. On s'est d'abord servi de verres à vitres simples ou doublés ;
mais leur résistance au vent et à la grêle était souvent insuffisante.
Lies glaces proprement dites étant trop coûteuses, il a fallu organiser
la fabrication d'un produit intermédiaire, le verre mince coulé; née
en Angleterre, cette fabrication est bientôt passée en France. Ordi-
nairement, la face en contact avec la table de coulée présente des
cannelures ou des stries; rien n'empêche d'avoir, au contraire, une
face inférieure unie et une face supérieure imprimée au rouleau.
De nombreuses applications du verre coulé et, s'il y a lieu, moulé
mériteraient encore d'être citées ici. Je rappelle, à titre d'exemples,
les dalles polies, les dalles à reliefs, les briques ou tuiles creuses, les
tuyaux, les boîtes, l'opaline laminée si précieuse pour les installations
sanitaires^ etc.
M. Léon Appert est l'auteur d'un procédé méthodique de moulage ,
qui convient particulièrement aux gros tuyaux, aux colonnes, aux ré-
cipients cylindriques ou rectangulaires de grande capacité, et dont les
principes se résument ainsi : 1® n'effectuer le moulage que successive-
ment et par fragments très limités; 3® assurer le maintien de la tem-
pérature et, par suite, de la malléabilité pendant toute l'opération.
L'idée première d'insérer dans les feuilles de verre coulé un réseau
métallique s'opposant à la dislocation en cas de rupture paraît appar-
tenir à l'anglais Tenner (i85o); mais elle n'a été réalisée industriel-
lement que plus tard, aux Etats-Unis. On prépare le verre armé, soit
en introduisant le réseau dans la matière encore chaude, soit en l'in-
144 CRISTAUX, VERRERIE.
tercalant entre deux coulées successives, soit en effectuant à la fois
ces deux coulëes et en plaçant au fur et à mesure le réseau dans la
position médiane qu'il doit occuper. Cette dernière méthode, duc à
M. Léon Appert, assure mieux la soudure des couches.
Un produit récent, employé avec succès pour les bordures des
trottoirs du pont Alexandre III, est la pierre de verre Garchey. Cette
pierre a des qualités remarquables de résistance à Técrasemént, au
choc, à larrachement, à l'usure, à la gelée. Elle se fabrique par la
dévitrification de verres contenant un excès de chaux ou d'alumine,
notamment du verre à bouteilles. Les fragments de verre sont broyés,
classés, disposés dans des moules en fonte, dévitrifiés au four, soumis
à l'action d une presse hydraulique qui découpe et modèle la matière;,
le travail s'achève par un passage au four de refroidissement.
Au nombre des nouveautés apparues à l'Exposition universelle de
1878, figurait le verre trempé. Pour les objets de formes simples
et de faibles dimensions, la trempe dans un bain de graisse (suif,
huile, etc.) peut être employée avec succès (M. de la Bastie, 187/1);
la trempe à la vapeur se prête à des applications plus générales
(MM. Boistel et Léger, 1876). Une belle théorie de la trempe du
verre a été présentée par M. G. E. Jullien. Malgré les mérites de la
trempe, les verriers de France y ont renoncé par suite de l'incertitude
des résultats de la fabrication. L'Allemagne et les Etats-Unis en font
quelque usage, surtout pour des verres à gaz.
Les instruments d'optique ont des objectifs achromatiques, con-
stitués par la juxtaposition de deux sortes de verre, le flint^glass ou
cristal ordinaire à base de plomb et le crown-glass ou verre blanc,
pur et sans défaut. On doit k Pierre-Louis Guinand (Suisse) la décou-
verte de procédés méthodiques pour la fabrication des verres d'optique.
La difficulté, plus grande pour le flint que pour le crown, était d'évi-
ter les stries ou ondes déterminées par le défaut d'homogénéité et
l'inégal refroidissement de la masse fondue. Guinand résolut le pro-
blème en brassant cette masse à l'aide d'un cylindre de terre réfrac-
taire et en la refroidissant avec une extrême lenteur.
Partout, les verriers effectuent la fonte dans de petits fours circu-
CRISTAUX, VERRERIE. 145
laires ne contenant qu'un seul creuset. Quand elle a pris une consistance
suffisante, la masse est recuite dans une arche spéciale. Après son
refroidissement complet, le verrier la taille suivant des faces paral-
lèles qui permettent d'en vérifier la pureté, en détache à la scie les par-
ties défectueuses, la ramollit et la moule dans une arche où elle subit
un nouveau recuit.
La taille des petites lentilles s'exécute à l'aide d'outils en cuivre et
au moyen d'émeri pour le doucissage, puis de tripoli pour le polis-
sage. Dès que les pièces prennent des dimensions considérables,
l'adhérence entre l'outil et le verre devient excessive; Foucault y a
pourvu en remplaçant alors le métal par le verre. .
Nous avons eu et nous avons encore en France de très habiles
verriers opticiens : H. Guinand, Feil, Mantois, M. Parra, dont les
ateliers ont fourni des objectifs au monde entier, notamment l'objectif
astronomique de i m. o& destiné à l'observatoire d'Yerkes (Université
de Chicago) et l'objectif astrophotographique de i m. âo adapté à
la grande lunette de 1900. Ce dernier objectif a été travaillé par
M. Gautier, de même que le beau miroir de 2 mètres de diamètre,
entrant dans la constitution du sidérostat et fondu à Jeumont : le
constructeur avait dû imaginer pour la taille du miroir des procédés
mécaniques nouveaux et des méthodes optiques de contrôle. Il est
juste de citer aussi le centre important de fabrication d'Iéna.
A la verrerie d'optique se rattachent les appareils des phares. On y
emploie des verres que leur forte teneur en silice et en chaux rend
très durs et inattaquables à l'air; ces verres doivent être purs, faible-
ment colorés et à peu près dépourvus d'ondes ou de stries. Le travail
s'effectue au tour; il comprend un dégrossissage au grès, un doucissage
à l'émeri et un polissage à la potée.
Les miroirs des projecteurs sont paraboliques ou aplanétiques. Ils
se préparent, dans le premier cas, par bombage d'une feuille épaisse
de verre, et, dans le second cas, par coulage-moulage.
De la verrerie relèvent encore les émaux. L'émail est un verre fusible
à basse température, généralement formé par le mélange de divers
borates et silicates. Ce mélange, en lui même incolore, se combine
10
iMPViMrRie xATio\Ai.r..
146 CRISTAUX, VERRERIE.
sous 1 action de la chaleur avec tous ou presque tous les oxydes métal-
liques ; il acquiert, suivant la nature des oxydes, les colorations et les
tonalités les plus diverses, fournissant ainsi à lartiste une palette
d'exceptionnelle richesse. Les verres colorés sont pour la plupart trans-
lucides ; on les rend opaques en y incorporant de Témail blanc, obtenu
au moyen d oxyde d'étain, et plus souvent par Temploi darséniates.
de phosphates ou de fluorures.
Outre ses applications artistiques, l'émail a des applications indu-
strielles, dont la plus importante est Témaillage des métaux communs
ou du verre.
Au début de cette rapide étude sur les cristaux et la verrerie, j'ai
déjà indiqué le principe de la coloration du verre. La fabrication des
cristaux colorés n'était guère pratiquée en France avant i8ilo; cer-
taines matières colorantes ne s'allient pas au cristal seul et exigent
une addition de verre (verre de Bohême ou verre ordinaire à base
de soude).
Outre les verres à coloration uniforme, on fait des verres marbrés
en mélangeant du verre incolore à du verre coloré ou plusieurs verres
de colorations différentes. Les aventurines s'obtiennent par la dissé-
mination dans la masse de cuivre métallique, de silicate de cuivre,
d'oxyde de chrome, très divisés; les verres filigranes, par l'assemblage
de baguettes cylindriques; les millefiori, par le dépôt d'une paraison
de verre blanc autour de verres filigranes ou même autour de matières
non vitreuses; les verres murrhins, par l'agglomération de verres di-
versement colorés.
Plusieurs procédés sont en usage pour l'irisation du verre. L'un
d'eux est basé sur l'action de l'acide chlorhydrique, combinée 'avec
celle de la chaleur et de la pression.
Une variété curieuse, dite verre givre, imite les dessins dont les
vitres des appartements se recouvrent pendant les gelées. La méthode
de préparation consiste à dépolir le verre au sable, à l'enduire d'une
matière formant vernis et à Tétuver ou à l'exposer au soleil; par suite
de la contraction, l'enduit éclate en écailles enlevant avec elles des
parcelles de verre.
CRISTAUX, VERRERIE. 147
Le verre a donné lieu à d'innombrables études scientiGques. Telles
sont les recherches de M. Henrivaux concernant les teintes du verre
blanc et Tinfluence de lalumine.
C est le fer contenu dans les matières vitrifiables qui contribue sur-
tout h la coloration du verre blanc; on sait d'ailleurs, par les travaux
de Pelouze, que la teinte verte ou vert bleuâtre, visible dans les verres
réputés les plus blancs, est due à Toxyde de fer au minimum d'oxy-
dation. Malheureusement, il n'existe pas de moyen pratique pour
débarrasser la matière première du fer que la nature y a déposé, et,
d'autre part, le travail du four ne permet pas de ramener réguliè-
rement le métal au ma)dmum d'oxydation. Une extrême importance
s'attache donc au choix des éléments constitutifs du verre et spécia-
lement à celui du sable, principal véhicule du fer : de nouveaux pro-
cédés d'analyse se sont substitués à ceux qui étaient en usage. L'emploi
du savon des verriers (oxydes dits décolorants) donne des produits
qui s'altèrent sous Tinfluence de la lumière et doit être proscrit.
On a accusé à tort l'alumine de nuire au bon affinage du verre; on
lui a reproché aussi de maintenir ou de ramener au minimum d'oxy-
dation le fer contenu dans la pâte. En tout cas, elle donne au verre
des propriétés physiques et chimiques remarquables, telles que la
dureté, la résistance au choc, l'inaltérabilité. La conservation du verre
à bouteilles et celle du verre des anciens vitraux (xiii*' et x\f siècles),
par exemple, réèulte surtout de sa présence à haute dose dans la com-
position de ces verres.
Iâ8 CHAUFFAGE.
S 2. CHAUFFAGE ET VENTILATION. ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE.
1. Appareils et procédés généraux du chauffage et de la venti-
lation. — 1. Cliauffage. — Aux foyers simplement allumes sur le
sol des cavernes ou des huttes avaient succédé les bramrs en métal :
trépieds des Grecs et des Romains, brasiers des Hébreux et des Perses.
Ces appareils se sont perpétués à travers le moyen âge et ont donné
naissance au brasero, encore usité en Espagne, en Italie et dans l'Amé-
rique du Sud où il fut introduit par les Espagnols. Instrument clas-
sique de suicide, le brasier est, au contraire, inoffensif lorsqu'il se
trouve dans un local largement ouvert et que son rôle se réduit à
communiquer un peu de chaleur aux personnes qui s en approchent. En
plein air, notamment sur les chantiers, il rend les plus grands services.
Dès que Thomme atteignit un certain degré de civilisation, Tâlre
découvert fut surmonté d'un tuyau destiné à Téchappement de la
fumée, comme on le voit dans certaines constructions de^ Tépoque
romaine. La tradition se continua au moyen âge: une large voûte, en
forme de hotte, couvrait Tâtre fixe et rassemblait les produits de la
combustion, qu'un tuyau conduisait au-dessus du toit; pour éviter les
courants latéraux, deux jambages dirigeant l'air sur le combustible
furent disposés de part et d'autre du foyer; on imagina aussi de poser
les bûches sur des chenets facilitant l'accès de l'air à la partie infé-
rieure; enfin des supports ou crémaillères prirent place au-dessus de
la flamme pour la cuisson des aliments. Telles étaient les premières
cheminées y aux allures monumentales, dont le moyen âge nous a laissé
des types si remarquables, à partir du xii'' siècle. Leurs vastes dimen-
sions s'opposaient au bon emploi de la chaleur dégagée par le com-
bustible. Trop profondes pour permettre le rayonnement vers tous les
points de la salle, elles concentraient la chaleur dans la chambre
formée par les jambages. De plus, la largeur exagérée de la hotte et
du tuyau provoquait un appel considérable d'air froid extérieur, qui
refroidissait la salle, abaissait la température de la colonne de fumée
et en diminuait la force ascensionnelle : le tirage était mauvais et la
fumée très fréquemment refoulée.
CHAUFFAGE. 149
Malgré les tentatives d'amélioration poursuivies par les architectes
de la Renaissance, par Alberti de Florence , Serlio de Bologne, Cardan,
Philibert Delorme, il faut arriver jusqu'au xi\* siècle pour consta-
ter des perfectionnements réels dans le tirage des cheminées , pour
trouver un remède efficace è l'excès des appels d'air froid, pour voir
apparaître des formes véritablement rationnelles au point de vue de
l'utilisation du calorique. Les principes du chauffage commençaient
alors à former un corps de doctrine scientifique, grâce aux travaux
des Tredgold, des Darcet, des Péclet, qui avaient su analyser les phé-
nomènes de la combustion et substituer aux règles empiriques des
méthodes rigoureuses basées sur la théorie de la chaleur.
C'est de cette époque que datent les progrès essentiels : modification
des parois latérales et de la plaque de fond, afin de mieux réfléchir la
chaleur dans la pièce; réduction du foyer, de manière à proportionner
la quantité de combustible à l'appel d'air extérieur; rétrécissement
notable du tuyau de fumée, pour n'admettre que les gaz très chauds
provenant de la flamme et empêcher l'accès de l'air froid qui abaissait
la température de la colonne de fumée; adaptation d'un tablier à cou-
lisse ralentissant ou activant l'entrée de l'air et régularisant par suite
le tirage. Rumford, Lhomond et divers autres physiciens ou spécialistes
attachèrent leur nom à ces utiles réformes.
Néanmoins la cheminée simple, ne chauffiant que par rayonne-
ment, restait et restera toujours un appareil très imparfait, laissant
échapper sans effet utile la plus grande partie de la chaleur dégagée
par le combustible; Péclet a pu dire ironiquement qu'avec ce mode
de chaufl^age cria place la plus chaude d'une habitation était sur les
(f toits 7).
Depuis longtemps, l'idée était venue de rechercher une meilleure
utilisation de la chaleur au moyen d'appareils chauffant l'air de la pièce
par contact en même temps que par rayonnement. Les premiers appa-
reils de ce genre semblent avoir été établis en Angleterre , où le rem-
placement du bois par la houille avait déjà conduit à changer les
dispositions intérieures et les formes des cheminées, à employer une
grille au lieu de chenets et à faire des jambages en métal poli. Ils
consistaient en une sorte de seconde cheminée, constituée par des
150 CHAUFFAGE.
plaques de tôle ou de fonte, qui se plaçait dans les cheminées ordi-
naires; outre l'avantage d'un plus fort rayonnement, ces appareils
avaient celui d'ëchauffer Tair en contact avec leurs parois métal-
liques.
Les cheminées à ranglaise faisaient leur apparition en France, vers
le commencement du xvii® siècle , quand l'architecte Savot créa un dis-
positif nouveau consistant à isoler l'âtre du plancher et à réserver un
intervalle entre la plaque de fond et le mur; l'air de la salle péné-
trait sous l'âtre, s'y échauffait et rentrait par des bouches situées au
sommet de la plaque de fond. Dans sa Mécanique du feu (^l'jid)^
. Gauger proposa de tirer un meilleur parti des chambres de chaleur
créées par Savot, en les divisant et en forçant l'air à parcourir un cir-
cuit plus long avant sa rentrée dans la salle; il reporta d'ailleurs la
prise d'air à l'extérieur, afin d'éviter l'appel par les joints des portes
et des fenêtres. Gomme la chaleur du foyer se perdait encore pour la
plus grande partie dans le tuyau d'échappement, sans avoir servi k
échauffer l'air de la salle, Franklin imagina d'allonger le parcours de
la fumée. Un Français, Désarnod, construisit en 1789 un appareil
conçu d'après les idées de Franklin et muni en même temps de
chambres de chaleur tout au pourtour du foyer : c'était une cheminée
à flamme renversée, où les gaz de la combustion subissaient des mou-
vements successifs d'ascension et de descente, et ne se rendaient au
conduit de sortie qu'après avoir abandonné une très forte part de leur
calorique dans des tuyaux disposés de part et d'autre de la cheminée.
Telle fut l'origine de toutes les cheminées-poêles qui furent inventées
pour porter remède aux inconvénients des vastes cheminées de l'époque
et qui, se plaçant comme les cheminées à l'anglaise dans l'intérieur ou
en avant de ces cheminées, permettaient d'échauffer l'air à la fois par
rayonnement et par contact. Ges appareils avaient, les uns et les
autres, des parois doubles : la paroi intérieure servait d'enveloppe au
foyer; l'espace compris entre cette première paroi et la seconde rece-
vait de l'air pris soit dans l'appartement, soit au dehors, et destiné à
s y échauffer pour regagner ensuite la salle et s'y répandre. Quant au
dispositif adopté en vue de prendre aux gaz de combustion la plus
grande partie de leur chaleur, il se limitait, dans la plupart des cas,
CHAUFFAGE. 151
à un allongement du tuyau par lequel la cheminée-poêle communi-
quait avec la cheminée proprement dite.
Actuellement, dans les pays où les cheminées restent en usage à
cause de leur simplicité, de la ventilation qu'elles procurent, de lat-
trait que présente la vue de la flamme, notamment en Angleterre, en
Allemagne et en France, la construction suit les principes posés par
Franklin et Gauger; les surfaces de chaufie reçoivent le plus grand
développement possible, et des prises d'air, généralement extérieures,
viennent activer le tirage et contribuer à une ventilation rationnelle.
Pourtant, les cheminées n utilisent encore que dune façon très
imparfaite la chaleur dégagée par le combustible. Aucune invention
nouvelle n ayant, depuis le commencement du siècle, amené une amé-
lioration radicale de leur rendement, les préférences sont allées, sur-
tout en France, vers de nouveaux appareils, cheminées ou poêles
mobiles, à combustion lente, dont la fabrication a pris un très rapide
essor et sur lesquels je reviendrai plus loin.
Les peuples obligés de lutter contre les rigueurs du climat ont dû
nécessairement chercher à obtenir du combustible un effet utile plus
considérable. Renonçant aux avantages d agrément et de simplicité des
foyers découverts, ils ont inventé des appareils mieux appropriés à
leurs besoins, poêles et calorifères^ qui échauffent Tair, non plus par
rayonnement direct de la flamme, mais par contact avec des parois
solides portées à une haute température. On retrouve le principe de
ces appareils dans Thypocaustum , que les Romains employaient au
chauffage de leurs appartements d'hiver et dont ils introduisirent
Tusage chez les Gaulois ; mais, tandis que les poêles actuels se placent
à Imtérieur des salles, Thypocaustum était, au contraire, placé exté-
rieurement, en dessous du dallage.
Dans des temps plus rapprochés de nous, les habitants du Nord
ont été les premiers à se servir des poêles. Un ouvrage écrit en 1619
par l'allemand Fr. Keslar contient à cet égard les renseignements
les plus complets et les plus intéressants. L'auteur cite un poêle en
faïence, alors usité en Allemagne, présentant une forme parallélépi-
pédique et ayant pour foyer une sorte de fourneau à réverbère : la
152 CHAUFFAGE.
flamme, concentrée au sommet de ce four, passait successivement au
travers d une série de compartiments horizontaux et n arrivait à la
cheminée qu'après l'abandon presque complet de sa chaleur. Des poêles
analogues se rencontrent encore dans différentes régions de TAlle-
magne, de la Suisse et de la France; seule, la décoration extérieure a
subi quelques modifications.
Il y a de longues années que la Russie et la Suède emploient des
poêles du même genre, mais de dimensions plus considérables, con-
struits en briques ou en pierres et pourvus d'un jeu de cameaux hori-
zontaux ou verticaux que traverse la flamme du foyer. Habituellement,
ces appareils ne se chargent qu'une fois par jour : on remplit le four-
neau de bois ou de houille et l'on ouvre largement les registres de la
cheminée ainsi que la porte du foyer, afin de provoquer un tirage très
actif et d'aviver la combustion; dès que la flamme a cessé, on ferme
les ouvertures pour ralentir autant que possible le refroidissement.
Comme le pouvoir conducteur de la brique est fort restreint, la cha-
leur se transmet lentement au dehors; en revanche, la faiblesse du
pouvoir émissif de l'appareil le maintient chaud pendant très long-
temps et régularise la distribution du calorique emmagasiné dans le
foyer. La porte de ces poêles se trouve tantôt à l'intérieur, tantôt à
l'extérieur de la salle; placée intérieurement, elle concourt à la ven-
tilation. Parmi les perfectionnements modernes apportés aux anciens
appareils, il y a lieu de citer les dispositions prises pour régler l'ac-
cès de l'air dans le foyer et obtenir une combustion aussi complète
que possible, l'allongement des carneaux et l'augmentation du trajet
de la fumée sans affaiblissement du tirage, l'addition de tubes à air
se terminant par des bouches de chaleur et faisant des poêles russes
ou suédois de véritables calorifères.
Dans les régions tempérées où le froid peut se faire sentir assez
vivement, sans être jiimais de longue durée, les poêles en terre ont
été remplacés par des poêles en métal, qui, s'ils ne donnent pas
une chaleur aussi régulière, ont du moins l'avantage de chauffer
beaucoup plus rapidement en cas de besoin. L'ouvrage de Keslar
mentionne un de ces appareils, qui était usité dès le commencement
du xvii*" siècle et qui consistait simplement en un cylindre de tôle,
CHAUFFAGE. 153
muni à sa partie inférieure d un foyer accole et à sa partie supérieure
d'un tuyau de fumée; une prise d'air extérieure servait à activer la
combustion, et des registres réglaient l'ouverture de cette prise d air
ainsi que celle du tuyau. Plus tard, le poêle décrit par Keslar reçut
une enveUppe, le tuyau fut allongé pour accroître le tirage et Ion
arriva bien vite aux formes actuelles. Keslar donne aussi la description
d'un poêle à flamme renversée, appareil qui offrait l'avantage d'as-
surer plus complètement l'absorption de la fumée et des principes
odorants dus à la distillation du combustible; Franklib perfectionna
ultérieurement ce dispositif dans son poêle ou chauffair de Pensylvanie.
Depuis, on a inventé des types nombreux de poêles en fer ou en
fonte; leur solidité, la facilité avec laquelle ils revêtent les formes
les plus variées, leur bon marché et, par-dessus tout, l'économie de
combustible qu'ils procurent relativement aux cheminées, ne pou-
vaient qu'en vulgariser l'emploi; ils ont fait l'objet d'une foule de
recherches et d'améliorations; la structure en a été diversifiée suivant
leur destination et la nature du combustible.
Un inconvénient de ces appareils est d'altérer l'atmosphère, quand
leurs parois sont portées au rouge : ils dessèchent l'air, qui tend
ensuite à reprendre son humidité aux dépens de nos muqueuses et
devient pénible h respirer; des dégagements d'oxyde de carbone émi-
nemment toxique peuvent en outre se produire. Il était donc essentiel
d'empêcher que les parois métalliques n'atteignissent une température
trop élevée; comme, d'autre part, l'utilisation rationnelle des com-
bustibles brûlant avec flamme exigeait une combustion vive et une
production intense de chaleur, on a cherché à donner aux poêles en
métal une surface assez considérable pour que l'air pût, à chaque
instant, les dépouiller d'une quantité sufiisante de calorique. Cet ac-
croissement de la surface de chauffe est réalisé, par exemple, soit
au moyen de cavités lenticulaires superposées où circulent les gaz,
soit à l'aide de boîtes aplaties, disposées dans le conduit de feu et k
l'intérieur desquelles arrive l'air destiné h chauffer l'appartement;
parfois aussi, les produits de la combustion, après s'être élevés verti-
calement au-dessus du foyer, s'épanouissent dans une calotte sphérique,
puis redescendent par une série de tuyaux concentriques pour se
CHAUFFACE-
''* , ri l'air à échauffer marche en sens
# i ^/i^ c'AT-fiaDoe; les tubes et les bouches sont dis-
basse au moment où elle s ecuin^i^ ... . i i
posés de manière à en permettre la circulation rapide et le renouvel-
lement incessant, de telle façon qu'il ne puisse se surchauffer et se
^^lange prompteraent à lair ambiant; enfin il est fréquemment hu-
^jjidifié avant sa sortie de l'appareil.
La diffusion des combustibles maigres, tels que le coke et lanthra-
^îte, a provoqué la création de poêles spéciaux à combustion lente,
pourvus de réservoirs dont le chargement s'échelonne à de longs in-
l^^rvalles. Au fur et à mesure de la consommation, le coke ou l'anthra-
cite descendent vers le foyer. Tantôt la combustion s'opère de haut en
l^as, tantôt elle se fait de bas en haut. On a appliqué avec succès à ce
genre de poêles des valves régulatrices automobiles, qui ouvrent plus
ou moins l'accès de l'air indispensable à la combustion et dont le mou-
vement est déterminé soit par la dilatation de lames métalliques, soit
par l'expansion de l'air dans un tube recourbé contenant du mercure.
Il est un type de poêle à combustion lente qui, après 1876, a con-
quis une vogue grandissante, surtout en France : je veux parler du
poêle mobile y dont l'emploi s'est largement substitué à celui des che-
minées d'appartement, si peu économiques au point de vue de la
dépense de combustible '^\ Le tuyau d'évacuation aboutit à une che-
minée ordinaire fermée par un rideau fixe ; la surface de la grille et
l'admission de l'air dans le foyer sont combinées de telle sorte que la
combustion ait lieu lentement et à basse température, ce qui réduit
la dépense au minimum; les enveloppes affectent des dispositions
propres à amener de l'air pur dans l'appartement et à utiliser l'air
vicié pour l'alimentation du foyer; enfin l'appareil est monté sur
roulettes et, par suite, facilement transportable. Souvent, le foyer reste
découvert, de manière à laisser le feu apparent et à constituer une
cheminée mobile. Parmi ces appareils, beaucoup ont de graves défauts:
le tirage très peu actif, à cause de la basse température à laquelle
s'effectue la combustion , reste impuissant à entraîner l'oxyde de car-
^'^ L'idëe initiale des poêles mobiles dale du xviii* siècle. (Masson, 1771; Bellepaume-
Lefèvre.)
CHAUFFAGE. 155
bone produit par le foyer; quelquefois même, ce tirage se renverse,
répandant ainsi dans lappartement le gaz délétère; il en résulte des
accidents, que n'ont pas toujours pu prévenir les nombreux dispositifs
proposés par divers inventeurs pour brûler loxyde de carbone au fur
et à mesure de sa formation. Aujourd'hui, les constructeurs s'attachent
à activer un peu la combustion par un plus grand diamètre d'échap-
pement, à hâter par suite le départ des gaz et à éviter ainsi les refou-
lements.
Les inconvénients que présente l'emploi des substances métalliques
pour la propagation et la distribution de la chaleur, la sécheresse de
l'air chauffé par ces appareils et parfois sa nocuité ont conduit à
entourer le foyer et les parties exposées à l'action du feu d'un revête-
ment de terre ou de briques.
Dans certaines régions, on utilise simultanément pour la confection
des poêles la terre cuite et le métal, de manière à réunir les avan-
tages de ces deux espèces de matériaux. Bien plus légers que les four-
neaux russes et suédois, les poêles ainsi établis peuvent même être
rendus portatifs, et leur usage est plus hygiénique que celui des poêles
métalliques. Ils sont construits avec une grande perfection en Alsace.
Les modèles alsaciens comportent ordinairement un foyer en fonte
(muni d'une grille et d'un cendrier, lorsqu'on y brûle de la houille),
une enveloppe en terre faïencée, des tuyaux en tôle recourbés de
façon à étendre la surface de chauffe, et des tubes à air en fonte qui
traversent le poêle de bas en haut et se terminent par des bouches de
chaleur. A l'inverse des tuyaux d'évacuation qui , parcourus par les gaz
très chauds de la combustion, communiquent rapidement leur chaleur
à l'air ambiant, le poêle ne s'échauffe que lentement; quand le com-
bustible cesse de" flamber, on ferme l'ouverture du foyer, les tuyaux
se refroidissent et le poêle commence à répandre son calorique
avec une très grande régularité. D'autres appareils, à l'inverse des
précédents, ont leur enveloppe en fonte ou en tôle et leur foyer en
terre réfractaire : la chaleur se communique lentement aux parois
métalliques à travers les parois d'argile, et la distribution en est ainsi
régularisée.
Si les cheminées consomment beaucoup, elles présentent du moins
150 CHAUFFAGE.
lavaiitage dune abondante ventilation, tandis que les poêles, qui uti-
lisent bien mieux la chaleur dëgagëe par le combustible, laissent à
désirer sous ce rapport. Montaigne parlait déjà des poêles allemands
de son temps comme de fr poêles à chaleur croupie et à mauvaise sen-
(T tcur 77. Habituellement, les poêles de petites dimensions sont alimentés
par de Tair pris dans le local même à chauffer; pour les poêles munis
de tubes et de chambres à air, ainsi que de bouches de chaleur, ou
poêles-calot if ères y on obtient une meilleure ventilation en prenant Tair
à Texlérieur : l'air frais s'échauffe en traversant l'appareil, puis se
déverse dans la salle, tandis que l'air vicié et déjà chauffé sert à ali-
menter le foyer, ce qui procure d'ailleurs une certaine économie de
combustible.
Rumford, philanthrope passionné pour tout ce qui intéressait l'éco-
nomie domestique, ne s'attacha pas seulement à améliorer les chemi-
nées d'appartement. Ses efforts se portèrent aussi sur les appareils
culinaires, jusqu'alors abandonnés à des maçons ignorants. Il réduisit
la capacité des foyers, les réunit en un foyer Unique chauffant plusieurs
marmites ou chaudières à eau, fit circuler les fumées autour d'un
coffre en tôle servant de four à rôtir. Ses principes ne cessèrent de-
puis d'être suivis par les constructeurs.
Vers 1 8&0, apparut en France un système d'appareils mixtes pour
chauffage et cuisine, déjà usités en Allemagne et alimentés d'abord
par du charbon de bois ou du bois, puis par de la houille.
Peu à peu, les appareils culinaires, notamment les fourneaux en
fonte, ont atteint un assez haut degré de perfection. Cependant
l'arrivée de l'air et l'utilisation du combustible laissent encore à désirer.
Une révolution accomplie en Amérique et naissante en Europe ré-
sulte du remplacement de la fonte par la tôle d'acier. A peine est-il
besoin d'insister sur les avantages de cette substitution au point de
vue de la résistance, de la légèreté et des facilités de transport.
Jusqu'ici, je n'ai envisagé que des appareils à combustible solide.
Mais on recourt aussi aux combustibles gazeux et spécialement au gaz
d'éclairage. Le gaz est amené au foyer par des conduites. Pour allu-
CHAUFFAGE. 157
mer le feu, ii suffit d ouvrir un robinet et d'approcher une allumette
enflammée, ce qui évite toute perte de combustible à Tallumage; de
même, la simple manœuvre d'un robinet règle et éteint instantané-
ment la flamme. La combustion ne donne ni escarbilles, ni fumée;
les approvisionnements encombrants disparaissent. En outre, la pro-
preté est absolue. Aussi l'emploi du gaz d'éclairage a-t-il pu se
répandre, malgré son prix élevé, tant pour le chauffage des habita-
tions que pour la cuisson des aliments.
Dès la prise de son brevet (t 799), Philippe Lebon insista sur l'uti-
lisation éventuelle du gaz comme agent de chaufl^age. Mais les diffi-
cultés pratiques ne furent résolues qu'à la suite de longues et patientes
recherches. Il serait trop long d'énumérer les inventeurs qui se consa-
crèrent à ces recherches. Tout d'abord, les brûleurs employés étaient
des becs ordinaires à flamme blanche, produisant du noir de fumée.
En i835, Robison, d'Edimbourg, imagina un appareil à flamme
bleue, constitué par un bec et par un tube concentrique ouvert aux
deux bouts, que surmontait une toile métallique; on allumait le gaz
au-dessus de la toile métallique, et l'entraînement d'air suffisait à
assurer l'entière combustion du carbone. Plus tard. Bunsen supprima
la toile métallique, sujette à une oxydation rapide, et créa une chan-
delle en cuivre qui fournissait également une flamme bleue, grâce à
l'introduction d'air par des orifices latéraux ménagés dans la chan-
delle. De cette époque date l'essor des fourneaux k gaz.
Pour le chauffage des appartements, on vit entrer en concurrence
de nombreux systèmes, tels que : feux-bûches, constitués par des
bûches en fonte ou en terre réfractaire, avec bouquets d'amiante que
le gaz portait à l'incandescence; foyers h réflecteur, pourvus d'une
rampe supérieure, dont les jets à flamme blanche étaient projetés
vers le fond de la boite; calorifères cylindriques en tôle ou en fonte
et à flamme blanche ou bleue, comportant soit une enveloppe unique,
soit deux enveloppes, et toujours munis dans ce dernier cas d'un
tuyau de dégagement; cheminées à incandescence, formées d'une
plaque verticale en terre réfractaire. d'une rampe inférieure à flamme
bleue en avant de cette plaque et de coraux en fonte que la combus-
tion du gaz portait au rouge; foyers analogues avec boules en terre
158 CHAUFFAGE.
réfractaire mêlées d amiante. Les appareils culinaires affectaient le
plus souvent la forme de réchauds, d'où le gaz s'échappait par des
ouvertures petites et nombreuses, pour brûler en mélange avec de
lair; en général, les récipients se plaçaient au-dessus de la flamme;
cependant certains constructeurs adoptaient la disposition inverse,
c'est-à-dire le chauffage par rayonnement. Pendant les dix dernières
années du siècle , de grands progrès ont été accomplis : la flamme
bleue a définitivement triomphé; les fabricants se sont ingéniés à
accroître le rendement par divers procédés, notamment par la récu-
pération au moyen d'une double circulation d'air froid et de gaz
brûlés contre une plaque mince sépara tive; le tirage est meilleur et
le dégagement se fait dans de bonnes conditions hygiéniques. Il y a
lieu de signaler encore la facilité plus grande du réglage, la fixation
de la flamme, la création de distributeurs automatiques pour une
quantité déterminée de gaz.
Le gaz d'éclairage n'est pas le seul combustible gazeux propre au
chauffage domestique et aux usages culinaires. H peut être remplacé
par Vacélylène. D'autre part, quelques régions privilégiées ont la bonne
fortune de posséder des gaz naturels et ne manquent pas de les utiliser.
Outre les combustibles solides et les combustibles gazeux , on emploie
aussi des combustibles liquides, comme le pétrole et ïalcooL
Tout récemment est né le chauffage électrique, dont la maison Parvil-
lée et le familistère de Guise exposaient en 1 900 de très remarquables
spécimens. Une expérience prolongée, dans l'un des grands restaurants
de l'Exposition , a complètement réussi. Ce chauffage, devenu pratique
grâce à l'heureuse invention de résistances métallo-céramiques, se re-
commande par sa propreté, son réglage facile, sa commodité, son
caractère hygiénique; le développement en est subordonné à une ré-
duction du prix de l'énergie électrique.
Je me borne à mentionner les chaufferettes portatives et à signaler les
dangers du charbon artificiel, notamment pour le chauffage des voi-
tures, quand l'échappement extérieur des gaz n'est pas convenablement
assuré. Des accidents mortels ont montré combien il importe de se
prémunir contre les émanations délétères.
Les systèmes de chauffage qui viennent d'être passés rapidement
CHAUFFAGE. 159
en revue dépendent d'un appareil placé dans la pièce même à chauffer.
On peut, sans apporter au poêle-calorifère aucune modification essen-
tielle, réloigner de la pièce et le reléguer à la partie basse de l'édi-
fice, d'où il enverra de Tair chaud vers les différentes salles au moyen
de conduits dissimulés dans les parquets et les murs.
C'est le procédé de chauffage par circulation d'air chaud, dont la
première application a été faite en 1792 par l'anglais Strutt, à l'hô-
pital de Derby, et qui a servi depuis pour un grand nombre d'édifices
publics, de maisons particulières, d'étuves, de séchoirs.
Les calorifères à air chaud comprennent tous un foyer, généralement
en fonte, et des conduits soit horizontaux, soit verticaux, où la fumée
circule avant de gagner la cheminée et qu'entoure une enveloppe iso-
lante en matériaux mauvais conducteurs. Introduit à la base de cette
enveloppe, l'air extérieur s'échauffe au contact du foyer et des conduits,
puis se dirige par des tuyaux en maçonnerie vers les pièces à chauffer.
Au début, les calorifères étaient tous établis en tôle ou en fonte.
On a bien vite renoncé à la tôle, que la rouille détruisait en fort peu
de temps. La fonte, qui est la matière la plus employée, présente en-
core l'inconvénient d'altérer l'air en cas de surchauffe : pour y remédier,
on a armé les cloches et les tuyaux de nervures saillantes, qui aug-
mentent les surfaces de transmission et contribuent à abaisser la tem-
pérature du métal; on fait passer l'air chaud et desséché sur un ré-
servoir d'eau qui lui restitue le degré voulu d'humidité; enfin on
garnit les parois métalliques d'une enveloppe en poterie ou en terre
réfractaire. Plusieurs constructeurs ont entièrement supprimé les sur-
faces de chauffe en métal et formé exclusivement leurs calorifères de
massifs en briques, avec carneaux en poterie : ils fournissent ainsi des
appareils plus volumineux, plus encombrants, mais plus sains; en
outre, ces appareils, par suite du peu de conductibilité des matériaux
qui les composent, donnent une chaleur plus régulière, malgré les
négligences survenant dans leur service.
Parmi les perfectionnements de date récente, il y a lieu de citer
l'adaptation de foyers à étages , brûlant des combustibles sans valeur
et permettant un chauffage continu.
Le mode de chauffage à l'air chaud se recommande par son prix peu
160 CHAUFFAGE.
élevé et sa conduite facile. Mais il est inapplicable aux très grands
édifices, car le déplacement laborieux de fair chaud Tempêchede chauf-
fer utilement des locaux situés à plus de 3o mètres de distance hori-
zontale du calorifère. Aussi a-t-on recouru, dès l'antiquité, à la char
leur latente de Teau pour distribuer au loin la chaleur émanant d'un
foyer unique.
Déjà les Romains connaissaient la propriété de Teau chaude de con-
server sa chaleur sur de longs parcours et l'appliquaient dans leurs
thermes. Certaines localités pourvues de sources thermales ont, de
temps immémorial, utilisé Teau de ces sources au chauffage des habi-
tations voisines. La tradition ancienne s'est renouée au xvii* siècle; les
premières applications rationnelles et pratiques du chauffage par Veau
chaude ont été faites en Angleterre, vers 1676, par Evelyn, puis en
France, vers 1777, par Bonnemain qui l'employa à l'incubation artifi-
cielle des poulets. Dès i83o, l'Angleterre et l'Allemagne avaient large-
ment développé le chauffage, par ce système, des monuments publics,
des hôpitaux, des serres; il s'est plus péniblement acclimaté sur le sol
français.
Abstraction faite des variantes et des détails, les calorifères à eau
chaude comportent une chaudière , du sommet de laquelle part un tuyau
qui circule sur toute l'étendue des bâtiments à chauffer et revient en-
suite à la partie inférieure de la chaudière. La différence entre la den-
sité de l'eau chaude et celle de l'eau froide détermine le mouvement
de circulation : l'eau chaude, plus légère, s'élève dans la branche as-
cendante du circuit, échauffe des récipients convenablement placés
sur son trajet, puis accomplit son retour par la branche descendante-
Une communication avec l'air libre, ménagée au point culminant de
la conduite, empêche la pression de s'y exagérer.
Le chauffage à l'eau chaude permet de porter la chaleur à grande
distance au moyen de tuyaux d'un faible diamètre; il est d'ailleurs
d'une régularité extrême, par suite de la lenteur avec laquelle l'eau
se refroidit, même quand le foyer s'éteint. Mais des précautions et une
exécution très soignée sont indispensables pour éviter les fuites, qui
tendent à se développer sous l'influence des dilatations et des contrac-
tions successives; de plus, l'installation charge les planchers, est
CHAUFFAGE. 161
coûteuse d'établissement et donne lieu à une exploitation peu écono-
mique.
Au nombre des progrès récents se rangent l'emploi de propulseurs
mécaniques, réduisant le diamètre des longues conduites, et celui de
régulateurs hydrauliques de pression.
On a adapté le système de la circulation d'eau chaude à des appareils
ordinaires de chauffage , tels que poêles et cheminées , en plaçant dans
le foyer des tubes remplis d'eau et communiquant avec un réservoir
d'où partent des tuyaux de distribution de la chaleur.
Péclet, dans son Traité de la chaleur, avait indiqué un moyen de
supprimer le danger des fuites en combinant le chauffage à l'eau chaude
avec le chauffage à l'air chaud. Le dispositif étudié par ce savant et
mis depuis en pratique avait pour objet d'envoyer dans les salles de
l'air préalablement échauffé à l'aide d'une circulation d'eau chaude;
mais il faisait perdre l'avantage que possède l'eau chaude de porter au
loin la chaleur et de la distribuer également.
Il existe un mode spécial de chauffage par circulation d'eau chaude,
dont je ne puis me dispenser de dire quelques mots : c'est celui qu'a
proposé l'ingénieur anglais Perkins, vers i83o, et qui utilise l'eau
chaude à haute pression. Un serpentin , placé dans le foyer maçonné
d'un poêle en briques, reçoit à l'une de ses extrémités le tuyau as-
censionnel et à l'autre extrémité le tuyau de retour; la canalisation est
hermétiquement fermée et, comme l'eau y entre à une température
dépassant le point normal d'ébullilion, le diamètre des tuyaux peut
être très faible; de plus, la grande surface de chauffe du serpentin
réduit la dépense de combustible. Les dangers de ce système, spécia-
lement au point de vue des explosions, devaient le discréditer; néan-
moins, avec une limitation prudente de la pression et avec des soins
irréprochables dans le montage des tuyaux, il a pu recevoir des ap-
plications nombreuses en Angleterre, en Belgique et en France,
Au cours des vingt-cinq dernières années du siècle , le procédé de la
circulatien de vapeur a tendu à prévaloir pour le chauffage des édifices
publics aussi bien que pour le chauffage industriel.
En 17^5, le colonel Will Gook avait eu la pensée de se servir de la
1¥. 11
mrRIMCKIR NATIOSALr.
162 CHAUFFAGE.
vapeur d'eau comme véhicule de la chaleur; le premier brevet pour
lapplication de cette idée fut pris en 1791, par J. Hoyle d'Halifax. La
vapeur produite par une chaudière était dirigée, dans une canalisa-
tion, vers les salles à chauffer; après avoir atteint le point culminant de
la distribution, les tuyaux redescendaient jusqu'à une citerne recueil-
lant l'eau de condensation; cette eau allait ensuite alimenter Je géné-
rateur.
Ce procédé de chauffage, fondé sur la propriété qu'ont les vapeurs
de restituer leur calorique de vaporisation quand elles se condensent,
offre de précieux avantages. Il est très sain, puisque jamais la tempé-
rature de condensation ne peut dépasser celle de l'ébuUition; il dis-
tribue très rapidement la chaleur à grande distance; il est moins
onéreux de premier établissement que le système de l'eau chaude,
parce que les surfaces de chauffe sont à une température plus élevée,
moins coûteux aussi d'exploitation, en raison de la moindre quantité
d'eau à échauffer; toutefois il lui reste inférieur pour un chauffage
continu, comme celui des serres. Tredgold lui a consacré, dans les
premières années du siècle, un traité complet, qui non seulement en
pose les principes, mais encore indique les appareils accessoires né-
cessaires aux installations. Les règles tracées par Tredgold ont été
maintenues; ses successeurs n'ont guère eu à leur actif que l'emploi
de la vapeur à une pression plus élevée (jusqu'à l'époque du revire-
ment en faveur des très basses pressions) et l'invention de dispositifs
propres à supprimer les inconvénients des fuites et des condensations
intempestives.
Aujourd'hui très connu et très employé, le système de chauffage à
la vapeur comporte toujours des chaudières pour la vaporisation, des
tuyaux pour l'adduction de la vapeur dans les pièces à chauffer, des
récipients chauffés par la condensation et convenablement répartis
dans l'édifice, enfin des conduites ramenant aux chaudières l'eau con-
densée. On évite de placer les tuyaux dans les murs et les planchers,
où les fuites pourraient occasionner des dégâts; pour chasser l'air qui
gène la condensation , on a inventé des robinets de purge ne laissant
pas échapper la vapeur; divers compensateurs facilitent les mouve-
ments d'allongement et de retrait que les variations de température
CHAUFFAGE. 163
font éprouver aux tuyaux. Des efforts incessants ont été faits en vue
de rëgler les températures, d'assurer le bon fonctionnement des appa-
reils, d'économiser le combustible et la main-d'œuvre, d'obtenir un
aménagement convenable et une répartition judicieuse des surfaces de
chauffe, d'utiliser la radiation directe de ces surfaces et d'éviter l'em-
ploi de L'air comme véhicule des calories.
L'Amérique, où le chauffage par circulation de vapeur s'est con-
sidérablement développé et qui possède des stations centrales géné-
ratrices, a donné ses préférences aux très basses pressions, afin de
prévenir les dangers et de supprimer les sujétions des appareils sous
pression notable. Nous avons suivi son exemple. Les chaudières actuelles
sont à chargement continu ; on règle la combustion en étranglant plus
ou moins l'entrée de l'air par des régulateurs à membrane ou à mer-
cure; des robinets à orifice calculé limitent au volume nécessaire la
vapeur admise dans les radiateurs et en diminuent la pression; enfin
divers constructeurs ont imaginé des régulateurs de température.
M. d'Anthonay, rapporteur du jury de 1900, évalue ainsi les prix
des divers modes de chauffage :
I. £UÂUFPAG£ D^UNK PIÈGE DE «yS METRES CUBES (9,âOO CALORIES A L^UEURE).
/ au bois dans une cheminée o^ So*"
au charbon dans un poêle 006
Chauffage i
ià o'3o le mètre cube 33
à ^^0 le mètre cube 029
à Télectricité
Charbon . .
Gaz
Electricité.
k o^ 5o le kilowatt 1 37
à o^ 3o le kilowatt 080
à l'alcool, au pétrole ou à l'essence o ao
à foyer central, avec l'air ( à air chaud. . . o5
pris au dehors | à vapeur o 07
II. Rôtissage d^un kilogramme de viande.
( à 70 francs la tonne o^ o^"
\ à lio francs la tonne o o5
à 0^ 3o le mètre cube 06
à 0^20 le mètre cube o o4
à o' 5o le kilowatt o 2 5
à o^ 3o le kilowatt o 1 5
164 VENTILATION.
3. Venlilation. — Dans toutes les fonctions de la vie, Tair joue un
rôle capital. Il convient donc de mettre le plus grand soin à le préparer
pour la respiration et à le mouvoir ou le renouveler dans les locaux ha-
bités. L'air vicié par la respiration, par les émanations de Thomme
ou par d'autres causes doit être constamment éliminé et faire place à
de l'air pur. Tel est le but de l'aération et de la ventilation. •
Nous disposons aujourd'hui d'un grand nombre de moyens per-
mettant de réaliser une bonne répartition de l'air à l'intérieur des ha-
bitations.
L'air extérieur peut entrer par les joints des portes ou des fenêtres,
être introduit par des vasistas ménagés à la partie supérieure des
baies, par des persiennes mobiles, par des soupapes de ventilation,
par des vitres perforées, en un mot par l'un des nombreu)t dispositifs
imaginés dans le but de remédier à l'imperméabilité des vitres et de
renouveler l'atmosphère intérieure, sans produire des courants in-
commodes pour les personnes.
Quand l'aération directe ne suffit pas, on y pourvoit au moyen d'une
ventilation artificielle, en recourant soit à un foyer d'appel, soit à des
appareils tels que les ventilateurs centrifuges ou les ventilateurs héli-
coïdaux. La ventilation mécanique ne date que du xii*" siècle. Au début,
les ventilateurs étaient manœuvres à bras; maintenant, ils sotit com-
mandés par des machines; je leur ai consacré, dans un précédent
chapitre, des indications qui me dispensent d'y revenir ici. Par suite
de progrès dans leur construction, le ronflement si désagréable qu'ils
faisaient entendre à l'origine s'est presque éteint. Depuis quelques
années, l'usage des petits ventilateurs portatifs, mus par l'énergie élec-
trique, a pris beaucoup d'extension.
L'évacuation de l'air vicié s'opère par les cheminées, par les orifices
multiples que présentent les pièces de nos maisons, ou p^ir des ouver-
tures qui y sont spécialement aménagées à cet eflfet, notamment dans
les locaux collectifs.
Des contacts étroits existent entre la ventilation et le chauffage;
celui-ci concourt à l'aération. Cependant les deux opérations ont leur
domaine et leurs règles propres, obéissent à des principes distincts
et indépendants : l'une a pour base le degré d'agglomération des indi-
ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE. 165
viduset les causes spéciales de viciation (vapeurs nuisibles, poussières
de laboratoire ou d'atelier, etc.), tandis que l'autre varie suivant la
température extérieure.
Actuellement, la ventilation laisse encore beaucoup à désirer, il
faut le reconnaître. Si des dispositions législatives ou réglementaires
ont déterminé une amélioration sérieuse dans les ateliers, nous savons
tous par expérience combien la situation reste souvent déjdorable pour
les locaux de réunion.
2. Appareils et procédés d'éclairage non électrique. — Lorsque
s'ouvrit le xix* siècle, Ârgand avait inventé, depuis quelque temps
déjà, sa célèbre lampe à double courant d'air et opéré ainsi une
véritable révolution dans l'éclairage à Yhuile végétale. Cette lampe,
plus connue sous le nom de Quinquet, spoliateur d'Argand, s'était
bientôt répandue; parmi ses clients de la première heure figurait la
Comédie-Française(i 784).
Pour le service, l'appareil le plus usuel était le chandelier à pompe,
avec mèche plate.
L'éclairage public de Paris continuait à se faire au moyen de révery
bères, composés d'une lampe à mèche plate et de réflecteurs sphé-
riques.
Une nouvelle étape ne tarda pas à être franchie par l'éclairage do-
mestique. On s'était vite rendu compte des avantages qu'il y aurait à
placer le bec verticalement et à une certaine hauteur au-dessus du
réservoir : cette disposition devait supprimer l'ombre projetée par le
réservoir latéral et permettre de recueillir plus facilement l'huile en
excès débordant autour du bec. La difficulté était de faire monter
l'huile, surtout de la faire monter régulièrement. Deux solutions
furent données au problème; elles reposaient, l'une sur les principes
d'hydrostatique, l'autre sur l'emploi de moyens mécaniques.
Je mentionne immédiatement les lampes hydrostatiques, bien que,
dans leur forme définitive, elles ne soient pas les premières en date;
car elles n'ont pas vécu et n'appellent que de très courtes indications.
Pour ces lampes, la priorité revient, du moins en France, à Philippe
de Girard; cet inventeur présenta, en i8o3 et i8o4, deux modèles.
166 , ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE.
dont 1 un avait pour base la loi d'équilibre de deux liquides d'une den-
sité différente, loi antérieurement appliquée par le suédois Edel-
krantz et l'écossais Keir, tandis que le second s'inspirait de la fontaine
de Héron. Galy-Cazalat, Dubain, Thilorier, Robert, se firent remar-
quer par d'heureuses innovations. Les lampes hydrostatiques avaient
divers inconvénients, dus soit à la complication de leur structure ou
de leur usage, soit à leur volume et à la surface de l'ombre projetée
autour du pied, soit à l-influence exercée sur la hauteur de l'huile
dans le bec par les variations de la pression atmosphérique et sur-
tout de la température, soit aux troubles que causaient les déplace-
ments.
En 1800, l'horloger Garcelpritun brevet pour la lampe mécanique
devenue célèbre sous son nom. Un rouage d'horlogerie, mû par un
barillet, déterminait le mouvement alternatif d'un piston à double
effet, qui faisait monter l'huile au sommet du bec. Le volume refoulé
était supérieur à celui qu'exigeait la consommation; il en résultait un
dégorgement d'huile, permettant d'élever davantage la mèche, refroi-
dissant le bec, et empêchant par suite le liquide de s'échauffer et de
s'altérer comme dans les lampes ordinaires; la lumière avait plus de
blancheur et d'éclat. En outre, grâce à la mobilité du porte-verre sur
le bec, la cheminée pouvait monter ou descendre, de telle sorte que
le coude fût au point le plus convenable pour la parfaite combus-
tion.
Le mécanisme de la lampe Garcel coûtait cher et les lampistes
ordinaires manquaient souvent des aptitudes voulues pour le réparer.
Beaucoup d'habiles fabricants, notamment en France et en Angleterre,
recherchèrent des simplifications: les noms de Carreau, Gagneau et
Gotten méritent d'être retenus. Dans la lampe Gagneau, les pulsa-
tions, au lieu de lancer directement l'huile vers le bec, l'envoyaient à
un réservoir d'air, d'où elle sortait ensuite par un mouvement continu;
régulier. et sans intermittence (1817).
Garcel venait à peine de créer sa lampe quand naquit l'idée de
produire l'ascension de l'huile par la seule pression d'un ressort ou
d'un poids. Philippe de Girard réalisa cette idée sous plusieurs formes
(i8o3); d'autres inventeurs le suivirent. Mais Franchot fut le pre-
ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE. . 167
mier à trouver une solution pratique par sa lampe dite à modérateur
(i 836).. Voici les dispositions essentielles auxquelles s'est arrêté ce
constructeur.
L'huile est enfermée dans la partie inférieure de la lampe, entre le
fond, les parois latérales et un piston en cuir embouti que presse un
ressort. Sous ) action de ce ressort, elle monte par un tube vers le
sommet de la mèche. Au fur et à mesure que Thuile se consomme, le
piston descend, le ressort se débande, la hauteur ascensionnelle s ac-
croît, et le débit du liquide au niveau de la flamme tend à diminuer;
pour y remédier, Franchot a placé suivant Taxe du tube une tringle
conique opposant au mouvement d'ascension du liquide une résistance,
dont l'intensité décroît en même temps que s'abaisse le piston et qui
régularise ainsi, par ses variations, le débit au sommet du bec. L'ex-
cédent d'huile retombe dans la lampe et reste au-dessus du cuir» em-
bouti ; pour le faire passer dans le réservoir, il suffit de remonter la
lampe, c'est-à-dire de bander le ressort, au moyen d'une crémail-
lère ; le vide produit sous le cuir y détermine en effet une flexion qui
l'écarté des parois. On procède de même pour emmagasiner dans le
réservoir l'huile destinée à remplacer celle qui a été brûlée.
Simple, d'un prix modique, facile à nettoyer et à entretenir, brû-
lant à blanc comme les meilleures lampes pourvues d'un mouvement
d'horlogerie, l'appareil de Franchot s'est rapidement vulgarisé et a
pénétré dans les intérieurs les plus modestes. Sauf quelques perfec-
tionnements de détail, il constitue encore aujourd'hui l'instrument
ordinaire de l'éclairage à l'huile végétale. Les progrès réalisés depuis
i836 ont porté presque uniquement sur les formes de la lampe et
sur sa décoration.
Des concurrences redoutables sont, d'ailleurs, venues assaillir de
toutes parts l'huile végétale et en restreindre le champ d'action. Ce-
pendant la douceur de sa lumière, la sécurité qu'elle procure au point
de vue des dangers d'incendie et la souplesse avec laquelle elle s'adapte
à l'alimentation de becs d'intensité réduite lui ont gardé quelques
fidèles partisans. Diverses compagnies de chemins de fer continuaient
à l'employer en 1900 ; elles se servaient soit de lampes à bec plat,
soit de lampes à bec rond, avec ou sans verre-cheminée;' ces lampes
168 ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE.
étaient alimentëos par un réservoir supérieur annulaire ou par une
bouteille de forme appropriée,
Il y a longtemps que des tentatives furent faites pour brûler les
huiles essentielles^ comme Tessence de térébenthine et Thuilede naphte,
dans des lampes dune construction analogue à celle des appareils
à huiles grasses. Ces tentatives échouèrent : la flamme, extrêmement
riche en carbone, était toujours fuligineuse, rougeâtre, inégale et
irrégulière; la combustion, fort incomplète, donnait lieu à d'abon-
dants dépôts de charbon et répandait une odeur pénétrante.
Les premiers essais quelque peu couronnés de succès, pour Tutili-
sation des huiles essentielles volatiles de résine, de goudron ou de
schiste, se produisirent presque simultanément en France, en Amé-
rique, en Angleterre et en Allemagne. A travers les huiles échauffées
passaient soit des gaz peu éclairants de leur nature, comme l'hydro-
gène et Toxyde de carbone, qui se chargeaient de vapeurs hydrocar-
burées, soit de lair comprimé, qui entraînait également des vapeurs
combustibles; la lampe, sans mèche, fournissait tantôt une flamme
unique, tantôt une couronne lumineuse.
En i839, Breuzin construisit une lampe fonctionnant dans les
conditions suivantes. Un réservoir inférieur en métal ou en verre
contenait le liquide combustible; celui-ci était aspiré par capillarité,
au moyen dune grosse mèche dormante, placée dans un tube métal-
lique qui présentait à sa partie supérieure un petit nombre douver-
tures capillaires; la vapeur brûlait au sortir de ces ouvertures. Pour
amorcer Tappareil et déterminer la vaporisation du liquide, il fallait
tout d'abord échauffer le tube; une fois en train, la combustion
entretenait le degré de calorique voulu. Cette lampe avait, entre autres
défauts, celui de s!éteindre très facilement, au cas de refroidissement
accidentel du tube. Le liquide, composé d'essence de térébenthine et
d'alcool concentré, était d'ailleurs fort coûteux. Bientôt l'essence de
térébenthine fut remplacée par l'huile de goudron ou par l'huile de
schiste, que les procédés de Selligue permettaient de préparer éco-
nomiquement. D'autre part, Breuzin et, après lui, Bobert, Joanne,
Valson, réalisèrent diverses améliorations ayant pour objet, les unes
ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE. 169
de parer aux dangers d'inflammation et d'explosion, les autres de pré-
venir le dégagement des vapeurs infectes, de régler la flamme, etc.
Cependant le prix trop élevé des mélanges alcooliques engagea les
inventeurs à poursuivre leurs recherches pour la combustion directe
des essences de goudron , des huiles de schiste pures et généralement
des hydrocarbures liquides. Rouen et Busson réussirent à établir dans
ce but des appareils, que le rapporteur du jury de i85i jugeait très
satisfaisants au point de vue de l'éclairage public. Un réservoir supé-
rieur, garni d'huile hydrocarburée , communiquait par un tube recourbé
avec un bec comportant une très petite ouverture ; autour de ce bec
était une enveloppe métallique, percée à sa partie inférieure de trous
destinés à l'admission de l'air et à son sommet d'autres trous pour la
sortie des jets lumineux. Au moment de l'allumage, on ouvrait un peu
le robinet interposé entre le réservoir et le tube, et l'on chaufl*ait le
bec par une flamme à alcool; les vapeurs commençaient à sortir par
le bec, en entraînant une certaine quantité d'air, et pouvaient être
allumées ; la combustion maintenait ensuite l'échaufl^ement du tube et
la vaporisation du liquide, que la pression des vapeurs tenait d'ailleurs
à une distance convenable de la flamme.
L'emploi des huiles minérales prit très peu d'extension jusqu'au
jour où apparurent les pétroles d'Amérique. À partir de 1861, l'abon-
dance de ces pétroles et les avantages économiques que procurait leur
usage comparé à celui des huiles végétales suscitèrent de nouveaux
efforts dans le but de perfectionner les appareils destinésà les brûler;
l'odeur et le danger d'incendie préoccupèrent spécialement les construc-
teurs. On renonça à la combustion par vaporisation et on se servit de
mèches tantôt plates, tantôt rondes; l'huile arrivait au bec, sans le
secours d'aucun organe mécanique, soit d'un réservoir supérieur, soit
d'un réservoir inférieur et par la seule action de la capillarité.
Tout en constatant les progrès accomplis, le rapporteur du jury
de 1867 signalait encore dans les pétroles une proportion beaucoup
trop grande d'huiles légères, volatiles à basse température, répan-
dant beaucoup d'odeur et pouvant occasionner des accidents. Il faisait
aussi remarquer que les lampes à réservoir inférieur devaient avoir
une capacité suffisante pour éviter des variations trop considérables
170 ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE.
dans le niveau de l'huile, dans sa densité et, par suite, dans Tintensité
de la lumière. En <^onsëquence, il ue recommandait guère les pétroles
pour réclairage domestique. L'éclairage public lui paraissait être le
véritable domaine des huiles minérales, qui à la modicité du prix, au
pouvoir éclairant et à la simplicité des appareils joignaient l'avantage
de ne pas se congeler au moindre froid, comme Thuile de colza.
À l'Exposition de 1 867 figurèrent, pour la première fois, les petites
lampes à éponge imbibée d'essence^ avec mèche en coton floche, brû-
lant comme une mèche de lampe à alcool.
En 1878, la consommation du pétrole s'était notablement accrue.
Mieux distillé, il ne s'enflammait plus qu'à une température comprise
entre 37 et. 35 degrés; l'inflammabilité avait même été reportée h
60 degrés pour certains pétroles, comme pour la paraffine d'Ecosse.
Mais, par le fait même d'une distillation plus complète des huiles
minérales, la quantité d'essence mise en circulation augmentait chaque
jour et l'usage s'en généralisait, malgré les dangers de son maniement.
Depuis, le traitement des pétroles bruts a reçu de nouvelles amé-
liorations, permettant d'obtenir des produits qui ne s'enflamment
plus au-dessous de la température convenable pour éviter les dangers
d'incendie ; il ne subsiste à peu près aucun dégagement d'odeur pen-
dant la combustion. Les appareils ont été perfectionnés; l'intensité
des foyers s'est accrue, et les lampes de 3 , 4, 6 , 8 carcels sont deve-
nues courantes. Aujourd'hui, l'invasion des huiles et essences minérales
dans l'éclairage a tellement grandi, que, dès la fin du siècle, l'excédent
des importations atteignait 3^5 millions de kilogrammes pour les
huiles brutes de pétrole ou de schiste et 997,000 hectolitres pour les
huiles raffinées et les essences.
Généralement, l'ascension du pétrole dans les lampes destinées à
l'éclairage particulier se fait par capillarité. Ces lampes sont à mèche
plate, à mèche ronde et annulaire ou à mèche ronde et pleine; la
plupart ont une cheminée. La vogue va surtout aux systèmes à courant
d'air central. On s'attache à régler l'arrivée de l'air, de telle sorte que
le liquide brûle entièrement sans refroidissement de la flamme. L'Ad-
ministration des phares emploie diff'érents modèles de lampes à réservoir
supérieur et à niveau constant, pourvues d'une ou de plusieurs mèches.
ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE. 171
Comme précédemment, les petites lampes à essence comportent un
réservoir garni dune matière spongieuse (feutre, bourre, coton, etc.)
et une mèche pleine. Des tentatives ont été poursuivies en vue de
brûler l'essence dans des lampes ordinaires à pétrole avec cheminée ;
mais le danger est excessif.
Une nouveauté apparue au déclin du siècle a été l'incandescence par
les vapeurs de pétrole^ expérimentée, puis largement appliquée dans le
service des phares. Bien que se rattachant à des types variés, les appa-
reils ont un principe commun. Le pétrole liquide est injecté sous
pression, du réservoir qui le contient, vers un vaporisateur chauffé par
le manchon ; de ce vaporisateur, la vapeur de pétrole se rend au bunsen
du manchon, après s'être mélangée avec Tair nécessaire à sa combus-
tion; un réservoir d'air comprimé fournit la pression voulue pour
l'injection. Au moment de l'allumage, on chauffe le vaporisateur è
l'aide d'alcool. Des précautions doivent être prises afin d'éviter les
obturations de l'éjecteur. La consommation par carcel-heure ne dé-
passe pas 5 grammes à 6 gr. 6 pour des lampes de 3o à 70 carcels.
En 1900, le Commissariat général de l'Exposition éclairait à l'incan-
descence par la vapeur de pétrole une partie des berges de la Seine
et l'une des routes du bois de Vincennes.
L'essence de pétrole se prête avec une extrême facilité à l'éclairage
par incandescence.
Frankenstein, de Gratz, avait essayé, en 18/18, Vincandescence par
l'alcool L'idée a été reprise et a pu frayer sa voie grâce aux manchons.
Comme le pétrole, l'alcool doit être transformé en vapeur; on uti-
lise pour la vaporisation soit la chaleur du manchon, soit celle d'une
veilleuse spéciale. Une forte proportion d'air est indispensable k la
combustion; il convient, par suite, de. surchauffer la vapeur et de lui
donner ainsi une pression suffisante pour qu'elle puisse entraîner cet
air en sortant de l'éjecteur. Souvent, on augmente le pouvoir éclairant
de l'alcool, par la carburation à l'aide d'un hydrocarbure tel que la
benzine ou l'essence minérale.
Il existe dès maintenant des types viables pour l'usage domestique ,
donnant de âo à 5o bougies avec une consommation de 3 ou 3 gram-
172 ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE.
inespar bougie-heure, soit âo ou 3o grammes environ par carcel. Les
conditions propres à assurer 1 avenir de ces appareils sont l'immobili-
sation de Talcool au moyen de matières poreuses et la consolidation
du manchon d'incandescence.
Des foyers de/iooà5oo bougies et de 1,000 bougies éclairaient,
en 1900, une partie des quais de la Seine et plusieurs routes de
l'annexe du bois de Vincennes.
L'invention du gaz est due à un Français , Philippe Lebon , ingénieur
des ponts et chaussées, qui, dès 1786, faisait fonctionner son thermo-
lampe, alimenté par du gaz de bois. Méconnu de son vivant, Lebon
mourut mystérieusement assassiné.
Comme cela est arrivé trop souvent, l'invention qui était essentiol-
len^ent française, ne prit une réelle importance industrielle qu'en
passant par les mains des Anglais. Vers la fin du xviii* siècle, Murdoch ,
employé aux mines de Cornouailles, alimentait déjà de gaz l'usine de
Boulton et Watt. Toutefois le nouveau mode d'éclairage n'apparut
qu'en 1808 dans les rues de Londres. Le bois avait été remplacé par
la houille, et surtout par la houille grasse.
En 181 5, Winsor, Allemand établi à Londres, vint à Paris pour y
fonder une société; l'année suivante, il offrait au public un spécimen
d'éclairage dans la galerie des Panoramas. Je passe sur les vicissitudes
de la première compagnie et de celles qui lui succédèrent, sur l'histo-
rique de l'usine créée par Louis XVIII, sur les études de la Commission
qu'institua de Chabrol, préfet de la Seine, et que présidait Darcet.
C'est seulement depuis i83o qu'on peut considérer l'industrie du gaz
comme définitivement assise en France. Vers cette époque, des com-
pagnies anglaises demandèrent et obtinrent des concessions dans la
plupart des grandes villes.
Le gaz 'était, le plus souvent, envoyé aux lieux de consommation
par des tuyaux de conduite. Mais les fabricants distribuaient aussi à
domicile du gaz portatif, transporté soit dans des réservoirs où ils le
comprimaient à une très forte pression , soit dans des récipients-soufllets
d'où ils l'envoyaient à des gazomètres particuliers.
Il existait plusieurs types de becs : becs-bougies, becs-papillons,
ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE 173
becs Manchester, becs d'Argand à* double courant. Ces becs donnaient
des flammes coniques, étroites ou creuses, en aile de chauve-souris,
en queue de poisson, etc.
Déjà les compteurs exerçaient toute la sagacité des inventeurs. Après
avoir traité avec les consommateurs pour l'alimentation de becs dé-
terminés pendant un nombre d'heures convenu, les compagnies avaient
bien vite senti la nécessité de vendre simplement le gaz au volume
et de recourir, par suite, à des appareils enregistrant la consommation.
Clegg imagina les cloches jumelées, auxquelles la dépense de gaz im-
primait un mouvement alternatif et dont les oscillations se comptaient
à l'aide de rouages d'horlogerie; ensuite vinrent les roues à compar-
timents.
En 1867, ^^ S^^ ^^^^ pénétré jusque dans les villes d'importance
très secondaire. Grâce au choix bien entendu des houilles, à la durée
plus rationnelle de la distillation et, le cas échéant, à l'addition de
gaz riche tiré du cannel-coal , le pouvoir éclairant présentait une in-
variabilité pour ainsi dire mathématique. La forme des brûleurs
aflectés à l'éclairage public s'était améliorée depuis les expériences
si habilement poursuivies par Audouin et Bérard, sous la direction
de Dumas et de Regnault; on savait que, pour une même quantité de
gaz brûlé, le rendement maximum en lumière correspondait à la
pression la plus faible et que les résultats les plus satisfaisants s'obte-
naient avec une fente d'une largeur de 7/10 de millimètre ou un
trou de pareil diamètre. De meilleures dispositions avaient été adoptées
pour la structure des lanternes , la hauteur des candélabres , la répartition
des foyers. Devancés par les Anglais, dans la ventilation des locaux
fermés et éclairés parle gaz, nous commencions à suivre leur exemple.
Péligot, rapporteur du jury, signalait aussi l'application si intéres-
sante du gaz aux plafonds lumineux de divers théâtres, notamment
du Théâtre-Lyrique et du Châtelet.
Lors de l'Exposition de 1878, l'emploi du gaz s'était considérable-
ment développé et avait pris une importance capitale dans l'éclairage
des intérieurs. Les becs n'offraient rien de bien nouveau; cependant
l'Angleterre présentait le bec Sugg à triple couronne. Beaucoup d'ex-
posants montraient des modérateurs, des régulateurs et des rhéo-
174 ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE.
mètres : le modérateur a pour objet de réduire la pression par un
étranglement de Tévacuateur; le régulateur uniformise la pression au
bec, quelle que soit la pression dans la conduite mère; enfin le rhéo-
mètre assure un débit constant. Mentionnons encore des instruments
destinés à contrôler le pouvoir éclairant du gaz.
Dei878ài889,le progrès s'affirma. Les statistiques établissaient
qu en dix ans la consommation annuelle française était passée : pour
Paris, de 1 85 à 969 millions de mètres cubes; pour la province, de
197 à 335 millions. 19,760,000 habitants, au lieu de 9,9^0,000,
profitaient de Téclairage public au gaz. Néanmoins nous restions bien
loin en arrière de l'Angleterre : à elle seule , la ville de Londres con-
sommait plus de gaz que la France entière. En dehors de l'accroissement
de consommation, le fait saillant de la période 1878-1889 résidait
dans la création des becs intensifs avec ou sans récupération; à peine
l'Exposition de 1878 avait-elle fait connaître, comme je l'ai dit, un
premier bec intensif, celui de la maison Sugg. Tandis qu'en 1878
les becs exclusivement employés étaient de 1, 9 ou 3 carcels, et con-
sommaient de 100 à 195 litres par carcel, on rencontrait couram-
ment en 1 8 8 9 des becs de 9 , 3 et 5 o carcels , ne consommant pas plus
de 60, 4o et même 3o litres par carcel. On pouvait ranger les lampes
nouvelles en quatre catégories: lampes intensives à l'air libre; lampes
à air chaud; lampes à incandescence; lampes à gaz carburé.
L'emploi des lampes intensives à l'air libre fut provoqué par l'ap-
parition de la bougie Jablochkoff sur la place et dans l'avenue de
l'Opéra. Engageant la lutte avec les foyers électriques, la Compagnie
parisienne installa, rue du Quatre-Septembre , des groupes de six papil-
lons à fente de o mm. 6 , consommant 1 ,4 00 litres à l'heure et pourvus de
coupes en cristal formant cheminée. La dépense par carcel était ra-
menée dei97àio5 litres. Devant le succès de cette innovation, les
becs intensifs du même type ou de types analogues se multiplièrent
dans Paris. Les nations étrangères obéirent aux mêmes tendances.
Dans certains modèles, réservés principalement à l'éclairage intérieur,
le bec fut muni d'une cheminée en verre.
À la suite d'un concours ouvert par la Société d'encouragement
sur ff les moyens les plus efficaces d'augmenter le pouvoir illuminant
ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE. 175
ffdes flammes du gaz?), Ghaussenot avait obtenu, en 1 836, un prix
de 9,000 francs pour une lampe réduisant de 33 p. loo la consom-
mation. Dans cette lampe, Tair, avant d'alimenter la combustion,
s'échauffait entre deux cheminées en verre. L'appareil de Ghaussenot
ne passa point dans la pratique : il était trop fragile et trop compliqué.
Mais le principe des becs à air chaud nen restait pas moins posé.
D'ailleurs, la théorie confirmait de tous points les idées de Ghaussenot :
en effet, les flammes du gaz doivent leur pouvoir éclairant aux parti-
cules de carbone qu'elles tiennent en suspension et qui proviennent
de la dissociation des hydrocarbures sous l'influence de la chaleur, et
les quantités de lumière émises par ces particules augmentent rapi-
dement avec la température. Ge fut seulement en 1879, au moment
où l'on se préoccupait des foyers intensifs, que Frédéric Siemens, de
Dresde, reprit le principe de Ghaussenot et constitua le bec à récupé-
ration, si répandu plus tard sous des formes diverses. Dans l'appareil
de Siemens et dans ses dérivés, comme dans celui de Ghaussenot,
lair n'arrivait au brûleur qu'après avoir été porté à une haute tem-
pérature par la seule chaleur récupérée des produits delà combustion.
Les principales améliorations que reçut le bec Siemens vinrent d'An-
gleterre : telle la disposition imaginée par Wenham (1889) et con-
sistant à renverser la flamme, en plaçant le récupérateur au-dessus
du bec; cette heureuse modification permettait de ne plus obstruer
la lumière et augmentait la simplicité de l'appareillage, en même
temps que son caractère décoratif. À partir de 188 5, les nouveaux
modèles devinrent courants et leur rôle dans l'éclairage public ne
cessa de grandir. Ils comportaient beaucoup de variantes: alimentation
par le haut , alimentation par le bas ; flamme dirigée de l'intérieur vers l'ex-
térieur, flamme s'étalant de l'extérieur vers l'intérieur; etc. Quelle que
fût la structure des lampes intensives à récupération , certaines conditions
essentielles s'imposaient en tout cas : le conduit amenant le gaz devait être
placé en dehors des parties chaudes ; il fallait calculer avec précision , puis
maintenir par un rhéomètre les proportions d'air et de gaz; l'éclairage
public exigeait des brûleurs insensibles à Faction du vent, simples,
robustes, faciles à surveiller et à entretenir. Gomme je l'ai précé-
demment indiqué, la dépense horaire des becs usuels était descendue
176 ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE.
à io ou 5o litres par carcel, alors que Tancien bec-papillon de Paris
consommait 127 litres. Dans les grandes artères parisiennes, le prix
de l'unité carcel-heure avait pu s'abaisser à o c. 76 et même o c. 64
pour les appareils à gaz, tandis qu'il se tenait encore à o c. 90 pour
les appareils électriques.
Deux becs à incandescence sollicitaient l'attention en 1889 : le bec
Clamond (corbeille de magnésie additionnée d'oxydes métalliques) et
le bec Auer de Welsbach (manchon en zircone mélangée à des oxydes
incombustibles). On jugeait alors ces becs plus compliqués que les
brûleurs intensifs à récupération; ils paraissaient ne convenir que
dans des cas déterminés.
Un jugement analogue s'appliquait aux lampes à gaz carburé, c'est-
à-dire aux lampes alimentées par du gaz préalablement enrichi en
carbone à la traversée d'hydrocarbures, comme la naphtaline épurée
(albo-carbon).
Malgré leur éclatant succès, malgré les promesses d'avenir qui
avaient accueilli leur naissance , les lampes à récupération ont disparu ,
refoulées par les becs à incandescence; la fin du brevet Auer (sep-
tembre 1900) a, d'ailleurs, accentué la victoire de ces becs et facilité
leur diffusion. La consommation des foyers à l'air libre de 1 5, 90 ou
25 carcels est tombée à 13 litres par carcel-heure; cependant les
besoins de l'éclairage sont tels, que la production du gaz, loin de fléchir,
a encore augmenté et qu'en 1899 elle atteignait 82 5 million» de
mètres cubes à Paris.
La fabrication des manchons s'est régularisée vers 1891. Elle né-
cessite une assez longue série d'opérations : confection d'un manchon
en coton ou en ramie; lavages successifs à l'ammoniaque, à l'eau aci-
dulée et à l'eau distillée; séchage; trempage dans une solution con-
tenant 98 à 99 p. 100 d'oxyde de thorium et 2 à 1 p. 100 d'oxyde
de cérium; essorage; étuvage entre 5o et 60 degrés; incinération
détruisant le support de coton ou de ramie ; correction de la forme et
consolidation de la tête, par exemple, au moyen d'un enduit de ma-
gnésie; cuisson sur un bunsen; trempage dans lecollodion. À l'usage,
l'intensité lumineuse diminue; la perte mojenne peut être évaluée à
un tiers en 800 ou 1,000 heures.
ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE. 177
Récemment, on est arrivé à une application pratique des sub-
stances cataly tiques (mousse de platine, etc.) au self-allumage des
brûleurs.
L'Administration de l'Exposition de 1900, désireuse de mettre en
parallèle l'éclairage électrique et l'éclairage au gaz, avait réservé à ce
dernier les parcs et jardins du Champ de Mars et du Trocadéro , dont
la superficie mesurait 196,000 mètres carrés. Conformément à un
accord intervenu avec le Commissariat général , la Compagnie pari-
sienne installa 1,618 lanternes, pourvues de 4,6/19 brûleurs à man-
chons et fonctionnant , partie à la pression normale , partie à la pres-
sion de âoo millimètres. L'intensité totale de l'éclairage atteignait
91,000 carcels, soit en moyenne o c. ^67 par mètre carré; en 1889,
l'éclairage par mètre carré du Champ de Mars, au moyen de foyers
électriques, n'avait pas dépassé oc. 107. D'après les relevés de la
consommation, chaque carcel exigea une dépense horaire de gaz légè-
rement supérieure à 1 5 litres.
Peu avant la fin du siècle, Yacétylène s'est révélé comme un agent
d'éclairage puissant et économique. Ce gaz, formé de deux atomes
d'hydrogène et deux atomes de carbone, peut être facilement obtenu
par la réaction de l'eau sur le carbure de calcium.
Davy isola, le premier, l'acétylène, en traitant par l'eau des sous-
produits de la préparation du potassium. M. Berthelot en fit la syn-
thèse par l'arc électrique et en détermina le caractère explosif. Puis
M. Vieille détermina les pressions d'explosion correspondant aux pres-
sions initiales du gaz.
On doit à M. Moissan (1892) la fabrication du carbure de calcium
au four électrique. Deux ans après sa belle découverte, l'éminent
chimiste donnait la composition exacte de ce produit. Théoriquement,
un kilogramme de carbure de calcium, soumis à l'action de l'eau,
fournit 3/io litres d'acétylène.
Le gaz acétylène est doué d\in pouvoir éclairant très intense, grâce
à ses propriétés endothermiques, à son extrême richesse en carbone,
à sa haute température de combustion. Ces qualités ont pour contre-
partie la puissance détonante de ses mélanges avec l'air. Il résulte des
IM
mrBiMtaïc «atioialc.
178 ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE.
expériences de M. Grehant que la détonation a lieu avec une propor-
tion d'air variant de 3 à 1 9 volumes pour un d'acétylène et que le
maximum d'effet correspond à 9 volumes.
Pour brûler convenablement, l'acétylène exige beaucoup d'air.
Un inconvénient à éviter est l'encrassement des becs, quand ceux-ci
viennent à s'échauffer. Des modèles nombreux de becs ont été étudiés
et figuraient à l'Exposition de 1900.
Il existe divers types de générateurs, se répartissant entre les caté-
gories suivantes : appareils à chute de carbure dans l'eau (carbure
granulé ou carbure tout-venant); appareils à attaque du carbure par
une nappe d'eau ascendante ou par la chute d'eau, soit en filet, soit
en gouttes ; appareils à contact avec cloche ou sans cloche , fondés sur
le principe du briquet à hydrogène. Des dispositifs appropriés régula-
risent automatiquement l'opération.
Les brûleurs Bullier, à tête en stéatite et à deux branches conver-
gentes, consomment de 7 à 9 litres par carcel-heure. Ainsi le rapport
entre le pouvoir éclairant de l'acétylène et celui du gaz ordinaire est
de 12 à 1 5.
A la suite d'essais persévérants, on a réussi à employer l'acétylène
comprimé pour l'éclairage des voitures de chemins de fer ou de
tramways. Le gaz comprimé peut avec avantage être dissous dans
l'acétone, car cette dissolution présente une grande stabilité et une
résistance remarquable à la détonation. Enfin un artifice ingénieux
consiste à garnir le récipient d'une matière poreuse, céramique ou
silice, dans laquelle se loge l'acétone; il supprime tout espace vide
pouvant contenir du gaz libre et empêche les explosions de se propager.
Parmi les applications intéressantes de l'acétylène se place la car-
buration du gaz d'huile destiné à l'éclairage des trains.
Un éclairage très brillant à l'acétylène avait été organisé, pendant
l'Exposition de 1900, sur les berges de la Seine aux abords du ponl
Alexandre IIL Le rendement en gaz a dépassé 3oo litres par kilo-
gramme de carbure.
Quelques autres modes d'éclairage méritent encore d'être si
gnalés.
ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE. 179
Pour obtenir une lumière très vive, des inventeurs ont depuis
longtemps proposé l'éclairage oxhydrique, c'est-à-dire l'emploi de
l'oxygène comme agent de combustion. Dès i85i , le rapport du jury
mentionnait deux modes d'utilisation de l'oxygène : dans l'un, ce gaz
produisait directement avec le corps combustible une flamme écla-
tante (lumière de Bude); dans l'autre, il agissait, mélangé au gaz de
houille ou à l'hydrogène, sur une substance telle que l'argile ou la
chaux, échauffée au rouge blanc intense (lumière de Drummond).
Plusieurs chercheurs suivirent la même voie, notamment Tessié du
Motay, qui eut recours à des crayons de magnésie. L'usage de
l'oxygène avait des inconvénients; il exigeait une canalisation spé-
ciale et pouvait donner lieu à des fuites dangereuses. Aussi y
a-t-on renoncé et n'a-t-on retenu des anciens essais que l'interpo-
sition dans la flamme d'une matière réfractaire portée à l'incandes-
cence.
Le gaz riche, préparé par la distillation du pétrole, des huiles de
schiste, du boghead, supporte la compression sans perdre son pouvoir
éclairant et présente, à cet égard, une supériorité marquée sur le gaz
de houille. Il donne d'ailleurs beaucoup plus de lumière que ce der-
nier gaz. Les compagnies de chemins de fer en ont tiré un excellent
parti pour l'éclairage des voitures. Notre Administration des phares
en a fait aussi des applications remarquables et lui a spécialement
demandé une solution élégante de l'éclairage des bouées lumi-
neuses. L'appareillage comprend des brûleurs de différentes sortes,
en particulier des brûleurs à récupération et des brûleurs à incan-
descence.
J'ai déjà cité le gaz de houille carburé à l'aide de la naphtaline ou
de l'acétylène.
L'anglais Beale a imaginé en i83/i le gaz à l'air carburé.
Ce gaz s'obtient en faisant barboter, par compression ou par aspi-
ration, de Tair dans un hydrocarbure et de préférence dans la ga-
zoline.
Comment enfin ne pas rappeler d'un mot une invention capitale
que nous retrouverons plus loin, celle de la bougie sléarique, due à
Gay-Lussac, Chevreul et de Milly?
180 ÉCLAIRAGE NON ÉLECTRIQUE.
Les prix de revient, par carcel-heure, des différents modes d'éclai-
rage domestique à Paris s'évaluaient ainsi en 1900 :
DESIGNATION.
Bougie
Lampe Carcel k Thuile végotalo. .
Lampe à pétrole
Lampe à incandescence , à Falcool.
Lampe à gaz , bec Bengel
Lampe à gaz, bec Auer perfec-
tionné
Lampe à acétylène
Lampe électrique à incandescence
POUVOIR
éCLilRANT.
carcel.
ia5
1
h
5
1
5
3
1
CONSOMMATION.
0"»0|
o/i9
11
G 10
io5 litres.
lao litres.
ah litres.
3 G watts.
PRIX
DE LA MATIÈRE
icUIRANTB.
sr' 00 le kg.
1 1 le kg.
o 75 le kg.
5o le kg.
o 3o le m. c.
3o le m. c.
1 1 5 le m. c.
1 oole*kg.w.
PRIX
par
GABGEL-BEURE.
fr. c.
o 160
o o/iG
031
O 01*0
O o3i
o 007
G 099
o g3o
CHAPITRE XV-
PILS, TISSUS, VÊTEMENTS.
S l. MATÉRIEL ET PROCÉDÉS DE LA FILATURE
ET DE LA CORDERIE.
1. Filature du coton, de la laines du lin et du chanvre. — i. Gé-
néralités. — Les matières textiles se présentent sous des aspects diffé-
rents. Tantôt elles sont composées de filaments d'une longueur limitée
et irrégulière : c'est le cas du coton, de la laine, des poils et duvets
animaux, du lin, du chanvre, etc. Tantôt elles s'offrent sous forme
continue : c'est le cas de la soie. Aussi les procédés de filature appli-
qués à ces deux catégories de textiles sont-ils essentiellement distincts.
Le travail de la soie se borne à développer et marier les fils de cocons,
h les tordre et à les retordre suivant certaines règles; celui des autres
matières exige d'abord un traitement compliqué de division et d'épu-
ration, puis des opérations destinées à juxtaposer les fibres, à les
superposer, à leur faire subir des glissements successifs, à réaliser
ainsi leur échelonnement régulier et à permettre enfin leur fixation
définitive par la torsion.
Ces opérations tendant à transformer en fils les filaments de faible
longueur n'ont-pu longtemps s'effectuer qu'à la main. Le matériel, des
plus simples, comprenait : des baguettes, pour battre la substance
étalée sur une toile ou sur une claie et la débarrasser des corps étran-
gers; des cardes de matelassier, pour diviser grossièrement les filaments
courts et pour les ranger en nappes; des sérans à dents longues et
droites, pour peigner les longs brins du chanvre et de la laine; la
quenouille, autour de laquelle on plaçait la matière à filer; lefmeau,
pirouettant sous les doigts de la fileuse, pour tordre et renvider alter-
nativement le fil.
Le rouet, qui commença à remplacer le fuseau primitif vers le mi-
lieu du xvi*' siècle et qui resta en possession presque exclusive de la
182 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA GORDERIE.
transformation des matières textiles jusqu'en 1789, était dëjà un in-
strument perfectionné. Depuis, la filature mécanique lui a emprunté
son premier organe élémentaire, la broche à ailettes, dont la rotation
tord le fil et le renvide en même temps sur la bobine.
2. Origines de la filature mécanique du coton. — C'est pendant la
seconde moitié du xviii® siècle que l'Angleterre entreprit la substitu-
tion de la filature mécanique au travail manuel pour le coton. L'avance
prise par ce textile sur la laine , le lin et le chanvre s'explique par des
causes techniques et commerciales. Dans l'ordre technique, la nature
des fibres du coton, leur ténuité, leur faible longueur, constituaient
de sérieuses difficultés pour le travail manuel, alors que ces pro-
priétés, jointes à la douceur des filaments, à la netteté de leur sur-
face, à leur faculté de liaison, de glissement, d'échelonnement, d'as-
semblage en fils d'une extrême finesse, favorisaient au contraire la
préparation et le filage automatiques. Quant aux causes commerciales,
elles venaient surtout de l'importance acquise dès cette époque par
le tissage en Angleterre : les industriels anglais avaient entrepris avec
succès la fabrication et l'exportation, non seulement sur le continent,
mais aussi dans les colonies britanniques, d'étoffes de coton et spé-
cialement d'étoffes mélangées ou futaines; ne pouvant suffire aux be-
soins de leurs ateliers, ils s'étaient vus dans l'obligation de recourir
à l'étranger pour le filage manuel de la trame.
Les premières recherches eurent pour objet la production simulta-
née de plusieurs fils par un seul ouvrier. Elles aboutirent d'abord au
célèbre méû^v jenny, imaginé en 1768 par Th. Higgs et perfectionné
trois ans plus tard par J. Hargreaves (ou Hargraves); la jenny, bien
appropriée à la production de la trame des futaines, ne donnait pas
la finesse, la résistance et la torsion qu'exigeaient les fils de chaîne.
Bientôt apparut une machine plus complète, le throstle ou métier
continu , capable de fournir les fils de chaîne et possédant certains
organes principaux employés depuis dans tous les métiers à filer. Ces
deux métiers avaient pour fonction commune de terminer le filage
déjà ébauché à la main; ils différaient par le mode d'étirage plus
encore que par le mode de renvidage.
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA GORDERIE. 183
Pour étirer les trames comme dans le mëtier continu et pour avoir
néanmoins un instrument plus léger, à une époque où la machine à
vapeur était peu répandue et dans un pays où les chutes d'eau n'abon-
daient pas, on pensa à associer les cylindres étireurs mécaniques du
throstle aux broches en fuseaux montées sur un chariot mû à la main,
comme celui de la jenny. Telle fut Torigine du métier mixte ou mule-
jenny^ patenté en 1779 par S. Crompton et susceptible de faire à
volonté la chaîne ou la trame.
Quelles que fussent leurs qualités, la jenny, le throstle et la mule-
jenny ne se substituèrent pas immédiatement à l'ancien rouet. Peut-
être la création des différents métiers à filer fût-elle demeurée stérile,
sans le concours que vinrent leur prêter d'ingénieuses machines pré-
paratoires. En effet, la qualité du fil dépend au moins autant de la
façon dont les mèches de matière filamenteuse sont préparées avant
d'être soumises au métier, que du travail de ce métier lui-même, et,
parmi les inventions qui ont exercé l'influence la plus sérieuse sur la
perfection du filage, on doit placer au premier rang la machine à car-
der à ruban continu. Le rôle de la machine à carder était de nettoyer
les fibres préalablement battues^ de les diviser, de les ranger et de les
condenser en une masse homogène. Divers modèles se disputèrent la
faveur des manufacturiers. Tous comportaient les éléments essentiels
des machines modernes : appareil alimentaire à toile sans fin et cy-
lindre cannelé; tambour principal, hérissé d'aiguilles crochues, auquel
l'appareil alimentaire amenait les nappes de filaments à préparer;
cylindres mobiles ou chapeaux fixes, également munis d'aiguilles avec
crochets de direction opposée, dépouillant alternativement le gros
tambour ou lui rendant les fibres pour en garnir les autres surfaces
cardantes selon les vitesses relatives, et opérant par suite, d'une ma-
nière continue, la division de ces fibres; enfin appareil détacheur,
rendant la matière cardée sous forme d'un voile ou ruban sans fin.
Les perfectionnements ultérieur^ tendirent surtout à réaliser automa-
tiquement le débourrage et l'aiguisage des aiguilles dans les organes
nettoyeurs, et à régler avec précision les différentes parties de la
machine.
Quand débuta l'application des cardos cylindriques à l'obtention de
18A MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
rubans continus , il importait d'autant plus de bien carder, que le coton
passait directement de la carde au métier à filer. R. Arkwright s'assura
un grand succès le jour où il eut l'idée de régulariser, d'uniformiser
les premiers rubans par des doublages et des étirages successifs, avant
de les soumettre au filage; l'appareil créé par lui à cet effet, c'est-
à-dire le banc d'étirage à lanterne^ fut patenté en 1775. Une filiation
étroite rattachait cet appareil à l'invention si originale et si féconde
de l'étirage par cylindres, due à Paul-Louis (1788).
Les machines anglaises s'introduisirent rapidement en France. Du
reste, le Gouvernement ne ménageait ni les primes ni les encourage-
ments d'autre nature. Néanmoins le filage à la main alimentait en-
core les trois quarts de notre consommation, vers le commencement
du XIX® siècle. Le fil produit ne dépassait guère en finesse le n° 3o ^^K
3. Origines de la filature mécanique des laines. — Primitivement, les
différentes machines dont l'invention successive a engendré la filature
automatique n'étaient deàtinées qu'au travail du coton. Mais certaines
d'entre elles ne tardèrent pas à être employées, moyennant des mo-
difications convenables, pour les autres textiles.
Les opérations à l'aide desquelles les filaments de longueur limitée
sont transformés en fils continus ont toujours pour objet, une fois que
la matière est amenée à un état de suffisante division , de faire glisser
les fibres les unes sur les autres, de les échelonner et de les fixer
définitivement par la torsion. Ces opérations finales obéissent à des
règles invariables, et les machines qui les réalisent peuvent en prin-
cipe servir indifféremment à tous les textiles, sauf les changements de
détail commandés par la longueur et la ténuité plus ou moins grande
des fibres, par le but spécial qu'on se propose d'atteindre, par le
degré de finesse ou de résistance qu'il s'agit d'obtenir.
Au contraire, les traitements préalables, ceux dont l'objet est de
préparer la substance à subir le filage proprement dit, varient néces-
sairement avec la nature des fibres, ave» leur caractère physique, avec
l'état dans lequel elles arrivent à l'industrie; ils dépendent aussi de la
destination du fil. Les différences que présentent entre elles les di-
^'^ Le numéro reprësenlele nombre de kilomètres par 5oo grammes.
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA GORDERIE. 185
verses opérations préparatoires tiennent d ailleurs plus à la longueur,
au degré de divisibilité et à la forme des filaments qu'à leur consti-
tution intime. À cet égard, les variétés de laine présentent, les unes
par rapport aux autres, des distinctions aussi tranchées que la plupart
des autres textiles entre eux; celles qu on emploie à la fabrication des
tissus ras peuvent parfois se comparer au lin, quant à la longueur, à
la raideur et à la résistance des brins, tandis que les laines spéciale-
ment recherchées pour les tissus foulés et drapés ont des filaments
inégaux, frisés, élastiques, se rapprochant de ceux du coton, tout en
exigeant néanmoins un traitement spécial.
Les laines de cette dernière catégorie, dites laines à carde, furent
les premières auxquelles on chercha à appliquer les machines de pré-
paration et de filage du coton. Des essais se poursuivirent simulta-
nément çn Angleterre , où le pre^mier métier à filer aurait fonctionné
à Dolphin Holme pendant Tannée 178/1, mais où le succès ne vint
que sept ans après, et en France, où Quatremère-Disjonval , fabricant
de draps près de Châteauroux, réussit, dès 1788, à carder la laine
sur dés machines à coton. Quatremère avait dû renoncer aux cha-
peaux fixes enveloppant le gros tambour et les remplacer par une
couronne de cylindres mobiles, alternativement cardeurs et déga-
geurs. La combinaison de mouvements rotatoires en sens inverse des
organes propres au démêlage ne permet pas aux brins de se ranger
parallèlement dans la nappe, qui se trouve ainsi formée de filaments
se croisant dans toutes les directions; ce résultat, quon s'efforçait
d'atténuer pour le coton fin, sauf à restreindre la carde à rouleaux
cylindriques mobiles au rôle de carde briseuse ou de première ma-
chine d'un assortiment de plusieurs cardes, convenait, au contraire,
parfaitement à la laine cardée, dont il faut surtout ménager les pro-
priétés feutrantes dans l'intérêt du foulage et des apprêts ultérieurs
de l'étoffe.
Pour le filage de la laine courte, le métier employé fut la jenny
primitive, dont l'usage s'est longtemps conservé dans quelques fila-
tures en gros. Au lieu des bobines alimentaires servant à l'enrou-
lement des mèches de préparation, on utilisait une toile sans fin qui
recevait les loquettes venant de la carde et rattachées bout à bout par
186 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
des enfants. Ici, le mode d'ëlirage par le chariot était indispensable.
Douglas et Cockerill construisirent en France les premiers assor-
timents à peu près complets pour la laine cardée.
La laine longue et fine, ou laine à peigne, se montra plus long-
temps rebelle à la filature mécanique. Ses brins avaient une tendance
naturelle à friser, une rudesse superficielle qui s'opposait à leur glis-
sement et à leur échelonnement; la régularité des étirages et, par
suite, celle du fil en souffraient. Cependant Price de Rouen avait ima-
giné une machine à filer cette laine et obtenu du Gouvernement,
en 1780, une prime de 3, 000 livres. Quelques années plus tard, les
Anglais étaient parvenus à employer les cylindres étireurs pour la
préparation de la laine longue et lisse, dite anglaise, et à la filer sur
les métiers créés par Arkwright.
À partir des débuts de la République, les essais en France se
concentrèrent principalement sur la laine cardée; le travail de la
laine à peigne y fut délaissé et Chaptal dut, en 1801, proposer un
prix pour le perfectionnement des machines propres à ce travail.
Seule, l'Angleterre accomplissait quelques progrès dans le peignage
de la laine, comme l'attestent les machines à peigner qu'inventèrent
E. Cartwright (1790), Wright et Hawskley (1798).
La première machine à filer les genres de laines fines qui ait
fonctionné en France fut construite en 1811 seulement par le méca-
nicien Dobo, auquel avait été confié le montage des métiers employés
dans l'établissement du célèbre Ternaux pour la fabrication des fils
d'étoffe rase. Dobo cardait le peigné obtenu à la main, laminait le
ruban au moyen d'une série d'étirages en aidant par la chaleur au
redressement des fibres, amenait ce ruban à n'avoir plus que douze à
quinze fois la grosseur du fil qu'il s'agissait de produire, puis lui fai-
sait subir un roulage par frottement en le roulant transversalement
entre deux planchettes glissantes, afin de donner à la mèche une cer-
taine cohésion sans torsion aucune; la mèche arrondie était ensuite
filée sur une mule-jenny ordinaire.
Jusqu'alors, on s'était occupé presque exclusivement des premières
et dernières opérations de la filature, et on semblait perdre de vue
l'importance des préparations intermédiaires devant suivre le pei-
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 187
gnage. Celui-ci, fait à la main, pouvait suffire; mais il n'était pas
accompagné des laminages ^ dont le perfectionnement devait seul per-
mettre de vaincre les difficultés du filage en fin des laines longues et
fines. Les recherches dans cette direction, sans lesquelles Teffet des
métiers de filature eût été stérile , ne donnèrent de résultats pratiques
que plus tard, quand le filage de la laine peignée put bénéficier des
innovations de la filature du lin. Bien que la première application
d'une machine à peigner mécaniquement ait été réalisée en France ,
de 1808 à 1809, par Demaurey, le travail à la main resta en pos-
session exclusive du peignage jusque vers i83o, parce que l'utilisa-
tion du peigné no pouvait se développer.
4. Origines de la filature mécanique du lin et du chanvre. — L'adop-
tion des moyens mécaniques rencontra des difficultés peut-être plus
grandes encore pour le travail du lin et du chanvre que pour celui
de la laine. Jusqu'en 1810, l'étude insuffisante et la connaissance
incomplète des caractères naturels de ces textiles empêchèrent qu'on
ne les fit profiter des progrès accomplis dans la filature du coton.
Un Français, Demaurey, avait bien, dès 1797, composé un sys-
tème de machines à filer le lin. D'autres inventeurs, comme Robinson
(1798), Leroy (1807), etc., s'étaient pourvus de brevets pour la for-
mation des rubans de filasse par des laminages, des étirages et des
doublages successifs, très analogues à ceux que subissait le coton, et
pour le filage de ces rubans au métier continu. Mais ces opérations,
effectuées à sec et suivant toute la longueur des brins, se heurtaient à
des obstacles dont on ne triomphait que d'une manière imparfaite et
au détriment des produits.
Telle était la situation quand eut lieu le fameux concours de 1810
institué par Napoléon P'. Une récompense d'un million de francs
devait être attribuée à l'inventeur des meilleures machines à filer le
lin, quelle que fût sa nationalité. Le programme arrêté par le comte
de Montalivet, alors Ministre de l'intérieur, imposait aux concurrents
l'obligation de faire : i"* des fils de lin pour chaîne et pour trame,
propres à donner un tissu aussi fin que la mousseline fabriquée avec
du fil de coton n"* 4 00,0 00 mètres au kilogramme; a** des fils de lin
188 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
pour chaîne et pour trame, propres à donner un tissu aussi fin que
la percale fabriquée avec .du fil de coton n*" 2 3 5,ooo mètres au kilo-
gramme; 3"* des fils de lin pour chaîne et pour trame, propres à
donner un tissu aussi fin que la toile fabriquée avec du fil de coton
n"* 170,000 mètres au kilogramme. Il demandait une économie de
main-d'œuvre de huit dixièmes pour la première catégorie de fils, de
sept dixièmes pour la seconde et de six dixièmes pour la troisième,
par rapport aux procédés de filature à la main. Malgré la prorogation
du concours, le prix ne put être décerné; les exigences du programme
étaient trop rigoureuses et avaient été dictées par des préoccupations
trop exclusives en faveur des numéros de fil les plus élevés.
Cependant, dès juillet 1810, Philippe de Girard, ancien professeur
de physique et de chimie à l'école centrale de Marseille, déjà connu
pour sa lampe hydrostatique et pour d'autres découvertes utiles, pre-
nait avec ses frères un premier brevet d'invention relatif à la filature
du lin et du chanvre par des procédés mécaniques. Plusieurs certificats
d'additions et de perfectionnements, constituant un véritable traité
sur la matière, firent suite au brevet de 1810.
Dans le cas des substances qui se composent de brins élémentaires
distincts et tout constitués, comme la laine et le coton, les prépara-
tions n'ont d'autre objet que de mettre ces brins parfaitement à nu, de
les démêler jusqu'à division parfaite, de les débarrasser des corps
étrangers , de les lisser et de les assouplir. Mais le lin et le chanvre
sont formés d'éléments agglutinés; chaque filament complexe doit être
fractionné en plusieurs filaments plus fins, et, lorsqu'on veut atteindre
une grande finesse de fils, il faut pousser ce fractionnement aussi loin
que possible, afin d'avoir des fibrilles très flexibles et bien aptes à
s'échelonner. On arrive au résultat voulu par un peignage répété et par
le mouillage: de tout temps, les fileuses à la main ont eu soin d'hu-
mecter les fibres, en les étirant entre leurs doigts, pour ramollir les
matières agglutinantes et accroître la division des brins au moment du
filage.
L'un des mérites de Ph. de Girard est de s'être bien rendu compte
de cette divisibilité. En 1 8 1 o , il proposa d'immerger dans l'eau chaude
ou alcaline les filaments provenant du peignage, de manière à dés-
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA GORDERIE. 189
agréger les fibres élémentaires : ces libres, amenées ainsi à leurlinesse
réelle et ne mesuriint pas d'ailleurs plus de o m. o4 à o m. i o de lon-
gueur, deviennent alors susceptibles de glisser les unes sur les autres
sans se rompre à Tétirage, et rien ne s'oppose à ce qu'on les soumette
en cet état à l'action d'un métier pour fil fin. Les cylindres d'étirage
peuvent, grâce à la longueur limitée des brins, y être rapprochés pres-
que autant que dans les métiers en usage pour filer la laine.
C'est également à Ph. de Girard qu'on doit le maintien du parallé-
lisme des fibres au moyen de peignes continus , pendant les étirages.
Le ruban de lin ou de chanvre se forme comme le ruban de coton par
des étirages et des doublages successifs, pratiqués entre des systèmes
de cylindres tournants. Mais, si l'on ne prend le soin de soutenir et de
bien diriger les filaments pendant leur marche, il est impossible
d'éviter la formation de boucles et de nœuds dus à l'entraînement
naturel des fibres de la filasse, telle qu'elle sort du peignage , ainsi qu'à
l'espacement des cylindres; ces nœuds et ces boucles, nés dans les pre-
miers rubans, persistent et se multiplient jusqu'aux dernières opéra-
tions; la qualité du fil en est gravement altérée. Ph. de Girard comprit
la nécessité de faire cheminer les fibres d'un cylindraà l'autre au travers
de peignes mobiles, destinés à accompagner les brins, à les serrer
suivant des alignements bien parallèles, à les maintenir, tout en leur
permettant de glisser entre eux et de céder ainsi graduellement et sans
se désunir à l'action des cylindres. Avant lui, Leroy avait songé, dès
1807, ^ interposer entre les paires de cylindres alimentaires et étireurs
un tambour garni de peignes: ce dispositif, suffisant pour les laines,
ne l'était point pour le lin ; de Girard le perfectionna et remplaça le
tambour par des barrettes à sérans, qu'il fixa d'abord à des cuirs sans
fin, ensuite à des plaques métalliques articulées, constituant une chaîne
également sans fin ^^\ Pour faciliter l'expulsion de la matière à rappro-
che des cylindres étireurs, il plaça sous la filasse, dans l'intervalle
^*) nus tard, cette disposition a été i*em- cylindres, tandis qu'un couple de vis sembla-
placée par celle qu'imaginèrent Westley et blés, mais inverses, placé au-dessous, servait
Lawson (1 83 3) et qui consistait à munir cha- à ramener cette barrette. La descente et la
que barrette de tenons s'engageant dans les montée des barrettes d'un couple de vis à
rainures hélicoïdales d^un couple de vis à filets l'autre s'effectuait au moyen de cames ou
carrés et faisant cheminer la barretle entre les d'excentriques.
190 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
libre des sérans, de petites tringles mobiles qui, soulevées successive-
ment par leur glissement sur des guides fixes, la dégageaient d'entre
les peignes.
Le procédé de filature indiqué par Ph. de Girard en 1810 consis-
tait à transformer progressivement la filasse en rubans de plus en plus
unis, au moyen de doublages et d'étirages, à convertir les rubans
ainsi obtenus à sec en gros fils de n°" 1 o à /lo, à tremper ces fils dans
Teau chaude, puis à leur faire subir un dernier étirage en fin sur un
métier continu ordinaire, après leur avoir enlevé l'excès de torsion
nécessité par le trempage, torsion qui se serait opposée à l'étirage
définitif.
En 1 8 1 5, de Girard ajouta à l'assortiment de machines exécutant ces
opérations un appareil dit à rubaner, qui avait pour fonction de réunir
et de souder, par l'emploi d'auges à sérans mobiles, les mèches isolées
venant du peignage, de manière à constituer mécaniquement les pre-
miers rubans, au lieu de les former à la main. Il modifia aussi son
métier à filer en gros , dans le but de soustraire les mèches à la torsion
permanente dont les inconvénients étaient très sensibles lors de l'étirage
en fin: pendant cette opération, en effet, les fibres fatiguées et énervées
sortaient inégalement du fil sous forme de duvet; dans le dispositif
créé par de Girard, les mèches quittant les cylindres étireurs passaient
à travers de petits tubes, animés d'un mouvement de rotation très
rapide, où elles se trouvaient tordues à l'entrée, puis détordues à la
sortie, et acquéraient ainsi une certaine cohésion ^^l Quant au métier
à filer en fin, il ne différait des anciens continus qu'en ce que les
ailettes offraient pour la première fois des branches creuses, qui, en
dirigeant la mèche sur les bobines, la soustrayaient à l'action de l'air
et de la force centrifuge.
Tels furent les procédés de filature mis en œuvre dans les deux éla-
^*^ Ces tubes donnaient lieu à de frëquentes positif a été reproduit depuis dans les machines
ruptures. Plus tard, chacun d'eux fut remplace amëricaines à ûler le coton et la laine, que
par une paire de tubes disposes à la suite Tun Dyer de Boston importa en Europe vers iSaS
de l'autre: le premier, immobile, servait à et qui avaient pour objet d'accélérer la prëpa-
réunir les fibres après l'étirage, tandis que le ration des gros fils en supprimant les étirages
second, animé d'un mouvement alternatif, à lanterne,
tordait et détordait les mèches. Le même dis-
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 191
blissements fondés à Paris dès 181 3 par de Girard et ses frères.
L'imperfection encore assez grande des machines et surtout l'emploi peu
économique de la force motrice expliquent le peu de succès de ces éta-
blissements, qui ne purent résister aux terribles secousses de 181 4 et
de 1 8 1 5. Mais, en 1817 ou 1818, l'inventeur était sorti de la période
des essais; les perfectionnements dictés par l'expérience rendaient son
matériel apte à fonctionner régulièrement; des machines à battre et à
peigner la filasse avaient, d'ailleurs, été adjointes aux assortiments.
Les peigrwuses mécaniques qui existaient à cette époque, celles de
Peters et de Porthouse, par exemple, occasionnaient des déchets et une
main-d'œuvre si considérables, qu'on leur préférait dans toutes les fila-
tures les peignes ou sérans à la main.. Philippe de Girard inventa une
machine donnant des résultats bien plus satisfaisants. Voici quels
étaient les traits essentiels de sa peigneuse. Sur des bielles verticales
obéissant à un mouvement circulaire continu, il montait des rangées
parallèles de sérans à barrettes horizontales, formant des sortes de
râteaux oscillants qui s'approchaient et s'écartaient alternativement de
la nappe de filasse et en peignaient longitudinalement les fibres pen-
dant la période descendante de leur va-et-vient; deux séries de râteaux
semblables, placés l'un en face de l'autre , attaquaient la nappe des deux
côtés à la fois et lui faisaient subir cette sorte de pénétration ou de
piquage perpendiculaire à la gerbe , dont on a reconnu depuis l'extrême
importance pour le lin et le chanvre. Les aiguilles des peignes allaient
d'ailleurs en se resserrant et en augmentant de finesse, à partir du
point d'entrée de la filasse jusqu'à son point de sortie; leur action
commençait vers le bas des mèches pour s'approfondir de plus en plus
à la remonte vers le milieu, de façon à dégager progressivement les
étoupes et à éviter la formation des nœuds. Le peignage n'exigeait
qu'une double opération, sans autre retournement que celui des mè-
ches dans les pinces. Une machine à daguer^ c'est-à-dire à battre la
filasse, pour la débarrasser des pailles et autres corps étrangers, pré-
parait et facilitait le travail de la peigneuse.
Ph. de Girard avait aussi imaginé un autre type de peigneuse, où
la nappe de filasse était soumise progressivement à l'action d'un ou
de deux tambours horizontaux à sérans. Enfin son premier modèle.
192 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
applique dès 1 8 1 7 à l'établissement d'Hirtenberg (Autriche), se com-
posait de deux cuirs sans fin à mouvement vertical , garnis de peignes,
marchant en sens contraire et attaquant à fa fois la nappe de filasse
sur les deux faces opposées : cest sur le principe de cette machine,
combiné avec Teffet de piquage du type précédemment décrit, que
sont basées les peigneuses à lin modernes.
Si ces diverses inventions n'avaient pas acquis du premier coup,
au point de vue de l'exécution matérielle, le degré de perfection et de
maturité voulu pour assurer leur succès industriel, on n'en doit pas
moins reconnaître que Philippe de Girard avait, dans la période com-
prise entre 1810 et 1819, posé au complet les véritables fondements
de la filature du lin et du chanvre.
A peine est-il nécessaire de rappeler l'histoire bien connue de l'in-
venteur malheureux et longtemps méconnu, ses déboires financiers à
Paris, son incarcération à Sainte-Pélagie, sa spoliation par deux asso-
ciés qui extorquèrent ses procédés pour les vendre au négociant Hall
de Londres , son expatriation en Autriche , l'échec de son \isine d'Hirten-
berg malgré les subsides de l'Empereur d'Autriche et du prince Jérôme
Bonaparte. L'odyssée se termina par une entreprise plus féconde en
Pologne, dans un domaine du Ministre des finances, comte de Lubient-
sky. Revenu sur le sol de France en 1 844. Philippe de Girard mourut
l'année suivante sans avoir obtenu du Gouvernement ni récompense
pécuniaire, ni distinction honorifique; plus tard, une loi du 7 jan-
vier i853 accorda à ses héritiers des pensions nationales.
Entre temps, l'Angleterre avait su s'emparer des inventions de
Philippe de Girard. Elle les perfectionna, y ajouta le cardage et la
filature des étoupes par des méthodes et à l'aide de machines analogues
à celles qui servaient pour le coton. Grâce, à l'habileté des construc-
teurs anglais, la filature du lin était, dès 1826, entièrement consti-
tuée dans la Grande-Bretagne, et ce fut à Leeds que nos manu-
facturiers durent aller ensuite chercher, au prix de mille peines, les
machines qui leur faisaient défaut.
5. Obsei^vation sur les progrès simultanés des diverses branches de la
filature. — Pendant que de Girard créait de toutes pièces la filature
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 193
mécanique du lin et du chanvre, le travail automatique du coton et
de la laine ne demeurait pas stalionnaire : les machines anciennes
s'amélioraient; des appareils nouveaux étaient inventés; les assorti-
ments se transformaient, sinon par des changements brusques, du
moins par des progrès continus.
Les différentes branches de la filature présentant une étroite soli-
darité , chacune d'elles profitait dans une certaine mesure des études
entreprises et des innovations réalisées pour les autres, soit au point
de vue des métiers à filer, soit au point de vue des machines de
prépai'ation. C'est ainsi que la préparation de la laine longue emprun-
tait à celle du lin le principe des peignes d'étirage mobiles, que
la filature en gros du coton s'inspirait avantageusement des procédés
d'étirage sans torsion permanente d'abord appliqués à la laine, etc.
6. Progrès des machines de préparation jusqu'au milieu du m" siècle.
— Après avoir ainsi étudié les origines de la filature mécanique,
voyons quelles furent les étapes successivement franchies jusqu'au
milieu du xix* siècle, et, pour suivre l'ordre logique, commençons par
les machines de préparation.
Bien qu'introduite de bonne heure en France , la filature mécanique
du coton ne s'y répandit qu'avec lenteur. Vers 1 8 1 3 , la lutte entre
le rouet et lea machines automatiques se prolongeait encore. Mais, à
partir de cette époque, notre industrie cotonnière prit un vigoureux
essor. L'outillage s'était complété et enrichi de machines supprimant
le travail manuel, lent, imparfait et nuisible à la santé, des opérations
qui devaient précéder le cardage.
Les plus anciennes mécaniques à battre furent simplement agencées
pour faire agir automatiquement des baguettes sur la substance à
épurer. Aucune disposition ne réglait la marche des filaments, dont
une partie échappait à l'action des baguettes, tandis que le surplus
était profondément maltraité et altéré. Bientôt on reconnut qu'il fal-
lait opérer avec plus de méthode et diviser l'opération en plusieurs
phases, afin de conserver à la matière toutes ses qualités. Dans ce
but, on imagina de faire précéder les batteuses de machines à ouvrir,
c'est-à-dire à diviser la masse et à secouer les fibres, ainsi que cela se
i3
mrBIlIKKII lATIOIALI.
194 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
pratiquait pour la laine depuis 180 4. Tout d'abord, ces machines nou-
velles eurent pour organe principal un arbre incliné, muni de dents
d'inëgale longueur et tournant dans une caisse à claire-voie. Le déga-
gement énorme de poussière qui se produisait au travers de Tenve-
loppe détermina à fermer l'appareil de toutes parts, sauf à la base
où une grille livrait passage aux impuretés; dès lors, les machines à
ouvrir furent généralement formées d'un tambour cylindrique ou
conique, armé de dents et tournant dans une enveloppe close garnie
de dents semblables et opposées. Puis la continuité de l'alimentation
et de l'évacuation fut assurée par des toiles sans fin et des cylindres
d'appel, placés tant à l'entrée qu'à la sortie. Enfin on ajouta des venti-
lateurs destinés à l'enlèvement de la poussière.
Une fois l'opération ébauchée par ces machines, dites taups ou
diables, il restait à chasser plus complètement les impuretés et à rendre
aux filaments leur élasticité primitive : c'est alors qu'avait lieu le
battage^ par un volant placé dans une enveloppe close; tout était réglé
de telle sorte qu'aucun filament ne pût échapper à l'action des bras
de ce volant ; un ventilateur aspirait les flocons fibreux en forme de
nappe sur des toiles ou claies sans fin.
Quoique complète dès la fin du xviii® siècle, la carde ne cessa pas
de subir des modifications de détail intéressant le réglage de ses élé-
ments ainsi que son entretien. On chercha les moyens de débourrer
automatiquement les aiguilles cardantes des organes nettoyeurs ^^',
d'aiguiser les garnitures ; les machines américaines à bouter se pro-
pagèrent.
Ensuite vint l'idée de réunir les rubans d'une même rangée de
cardes en un rouleau unique et de les conduire dans ce but, par des
couloirs parallèles, jusqu'à une machine de réunion. Ces couloirs
à réunir, dus à Bodmer (iSaB), furent également appliqués aux
machines à étirer : l'opération des étirages devenait ainsi entière-
ment continue, et Ton pouvait assembler en un même rouleau les
rubans livrés par divers appareils d'étirage, au lieu d'avoir comme
<*^ L'enlèvement des impuretés qui en- d'accord pour attribuera Bodmer (182 4) rin-
gorgent les aiguilles cardantes est essentiel vention des premiers mécanismes débour-
au bon fonctionnement de la carde. On est reurs.
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 195
auparavant k recevoir chaque ruban dans un pot qu il fallait trans-
porter d'une machine à 1 autre.
Le nombre des étirages et des doublages fut augmenté ; quand le
mban» arrivé à une ténuité assez grande, n'avait plus la consistance
voulue pour être étiré en fin, on lui imprimait un léger degré
de tors. Bientôt Tancien banc d'étirage à lanterne^ où cette torsion
était produite par la rotation des pots verticaux servant de réceptacles
aux mèches, fit place au banc à broches, qui remplissait la même fonc-
tion d'une manière plus parfaite et dans lequel, pour éviter la com-
plication et les déchets inhérents à l'emploi des pots et des canaux , on
eut l'heureuse pensée de reproduire des bobines analogues à celles
du rouet.
Après avoir fait l'objet d'un brevet d'importation, pris en i SaS par
les anglais Eaton et Farey, le banc à broches fut introduit en France,
l'année suivante, par la Société industrielle d'Ourscamp, près de
Compiègne. Il a en commun, avec le métier continu, les cylindres
étireurs et les broches verticales à ailettes et à bobines ; mais il en
diffère par sa commande, qui imprime aux bobines ud mouvement
double indépendant de celui des broches et destiné à régler l'enrou-
lement du fil.
Dans le métier continu, les bobines très petites n'éprouvent que
d'assez faibles variations de grosseur^, de petits freins à poids régu-
lateur suffisent pour en modifier la résistance, à intervalles éloignés,
quand leur grossissement l'exige ; on se contente d'imprimer au cha-
riot horizontal portant ces bobines un mouvement de va-et-vient, afin
de régulariser l'enroulement sur toute la hauteur, et le fil, beaucoup
plus solide qu'avec le banc à broches, se charge de tirer constamment
la bobine, dont la résistance assure ainsi l'envidage régulier sous une
tension convenable.
Dans le banc à broches d'Ourscamp, la rotation des broches se fai-
sait bien encore avec une vitesse constante. Mais les organes de trans-
mission étaient réglés de façon à commander les bobines elles-mêmes,
à ralentir progressivement leur vitesse de rotation, ainsi que le mouve-
ment vertical de va-et-vient du chariot, suivant le grossissement de ces
bobines, et à maintenir l'envidage du fil peu tordu sans aucune ten-
i3.
196 MATÉRIEL DE U FILATURE ET DE LA CORDERIE.
sion^*^ Les ingénieuses combinaisons par lesquelles Eaton et Farey réa-
lisaient le double mouvement des bobines ont servi de point de départ
à la solution plus simple et bien plus exacte de H. Houldsworth (Man-
chester, 1836), qui a subi elle-même des modifications considérables ,
notamment par la substitution d'engrenages aux courroies sans fin des
diverses commandes. Ce système comporte, comme organe de trans-
mission, un tambour à rouages différentiels, monté sur l'arbre moteur
de la machine et transmettant aux bobines la résultante de deux vi-
tesses : i"" la vitesse constante de Tarbre moteur; â"* la vitesse variable
dune poulie conique, qui est montée sur un arbre parallèle à 1 arbre
moteur et dont la courroie motrice se déplace graduellement vers le
plus gros diamètre, à chaque couche enroulée sur les bobines. Le
mouvement rotatoire de ces bobines s'effectue suivant la résultante des
deux vitesses; leur mouvement de translation le long des broches est
réglé par la vitesse variable de la poulie conique. La courroie sans fin
du cône passe d'ailleurs sur une poulie à gorge dont l'arbre, parallèle à
l'arbre moteur, reçoit de ce dernier un mouvement uniforme de rota-
tion; une crémaillère, avançant d'une dent à chaque excursion du
chariot porte-bobines, fait glisser successivement la courroie sur le cône.
Depuis Houldsworth , les perfectionnements du banc à broches ont
tous eu pour objet la régularité de l'étirage, du tors, de la faible
tension du fil, et le meilleur enroulement sur les bobines. Uniquement
appliquées d'abord à la filature du coton, les nouvelles machines ont
fini par se faire adopter dans la préparation du lin et du chanvre.
Au moment où le travail se perfectionnait grâce à l'amélioration du
banc à broches, on se préoccupait aussi d'éviter, dans la filature en
gros, les inconvénients de la torsion permanente des mèches. Girard s y
était employé avec ardeur; Dobo avait résolu le problème pour la laine
longue ; Winslow, du Havre, importa d'Amérique ou d'Angleterre, vers
^'^ La diffërenoe des vitesses de la broche de va-et-vient longitudioai de la bobiae, qui
et de la bobine, qui produit l'enroulement du enroule r^^lièrement le Gl sur toute la hau-
fll , ne doit pas varier maigre le grossissement teur, doit varier dans la même proportion :
de cette dernière. Il faut donc que la vitesse à c'est après chacun des mouvements longilu-
la circonférence de la bobine reste constante, dinaux que s'opère la variation de vitesse
et par suite que sa vitesse angulaire varie en angulaire,
raison inverse du diamètre. lie mouvement
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 197
1837, le roia-froUeur, qui, après avoir reçu divers perfectionnements,
ne tarda pas à se répandre, surtout en Normandie, pour la filature
expéditive des gros fils de coton. Cette machine possède, de même que
les bancs d'étirage et le banc à broches, des paires de cylindffes lami-
neurs ; elle en diffère dans la manière de donner au fil la cohésion et
la rondeur. A la sortie des cylindres, les mèches passent entre \m cuir
sans fin (animé d'un mouvement de translation autour de ses rouleaux
de support et d'un mouvement de va-et-vient transversal) et un gros
rouleau frotteur (doué d'un mouvement de va-et-vient en sens con-
traire); puis elles sont laminées entre deux cylindres d'appel et tom-
bent finalement dans une boîte à mouvement alternatif, où elles se
disposent régulièrement. Le rota-frotteur permet de soumettre immé-
diatement les fils de préparation au métier à filer. Bien qu'il donnât
des résultats inférieurs en précision à ceux du banc à broches et qu'il
occasionnât souvent des déchets, par suite de son exécution imparfaite
et de la manière dont le fil était disposé "à la sortie, ses avantages éco-
nomiques le firent promptement employer pour les numéros ordinaires
de coton.
C'est surtout dans la filature de la laine fine et longue que l'étirage
sans aucune torsion a joué un rôle capital et donné des résultats favo-
rables à la qualité des produits.
Malgré les tentatives de Dobo,,le travail mécanique des laines h
peigne était demeuré très imparfait. Il entra dans une voie nouvelle
quand Laurent appliqua aux machines à étirer, à doubler et à laminer
ces laines des manchons cylindriques garnis d'aiguilles, pour diriger
et soutenir les filaments entre deux cylindres, suivant le principe désor-
mais suivi dans les étirages du lin'^^ Ce peigne cylindrique, dont on ne
tarda pas à constater les avantages, fut successivement perfectionné
dans ses détails par Declanlieu et Bruneaux. Lasgorseix poursuivit les
recherches de Laurent et prit en 1828 un brevet pour des machines à
travailler la laine peignée, qui offraient plus d'une analogie avec les
machines à lin et qui présentaient notamment une application des tuhes
Imimants, servant à former les mèches sans torsion permanente. L'idée
^'^ Les aiguilles, inclinëes vers rairièrc, se d^ageaieot d'eBetrin^ines de ]a mèche*
198 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
déjà émise par Dobo, de faire les préparations à chaud et de tortil-
lonner les mèches pour aider au redressement des fibres, fut ensuite
reprise et perfectionnée. Enfin l'industrie de la laine peignée fit un
nouveau pas, grâce à Tinvention du feoètnoir, appareil analogue au
rota-frotteur et consistant en un banc d'étirage à deux cuirs sans fin,
disposés parallèlement comme deux laminoirs et animés de mouvements
de va-et-vient en sens contraire, de façon à frotter et à rouler plusieurs
boudins à la fois. Les assortiments construits en 1887 par Villeminot,
avec leurs ingénieuses machines à défeutrer et réunir, basées sur l'em-
ploi de peignes cylindriques entre les étireurs et du bobinoir frotteur à
leur «ortie, permirent de pousser à un degré de perfection très élevé
la préparation de la laine peignée ; cette laine était soumise directe-
ment au métier mule-jenny, sans passer par le banc à broches, méthode
qui détermina la longue supériorité de nos manufactures lainières.
La laine longue était en grande partie peignée à la main ; aucune
deij nombreuses tentatives faites pour arriver au peignage mécanique
n'avait eu de succès durable. En France, c'est-à-dire dans le pays le
plus avancé au point de vue de l'industrie des laines à peigne, la seule
peigneusç parfois employée était celle qu'inventa Godard (1 83 6) et que
construisit Collier : présentée à l'Exposition de i834, cette machine
commença à se répandre dans les usines de Reims après i8/ia ^^K
D'autres peigneuses, telles que la peigneuse Saulnier (1844), avaient
pour but d'imiter servilement les 4ivers mouvements du peigneur à la
main. Mais tous ces appareils, bien que progressivement améliorés, ne
donnaient point encore, vers i845, des résultats comparables à ceux
du peignage manuel par un ouvrier habile; le travail mécanique ne
se substitua pratiquement au travail à la main qu'en 18/19.
Les préparations de la laine à carde ayant beaucoup de similitude
avec celles du coton, on employa, dès l'origine, au battage et à ïouvrage
de la laine des machines presque identiques aux willows. Mais les
^^^ La peigneuse Godai*d-Gollier se compo- étaient chargées ; la laine longue ou cœur ëlail
sait de deux grandes roues armées de dents , attirée par des cylindres d'appel , tandis que
qui tournaient en se rapprochant et s'éloignant les filaments courts, formant la blousse, res-
allei-nativement de manière à se dépouiller taient au fond des dents , d*où on les retirait à
réciproquement de la laine dont les aiguilles la main.
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 199
cardes à laine fournissaient encore des loquettes, alors que depuis
longtemps les cardes à coton produisaient des rubans continus; ces
loquettes devaient être rattachées à la main par des enfants, dont le
travail pénible préjudiciait à la perfection du fil : il fallut en France
la loi sur le travail des enfants dans les manufactures pour faire
adopter le type de carde en fin dit carde américaine, ou le voile cardé
se divisait en un certain nombre de mèches continues pouvant être
immédiatement soumises à un métier mule-jenny.
On sait qu'il n'y a pour la laine cardée ni étirage ni doublage,
parce qu'il est nécessaire d'en ménager les propriétés feutrantes que
des laminages compromettraient ou détruiraient.
Quant aux machines à peigner, à rubaner, à étirer le /m, elles ont
été successivement perfectionnées, dans leurs détails, par P. Fairbairn
et d'autres ingénieurs anglais, qui, sans modifier les principes de
Girard, changèrent avantageusement le système de construction et
quelques-uns des modes de travail.
Les peigneuses mécaniques surtout furent l'objet de recherches
nombreuses. Plusieurs constructeurs, comme Wôrdsworth, reprirent
les machines à nappes sans fin garnies de peignes et les machines à
double hérisson, où les poignées de filasse, suspendues à des pièces
mobiles dans une coulisse, étaient simultanément peignées sur leurs
deux faces; les améliorations importantes consistèrent à donner au
chariot porte-pinces un mouvement vertical de va-et-vient, ce qui per-
mit, mieux que l'inclinaison de la coulisse, de régulariser le peignage
progressif depuis la pointe jusqu'au milieu des poignées de filasse.
D'autres ingénieurs, tels que Marsden, créèrent des peigneuses à excen-
Iriques. La variété même des machines existant vers i85o prouvait
qu'on était encore loin d'ayoir atteint la perfection dans le peignage
mécanique du lin et du chanvre; pour obtenir une grande finesse, ce
peignage devait être nécessairement complété par un sérancagp à la
main.
Quoique la substitution des machines à la main-d'œuvre de l'homme
pour les opérations de broyage ou de teillage eût été étudiée dès avant
la fin du xviu*^ siècle, quoique Brallo et Mollard eussent inventé en 1 790
200 MATERIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
une broie mécanique, la question n'avait pas beaucoup avancé. La
tentative de Bralie et MoHard, celle de Christian (1818), celle de
Robinson et Westley (1 83o), etc. , reposaient sur Temploi de cylindres
ou de cônes lamineurs à cannelures profondes; aucune des machines
ainsi établies ne pouvait prendre pied dans les campagnes : leur com-
plication, la cherté de la plupart d^entre elles, la nécessité de mo-
teurs puissants sans lesquels leurs avantages économiques auraient
été à peu près nuls, constituaient autant d'obstacles presque insur-
montables.
7 . Progrès des métiers à filer jusqu'au milieu du xix^ siècle. — Passons
maintenant aux progrès réalisés jusqu'au milieu du wx"" siècle pour les
métiers h filer.
La conception primitive et fondamentale de ces métiers n'avait pas
varié depuis la fin du siècle précédent; leurs organes, leur mode de
fonctionnement, leur but étaient restés immuables; ils n'en avaient pas
moins reçu des modifications portant soit sur les détails de construction,
soit sur les transmissions de mouvement.
Vers 1830, le nombre des broches pour les métiers à coton ne
dépassait point 360 en France; elles tournaient €^vec une vitesse de
3,4oo tours environ. .Cependant les fils produits avaient acquis assez
de finesse pour remplacer les fils à la main dans la fabrication des
mousselines.
On poursuivait avec ardeur les perfectionnements de la mule-jenny.
Les tentatives faites dès avant 1800, pour arriver au métier automa-
tique, c'est-à-dire au métier réduisant le rôle de l'ouvrier à une simple
surveillance, furent reprises; mais lo problème de l'automatisation
complète présentait de telles difficultés, qu'il fallut une longue suite de
recherches pour le résoudre. En 1826, Jough prit un brevet relatif à
une mule-jenny entièrement automatique, que ses mérites firent rapi-
dement adopter : vers 1883, la filature automatique comptait près de
4 00,0 00 broches en Angleterre '^^, et ce chiffre alla sans cesse crois-
sant. Toutefois ce fut seulement vers i855 que Parr, Curtis etMadeley
^'^ Les métiers à fîler la chaîne étaient de 36o broches, et les mëtiers à filer la ti'ame de
48o broches.
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 201
mirent Findiistrie en possession du premier type irréprochable de self-
acting.
Plus simple que la mule-jenny, le métier continu avait divers in-
convénients auxquels on cheixîhait à remédier : la tension du fil,
obtenue par Taction dun frein à poids sur la bobine, était irrégulière
par suite du réglage de ce frein à la main ; cette tension devait être
augmentée avec la vitesse des broches et en conséquence avec la ten-
sion et la finesse des fils, de sorte qu'il devenait difficile de réaliser
une grande finesse sans s'exposer à de fréquentes ruptures. Divers
constructeurs, entre autres Bradburg, s'étaient efforcés de donnera
la broche et à l'ailette des mouvements indépendants, pour régler
l'envidage en évitant les fâcheux effets de cette tension qui, du reste,
absorbait inutilement une quantité notable de force motrice. On avait
aussi cherché à améliorer la construction des broches dans le but d'at-
ténuer leurs vibrations, par un amoindrissement de leur longueur et
par la fermeture de l'ailette sur tout son pourtour. Enfin, depuis
1825, l'Amérique tentait de supprimer l'ailette et de la remplacer par
une bague circulaire fixée sur le chariot et portant à sa circonférence
un crochet mobile pour guider le fil.
Lors de la grande enquête administrative de i833, des améliora-
tions sensibles se manifestaient déjà dans notre industrie cotonnière.
Le coton était filé couramment jusqu'au n° a 00, exceptionnellement
jusqu'au n^ 3 00. On constatait un accroissement du travail par broche,
qui, pour les numéros ordinaires (3o à 33), atteignait 3o grammes
en une journée de treize à quatorze heures et s'élevait même à
/h grammes dans quelques usines. Un ouvrier suffisait à 5o broches'' .
Cependant la vitesse des broches, qui peut être considérée comnii*
l'un des éléments les plus caractéristiques du progrès, ne dépassait
pas 3,5 00 tours.
A partir de cette époque, les machines de préparation se complé-
tèrent et s'améliorèrent; l'emploi du banc à broches se généralisa pour
le coton, comme pour le lin; sous l'influence dominante de la maison
Platt, cet appareil fut mieux étudié; la même maison introduisit les
étirages à casse-mèches et les pots à envidage épicycloïdal d'Evan
^'^ En Aîifl^eterre, on n'employait plus quun ouvrier par 66 broches.
202 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
Leigh. A ces faits il y a lieu de joindre les résultats, moins faciles à
préciser, de la diffusion des sciences exactes, d'une connaissance plus
approfondie et mieux raisonnëe des conditions dans lesquelles devaient
être établis, réglés et conduits les divers mécanismes. La production
fit de nouveaux progrès, et le jury de l'Exposition de 1844 put dire
que les 58 millions de kilogrammes de coton filés en France avec
3,600,000 broches en eussent exigé 4, 5 00, 000, dix ans auparavant,
tout en donnant des fils moins réguliers et plus chers.
C'est pendant cette période que les bobines coniques à compression
furent adoptées pour le banc à broches et que les commandes de
broches et de bobines par chaînes, cordes ou courroies, employées
jusqu'en i833 malgré les tentatives déjà anciennes de J. White
(iSo/i), cédèrent entièrement la place aux commandes par engre-
nages. La substitution ainsi opérée fut éminemment favorable à la
bonne utilisation du travail moteur et à la régularité du mouvement
des broches et bobines.
Tous les perfectionnements des métiers à filer avaient profité éga-
lement à la filature du coton et à celle de la laine peignée. En effet,
cette dernière substance se travaillait sur des métiers du genre mule-
jenny, presque identiques aux métiers à coton et n'en différant que
dans les pressions des cylindres, dans leur écartement et dans les
vitesses des étireurs ou des broches : ces différences n'étaient même
pas plus sensibles que celles des métiers à coton, pour les diverses
qualités et les divers numéros de fils.
Mais la filature de la laine cardée, quoique l'une des plus anciennes
en France, se trouvait bien moins avancée au point de vue mécanique.
On réservait au foulage et aux apprêts le soin de corriger les imper-
fections du filage, et cette partie du travail de la laine courte était si
bien considérée comme un accessoire de la fabrication qu'à un cer-
tain moment des industriels se préoccupèrent de la supprimer et
d'y suppléer par le feutrage direct des fibres. Cependant les progrès
réalisés dans les machines à filer les autres matières, le besoin de
livrer au tissage des fils plus résistants et le développement des arti-
cles de fantaisie déterminèrent enfin les fabricants à poursuivre l'amé-
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 203
lioration de leurs métiers de filature. L'ancien métier à pince, de
60 broches au maximum, fut remplacé par la mule-jenny de 120
à 2 40 broches, conforme au type ordinaire, sauf suppression des
couples de cylindres étireurs, à l'exception d'un seul : celui-ci rem-
plissait les fonctions d'une pince chargée de fournir la mèche au cha-
riot, dont le mouvement allongeait le fil. Le métier à filer en fin ne
se distinguait d'ailleurs du métier à filer en gros que par un plus
grand nombre de broches et par de légères modifications dans les
cylindres livreurs.
Dès i83o, le filage à la main avait presque complètement dis-
para pour la laine et ne produisait plus que les fils de chaîne en
laine peignée. Bientôt même, les métiers purent fournir indistincte-
ment les fils de chaîne et les fils de trame; à l'Exposition de i834,
on vit des fils cardés n*^ 4â à 106 et des fils peignés atteignant le
n^ i5o.
•
Pour le lin et le chanvre, le filage à la main pourvoyait encore, en
i84/i, aux neuf dixièmes de notre consommation. Les métiers à filer
étaient néanmoins parvenus à un haut degré de perfection, depuis
que les formes des machines à coton avaient été moins scrupuleu-
sement imitées et les proportions mieux adaptées à la nature spéciale
des filaments.
Dans la fabrication des gros fils (au-dessous du n"" 1 0), on filait le
lin à sec en toute longueur sur le métier continu, auquel Decoster
avait adjoint des peignes guidant les mèches jusqu'au dernier étirage.
Dans la fabrication des fils moyens et fins, on filait le lin à la decom-
position y c'est-à-dire à l'eau chaude, après l'avoir coupé en deux, trois
ou quatre morceaux; ce sectionnement, introduit dès i83o par les
(llateurs anglais, permettait d'obtenir une régularité plus grande des
fibres.
La principale modification apportée aux idées primitives de Girard
pour le filage à l'eau chaude avait consisté simplement à placer en
avant des cylindres étireurs l'auge où devait être plongée la matière
filamenteuse; l'eau de cette auge était chauffée à la vapeur et tra-
versée par la mèche très peu tordue de préparation.
204 MATÉRIEL Dfe LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
Au milieu du siècle, Téconomie de Tindustrie textile subit de pro-
fondes modifica lions, quand Josuë Heilmann eut découvert sa pei-
gneuse mécanique. Cette machine , primitivement destinée au démêlage
du coton longue soie, ne tarda pas à être avantageusement employée
à la préparation de la laine, des étoupes, de la bourre de soie.
Jusqu'alors, les difficultés les plus sérieuses de la filature étaient
ducs à Imégalité de longueur des filaments et aux boutons qui y adhé-
raient; le cardage pour le coton et le peignage pour la laine faisaient
bien disparaître une partie des boutons, mais ne débarrassaient pas
des fibres trop courtes pour être convenablement filées. Aucune des
peigneuses mécaniques successivement imaginées n avait pu résoudre
le problème, ni même donner des résultats égaux à ceux au travail
manuel.
Heilmann, le premier, généralisa la question du peignage et trouva
une méthode rationnelle et indépendante de la nature des fibres,
pour réaliser mécaniquement Tépu ration des filaments, leur redresse-
ment parallèle, ainsi que la séparation des brins courts et des brins
longs ; le premier, il pensa à former des têtes peignées à Textrémité
d une nappe continue et à extraire les mèches successives hors de
cette nappe , pour en peigner la queue et les rattacher Tune à l'autre
en un nouveau ruban continu.
La peigneuse Heilmann comprenait un organe alimentaire, un
appareil d'arrachage chargé à la fois de fractionner le ruban et de
réunir les mèches peignées, un tambour peigneur pour le peignage
des têtes, un peigne plat pour le peignage des queues. Voici en deux
mots le rôle de ces organes. L'appareil alimentaire, auquel arrivait la
matière déjà nettoyée par un cardage ou un démêlage préalable,
poussait successivement et par intervalles égaux une nappe de fila-
ments à peigner. Saisie par une double mâchoire, cette nappe pré-
sentait sa pointe d'abord au tambour peigneur, puis à une paire de
cylindres arracheurs; ces cylindres s'approchaient et s'éloignaient
alternativement de l'appareil alimentaire; leur mouvement de recul
entraînait une mèche de filaments à travers le peigne plat à mouve-
ment de va-et-vient, qui débarrassait le bout postérieur de la mèche
de ses boutons et de ses impuretés. Après l'arrachage, une nouvelle
MATERIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 205
lête restait pendante en avant de l'appareil alimentaire; la queue de
la précédente mèche pendait également en arrière des cylindres éti-
reurs, de telle façon que le tambour peigneur pouvait, si la queue
était longue, venir, dans son mouvement de rotation, repasser cette
queue après avoir peigné la tête et en avoir séparé les filaments courts
ainsi que les boutons; ceux-ci étaient ensuite enlevés du tambour par
une brosse et une carde cylindriques. Chaque tête de mèche extraite
était en outre rattachée à la queue de la précédente, par suite du mou-
vement d approche des cylindres arracheurs; le laminage produit
entre ces cylindres soudait les filaments pour reformer un ruban con-
tinu, que la machine délivrait régulièrement.
Perfectionnées et rendues éminemment pratiques par Schlïimberger
de Guebwiller, les dispositions de la peigneuse Heilmann n'étaient pas
moins remarquables que Tidée qui leur avait servi de base. Les prin-
cipes sur lesquels elle était fondée ont pu s'appliquer avec le même
succès à presque toutes les substances filamenteuses , sauf quelques
modifications dans certaines parties de la machine et spécialement
dans ses dimensions, selon la longueur des filaments. L'industrie de la
laine peignée mérinos a fait, la première , usage de l'invention Heilmann
en France; celles du coton, des laines longues et des étoupes ont suivi.
Cette faculté nouvelle de travailler avec une égale perfection, non
seulement les matières qu'il était d'usage de peigner, mais aussi les
cotons fins, les fibrilles plus courtes jusqu'alors réservées à l'action de
la carde et souvent mélangées à toutes sortes d'impuretés, eut des con-
séquences extrêmement heureuses pour l'industrie de la filature; elle
lui permit d'employer aux numéros fins des matières de grande finesse,
que l'inégalité de leurs filaments ou l'énorme quantité de leurs bou-
tons semblaient y rendre tout à fait impropres, et de produire des fils
de laine ou de coton d'une propreté et d'une régularité extraordinaires.
La possibilité de peigner les filaments moyens comme les filaments longs ,
d'appliquer par suite un même traitement très efficace à des sub-
stances diverses, qui nécessitaient auparavant des préparations variées
et multiples, ouvrit aux filatures une voie inattendue; les opérations se
trouvaient parfois compliquées, mais si judicieusement que c'était au
grand avantage de l'économie et de la perfection des produits.
206 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
8, Progrès du matériel pendant la seconde moitié du m* siècle. — La
grande épreuve de TExpositioa universelle internationale de 1 855 fut
un triomphe pour la peigneuse Heilmann, dont la maison Schlumber-
ger et G** exposait des types à coton, à étoupes et à laine ^^^; le jury
y vit « le progrès le plus considérable réalisé en Europe dans la fi-
er lature des substances filamenteuses, depuis la découverte faite, en
cf 1 8 1 o , par Philippe de Girard, de la filature du lin ?>.
À côté de rinvention capitale due à Josué Heilmann, l'Exposition
de i855 mit en lumière d autres progrès sensibles dans les diverses
branches de la filature mécanique.
La construction des machines de préparation s'améliorait; on repre-
nait ardemment les questions déjà anciennes de l'aiguisage des garni-
tures de carde et du débourrage automatique des chapeaux : toutes les
cardes exposées étaient munies de mécanismes débourreurs, bien que
le débourrage à la main continuât à se maintenir dans un grand nombre
de manufactures et que la première débourreuse vraiment pratique,
celle de Dannery (i 8.44), eût pénétré fort lentement dans les filatures.
Des perfectionnements notables apparaissaient, pour les assortiments
servant à convertir le voile de laine cardée en rubans continus, exacte-
ment fractionnés et condensés sans torsion sensible. Les machines à
échardonner^ d'invention assez récente , se répandaient de plus en plus
et permettaient d'extraire économiquement les chardons ou .autres
corps étrangers faisant obstacle à l'emploi de la plupart des laines
communes, telles que celles du Levant, du Gap et de l'Amérique du
Sud.
Une nouvelle machine de préparation , ïépurateur Riskr, répondait
au besoin de ménager davantage les [fibres du coton lors des premiers
traitements. Get épurateur avait pour but de remplacer en tout ou en
partie, dans la préparation du coton, les batteurs finisseurs et les
cardes en gros, appareils qui (les premiers surtout) pouvaient fatiguer
^*^ Un modMé de peigûeuse pour la laine Lisler pour laine longue, qui, tout en diflë-
avait déjà été présenté à l'Exposition de 1 8^9 , rant de la peigneuse Heilmann par les moyens
sans y être toutefois remarqué mdgré sa haute d'exécution mécanique, avait avec elle une
valeur. Cette peigneuse ne fut même pas ex- analogie de principe si manifeste, que le juge-
posée à Londres en i85i; mais on vit figurer ment d'un tribunal anglais la déclara contre-
au Palais de cristal la machine Donisthorpe et façon.
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 207
la matière par leurs chocs répétés, tout en absorbant une grande quan-
tité de force motrice. Il nettoyait les filaments sous Faction de la force
centrifuge et leur faisait en outre subir un commencement de cardage,
grâce aux dents de carde et aux aiguilles dont était garni un gros
tambour, tournant devant un grand nombre d organes alimentaires et
décbargeurs.
Le métier mule-jenny self-acting continuait à se propager, notam-
ment en Angleterre, où Tusage en était devenu à peu près général; il
supprimait un ouvrier principal pour 5oo broches et le remplaçait par
la force d un cheval dynamique. En France , le prix élevé des machines
et du combustible retardait la diffusion de ce métier, qui ne put s'y
généraliser avant le jour où sa perfection, le nombre de ses broches et
leur vitesse furent suffisants pour procurer à nos manufacturiers une
économie sérieuse sur le métier à la main.
A cette époque, les métiers automates ne comptaient pas plus de
5 00 broches. Mais l'accroissement de solidité des pièces d'appui, la
légèreté plus grande des pièces mobiles, la plus complète harmonie des
proportions, ainsi que tous les détails de construction, dénotaient un
art sorti de la période des tâtonnements, en possession de lois pré-
cises et d'un outillage opérant avec une extrême régularité. Ces métiers
filaient le coton jusqu'au n® 6o; la finesse des fils de laine atteignait
180,000 mètres au kilogramme (2/10,000 mètres exceptionnelle-
ment).
Chez nous, on se préoccupait d alléger, de faciliter et de régulariser
le maniement de la mule-jenny, plutôt que de l'automatiser entière-
ment, surtout pour la filature des numéros élevés du coton et pour
celle de la laine cardée. Les perfectionnements introduits, principale-
ment par Mercier, de Louviers, dans la filature rebelle de ce genre de
laine, en vue de l'assujettir à une régularité et à une précision mathé-
matiques, mettaient nos filés en situation de ne craindre aucune
rivalité. Déjà l'Exposition de 1 8 5 1 avait donné la preuve des amélio-
rations reçues par la mule-jenny à une seule paire de cylindres pour
laine cardée; celle de 1 855 confirma les résultats acquis.
<juant au métier continu, il avait été aussi l'objet de persévérantes
recherches. Vimont, de Vire, était parvenu à le rendre propre au tra-
208 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
vail de la laine cardée , en disposant, d'une part, entre les deux paires
de cylindres des tubes tordeurs, et, d'autre part, entre ces tubes et la
seconde paire de cylindres, une roue à palettes dont le contact inter-
mittent venait régulariser la tension du fil, tandis qu'une règle d'appui
transversale facilitait l'étirage.
En 1867, l'invention de systèmes plus simples et plus précis avait
fait passer définitivement dans la pratique le débourrage automatique,
si favorable à la qualité des préparations, à la durée des appareils et
à la santé des ouvriers. On voyait pour la première fois le système de
Platt et d'Evan Leigh, réunissant les chapeaux de carde par deux
chaînes sans fin, de sorte qu'une partie seulement présentât ses dents
à l'action du tambour cardeur, alors que le reste des chapeaux s'oflVait
à l'action d'un cylindre débourreur tournant d'un mouvement con-
tinu et à celle d'un appareil aiguiseur qui fonctionnait par intermit-
tences.
Les organes alimentaires des cardes avaient été heureusement
modifiés et rendus plus efficaces, spécialement dans les appareils à
coton, où l'on arrivait à livrer les fibres beaucoup plus près du tam-
bour cardeur. Pour les cardes à laine, l'alimentation était devenue
entièrement automatique, grâce à la chargeuseBolette; les appareils
de sortie avaient reçu aussi des modifications : au lieu de garnir le
dernier cylindre de la carde finisseuse de bagues en cuir à dents de
carde, en nombre égal à celui des boudins devant être fournis au
métier à filer, on avait imaginé de recouvrir ce cylindre d'un ruban
de carde continu et d'opérer la division du voile cardé en boudins par
des lames d'acier ou des lanières de cuir s'entre-croisant.
Ce n'étaient pas d'ailleurs les seuls perfectionnements à signaler
dans la préparation de la laine courte. Des machines intermédiaires
avaient été créées pour faire les doublages indispensables à la ré-
gularité des rubans; le système Apperley permettait d'alimenter la
seconde carde de l'assortiment avec le ruban indéfini sorti de la pre-
mière, puis de fournir de même le ruban de la seconde carde à la
troisième. Enfin on signalait la substitution récente et à peu près
générale des moyens mécani(|ues aux manipulations pour le lavage
MATERIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 209
des laines, el Tapparition de divers appareils donnant le moyen de les
graisser automatiquement avant le cardage.
Le peignage était en progrès sensible et ses applications se propa-
geaient. Déjà remarquables par leur bonne exécution et leur fonc-
tionnement précis, les premières peigneuses dérivées du principe
Heilmann avaient subi des changements de détail qui en augmentaient
le rendement sans préjudice pour la qualité du produit. D'autres
peigneuses se trouvaient complètement modiûées dans leurs dispo-
sitions générales, le volume de leurs organes, leurs transmissions de
mouvement : témoin la peigneuse Noble pour la laine, du type dit
circulaire, dont l'origine remontait à i85o et où toutes les opérations
étaient continues.
En ce qui concernait plus particulièrement le coton, on remar-
quait une tendance à compléter par le peignage le travail imparfait
du cardage : les deux établissements de construction les plus im-
portants de France et d'Angleterre entraient résolument dans celte
voie, en exposant des machines à peigner le coton pour tous les nu-
méros.
L'Exposition de 1867 témoignait d'une grande somme d'efforts et
de moyens ingénieux, appliqués au perfectionnement des deux types
principaux de métiers à filer, le métier mule-jenny automatique et le
métier continu. Réservé exclusivement au coton pendant de longues
années, le métier mule-jenny automatique avait été adopté dans la
plupart des grandes manufactures qui travaillaient la laine cardée
ou peignée. L'augmentation du nombre des broches du self-acting,
l'accroissement de leur vitesse plus que doublée en trente-cinq ans, la
régularisation des mouvements de commande pour éviter les chocs
el les oscillations, le réglage par des dispositifs simples permettant de
filer sur le même métier les fibres courtes comme les fibres longues,
les numéros élevés comme les numéros bas, d'autres perfection-
nements encore déterminaient un relèvement sensible de la produc-
tion, en même temps qu'une réduction dans le nombre des ouvriers
et dans la proportion des déchets. Par suite de ces progrès, joints aux
améliorations des appareils moteurs, le rendement journalier de la
broche en France s'était élevé deSBàGBouyo grammes de fil de
tMPBIIICIlIC NATIONALE.
210 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
coton, pendant la période de i83o à 1867; le prix de façon avait,
d'ailleurs, baissé de 2 fr. 45 à o fr. 90 par kilogramme.
À cette époque, la mule-jenny ordinaire, 011 le fileur produisait à
la main la rentrée du chariot et qui n'exigeait qu'un ouvrier et deux
enfants par 1,000 broches, servait encore seule à la fabrication des
fils fins; ni le self-acting ni le continu ne pouvaient lutter avantageu-
sement avec elle sous le rapport de l'exécution du produit, dès que la
finesse dépassait les n*** 5o à 60.
Le continu entièrement automate comme le self-acting, quoique
perdant du terrain devant ce dernier, n'en était pas moins en voie de
progrès; sous l'influence des efforts accomplis par les constructeurs
français, le rendement des broches avait augmenté, leur vitesse était
passée de 2,000 à 6,000 tours. Platt présentait le continu à anneau,
qui faisait alors sa première apparition en Europe.
Parmi les progrès révélés par l'Exposition de 1878 dans les opéra-
tions préparatoires, le plus réel était certainement le réglage de mieux
en mieux approprié des machines suivant les matières qu'elles avaient
à travailler.
Une tendance générale se manifestait à adapter le matériel au
travail des numéros fins de coton. Les ralentissements de vitesse suc-
cessivement apportés dans ce cas aux organes, depuis 1867, étaient
évalués pour le moins au sixième des vitesses antérieurement admises;
les batteurs, par exemple, ne marchaient plus qu'à 1,000 tours, par-
fois à 900, au lieu de 1,200 et davantage. Dans le même ordre
d'idées, on avait cherché à réduire la brutalité des volants en substi-
tuant aux battes rigides des pièces articulées imitant l'action élastique
du fléau (volant à fléaux de Dobson et Barlovv).
Le peignage étendait de plus en plus son domaine sur toutes les
branches de la filature : chaque jour, l'action progressive et régulatrice
du peigne semblait s'imposer davantage et limiter le rôle de la carde
aux démêlages et surtout aux préparations relativement sommaires
des fils destinés au feutrage, pour lesquels le parallélisme absolu des
fibres constituerait un défaut.
Une machine nouvelle, la peigneuse Imbs, venait de réaliser pour
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 211
les filaments courts du colon les avantages obtenus par le peignage
des fibres longues. Les peigneuses pour filaments longs de coton avaient
reçu des perfectionnements, qui se traduisaient par un accroissement
de vitesse et de production : le nombre de tours était passé de 5 5 ou
6o à 70 ; la production d une machine à six têtes s'élevait moyennement
à 18 kilogrammes de rubans en 12 heures. MM. Pierrard-Parpaite
et fils, et M. Meunier venaient d'améliorerla peigneuse à laine Heil-
mann, en se préoccupant d'assurer la complète utilisation du peigne
nacteur; dans la peigneuse Little et Eastwood, le dédoublement et les
proportions des têtes d'alimentation, des séries de pinces d'arrache-
ment, des appareils de sortie, portaient le rendement journalier à
80 kilogrammes de laine moyenne mérinos, mais en produits infé-
rieurs à ceux du type Heilmann.
Toutes les machines que je viens de citer sont basées sur les prin-
cipes d'Héilmann : alimentation intermittente, fractionnement du ru-
ban alimentaire et soudure des mèches peignées pour en faire un
nouveau ruban. Dès i85i, Hûbner avait réalisé une machine diffé-
rente, du type circulaire, à fonctions continues et à grande production,
qui servait au peignage du coton. Cette peigneuse offrait l'avantage
d'extraire très régulièrement les fibres au fur et à mesure de l'épura-
tion, et de fournir, par suite, un ruban très échelonné. Son usage,
d'abord limité aux filaments relativement courts du coton fin, s'était
étendu, en 1 878 , à des filaments de plus de longueur, notamment aux
déchets débourre de soie; un nouveau modèle, à extraction verticale,
s^appliquait aux laines mérinos.
Quant au peignage du lin, qui, vers i855, se trouvait dans un
véritable état d'infériorité par rapport à celui de la laine et du coton,
il paraissait en état de progrès. Après avoir essayé un grand nombre
de systèmes divers, on était revenu à l'emploi de nappes peigneuses
sans fin, agissant des deux côtés à la fois sur la filasse suspendue dans
des pinces mobiles. Mais, au lieu de placer verticalement ces nappes
en les tendant sur des rouleaux volumineux d'égal diamètre, on ne
maintenait dans cette position que la partie des nappes agissant sur le
lin et l'on faisait les tendeurs supérieurs de très faible diamètre, pour
précipiter l'évolution des peignes et piquer perpendiculairement,
212 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
selon la méthode originelle de Philippe de Girard. Les inventeurs ne
se préoccupaient plus désormais que de pousser au plus haut point
possible, dans ce type de peigneuse, la régularité du [>eignage, sa
graduation, la rapidité du travail et l'économie de la main-d œuvre.
Parmi les innovations visant ce dernier objet, le rapport du jury de
1878 signalait la disposition due à MM. Fairbairn, Kennedy et
Naylor : cette disposition consistait à accoupler deux peigneuses iden-
tiques et à effectuer entre elles le retournement automatique des
poignées de filasse.
À la suite du peignage, les poignées de filasse étaient généralement
repassées à la main et triées, puis étendues sur les cuirs sans fin de
Tétaleur : la repasseuse-élalmsc Masurel exécutait simultanément les
deux opérations, au grand avantage de l'uniformité des rubans de pré-
paration, ainsi que de l'économie de nwin-d'œuvre.
Enfin de nouvelles peigneuses venaient contribuer à l'utilisation de
plus en plus pratique des déchets de soie. Le travail de la bourre de
soie, qui n'existait pas avant 1817 comme industrie manufacturière et
qui était resté très dispendieux jusqu'au milieu du siècle, avait été
heureusement transformé par la peigneuse Quinson et par le dressing-
machine anglais, moins avantageux qu'elle. En 1 878 , ce travail s'effec-
tuait, partie à l'aide de métiers analogues à ceux de la laine et du lin,
partie au moyen de machines spéciales, parmi lesquelles on remarquait
comme nouveauté la peigneuse circulaire Brenier, perfectionnement du
système Quinson.
À l'égard du filage , la lutte entre les métiers mule-jenny renvidcur
et continu était plus vive que jamais. Pendant longtemps, les deux sys-
tèmes avaient paru avoir chacun leur domaine exclusif, être réservés à
des fibres de nature différente. Le continu, qui saisit et assemble les fi-
laments par la torsion complète au fur et à mesure de 1 étirage, ne ser-
vait d'abord qu'aux transformations des brins lisses, tels que ceux du
lin, du chanvre, de la bourre de soie et de certaines laines longues.
En 1878, cette distinction était moins absolue, et l'industrie drapière
beige utilisait le continu avec succès pour filer des mélanges de laines
courtes et de déchets.
L'ailette, en exagérant les vibrations de la broche, oblige à un
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 213
ralentissement qui neutralise une partie des avantages de la continuité.
Des vitesses bien plus considérables peuvent être atteintes par la sub-
stitution à cette ailette d une bague fixe concentrique à la broche. Après
s'être laissé devancer par les Américains qui poursuivaient cette modi-
fication depuis de longues années, les constructeurs européens avaient
repris l'étude de la broche à anneau , pour en assurer la stabilité et la
lubrification. Ils étaient ainsi parvenus, en 1878, à porter la vitesse
des métiers à coton de 3, 000 et 4, 000 tours à 6,000, 7,000 et
même 7,5oo , sans supplément de force motrice. Pour tous les dispo-
sitifs, le principe du continu à anneau restait invariable : la broche
tournait au centre d'une bague fixe, dont le bord supérieur arrondi
servait de glissière à l'anneau guide-fil; sous l'action de la résistance
à l'entraînement opposée par l'anneau, il se produisait entre cet
anneau et la broche une différence de vitesse déterminant l'envidage.
Vimont exposait un des curseurs -traverses imaginés à l'époque dans
plusieurs pays, pour diminuer cette résistance pendant la période
correspondant aux petits diamètres d'envidage.
On constatait aussi une augmentation de la vitesse des métiers self-
acting; cette vitesse, dans l'industrie cotonnière, allait à 6,300 tours
pour les métiers en gros, à 6,800 et 7,600 tours pour les métiers
en fin.
Dans la filature de la laine cardée, la mule-jenny renvideuse ou
demi-renvideuse, peu à peu employée, commençait à rencontrer une
concurrence assez sérieuse de la part du continu à anneau, système
Vimont.
Les machines de filature exposées en 1889 présentaient surtout des
progrès sensibles dans les opérations préparatoires et dans les opé-
rations finales. Sauf la réapparition du rota-frotteur à colon, perfec-
tionné et transformé en banc d'afiinage système Imbs, les préparations
intermédiaires paraissaient être restées stationnai res.
Des améliorations se manifestaient dans le battage du coton : la
matière [muvait désormais circuler dans un ensemble d'appareils clos,
les batteurs et l'ouvreuse étant réunis au moyen de conduites où le
coton était attiré par une ventilation puissante.
214 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
Grâce à l'application de divers systèmes rigoureux pour le réglage
à proximité infinitésimale des chapeau^ et du tambour, les cardes à
chapeaux y à chaîne sans fin y présentées pour la première fois en 1867
par la maison Platt, d'Oldham, étaient devenues complètement pra-
tiques.
Aux changements apportés depuis 1878 à la peigneuse Imbs et
marquant un progrès notable, se joignaient les nouveaux perfec-
tionnements de la peigneuse Hûbner, plus simple que la peigneuse
Heilmann, pour les cotons longues soies.
Dans la préparation de la laine, les procédés mécaniques d'écliardon-
nage, délaissés pendant quelque temps au profit des méthodes chi-
miques, avaient reconquis la faveur des manufacturiers: les machines
récentes agissaient par broyage entre des rouleaux calculés de ma-
nière à livrer passage aux mèches sans les froisser.
Les cardes à laine de la Belgique se faisaient surtout remarquer
par la largeur des surfaces de travail et par l'amélioration réalisée
dans le fonctionnement automatique des appareils chargeurs et nap-
peurs, ainsi que des appareils à lames ou lanières diviseuses de la
carde fileuse.
Pour la laine peignée, on cherchait à ensimer la matière en même
temps qu'on lui faisait subir un premier cardage, au moyen d'appa-
reils à graissage automatique, munis d'échardonneuses qui ouvraient
les filaments et les disposaient sous forme de nappe continue. Quant
aux machines à peigner, si leur ensemble révélait un progrès géné-
ral, elles ne présentaient aucune invention vraiment nouvelle.
Depuis 1878, la mule-jenny automatique avait encore reçu des
perfectionnements de détail, ayant surtout pour objet la douceur des
mouvements ainsi que la solidité et la simplification du mécanisme.
Son rendement s'était notablement accru et atteignait presque celui
du continu à anneau, marchant à 7,000 ou 7,800 tours : on était
arrivé à ce résultat par la réduction au minimum du temps perdu pour
le renvidage et par une augmentation de la vitesse des broches, qui
avait été portée de 7,800 à 10,000 et 11,000 tours et qui sem-
blait parvenue à sa limite extrêaie. Une vitesse si énorme avait néces-
sité, outre des dispositions spéciales en vue d'éviter les vibrations et
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 215
réchauffement des broches, diverses modifications dans toutes les par-
ties du métier.
Le continu à anneau tendait de plus en plus à remplacer le
continu à ailettes, sauf pour la filature du lin et du chanvre. Il avait
des broches à gros corps si bien étudiées, qu'elles tournaient à 1 1,000
et 12,000 tours; mais ces broches paraissaient pouvoir être rem-
placées par celles du modèle léger et effilé de la mule-jenny : les
recherches entreprises et poursuivies depuis plus de quinze ans, afin
d'approprier le continu à la production de la canette si commode du
self-acting, semblaient enfin aboutir à des moyens tout à fait pra-
tiques d'envider le fil par couches coniques superposées sur une broche
mince et nue.
Une impression dominante s'est dégagée de l'Exposition universelle
de 1900 : partout, les efforts des manufacturiers et des constructeurs
se concentrent sur l'abaissement des prix de revient par la diminution
incessante de la main-d'œuvre humaine, par une meilleure utilisation
des matières premières et par l'emploi de celles que leur qualité infé-
rieure faisait jadis écarter.
La carde reste la machine préparatoire fondamentale pour le coton,
les laines usuelles, les bas déchets de soie, les étoupes do lin, etc.
Aussi une grande importance s'attache-t-elle à la fabrication des gar-
nitures de carde, qui, d'ailleurs, ont leur débouché non seulement
dans l'outillage de la filature, mais encore dans les machines dites
/amme^ (apprêt à poiî de tissus divers). Cette fabrication se fait
automatiquement et avec beaucoup de précision. Le fil d'acier a défi-
nitivement remplacé le fil de fer; à côté dû procédé Ashv^orths
d'aiguisage latéral, sont nées d'autres méthodes de formation des dents.
Pour la préparation du coton, les faits essentiels de la fin du siècle
sont l'automatisation plus caractérisée du battage et la généralisation
de l'emploi des cardes à chapeaux-chaînes. Ces cardes très productives
fournissent économiquement un travail quelque peu brutal, mais
néanmoins assez soigné; elles ont éliminé, en ce qui concerne les
produits mi-fins, le double cardage et, au moins temporairement, le
peignage.
216 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA GORDERIE.
Le progrès de 1 outillage pour la laine cardée porte principale-
ment sur la constitution des machines à carder, qui sont ici les seules
machines préparatoires employées entre les appareils de premier dé-
grossissement et les métiers à filer. A côté des cardes briseuse, repas-
seuse et finisseuse du type classique à un tambour et un peigneur, on
voyait à l'Exposition de 1900 d'autres modèles intéressants. Une ma-
chine dégrossisseuse spéciale aux toisons longues et feutrées mérite
d'être signalée.
Des études incessantes se poursuivent en vue d'accroître la produc-
tion et de régulariser le travail des peigneuses utilisées par l'industrie
déjà si parfaite de la laine peignée; ces études englobent les pei-
gneuses dérivées de l'invention d'Heilmann et les peigneuses circu-
laires, dont la machine Noble reste le prototype. Les constructeurs
s'efforcent de faciliter dans les étirages régulateurs le mariage et la
fusion intime des fibres les plus inégales, d'éviter ainsi l'élimination
des brins très courts et d'améliorer le traitement des mélanges, comme
celui du peigné de coton Jumel avec le peigné de laine.
Il n'y a pour ainsi dire pas de transformation nouvelle dans le maté-
riel de filature du lin, du chanvre et des autres grandes fibres végé-
tales.
La brillante industrie du travail mécanique des déchets de soie, née
en Suisse et aujourd'hui si développée en Angleterre, en Allemagne,
en France, en Italie, n'a rien montré de son matériel à l'Exposition de
1900. Seule, la transformation des bourrettes était représentée par
une peigneuse analogue à celles de la filature du coton ou de la laine ;
l'organe caractéristique de cet appareil consistait en un conduit à ob-
struction, dans lequel le ruban s'accumulait en plis serrés pour tom-
ber par intermittences dans le pot récepteur et qui avait pour but
d'obvier à l'électrisation de ce ruban.
Grâce à ces perfectionnements successifs et au graissage continu
indiqué par Vimont, le métier continu à anneau a considérablement
étendu son champ d'action. Actuellement, les broches marchent pra-
tiquement à 9,000 tours. Mais, à cette vitesse, elles chauffent et con-
somment près de 1 9 chevaux par mille broches : la broche est toujours
tirée excentri((uoment du même côté par la corde motrice, tandis que
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 217
la résistance du fil excentré, entraînant le curseur sur son anneau,
prend toutes les directions pour un tour; l'effort total subi par la
broche passe par des valeurs sinusoïdales qui provoquent des vibra-
tions. M. Imbs préconise le montage sur galets au collet, comme
susceptible de permettre des vitesses beaucoup plus grandes avec une
moindre consommation de force. Quoi qu'il en soit, dès maintenant , le
continu à 9.000 tours donne une production dépassant celle du selP-
actingà 12,000 tours. Sa supériorité actuelle sur le continu à ailettes
et sur le self-acting ne peut être contestée pour les fils qui proviennent
de fibres grandes et moyennes en tous numéros ou de fibres courtes en
gros et moyens numéros, quand ces fils se prêtent à une torsion suffi-
sante; il convient particulièrement aux fils de chaîne. Hâtons-nous
d'ajouter que la faible torsion des fils de trame était jusqu'ici motivée
surtout par des considérations d'économie, qu'une torsion plus accusée
s'impose pour les trames teintes en écheveaux, qu'elle est nécessaire
avec les métiers à tisser pourvus d'un changement automatique de
canettes. D'ailleurs, des modifications de l'anneau et du curseur ont
récemment approprié le continu à la production de trames floches
sur broche nue et de fils pour bonneterie.
Le continu à ailettes disparaît, même en lin, en schappe,etc., et ne
subsiste plus guère que pour le chanvre. Une diminution s'est ma-
nifestée dans la part proportionnelle du self-acting. Cependant ce
métier convient à tous les genres de fils, pour les fibres courtes ou
moyennes. Son déclin tient à trois causes : sa complication, qui exige
une main-d'œuvre intelligente et par suite coûteuse; son aptitude à
la production de fils faibles et la suppression des garanties de résis-
tance auxquelles l'acheteur attache un juste prix; l'emploi presque
obligé de transmissions par cordes, sujettes aux influences atmo-
sphériques et susceptibles d'occasionner des dérangements ou des
irrégularités. Une branche de fabrication où il semble pouvoir se
défendre et même gagner du terrain pendant un temps assez long
encore est celle des numéros fins, notamment pour le coton : en eflot,
il atteint 13,000 tours avec une économie de 4o p. 100 sur le prix
d'achat, par rapport au continu, et avec une bien moindre consom-
mation de force; l'avantage lui restera à cet égard jusqu'à ce (|ue
218 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
l'allégement et raccélération du continu à anneau aient été réalisés. Les
protagonistes du continu ne désespèrent pas, du reste, de compléter
leur victoire. MM. Brooks et Doxey, de Manchester, exposaient en 1 900
un continu à godet, avec bobine sur broche centrale folle, qui donnait
à 9,000 tours une bonne chaîne 80 de coton Jumel, préparé en double
moche; les broches de ce métier étaient soumises à un frein ingénieux,
dont l'action se trouvait réglée par le diamètre de l'enroulement.
Depuis longtemps déjà, l'électricité est apparue dans les filatures :
les casse-mèches électriques arrêteursont fait leurs preuves. Son rôle,
naguère très restreint, tend à s'élargir; elle commence à aborder les
transmissions de mouvement. A l'Exposition de 1900 figurait un self-
acting pour laine peignée, actionné par deux dynamos, l'une pour les
broches, l'autre pour le char. Le même exposant proposait une inter-
vention fort curieuse de l'électricité dans le continu à anneau, comme
moyen de régulariser la tension du fil : un rhéostat à action automa-
tique diminuait la vitesse de rotation des broches quand augmentait
le diamètre d'envidage. Des emplois importants sont certainement
réservés à l'énergie électrique dans les régions à chules hydrauliques.
9. Aperçu sur les opérations complémenlaires de la filature. — Dans
cette revue sommaire des procédés et des appareils de la filature, j'ai,
à dessein, négligé les opérations complémentaires qui ont pour but de
parfaire le fil après sa sortie du métier, de le rendre définitivement
propre aux usages de la couture ou du tissage, de le présenter à la
clientèle sous la forme la plus convenable. Ces opérations sont multi-
[)les et variées; il suffira d'en donner ici quelques exemples.
Un apprêt extrêmement simple consiste à fixer le tors de certains
fils par leur exposition à la vapeur d'eau.
Les fils de schappe ou de bourrettes subissent un raclage qui les
débarrasse des innombrables boutons subsistant après le peignage. Des
machines remarquables ont été créées à cet efl*et; la méthode indiquée
par M. Imbs pour les fils fins a épargné une main d'œuvre considé-
rable.
Des doublages, de nouvelles torsions sans étirage s'imposent pour
les fils à coudre et pour certains fils de chaîne. On les effectue.
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 219
partie à Taide des me'tiers mule-jenny ou continu ordinaire, partie
au moyen d'appareils spéciaux. Les machines spéciales se ressemblent
le plus souvent dans les différentes branches de la filature et dérivent
plus ou moins, soit du rouet primitif , soit de l'anneau américain. C'est
principalement sur le réglage uniforme de la tension des fils et sur
l'égale distribution de la torsion dans toute leur longueur qu'ont porté
les perfectionnements successifs. Une très grande analogie existe entre
les machines récentes et celles du moulinage de la soie : cela s'explique
aisément, car, si les apprêts constituent une opération complémen-
taire dans la plupart des branches de la filature, leur fonction est, au
contraire, fondamentale dans le travail de la soie, offerte parla na-
ture sous une forme continue.
La mise en bobine du fil à coudre dispose depuis longtemps d'un
appareil célèbre et merveilleux, celui de Wild. Fréquemment, le lil
destiné aux emplois manuels doit se présenter sur des cartes étoilées,
légères, peu coûteuses et prévenant bien les emmêlages auxquels
expose la mise en pelote; des machines ingénieuses, complètement
automatiques, servent à faire l'encarlage.
2. Filature de la soie. — Le cocon est une bobine naturelle qu'il
suffît de ramollir pour en tirer le brin tout formé; par suite, les opéra-
lions préliminaires se bornent à ramollir les cocons dans l'eau chaude
et à en dévider plusieurs, dont les brins concourent à donner un fil
grège offrant la résistance nécessaire aux emplois ultérieurs. Tout le
travail correspondant aux préparations des autres substances textiles
disparait dans la filature de la soie; les transformations s'effectuent
exclusivement par des machines à dévider et à tordre. Bien que très
simples en apparence, ces machines sont chargées de fonctions si déli-
cates, eu égard à la finesse et au prix élevé de la matière première,
que leur construction exige des soins extrénjes.
Au milieu du développement industriel de notre époque, les appli-
cations de la mécanique aux manipulations de la soie n'ont pas fait
autant de progrès qu'on aurait pu le supposer; le travail n'est point
encore complètement automatique. Si parfaits qu'ils soient, les appa-
reils à transformer la soie ne peuvent fournir de bons résultats sans
220 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
être conduits par des ouvrières habiles. Le vieil axiome de l'induslrie
sérigène, que cria fileuse est à peu près tout et Imstrument fort peu
ffde chose??, garde un large crédit.
Une des plus anciennes machines à tirer la soie des cocons est le
lonr du Piémont^ qui, vers i85o, était encore en usage dans quelques
localités, avec de très légères modifications. En voici le principe et
les dispositions essentielles. Les cocons à dévider étaient contenus
dans une bassine à eau chaude; on dévidait simultanément le nombre
(le brins élémentaires voulu pour former deux fils grèges. Chacun des
groupes de brins correspondant à un fil grège passait par une filière
placée au-dessus de la bassine; la compression des brins pendant ce
passage les réunissait grâce à la gomme visqueuse dont ils se trouvaient
recouverts, les débarrassait au moins en partie du liquide surabondant
et leur donnait une véritable adhérence. Les deux fils ainsi constitues
recevaient une croisure, c'est-a-dire qu'ils étaient tordus plusieurs fois
l'un autour de l'autre. Après la croisure, qui avait pour but d'accroître
l'adhérence des brins entre eux et d'arrondir les fils, ceux-ci se sépa-
raient, se bifurquaient et s'engageaient dans deux boucles métalliques
en tire-bouchon ou harhins^ fixées sur une tringle horizontale à mouve-
ment alternatif. Ils allaient finalement s'enrouler en écheveau sur
Ycusple ou dévidoir, mû par une commande. L'enroulement devait être
dirigé de sorte que le fil ne pût se superposer à lui-même avant
d'avoir fait un nombre de tours suffisant pour permettre la dessiccation
des premières spires: tel était l'objet du va-et-vient de la tringle,
mouvement dérivé de celui du dévidoir au moyen d'engrenages et
d'e\cen(ri(jues. Ce tirage double avec croisure constituait un progrès
notable relativement aux tirages primitifs sur bobine, à un seul fil
|>lat, humide et formé de brins sans liaison suffisante.
Si le tour piémontais ne jouissait pas de la propriété automatique
et demandait la coopération de deux personnes (fileuse et flotteuse),
il en était autrement des machines à mouliner, en usage de temps
immémorial dans le Piémont. Ces machines reprenaient le fil grège
préalablement purgé de ses nœuds, de ses doublures, de ses bouril-
lons, par un dévidage à la main des écheveaux sur des bobines
ou roquets, lui donnaient un premier tors ou apprêt, puis servaient de
MATERIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 221
même pour une seconde torsion en sens contraire des fils composés,
obtenus par la réunion de deux, trois ou quatre fils élémentaires. Le
moulin du Piémont comprenait une grande cage cylindrique à jour,
dont Taxe était occupé par l'arbre moteur vertical. Souvent, cet arbre
recevait son mouvement d une roue hydraulique. Les bobines de fil à
tordre étaient disposées circulairement sur plusieurs rangs en hauteur,
chacune d'elles reposant à frottement dur sur la partie conique d'une
broche verticale; au-dessus se trouvaient des chapeaux ou coronelles,
munis d'une ailette en S avec deux guide-fils à ses extrémités: l'un
placé au milieu de la hauteur de la bobine, où se déroulait le fil, et
l'autre sur le prolongLMnent de l'axe, où s'opérait la torsion. Une série
de grosses bobines horizontales (roquelles) ou de guindres surmon-
taient chaque rangée de bobines ou fuseaux. L'arbre moteur trans-
mettait le mouvement aux grosses bobines par un système d'engrenages
et aux petites bobines par des bras pourvus à leur extrémité de
segments circulaires ou strajins^ qui venaient frotter alternativement
contre des renflements arrondis ménagés à la base des broches verti-
cales. Dans sa rotation rapide, à laquelle le chapeau porte-ailette
n'obéissait que partiellement et par simple frottement, chaque fuseau
abandonnait peu à peu son fil , attiré avec lenteur vers le haut par les
bobines horizontales. Plus tard, les rangées horizontales de bobines
furent munies de barres porte-barbins , dont le va-et-vient distribuait
le fil en hélices sur le guindre ou la bobine. Dès lors, le moulin renfer-
mait tous les organes essentiels reproduits et imités depuis dans les
machines ayant un but analogue.
Le moulin piémontais, constitué en fait par deux machines à re-
tordre distinctes, n'était point d'ailleurs la seule machine automate
utilisée en Italie. On se servait aussi de dévidoirs mécaniques ou tavelles.
Dans ces dévidoirs, chaque écheveau prenait place sur un asple léger
tournant autour d'un arbre horizontal , dont un frein à poids réglait la
vitesse. Les fils, légèrement tendus par ce frein pendant le dévidage,
se rendaient des asples sur des roquelles horizontales, a travers des
barbins de guidage ; le mouvement de rotation était communiqué aux
roquelles par des galets de friction formant une commande remar-
quable au point de vue de la douceur.
222 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
En France, on employait alors des moulins simples, ronds ou ovales,
dérivés des moulins doubles du Piémont. Les moulins de premier apprêt
étaient mus par des strafins, tandis que les fuseaux des moulins de
second apprêt recevaient leur mouvement d'une courroie sans fin, qui
embrassait en serpentant les parties renflées des broches.
Pendant la seconde moitié du xviii* siècle, Vaucanson, consacrant
les ressources de son génie à l'amélioration des moulins et des tours,
avait imaginé et proposé divers dispositifs ingénieux. Mais ses idées ne
s'étaient propagées que fort lentement et ses machines n'avaient pas eu
le succès mérité par leur perfection relative. La voie des progrès réels
s'ouvrit seulement le jour où l'emploi de la vapeur comme force
motrice transforma les petits ateliers en véritables manufactures.
Recommandé par Gensoul en i8o5, l'usage de la vapeur pour
chaufl'er les bassines à tirer les cocons commença à se répandre en
1820. C'est également vers cette dernière date qu'eurent lieu les
premières installations de force motrice par la vapeur en vue du travail
de la soie grège.
Jusqu'à ce moment, on avait bien su éviter les défauts du vitrage ou
de la collure des fils sur les asples des tours, soit à l'aide du va-et-vient
distributeur, soit par un système de dessiccation ou de ventilation de
ces fils; on était parvenu, au moyen de la simple ou de la double croi-
sure, à doter le faisceau de brins élémentaires d'une bonne cohésion,
sous l'apparence du fil unique; on avait réussi à régler invariablement
la croisure la plus favorable aux différentes catégories de cocons. La
croisure double donnait d'ailleurs un fil plus beau. Mais la difficulté
principale résidait toujours dans les doublures ou mariages résultant
de la rupture d'un des fils et de son enroulement sur l'autre, ainsi que
dans la formation des bouchons et hourillons. C'est à ces inconvénients
que les constructeurs de tours cherchèrent surtout un remède.
Rodier, de Nimes, eut en 1 82 /i l'heureuse pensée de placer la fileuse
entre la bassine et l'asple , ce qui facilitait singulièrement la surveil-
lance du travail et le rattachement des fils, et mettait à même d'éviter
plus aisément les mariages. De tous les appareils purge-mariages ou
coupe-mariages, inventés pour combattre l'efl'et des doublures, soit par
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 223
la section automatique du fil non rompu , soit par le rejet de ce fil hors
de Tasple afin d'en arrêter le dëvidage, l'un des plus employés, à cause
de sa simplicité, fut celui de Ghambon (i835): il consistait à faire
passer les deux fils de soie, après une croisure à plusieurs tours, au
travers de deux barbins éloignés entre eux de o m. 33 , puis à rappro-
cher ces fils sur les barbins d'une pièce mobile qui, tenue en équilibre
dans la position normale par leurs deux tensions opposées, basculait
lors de la rupture d'un fil et permettait à l'autre de tomber hors de
l'asple.
En vue de purger les fils des bouchons et bourillons, Lacombe et
Barrois imaginèrent ( 1 83o) de placer sur leur chemin , après la croi-
sure, un couple de baguettes de verre assez rapprochées pour arrêter
tout renflement et rompre les fils irréguliers.
D'autres inventeurs s'attachaient à perfectionner lejilagc à un bout,
imité des Italiens et exempt par lui-même de mariages. Dans le système
dû à J.-A. Tastevin, d'Alais (1824), le fil se croisait après avoir passé
sur une tavelle servant de poulie de renvoi, se séchait en circulant le
long d'un tube sécheur et sur un tambour garni de drap, et allait
immédiatement ensuite sur une bobine. Un autre système, inventé par
Cournier, de Saint-Romans (1825), faisait croiser le fil unique par
l'intermédiaire de deux tavelles très voisines.
Plus tard, Tastevin en France et Heathcoat en Angleterre s'occu-
pèrent du filage à quatre bouts, qui semble avoir été chez nous d'un
usage assez général vers i836 et où l'on imitait, de loin à la vérité, le
doublage des rubans de coton.
A partir de i83o,les tours à dévider, dont la plupart continuaient
à être construits en bois et qui étaient rarement faits en fonte ou en
fer, tendirent principalement à affranchir le filage de l'intervention de
la flotteuse. Le travail fut accéléré et la vitesse de l'asple élevée à plus
de 100 révolutions en une minute, grâce à des perfectionnements de
détail dans les filières , les barbins , etc. On vit se poursuivre les ten-
ta tives ayant pour but d'éviter les mariages et d'opérer la purge des
bourillons.
Vers 1845, la majeure partie des établissements du Midi de la
France filaient à deux fils d'après le système dit à la Chambon; quel-
224 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA GORDERIE.
ques-uns filaient à la tavelle, suivant des méthodes plus ou moins
analogues à celles de Tastevin et de ses imitateurs; le filage à un bout
sur bobines ou à quatre bouts était fort peu répandu. La vitesse de
tirage des cocons avait augmenté: elle atteignait 3 m. 5o par seconde,
pour les tours à la mécanique.
Les nombreuses tentatives faites pour améliorer le mécanisme des
moulins à doubler et à tordre la soie n'étaient point parvenues en 1 836
à modifier très sensiblement les anciens modèles. Quelques inventions
méritent néanmoins d'être citées. Chambon avait créé un mode spécial
de conduite des bobines avec la vitesse variable appropriée à leur
grossissement; il utilisait à cet effet le frottement dun disque moteur
garni de drap, sur lequel les bobines reposaient dans toute leur lon-
gueur en vertu de leur poids. Divers moyens venaient d'être proposés
successivement par Christian (1828), Needham (i83o), Goront
(i83â), Badnall (i832), pour doubler et tordre simultanément hs
fils de soie dans des appareils munis d'un casse-fil ou débrayage instan-
tané en cas de rupture d'un fil.
D'après les travaux de la Commission française à l'Exposition uni-
verselle de i85i , le moulin généralement employé en France à cette
époque était le moulin double en forme de 00, construit en bois dans
la plupart des cas et composé de deux moulins ovales se juxtaposant
bout à bout, avec deux étages de broches et de roquelles ou de guin-
dres. Les broches, munies de coronelles, tournaient sous l'action du
frottement de courroies sans fin avec poulies de tension; l'arbre vertical
dos poulies motrices de ces courroies transmettait par engrenages le
mouvement de l'arbre moteur principal aux roquelles ou aux guindrcs.
On se servait, pour le premier apprêt, de moulins à roquelles distincts
des moulins à guindres utilisés pour le second apprêt; ceux-ci étaient
souvent pourvus de mécanismes compteurs.
Grâce au perfectionnement des commandes et à une distribution
plus régulière de la tension des courroies motrices, la vitesse des
broches avait été portée de 600 et 900 tours à 1,600 et 2,000. On
assurait la constance du tors dans les moulins de second apprêt, en
conduisant les roquelles par le frottement de la soie elle-même sur un
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 225
disque ou un cylindre moteur; quelques moulins de premier apprêt
mettaient en œuvre un moyen plus sûr, mais plus complexe, em-
prunté aux bancs à broches.
Presque tous les tours et moulins du Piémont étaient établis suivant
le système français, tandis qu'il existait encore une assez forte propor-
tion de moulins ronds en Toscane, dans le Milanais, à Naples et en
Sicile.
L'Angleterre s'était occupée, surtout de i83oà 1 83 8, d'améliorer
et de réformer ses anciennes machines en bois copiées du Piémont :
Lillie et Fairbairn, de Leeds, avaient substitué au bois le fer et la
fonte dans les appareils à filer la soie, en se rapprochant le plus possible
du mode de construction alors suivi pour les métiers continus à coton.
Disposés symétriquement de chaque côté d'un bâti en fonte et sur deux
étages, les bobines et les fuseaux étaient respectivement commandés
par des engrenages et par des cordons sans fin. Si , dans ces moulins,
la vitesse atteignait 3,ooo et 4,ooo tours, on les avait, pour réduire
le coût d'établissement, privés des organes propres à assurer l'unifor-
mité de l'enroulement et du tors, ainsi que des artifices mécaniques
pouvant servir à corriger les inconvénients dus à la rigidité du système;
pas plus au point de vue de la nouveauté des combinaisons que sous le
rapport delà perfection des produits, les machines anglaises à ouvrer
la soie n'étaient supérieures aux machines françaises.
Malgré les perfectionnements de Needham, malgré les ingénieux
dispositifs de Neville (i838), malgré le métier de Guillini, signalé
par le jury de l'Exposition de 1839 comme permettant, par une seule
opération, de filer le cocon, de doubler et tordre la soie, et de
former des capiures à tours comptés d'une admirable régularité , les
tentatives entreprises, soit en France, soit en Angleterre, pour activer
le moulinage des grèges, par la réalisation simultanée sur une même
machine du premier tors, du doublage et du second tors, n'avaient
point eu de succès durable. La complication et la délicatesse des
organes, l'élévation du prix d'achat, les diflîcultés du maniement,
l'infériorité des produits, tout empêchait ces appareils à fonctions mul-
tiples de se faire adopter dans la pratique.
Le filage direct sur bobine n'était même pas usuel. En effet, la
i5
mrMIfBBIB lATIOIALB.
226 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE,
gomme, nécessairement ramollie, qui entourait les fils, les faisait
adhérer entre eux, en s'opposant à leur dévidage ultérieur, et des
divers moyens proposés pour obtenir un séchage rapide, aucun ne
semblait réellement satisfaisant.
En 1867, sauf quelques essais relatifs à des modifications de détail
sans grande portée, les tours italiens et français à filer la soie n'offraient
aucune disposition nouvelle; ils laissaient toujours une large part à
l'ouvrière dans la régularité et la beauté des fils. Un procédé ingénieux
de dégommage des cocons, basé sur la pénétration régulière des cou-
ches par l'action successive du vide et de l'eau chaude , avait été pro-
posé; mais la pratique ne s'en était pas emparée.
Tout en dénotant une construction faite avec les soins que compor-
taient le progrès général de la mécanique, ainsi que la délicatesse et
la valeur des fils, le matériel de moulinage, de renvidage, de doublage
et de retordage, exposé dans les sections anglaise, suisse et française,
se montrait, à part quelques points secondaires, identique au matériel
que l'Angleterre construisait déjà vingt ans auparavant.
Aucune innovation de haut intérêt n'apparaissait à l'Exposition uni-
verselle de 1878.
Bien que le dévidage automatique eût fait, depuis 1876, l'objet de
très sérieuses recherches aux Etats-Unis, il ne semblait pas, en 1889,
qu'on fût encore arrivé à remplacer les doigts de la fileuse par des
dispositifs mécaniques dans le dévidage de la soie grège. Les per-
fectionnements de l'outillage avaient eu spécialement pour but, en
France surtout, d'améliorer et d'activer la production de l'ouvrière
sans augmentation de fatigue. Dans cet ordre d'idées, on remarquait
l'appareil jette-bouts de M. Camel, qui permettait à une ouvrière
inexpérimentée de faire régulièrement et solidement la rattache d'un
bout nouveau sur le fil grège.
Les appareils spéciaux de cuisson des cocons ne se répandaient
pas. Mais il en était autrement des batteuses mécaniques, dont les
premiers essais remontaient à 1889 (I^^rand) : ces batteuses pre-
naient une forme réellement pratique; la cuisson préalable s'opérait
en quelques instants dans leur bassine.
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE. 227
Seul, le moulinage s'est montre àTËxposition universelle de 1900,
où figuraient un purgeoir et deux moulins à organsiner. Le purgeoir,
établi sur les principes adoptés pour les bobinoirs de coton, avait des
broches verticales restant à demeure, les bobines étant au contraire
amovibles. Quant aux deux moulins, bien que fidèles aux types clas-
siques, ils se signalaient par la perfection des détails; l'un d'eux,
établi en France, marchait pratiquement à 9,000 tours de broche
par minute. La section suisse comprenait une remarquable machine
Wegmann à classer les soies d'après leur titre réel.
3. Corderie. — L'adoption des procédés mécaniques dans la cor-
derie est de date récente. Il y a à peine vingt-cinq ans que s'est gé-
néralisé l'emploi des fileuses à fabriquer le fil élémentaire ou fil de
caret, ainsi que des machines à réunir les fils de caret en torons et
les torons en câbles, machines qui, sauf les dimensions, offrent une
grande analogie avec les métiers à mouliner.
Bien des années se sont cependant écoulées depuis qu'a été entre-
prise l'étude de la fabrication mécanique des cordages et spécialement
des câbles de marine. Les premières tentatives remontent au milieu
du XVIII® siècle. Mais les essais n'ont pris réellement corps, du moins
pour les fils de caret, qu'à la suite des progrès réalisés par la filature
du lin et du chanvre , notamment après la création des ingénieuses
machines Decoster filant le chanvre à sec.
Parmi les établissements français qui inaugurèrent l'emploi d'appa-
reils à câbler mus par la vapeur, il convient de mentionner celui de
Merlié-Lefèvre, d'Ingouville. Une médaille d'or fut décernée à cet
industriel par le jury de l'Exposition de 18/19, P^^'* l'ensemble de sa
fabrication mécanique des cordages : son appareil à câbler exigeait
encore le secours de trois hommes.
En i855, le rapporteur du jury constatait avec regret le peu
de développement des procédés mécaniques dans celte branche d'in-
dustrie. Presque tous les cordages exposés en 1867 étaient encore
produits à la main. Il faut arriver à 1878 pour voir la transfor-
mation se dessiner nettement et pour constater les véritables origines
du mouvement qui allait ensuite s'accuser avec tant de force, sous
i5.
228 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
rinfluence dominante de raméricain Good et des constructeurs an-
glais.
Les nombreuses recherches poursuivies en vue de fabriquer méca-
niquement le fil de caret avaient enfin abouti à un appareil pratique,
la fileuse Lawson, qui, après un certain nombre d'étirages analogues
à ceux du lin , faisait subir au ruban de filasse la torsion voulue sur des
broches à ailettes de grandes dimensions, au lieu des pots tournants
jusqu'alors en usage. Dans cette fileuse, le ruban amené par une toile
alimentaire sans fin garnie de dents traversait, avant de se rendre sur
la bobine, un organe fort original, Yentonnoir condenseur : imitant le
travail du fileur à la main, l'entonnoir accélérait spontanément, ra-
lentissait ou même arrêtait entièrement la marche de l'appareil ali-
mentaire, suivant la grosseur du ruban de préparation.
Néanmoins l'outillage mécanique pour le filage du fil de caret
n'acquérait pas en France la même vogue qu'en Angleterre; peu de
nos établissements comportaient la production importante nécessaire
à l'installation et au fonctionnement économique d'un tel outillage;
nous n'avions pas à cet égard les conditions favorables des grands ate-
liers britanniques. Bien qu'assez actives pour satisfaire aux exigences
de la consommation nationale, la corderie et la ficellerie françaises
reculaient devant des dépenses que n'appelait point le chiffre de cette
consommation; la multiplicité et la variété des produits constituaient
d'ailleurs des obstacles à l'utilisation des machines.
Des motifs semblables s'étaient opposés à la généralisation du câ-
blage automatique. Sauf d'assez rares exceptions, les appareils ser-
vant à l'ourdissage et à l'assemblage des fils de caret, puis au câblage
des torons entre eux , continuaient à n'être que partiellement mécaniques.
Il y a lieu, du reste, de remarquer qu'en France le prix élevé
des machines et de la force motrice concourait à permettre la lutte
de la corderie à bras contre la corderie mécanique, tandis qu'en
Angleterre la cherté de la main-d'œuvre et le bon marché relatif du
charbon faisaient à cette dernière une situation bien plus avantageuse.
Enfin le préjugé s'était longtemps refusé chez nous à admettre que
le travail de la machine pût équivaloir à celui d'un cordier expéri-
menté, au point de vue de la qualité des produits. Pour convaincre
MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE, 229
et décider nos fabricants, il a fallu toute la perfection des ma-
chines anglaises, qui, entre les mains d'un bon praticien, règlent
presque mathématiquement les tensions et le degré de torsion voulu,
fournissent des mélanges bien homogènes, donnent aux câbles le
maximum de force et assurent la régularité de la fabrication, mé-
rite essentiel et capital dans cette industrie spéciale. À la suite d'expé-
riences comparatives, notre marine militaire a enfin adopté les câbles
fabriqués automatiquement et n'en emploie plus d'autres.
D'ingénieuses machines effectuent la mise en pelote de la ficelle.
4. Appareils d'épreuve et de vérification. Conditionnement. Ven-
tilation, humidification. — Il est nécessaire, pour le contrôle du
travail des manufactures, comme pour les transactions, de soumettre
les fils à des épreuves et des vérifications fréquentes. L'une des opé-
rations les plus essentielles consiste à titrer le fil, c'est-à-dire à con-
stater le rapport entre le poids et la longueur d'un échantillon; elle
se fait au moyen d'instruments très soignés, tels que dévidoirs échan-
tillonneurs, romaines ordinaires, romaines micrométriques, balances
de précision. On doit aussi se rendre compte de la résistance du fil à
la rupture, de son élasticité, de sa régularité, de son degré de tor-
sion, etc. : los appareils créés à cet effet (dynamomètres, torsio-
mètres, etc.) constituent tout un petit arsenal.
Le poids d'une matière textile varie suivant l'état hygrométrique
de l'atmosphère et la faculté d'absorption de l'humidité par les fils
atteint des limites élevées. Dès lors, les pesées laissent subsister une
grande incertitude sur le poids utile que le vendeur livre à l'ache-
teur. Un haut intérêt s'attache donc aux établissements d'ordre scien-
tifique et industriel institués sous la dénomination de rr Conditions
ff publiques ?j pour la constatation officielle de ce poids ou du moins
pour une constatation offrant toutes les garanties voulues d'exactitude
et de sincérité. Les conditions publiques de France relèvent dos
chambres de commerce ou des municipalités; celles de l'étranger sont
gérées tantôt par l'État, tantôt par des chambres de commerce, tantôt
et plus généralement par des syndicats ou des sociétés. Au premier
rang se place la condition de Lyon, véritable modèle; elle est admi-
230 MATÉRIEL DE LA FILATURE ET DE LA CORDERIE.
nistrée par la Chambre de commerce. Ses opérations portent princi-
palement sur la soie, mais s'étendent aussi à la laine et au coton.
Pour effectuer le conditionnement, on dessèche d une manière absolue
les échantillons de fil dans des étuves chauffées par un calorifère ou
par l'énergie électrique, à lâo degrés s'il s'agit de soie et à loo ou
110 degrés s'il s'agit de laine ou de coton; puis on pèse ces échantil-
lons , on en établit le poids unitaire et on le majore pour tenir compte
(le l'eau normale de constitution; en ce qui concerne la soie, la majo-
ration est de 1 1 p. 1 00. Au service du conditionnement s'ajoutent celui
du décrousage de la soie, celui des analyses chimiques de ce textile,
un bureau public de titrage, un laboratoire d'études. Le décreusage
a pour but de dépouiller la soie du grès (enveloppe extérieure) et des
matières étrangères, afin de fixer l'industriel sur le déchet qui se
produira à la teinture. Pendant les trois dernières années du siècle,
le poids moyen annuel des soies conditionnées à Lyon a atteint
6,688,000 kilogrammes. De son côté, Milan a une condition publique
très réputée , qui est même parvenue récemment à prendre une légère
avance sur celle de Lyon, au point de vue du poids des soies conditionnées.
Presque tous les textiles exigent que la température et l'état hygro-
métrique des ateliers soient convenablement réglés dans les ateliers;
le meilleur travail du coton, par exemple, se fait à 9 5-28 degrés du
thermomètre et 70 degrés de l'hygromètre. D'autre part, l'hygiène
du personnel exige un renouvellement périodique de l'air. Il existe
des appareils perfectionnés pour satisfaire à ces conditions : calori-
fères, aérosaturateurs, humidificateurs à pulvérisation, ventilateurs,
régulateurs automatiques consistant en thermomètres ou psychro-
mètres qui agissent sur les valves du chauffage ou de l'humidification, etc.
5. Statistique commerciale. — La fabrication des machines de
filature est fort peu développée en France, et nos manufacturiers sont
obligés d'acheter une grande partie de leur matériel à l'étranger.
C'est à peine si l'exportation atteint le dixième de l'importation.
Pendant les années 1898, i8;99eti90o, l'excédent moyen annuel
de la valeur des entrées sur celle des sorties a dépassé 1 1 millions de
francs. L'Angleterre et l'Allemagne sont nos principaux fournisseurs.
MATÉRIEL DU TISSAGE. 231
S 2. MATÉRIEL ET PROCÉDÉS DE LA FABRICATION DES TISSUS.
1. Métiers pour tissus pleins. — i. Métiers simples à bras et mé-
tiers mécaniques pour tissw unis jusqu'au milieu du m' siècle. — Les
métiers en usage dans l'antiquité pour la fabrication des tissus com-
portaient, comme les nôtres, un bâti terminé à ses extrémités par
deux rouleaux ensauples, entre lesquels était tendue horizontalement
une chaine ou rangée de (ils parallèles; dans l'espace angulaire formé
par le soulèvement et l'abaissement alternatifs d une partie de ces fils,
on chassait à la main la navette portant la trame. Un peigne ou ros à
dents minces, de roseau, d'ivoire ou de métal, maintenait l'écarté-
ment des fils de chaîne et servait en outre, après chaque passage de
la navette , à battre et à serrer le fil de trame au fond de l'angle où il
venait d'être déroulé.
Il semble que les anciens aient aussi connu les lisses ou lames, dont
les cordons verticaux, tendus entre deux règles horizontales, sou-
tiennent en arrière du battant porte-peigne , par des boucles ou mail-
' Ions, tous les fils de chaîne destinés à être simultanément abaissés ou
élevés. Les bâtons enverjures placés en travers de la chaîne pour en
diviser et en raidir les fils paraissent avoir été également employés.
Enfin l'existence même des lisses suppose leur manœuvre par des
procédés plus ou moins semblables à ceux de la pratique moderne et,
dès lors, l'adaptation au métier, de marches ou leviers horizontaux
foulés par le pied du tisserand et commandant les lisses au moyen de
cordes, de contre-leviers, de poulies de renvoi.
Réduit à sa disposition la plus simple, ce métier fondamental com-
prenait toujours les éléments indispensables pour la fabrication des
tissus à fils serrés, des étoffes unies ou même d'assez riches tissus
façonnés. Il a reçu de bonne heure certaines additions nécessaires à
son bon fonctionnement : chacune des ensouples a été armée d'un
rochet à cliquet d'arrêt, permettant de déplacer de temps en temps
la chaîne entière et de la mettre en tension dans ses positions succes-
sives; afin de s'opposer au tirage transversal produit par le fil de trame
à chaque coup de navette, on a maintenu l'écartement des fils de rive
232 MATÉRIEL DU TISSAGE.
ou lisières à Taide dune règle extensible (templet)^ fixée par des
pointes sur ces lisières et déplacée à mesure de Tavancement du
tissu.
Autrefois, l'impulsion de la navette était donnée directement à la
main. Vers 1788, langlais J. Kay imagina de la lancer par un méca-
nisme de chasse-navette y appliqué au battant et constitué de la manière
suivante : le battant portait, à ses deux extrémités, des boîtes à cou-
lisses où glissait un taquet en cuir; chaque taquet était fixé au bout
d'une corde passant sur une poulie de renvoi qui faisait corps avec le
battant; il suffisait de tirer sur l'autre bout de la corde pour mouvoir
brusquement le taquet et chasser la navette. Cette innovation suppri-
mait un tisserand sur deux dans le tissage des étoffes larges, des
draps par exemple; néanmoins elle ne fut guère utilisée en Angleterre
avant 1760 et ne se généralisa en France qu'aux premières années
du XIX® siècle.
L'ancien métier à bras, qui n'a pas complètement disparu, laisse
une marge fort grande à l'habileté du tisse\ir; la perfection du résultat
dépend en majeure partie du degré de précision apporté par l'ouvrier
aux deux opérations successives du foulage des marches, pour former
l'angle de la chaîne, et du serrage de la duite au moyen du battant,
li faut que les marches soient exactement réglées et l'angle des fils de
chaîne bien régulier, qu'il n'y ait pas d'erreur dans l'ordre des foules,
que le choc du coup de battant serre uniformément la duite sur toute
sa longueur, que le serrage reste le même pour chaque duite. On
conçoit dès lors combien la substitution du travail mécanique au tra-
vail manuel a favorisé l'industrie du tissage, en y introduisant, outre
ses avantages économiques, la rigueur d'action inhérente à la com-
mande automatique.
Ce n'est point, toutefois, sans des difficultés extrêmes et de longs
tâtonnements qu'on a réussi à automatiser les divers organes des mé-
tiers de tissage.
L'un des premiers essais de métier mécanique fut tenté, en 1678,
par de Gennes, officier de la marine française, Vaucanson construisit
plus tard un autre métier sur lequel il parvint, en 17^5, à tisser des
MATÉRIEL DU TISSAGE. 233
étoffes de soie unies; son système de tension mérite d'être rappelé :
avant de s'enrouler sur Tensouple, l'étoffe passait sur un rouleau ten-
deur qui l'entraînait d'une façon indépendante du diamètre variable
des ensouples et qui lui imprimait un mouvement continu devant le
battant porte-peigne oscillant dans des limites fixes. Le principe de
ce système et celui de la navette volante sonties bases essentielles du
tissage mécanique.
En fait, le tissage mécanique ne naquit réellement qu'après l'in-
vention des métiers à filer; à partir de ce moment, la production des
fils, à peine suffisante auparavant pour alimenter le tissage à bras,
prit un immense essor, et la fabrication des cotonnades dut nécessai-
rement se développer, afin de marcher de pair avec le nouveau système
de filature.
Aussi les premières tentatives de tissage mécanique en Angleterre
suivirent-elles de près les inventions de Higgs, d'Hargreaves et d'Ark-
wright. Parmi les métiers automates alors imaginés, celui dont l'idée
et le mécanisme se rapprochent le plus des systèmes récents paraît
dû au révérend E. Cartwright. Les recherches du célèbre mécanicien
datent de 17 84; après s'être tout d'abord écarté des dispositions ordi-
naires du métier à bras, il y revint en 1 787. Dans son dernier modèle,
complètement établi en fer et fonte, les ensouples, les lisses, le templet
et quelques accessoires se trouvaient identiquement disposés comme
dans le métier à bras et remplissaient les mêmes fonctions; le châssis-
battant, au lieu d'être suspendu vers le haut, reposait sur des tourillons
et coussinets supportés par les traverses inférieures. L'action était
transmise, non plus par le tisserand, mais par une courroie de com-
mande, et cette modification en avait nécessité d'autres dans les rela-
tions mécaniques des organes et dans leurs transmissions de mou-
vement.
Ce fut seulement au début du xix' siècle que les métiers automates
purent être avantageusement employés au tissage des calicots unis,
à la suite de perfectionnements apportés dans la réalisation de l'idée
première par les plus habiles constructeurs de la Grande-Bretagne.
Dès lors, l'extension du tissage mécanique prit son essor, et les
progrès se succédèrent à court intervalle, soit dans la construction
234 MATÉRIEL DU TISSAGE.
même des métiers, soit dans la manière d'ourdir la chaîne et de pré-
parer la trame. <^
En tête de ces progrès se place, par sa date et jusqu'à un certain
point par son importance, l'invention de la machine à parer de Thomas
Johnson (180 3). On apprêtait auparavant la chaîne sur le métier
lui-même, au furet à mesure qu'elle se déroulait de Tensouple : cette
opération laissait à désirer et entraînait une perte de temps considé-
rable; il fallait un tisserand pour alimenter la marche intermittente
de chaque métier mécanique. La machine de Thomas Johnson permit
de placer la chaîne prête et bien encollée, de supprimer les interrup-
tions dans le fonctionnement des appareils et de réduire notablement
le personnel : une femme suffisait pour deux métiers tissant chacun
trois à quatre fois autant d'étoffe que le plus habile tisserand à la
main.
Depuis les essais de Cartwright, le métier a sans cesse exercé le
génie inventif des constructeurs. Les premières machines, destinées
au tissage n^écanique des toiles de coton, ont été successivement ap-
pliquées aux autres textiles et à diverses armures simples, sans subir
d'ailleurs des modifications essentielles; c'est principalement sur les
dimensions, sur la force des organes et sur certains détails accessoires
que portaient les changements exigés par la largeur, l'épaisseur et la
constitution de l'étoffe. Quant aux machines à préparer les fils, à apprê-
ter, elles variaient avec les caractères de la substance et les effets re-
cherchés pour le tissu.
Il est difficile de constater dans le tissage des étapes comparables à
celles de la filature. Du jour où l'industrie a adopté le tissage méca-
nique, les améliorations se sont suivies de près, représentant dans
leur ensemble une somme considérable d'efforts et de résultats; aucune
d'elles n'a amené la transformation radicale et subite du matériel. La
plupart ont eu pour but l'accélération du mouvement, c'est-à-dire
laccroissement de production, qui constitue l'avantage le plus sérieux
du travail automatique. Des soins tout particuliers ont été apportés au
choix et à la combinaison des commandes, ainsi qu'à la parfaite har-
monie des divers éléments de la machine; il y avait là une série de
conditions aussi importantes que difficiles à remplir, et l'on n'est arrivé
MATÉRIEL DU TISSAGE. 235
que progressivement à de bonnes solutions, après des recherches et
des tâtonnements prolonges. Le système général de construction en
fer et fonte a d'ailleurs profité, à partir de 1830, des progrès de la
métallurgie et de la diffusion des machines-outils.
Les commandes des lames ou plutôt des marches avec lesquelles elles
communiquent, du battant et de la navette, ont été établies suivant
des dispositions variées. Pour les lames, on s'est servi de bielles et de
manivelles, ou bien d'excentriques montés sur un arbre secondaire.
On a appliqué au battant les mêmes dispositifs de commande, montés
sur l'arbre moteur; cette pièce a été établie de manière à frapper un
ou deux coups à chaque duite, selon la force de l'étoffe; sa forme n'est
même pas demeurée invariable, mais le plus souvent on a monté le
peigne sur des leviers verticaux ou ^ées, tournant autour de tourillons
inférieurs. Quant à la navette, consistant en une boîte solide avec becs
en fer arrondis de façon à glisser sur les fds de la chaîne, on a eu
recours, pour la lancer, au fouet ou détente brusque de leviers, soit
verticaux, soit horizontaux, reliés aux taquets chasse-navette par des
lanières de cuir; cette détente elle-même a été produite à l'aide de
cames et d'excentriques.
Une des questions qui ont le plus exercé la sagacité des mécaniciens
est celle du mode de tension de la chaîne, tension qu'il faut maintenir
bien régulière pendant toute la durée du travail, malgré le change-
ment de diamètre du cylindre dérouleur. Les simples poids et contre-
poids manœuvres à la main, généralement en usage, ont été souvent
remplacés par des mécanismes recevant leur mouvement du métier
lui-même et modifiant la tension d'après la grosseur des ensouples.
Toutes les combinaisons successives de rouages dentés, de vis sans fin,
etc., appliquées au régulateur de traction, rappellent les tentatives
non moins remarquables faites en vue de régulariser le tors et l'enrou-
lement des fils dans les bancs à broches; la plupart ont eu d'ailleurs
pour point de départ le métier automate de Yaucanson. Quelque
considérable qu'ait été le nombre des essais, aucun principe nouveau
n'a prévalu sur ceux qui avaient servi de base au dispositif de notre
illustre compatriote : dans ce dispositif, des rouleaux-freins intermé-
diaires tendaient l'étoffe entre lapoitrinière etl'ensouple, et opposaient
236 MATÉRIEL DU TISSAGE.
en même temps un obstacle assez eflScace au tirage transversal, sans
endommager inutilement les lisières comme le font les templets armés
de pointes, surtout pour les tissus clairs.
D'autres perfectionnements ont porté sur les moyens de régulariser
la tension du fil et d'empêcher les effets du déroulement des canettes.
Les appareils de débrayage automatique , pour arrêter le métier en
cas d'accident, ont donné lieu à de nombreuses inventions : on peut
citer, par exemple, les buttoirs qui réduisent le battant à l'immobilité,
quand une cause telle que la rupture d'un fil ne permet pas à la navette
d'arriver au fond de sa boîte, et le casse-trame de l'anglais BuUough,
qui débrayait brusquement le métier lorsque la trame cassait ou s'épui-
sait dans la navette (i 8/io).
Divers organes délicats sont nés ainsi progressivement, pour for-
mer ensuite autant d'éléments constitutifs des métiers à tisser. Le con-
cours de ces organes ingénieux, joint à la bonne exécution mécanique,
valut aux métiers anglais leur supériorité hautement constatée lors des
grandes assises internationales de i85i.
L'Angleterre nous avait, du reste, devancés de beaucoup dans la voie .
du tissage mécanique. Tandis que les métiers nouveaux s'étaient pro-
pagés dès le commencement du siècle dans les manufactures britan-
niques, l'industrie française ne leur a ouvert largement les portes de
ses fabriques qu'à partir de 1820.
En deçà comme au delà de la Manche, le tissage automatique a
débuté par les cotonnades : pour qu'il s'étendît aux autres tissus, la
qualité des fils devait être avant tout améliorée et cette amélioration
était liée aux progrès de la filature mécanique. La marche rapide des
métiers automates et les brusques mouvements qui en résultent imposent
en effet à la chaîne une fatigue assez notable : les fils peu résistants
sont dès lors exposés à des ruptures fréquentes, qui se traduisent par
des défectuosités dans le travail et par un accroissement du prix de
revient. Si les fils de coton ont été les premiers tissés mécaniquement,
ce fait tient à leur régularité, à leur élasticité, à la perfection de leur
parage. Moins réguliers et plus difficiles à parer, les fils de laine,
surtout de laine cardée, devaient nécessairement se montrer plus
rebelles à la machine; la difficulté s'augmentait encore par suite de la
MATÉRIEL DU TISSAGE. 237
grande largeur généralement donnée aux lainages. Avant d'étendre le
travail automatique à la laine, il fallait améliorer les (ils; il fallait
aussi réaliser une préparation très soignée de la chaîne.
Chez nous, les premières tentatives de tissage mécanique des étoffes
rases en laine peignée ne remontent pas au delà de i843, malgré les
analogies que ce tissage présente avec celui des étoffes de coton. En
18/17, ^^ ^^^^ établissement français appliquait les métiers automates
à la fabrication des mérinos; sous ce rapport, l'Angleterre et même la
Belgique étaient plus avancées que la France.
Le travail à la main conservait les préférences des industriels pour
les étoffes de soie , eu égard aux soins particuliers que nécessite l'exé-
cution de ces étoffes et qui paraissaient difficilement compatibles avec
la rapidité du tissage automatique: On ne citait en 18/17 qu'une maison
française fabriquant des soieries unies par les procédés mécaniques.
Vers cette époque, l'usage du métier automate restait donc limité
aux cotonnades et aux toiles de lin ou de chanvre : encore celles-ci
demeuraient-elles, pour une large part, dans le domaine du travail
manuel.
3 . Métiers à la marche du à la tire pour façonnés jusqu'au milieu du
XIX* siècle. — Le métier simple à lisses, seul envisagé jusqu'ici, ne per-
met de produire que des étoffes à combinaisons simples. Dès que le
dessin exige, pour réaliser chaque effet, un nombre considérable de
mouvements variés des fils de chaîne, les lisses se multiplient outre
mesure, la complication du métier devient extrême, sa manœuvre est
lente et pénible. On a, il esl vrai, depuis l'invention de la mécanique
Jacquard et par imitation de son mode d'action, ajouté aux métiers au-
tomatiques des mécanismes spéciaux faisant agir les lisses dans l'ordre
voulu, au lieu et place des marches : ce sont les mécaniques â! armures y
généralement formées d'un cylindre à cames ou à touches, qui, dans sa
rotation continue, actionne des organes intermédiaires correspondant
aux lisses, ou bien encore constituées par une série de plateaux à cames
commandant ces mêmes lisses. Mais on ne peut réaliser avec les lames
que des dessins formés de lignes droitps assez longues; pour les figures
à contours courbes, composées de points, de fleurs, d'ornements quel-
238 MATÉRIEL DU TISSAGE.
conques, Tactioii doit pouvoir s'exercer au besoin sur chacun des fils
isolément, dans un ordre variable à chaque coup de trame.
En ce cas, les tisseurs ont eu recours, depuis des siècles, pour la
fabrication des étoffes façonnées, même des damassés de lin ou de
chanvre, au procédé direct de la fore, à peu près tel que les Chinois le
pratiquaient, il y a des milliers d'années. Chaque fil de chaîne était
porté par un maillon, à Textrémité d'un fil vertical de suspension tendu
par un petit poids. Partagés en groupes distincts correspondant aux
abaissements ou soulèvements simultanés des fils de chaîne, les fils
de suspension traversaient les ouvertures d une planche horizontale
dite ff arcade j pour converger vers la partie supérieure du bâti. Réunis
à ce niveau par groupes de similaires et soutenus au moyen de nou-
veaux fils verticaux [cordes de rame ou tires) ^ ils étaient soulevés alter-
nativement dans Tordre voulu par un ouvrier tireur, placé en haut du
métier. Ce système n'excluait d'ailleurs nullement l'emploi d'un é(jui-
page de lisses et de marches, servant à exécuter le fond de l'étoffe,
équipage qui simplifiait le plus souvent la fonction des tireurs.
Dès la fin du xvi* siècle , on vit les fabricants de Lyon faire usage
d'une manœuvre déjà moins pénible. Les cordes de rame, ramenées
horizontalement au moyen des poulies d'un cassm, venaient s'enrouler
sur un treuil fixe et étaient reliées aux cordes d'un semple vertical ; placé
sur le côté du métier, le tireur soulevait les cordes de rame, en tirant
de haut en bas les cordes de semple que désignaient des embarbes portées
par ces cordes à diverses hauteurs. Cette dernière disposition ou grande
tire, organisée en 1606 par Dangon, dans la fabrique lyonnaise,
rendait la manœuvre des cordes de rame beaucoup plus rapide et plus
sûre; un levier de manœuvre fort bien imaginé par Garon (1717)
permit d'augmenter le nombre des faisceaux soulevés. L'exécution des
plus grands dessins de façonnés se trouva ainsi singulièrement facilitée
et en partie soustraite aux embarras, aux erreurs et à la fatigue résultant
du tirage direct de plusieurs centaines de plombs, selon l'antique
méthode chinoise.
D'autres recherches, également entreprises en vue de faciliter le
tirage et d'accélérer le travail, avaient abouti, vers i620oui625,à
l'emploi de boutons, réunissant toutes les cordes de tirage d'une duite
MATÉRIEL DU TISSAGE. 239
et disposés sous une planche à la portée du tireur, auquel un tableau
indiquait Tordre successif des mouvements. Mais la confusion des cordes
n pn subsistait pas moins, et ce système, ait petite tire, ne fut largement
pratiqué que pour les petits dessins. Il perdit de son intérêt quand
lusage des mécaniques de Ponson (lyyS) et de Verzier (1790), ne
demandant qu un seul tireur de lacs, commença à prendre de l'exten-
sion et qu'on parvint ainsi à exécuter plus aisément des dessins ayant
120 cordes ou ligatures et 288 coups de hauteur. Nombre d'appareils
avaient, d'ailleurs, été inventés pour remplacer le tireur; Régnier,
Dardois, Paulet, Perrin, Rivey, s'y étaient consacrés, sans pouvoir
toutefois faire adopter leurs dispositifs dans la pratique.
Cependant on avait trouvé depuis longtemps un principe d'action
qui devait un jour l'emporter sur tous les autres, être universellement
employé pour toutes les espèces de tissus façonnés , se substituer aux
anciennes méthodes, même améliorées comme je viens de le dire. En
effet, ces méthodes conservaient le grave défaut d'exiger, à chaque
métier, non seulement la tire continue, mais aussi le minutieux lisage
préalable des embarbes ou des boutons, y eût-il cent métiers fonction-
nant pour le même dessin.
Vers 1726, B. Bouchon, voulant soustraire les métiers de grand
façonné à l'inextricable complication des embarbes, remplaça chaque
embarbe par une bande de carton percée de trous en des points déter-
minés par le dessin. Il conservait l'équipage extérieur des cordes de
semple, agissant directement sur les cordes de rame, et le ramenait
verticalement sur le côté du métier au moyen d'un second cassin. Chaque
corde de semple était munie, à son extrémité inférieure, d'un long
crochet vertical en fer, passé dans la boucle d'une aiguille horizontale.
L'ouvrier présentait successivement chacun des cartons aux extré-
mités des aiguilles, pour repousser celles qui ne correspondaient pas
aux trous; puis, en foulant une marche, il faisait descendre une griffe ,
qui abaissait tous les crochets déplacés par les aiguilles. C'était à très
peu près, et sauf renversement, le principe de la mécanique plus tard
en usage. La combinaison -nouvelle offrait d'ailleurs une analogie
intéressante avec l'imprimerie typographique , au point de vue du sys-
tème de refoulement des aiguilles par les cartons.
240 MATÉRIEL DU TISSAGE.
L'idée générale de B. Bouchon fut fécondée par Falcon, chef d'atelier
de tissage à Lyon. Cet inventeur multiplia les rangées horizontales
d'aiguilles motrices, améliora le jeu de l'appareil et arriva, après vingt
ans de recherches, à compléter son œuvre par la découverte d'une
machine à lire et percer les cartons ^ qui diminuait considérablement la
dépense et le temps nécessaires au montage des dessins. Falcon fit alors
des cartons indépehdants pour chaque duite et les disposa sous forme
de chaîne articulée continue, mais non sans fin.
Malgré tous les avantages des mécaniques à la Falcon, qui portaient
a 00 , 4 00 et même 6oo crochets, malgré le privilège que leur accorda ,
en 1744, le règlement sur les manufactures, il ny en eut jamais plus
de 1 00 en usage. Cependant ces cartons troués, dontVaucanson s'écarla
mal à propos quand il voulut ajouter à son métier automatique de
1 7^5 un mécanisme remplaçant le tireur de lacs, devaient être repris
et, à quatre-vingts ans d'intervalle, servir de type à la combinaison
beaucoup plus heureuse du système Jacquard.
Se rapprochant du métier à la tire primitif et supprimant les semples
ainsi que le cassin, Vaucanson plaça sur le métier la mécanique Falcon ,
retournée sens dessus dessous. Mais il abandonna les cartons et les
remplaça par un cylindre percé de trous. Ce cylindre, monté sur un
chariot à va-et-vient horizontal, effectuait à chaque coup de trame un
petit mouvement de rotation, de manière à présenter de nouvelles
rangées de trous aux aiguilles des crochets et à repousser ceux qui ne
devaient pas être enlevés par la griffe ; outre l'inconvénient d'un prix
de revient assez élevé, il avait celui de limiter beaucoup trop le nombre
des duites ou la hauteur du dessin, et de borner également le nombre
des tires, en ne permettant guère qu'une seule rangée d'aiguilles.
Cinquante ans s'écoulèrent sans que le système de Vaucanson fût
utilisé ou imité. Le métier du célèbre mécanicien se trouvait délaissé
dans les galeries du Conservatoire de Paris, lorsqu'en i8o3 Jacquard,
visitant ces galeries, imagina d'adapter au tambour à chariot de Vau-
canson les bandes de carton de Falcon, qui fonctionnaient parfaitement
à Lyon depuis soixante-quinze ans; il se borna à remplacer ce tambour
par un prisme rectangulaire accomplissant un quart de révolution pour
chaque duite et à fermer la chaîne des cartons , de façon à en faire une
MATÉRIEL DU TISSAGE. 241
chaîne sans fin. Les premières combinaisons mécaniques réalisant cette
modification ne furent pas très heureuses, et Jacquard dut recourir,
vers 1806., à la coopération du mécanicien Breton. C est à l'association
de ces deux habiles collaborateurs qu'on doit l'invention du ressort à
boudin repoussant les aiguilles vers leur position de repos et l'idée de
disposer, non plus sur la planche d'appui des aiguilles, mais sur les
faces du prisme, les repères qui guidaient le développement des cartons.
Breton eut ensuite la pensée de renfermer les élastiques dans une boîte
et de substituer un battant vertical ou balancier au chariot de Vaucan-
son; il adapta à la griflfe une presse à galets, pour écarter le battant,
lors de l'ascension de cette griffe, et pour le rapprocher, lors de la
descente, de manière à appuyer le prisme contre les aiguilles. Enfin,
par l'invention d'une machine à transporter le lisage des dessins sur
les cartons (1812), puis d'une machine à lire et percer ces mêmes
cartons, d'après un système dérivé de celui de Falcon, mais perfec-
tionné , il réussit à doter la mécanique Jacquard de la précision et de
la facilité de fonctionnement qui pouvaient seules la rendre avantageuse
et qui la firent définitivement adopter, en dépit de la vive opposition
manifestée d'abord par les ouvriers lyonnais.
Cette mécanique permettait au tisseur d'exécuter d'une façon presque
inconsciente, en appuyant sur la pédale ou marche unique de son
métier, l'étoffe la plus simple comme les dessins les plus variés et les
plus riches. Elle inaugura une ère nouvelle dans la fabrication des
tissus façonnés de toute espèce , façonnés ordinaires , étoffes brochées ,
châles, tissus veloutés, tulles, etc. Parmi nos industries nationales, ce
furent celles du linge damassé, des châles et des moquettes dites an-
glaises qui tirèrent du nouveau système les avantages les plus marqués.
Tant en conservant son principe invariable, la mécanique Jacquard
subit des modifications qui lui donnèrent parfois une physionomie
nouvelle et des usages inattendus. Pour ne citer immédiatement
qu'un exemple, on fut conduit, par une généralisation rationnelle, à
faire agir les éléments constitutifs de la jacquard sur les boîtes à
navettes porle-trame, aussi bien que sur les fils de chaîne, et à réaliser
de la sorte un procédé mécanique de changement des couleurs de
trame.
IT. 16
mPaiIlCItlC RATtOliLC.
242 MATÉRIEL DU TISSAGE.
A partir de Tépoque où Breton revêtit en quelque sorte la mécanique
Jacquard de sa dernière forme, les améliorations constamment pour-
suivies, surtout en France, eurent pour objet principal d accélérer le
lisage des dessins, ainsi que le piquage et le perçage des cartons, par
un arrangement méthodique des fils, des armures, etc. ; d assurer le
jeu parfait des organes ; d'accroître le nombre d aiguilles des cartons ;
de varier et d'enrichir l'application du métier aux tissus les plus ornés.
En 1816, Belly, de Lyon, construisit la première machine pour
lire, percer et reproduire les cartons à un nombre quelconque d'exem-
plaires. Marin y adapta, en 18/12, un clavier à touches; mais cette
disposition, de même que celles de Tranchât et de Dioudonnat, qui
parurent à l'Exposition de i844, ne furent jamais appliquées qu'au
lisage des dessins de faible étendue ^^K
Des combinaisons ingénieuses, créées surtout en vue du tissage des
châles imitant ceux des Indes, ont eu pour résultat de réduire la
dépense des cartons, dont le nombre, primitivement égal à celui des
coups de trame, atteignait dans beaucoup de cas 3o, 000 à /io,ooo.
Par un mode de plus en plus savant à'empoutage ou groupement systé-
matique des fils de suspension, par un accouplement plus habile de
ces fils sur les divers crochets, on a su mettre à profit les répétitions
dues à la symétrie des dessins ; le dédoublement des boucles d'aiguilles
a permis de déplacer deux crochets à la fois et de mieux utiliser les
lames de lisses accessoires, qui, dans certains façonnés à trames nom-
breuses, ont pour but principal le tissage en armure unie et le liage
dès brides de trame, détachées de la chaîne è l'envers et dans l'inter-
valle des dessins. 11 faut citer aussi les mécanismes dits de déroulage
ou de détoumag€y qui, en vue de certaines combinaisons, font revenir
les cartons sur eux-mêmes, pour reproduire périodiquement, avec ou
sans inversion , les mêmes séries de mouvements des fils de chaîné.
^^^ Plus tard, l'industrie des grands façon- L'adaptation aux métiers à piquer de méca-
nés a eu recours à des ~ machines beaucoup niques armureuses, dites <fe retient, a permis
plus puissantes, imitées des appareils de en outre de faire presque toujours le lisage
Falcon et de Breton, susceptibles de percer et la mise en carte elle-même par surfaces et
simultanément un nombre considérable de sans détails , et d'abr^r beaucoup les opéra-
trous et pouvant fonctionner très rapidement, lions préparatoires,
une fois le lisage préalablement effectué.
MATÉRIEL DU TISSAGE. 243
Plusieurs inventeurs cherchèrent à substituer aux anciens et oné-
reux cartons de simples feuilles de papier : tel Âcklin, dont le sys-
tème, rappelant les essais antérieurs de Skola (1819), plaçait la
bande de papier continu entre deux plaques de cuivre locomobiles, à
trous resserrés; tels encore Michel (1 84a) et Marin, qui s'efforçaient
de diminuer la pression des aiguilles sur le papier. On tenta même,
sans grand succès d'ailleurs, la suppression complète des papiers et
des cartons : dans le métier Pascal, exposé en i8/i4, les cartons
étaient remplacés par une toile sans fin, figurant le canevas du dessin
au moyen de reliefs dont la saillie repoussait directement les aiguilles
de la jacquard.
3. Métiers à la barre ^ métiers à navettes changeantes , jusqu'au milieu
du XIX' siècle. — En même temps qu on simplifiait ainsi l'ancien métier
h la tire, servant aux tissus ornés, et que le travail automatique
prenait la place du travail à la main dans le tissage des étoffes
unies, on s'occupait également de multiplier et de diversifier les ré-
sultats déjà obtenus par les anciens procédés de tissage, d'y adapter
les nouveaux éléments de succès mécanique, ou d'en assujettir déplus
en plus les organes à des mouvements automatiques. Les principes des
Bouchon, des Falcon, trouvaient de nouvelles applications; ils per-
mettaient d'obtenir économiquement et rapidement des tissus façonnés
d'une nature spéciale, sur des métiers anciens ou plus récemment
imaginés : métiers à la barre, pour la fabrication simultanée de plu-
sieurs rubans ou tissus étroits; métiers à navettes changeantes; battants-
brocheurs; métiers à roquetins, à chaîne double, triple, etc.
Les métiers à la barre doivent leur dénomination à une longue barre
horizontale, qui est placée en avant du bâti et dont le mouvement se
transmet au battant, ainsi qu'aux pédales des diverses lisses et aux '
navettes à coulisses. Ils sont intéressants, tant à cause de leur an-
cienneté que parce qu'ils ont été le point de départ de la plupart
des combinaisons modernes de métiers à plusieurs navettes localisées,
pour rubans et bandes d'étoffes étroites. D'origine suisse ou alle-
mande, ces métiers paraissent avoir été introduits en France, à Saint-
Etienne et à Saint-Chamond, dans la seconde moitié du xviii'' siècle.
16.
2M MATÉRIEL DU TISSAGE.
Bientôt, on leur appliqua les procèdes lyonnais propres au tissage des
étoffes de soie façonnées; une série de perfectionnements successifs
les mit en état de produire des rubans à rebords dentelés, à fonds
et franges diversement façonnés, par l'emploi de cylindres garnis de
touches et figurant les dessins en relief. Puis, vers 181 5 ou 1819, la
jacquard vint couronner le succès de l'industrie i;ubanière.
Jusque-là, le battant à navettes multiples n'était, à moins de re-
change à la main des navettes, applicable qu'aux tissus dune seule
couleur et non brochés. On ne tarda pas à comprendre combien il
serait utile d'adapter au métier k la barre les procédés ingénieux déjà
imaginés, pour changer à volonté la couleur du fil de trame sur les
métiers ordinaires.
Dans le travail à la main, le tisserand chassait successivement sur
toute la largeur de l'étoffe, et suivant l'ordre réclamé par le dessin,
lies navettes garnies de fils de couleurs différentes. Mais ce travail,
qui exigeait une attention soutenue, était payé plus cher que celui
du tissage à une seule couleur. Aussi des recherches avaient-elles été
entreprises dès la fin du xviii*' siècle, en vue d'éviter ce surcroît de
main-d'œuvre par des mécanismes présentant à chaque coup de
taquet la navette voulue pour réaliser un effet de couleur. Ce fut
l'origine des boîtes à navettes multiples. La première en date est la lan-
terne ou botte-revolver, boîte cylindrique à compartiments, placée sur
le côté du battant et dont la rotation offrait les diverses navettes ,
les unes après les autres, à l'action du taquet. Cet appareil, attribué
à R. Kay, paraît s'être peu répandu. Il fut bientôt remplacé, en
France, par une boîte à étages et à mouvement de va-et-vient vertical,
disposée également à l'une des extrémités du battant, et dont la ma-
nœuvre verticale, pour chaque changement de couleur, était produite
d'abord par un cylindre à touches, plus tard par une mécanique à
cartons troués. F. Louis, de Nîmes, semble avoir, le premier (1837),
employé la jacquard à choisir automatiquement les fils de trame,
c'est-à-dire à opérer le changement des navettes dans l'ordre requis.
L'application des navettes changeantes au métier à la barre, pour
la fabrication des rubans façonnés à plusieurs couleurs, fut inaugurée
en Suisse. Mais c'est aux fabricants de Saint-Etienne et de Lyon que
MATERIEL DU TISSAGE. 245
revient le mérite d avoir utilisé la jacquard pour le déplacement ver-
tical du battant porte-navettes. Après des recherches persévérantes, ces
fabricants réussirent à vaincre les difficultés que soulevait la com-
mande automatique des navettes, étant donné le mécanisme de lancien
métier à la barre; grâce à leurs efforts, le tissage des rubans brochés
put être réalisé, vers i83o, au moyen de combinaisons exclusive-
ment mécaniques.
4. Batlanls-hrocheurSy métiers à espolins et à roquetins multiples, etc.,
jusquau milieu du xix* siècle. — L'ingénieux battant des métiers à
rubans a ouvert la voie au battant-brocheur , dont Tinvention est venue
combler une lacune dans le brochage des tissus larges. Toutes les fois
quun effet façonné et localisé doit être obtenu par la trame, le
brochage, qui n'emploie les fils de couleur qu'aux points où ils doivent
apparaître, offre une économie de matière et une solidité particulières;
en l'employant, on évite le découpage des brides, à l'envers de l'étoffe,
opération que nécessite le travail du lancé et de laquelle résultent à la
fois un déchet sérieux et un affaiblissement du tissu. Mais le brochage
à la main présentait l'inconvénient d'être lent et cher; aussi un grand
progrès fut-il- réalisé dans le travail des façonnés, par l'introduction du
battant-brocheur, qui facilitait et régularisait la main-d'œuvre du
tisseur, en permettant de brocher simultanément tous les effets d'une
même ligne. L'honneur de ce progrès revient surtout à P. Meynier,
inventeur du premier battant à espolins brocheurs. Associé à Godmard,
Meynier ne cessa d'apporter à son appareil des simplifications et des
perfectionnements, dont les mérites valurent à ces deux constructeurs
une médaille d'or, lors de l'Exposition de iSig. Cet ingénieux instru-
ment, applicable aux battants ordinaires, portait deux rangées paral-
lèles à'espolins, garnis de fils de trame diversement colorés, qui
fournissaient chacun une course limitée dans un châssis à coulisses et
exécutaient ainsi le broché de place en place. L'impulsion simultanée
de toutes les navettes d une rangée était produite à la main par le jeu
d'une tringle à manettes; d'autres tiges à crampons pousseurs abais-
saient ou soulevaient les espolins, comme l'exigeait le dessin du
broché.
246 MATÉRIEL DU TISSAGE.
Si le battant-brocheur était un appareil précieux pour le travail des -
étoffes à dessins symétriques, il ne pouvait réaliser les tissus larges à
figures ou couleurs perpétuellement changeantes : les espolins néces-
sitant entre eux, pour opérer leur course, un espace libre égal à leur
longueur et ne pouvant, dès lors, agir que de place en place, à des
distances assez sensibles, ne convenaient pas à Texécution des effets
continus, comme ceux des châles de Tlnde par exemple. L'industrie
française d'imitation de ces châles orientaux, industrie contemporaine
des premières applications de la jacquard, dont elle devait tirer des
ressources inattendues, se vit, en conséquence, obligée de recourir au
système ordinaire du lancé, pour l'ornementation de ses tissus. Mais,
dans la fabrication des châles français, de même que dans celle des
étoffes d'ameublement et de tous les tissus façonnés obtenus par le
lançage, on s'ingénia à diminuer les déchets dus au découpage des
brides, en économisant les couleurs et en dégradant les tons au moyen
du mariage rationnel d'un nombre minimum de teintes : c'est ainsi
que les châles français se tissaient à sept couleurs et non à seize comme
ceux des Indes. L'ourdissage en fils de couleurs différentes aida d'ail-
leurs à la solution du problème, en multipliant les moyens et par
suite les effets. Enfin, à plusieurs reprises, notamment vers i84o,
des tentatives furent faites afin de supprimer entièrement le déchet au
découpage, en tissant deux châles à la fois, de manière à utiliser les
brides de l'un pour former la fleur de l'autre, et en séparant ensuite
les deux tissus à l'aide d'une machine spéciale ; le système ne fut pas
adopté, mais les tentatives ne restèrent pas stériles et inspirèrent
d'autres inventions, notamment pour le tissage à deux pièces des gazes
blanches et des velours.
En ce qui concernait l'imitation plus parfaite des châles de Cache-
mire, on avait dû renoncer à tout travail mécanique et se servir de la
broche ou de l'espolin manœuvré à la main, suivant le mode employé
de temps immémorial pour l'exécution des tapis, tapisseries et brode-
ries à sujets d'imitation.
Les indications fournies dans un précédent chapitre au sujet du
matériel des tapis et des tapisseries me dispensent d'y revenir ici. Je
dois, au contraire, insister sur les velours. Le tissage des étoffes
MATÉRIEL DU TISSAGE. 247
veloutées exige la combinaison dune chaîne inférieure, tendue entre
deux ensouples ordinaires, avec une ou plusieurs autres chaînes à fils
lâches, ourdies sur des séries de bobines indépendantes (roquetins),
qu on adapte à un cantre. Ces derniers fils sont successivement levés
ou abaissés, soit pour laisser passer la trame, soit pour lecevoir les
tringles en fer servant à former les boucles. Après un certain nombre
de coups de battant, on retire progressivement les tringles du tissu;
les velours destinés à être coupés le sont, à ce moment, par un rabot
spécial qui tranche les sommets des boucles en passant sur les fers.
Pendant longtemps, toutes les variétés de velours furent exclusive-
ment tissées au métier à bras. Cependant on réussit à fabriquer certains
velours unis par des procédés expéditifs, en imaginant, comme le fit
P. Meynier (i833), des moyens mécaniques ingénieux et simples pour
trancher les poils au cours du tissage; on arriva aussi à mouvoir
mécaniquement les fers à laide desquels s'obtenaient la frisure ou le
coupage du poil. W. Wood, deWilton, employa, le premier, la ma-
chine à vapeur et créa un métier automate, dont j ai déjà parlé à
propos des moquettes; pour les velours coupés, le tranchage des
boucles était opéré simultanément par les fers servant à former les
boucles; ces fers portaient, à leurs extrémités, des lames tranchantes
et obliques.
Une machine spéciale à couper le velours de coton fut également
inventée en Angleterre. Dans ce genre de tissus, le coupage destiné à
former le duvet s'effectuait, après le tissage, au moyen d une lame qui
tranchait certains fils de trame perpendiculairement à leur direction.
Tandis qu'en France l'opération se faisait encore à la main et consti-
tU(Etit une des spécialités de la ville d'Amiens, les Anglais avaient ima-
giné une machine actionnant à la fois plusieurs lames sur toute la
largeur de l'étoffe et diminuant en même temps les chances d'acci-
dent.
5. Progrès des métiers pour tissus pleins pendant la seconde moitié
du xix^ siècle. — Si, pour le tissage des étoffes unies et notamment
des calicots, le travail mécanique avait pris beaucoup d'extension, il
en était autrement du tissage des étoffes façonnées, qui continuait, en
248 MATÉRIEL DU TISSAGE.
France du moins, à rester presque exclusivement dans ie domaine du
travail manuel. Bien qu'à l'Exposition universelle de Londres (i85i),
les Anglais eussent présente quelques métiers produisant les façonnés
d'une manière entièrement automatique, leurs tentatives ne pouvaient
encore rivaliser avec la multithde de combinaisons et de perfection-
nements qui s'étaient succédé chez nous depuis les premières années
du siècle, dans le but d'économiser le temps et la main-d'œuvre, de
varier le dessin et d'abaisser le prix de revient des plus beaux tissus.
En i855, les constructeurs français ne jugèrent pas à propos
d'exposer les améliorations accomplies par eux dans les machines
usuelles. Quant aux Anglais, ils n'encouraient pas le même reproche;
leurs métiers automates, à tisser les étoffes unies ou rayées, fonction-
naient avec une admirable précision, à raison dei3oài6o coups par
minute.
La section française montrait une foule de modifications plus ou
moins heureuses, apportées aux métiers Jacquard, aux battants-
brocheurs, et de dispositions tendant à substituer le papier au carlon,
à simplifier le lisage et le perçage , à diminuer le nombre des car-
tons, etc. Néanmoins la fabrication des soieries façonnées paraissait
slationnaire, et les industriels de Lyon semblaient, depuis plusieurs
années, viser plutôt au certain qu'au progrès, redouter les chances
des essais qu'appelle toujours une innovation. Gomme preuve de cette
indifférence, le jury citait le fait suivant: Meynier ayant imaginé en
i85o un nouveau mode de montage des métiers, très avantageux
pour les grands dessins, la Chambre de commerce de Lyon avait
acheté le brevet, de concert avec 26 fabricants, afin de faciliter la
diffusion du procédé; cependant en i855, trois ans après cette ac-
quisition, on ne comptait que deux maisons mettant en pratique le
montage Meynier; les autres établissements s'en tenaient aux vieux
errements.
Parmi les constructeurs anglais, W. Wood préb'entait, avec divers
perfectionnements, son métier automate à lisser les velours et les
tapis moquettes. MM. Parker exposaient un métier à tisser les toiles à
voiles, qui avait déjà mérité les suffrages de l'amirauté anglaise en
i85i et qui venait heureusement combler la lacune existant en
MATÉRIEL DU TISSAGE. 249
France sous ce rapport: aucun des comptes rendus de nos Expositions
nationales, jusqu'en 18/19, '^'^^^^'^ mentionne de métiers mécaniques
pour la fabrication des toiles à voiles.
Lun des faits saillants de l'Exposition de 1867 consistait dans le
soin tout spécial apporté par Tindustrie anglaise aux machines à pré-
parer les fils pour tissage. Déjà les membres français du jury à l'Expo-
sition de Londres, en 1869, avaient insisté sur la perfection de ces
machines, sur l'avance qu'elles donnaient à nos voisins dans toutes
les branches du tissage automatique, sur les dispositions ingénieuses
des dévidoirs, des ourdissoirs et surtout des encolleuses à tambour
sécheur {jsizing machines)^ qui remplaçaient partout, au delà de la
Manche, pour les tissus ordinaires, les anciennes pareuses à brosse et
à ventilation, et qui réduisaient notablement les frais du matériel et
de l'opération.
C'était l'excellence de la préparation des fils pour le tissage qui
expliquait en grande partie les vitesses considérables imprimées aux
métiers automatiques à faire les tissus unis, les rayés, les carreaux et
les façonnés, ainsi que l'emploi de plus en plus répandu des métiers
à navettes multiples et des métiers Jacquard : pas plus, en effet, que
l'Exposition de i86â, celle de 1867 ^^ présentait de dispositif nou-
veau bien original.
Pour le métier à calicot notamment, c'est-à-dire pour le métier le
plus anciennement appliqué au tissage automatique , les préparations
plus parfaites de la chaîne, jointes à l'exécution de plus en plus
soignée de tous les détails de construction, à l'accroissement de stabi-
lité des points d'appui, à l'allégement des organes mobiles, avaient
permis d'atteindre des vitesses de 3oo duites à la minute, pour des
largeurs de o m. 60 à o m. 70.
Gomme conséquence de l'augmentation de vitesse réalisée dans les
métiers mécaniques, l'usage des casse-trame et autres appareils de
sûreté s'était généralisé, en même temps que s'amélioraient leurs
dispositions. Il y' avait là un progrès sérieux: c'est, en effet, grâce aux
appareils de ce genre qu'on tire de l'emploi d'un moteur toute l'éco-
nomie possible de main-d œuvre, en confiant à chaque ouvrier un
250 MATEBIEL DU TISSA(^E.
plus grand nombre de métiers. Le jury signalait particulièrement un
casse-trame anglais, qui, au lieu d arrêter le métier en cas de rup-
ture du fii de trame ou d'épuisement de la navette, jetait celle-ci
dans une boite disposée ad hoc et fournissait une autre navette placée
en attente: de là une économie de temps deâ5à/(op. loo sur le
rattacbage de la trame à la main.
Jusqu'alors, dans la catégorie des velours et des tissus analogues,
le travail mécanique avait été limité aux velours à grosses boucles,
aux tapis veloutés et au)t peluches de la chapellerie. On voyait pour
la première fois, en 1867, un métier tissant automatiquement les
velours les plus fins. Ce métier, dû à M. Joyot, appartenait au système
dit à la barre; il produisait les rubans cannelés et veloutés, ainsi que
les rubans sans envers, nouveaux dans la rubanerie.
Aux précédentes Expositions, les métiers à navettes changeantes
ne s'étaient montrés qu'avec réserve. Peu répandus dans l'induslrie
anglaise, ils avaient à peine été essayés en France. Lors de l'Exposi-
tion de 1867, leur emploi semblait plus étendu; le nombre des fils
de trame employés dans les divers systèmes marquait un pas en avant:
certains métiers pouvaient même produire les duites impaires et, par
suite, éviter la juxtaposition de deux trames de même couleur.
Quant aux métiers Jacquard à faire les façonnés, qui figuraient au
Champ de Mars , leur fonctionnement dépendait des conditions dans
lesquelles ils étaient destinés à travailler. En principe, la substitution
de l'impulsion mécanique à celle du pied ne présentait aucune difii-
cullé; mais, en application, elle ne convenait pas à tous les tissus.
La commande automatique était avantageuse toutes les fois quil
s'agissait d'articles courants, dont la fabrication en tissu uni suppor-
tait déjà le travail mécanique. Elle exigeait d'ailleurs le groupement,
dans l'atelier, de nombreux métiers du même genre : aussi le lissage
mécanique était-il plus particulièrement adopté en Angleterre, pour
les façonnés simples et de consommation courante, tels que le damas;
les métiers lourds à fabriquer certains tapis de Roubaix et d'Amiens
avaient été de même automatisés. Au contraire, le travail à la main
conservait les préférences de l'industrie de luxe, comme celle de Lyon
ou de Tarare, où la machina* n'ayant pas encore reçu une spécial!-
MATÉRIEL DU TISSAGE. 251
sation assez parfaite, eût été impuissante à remplacer rintelligence et
l'habileté de main : nos manufacturiers portaient leurs efforts vers la
simplification et le perfectionnement du montage et des organes du
métier, bien plutôt que vers son automatisation complète.
Pendant longtemps, Tétendue des effets du tissage s'était trouvée
limitée par la dépense des cartons et la complication des crochets,
inséparables de la grande dimension de certains dessins. Sous l'im-
pulsion de P. Meynier et de R. Rouze, lart du montage venait de
progresser au point de doubler ou de quadrupler la puissance des
métiers; loin de réduire la variété des effets, cette transformation
permettait au tisserand d'obtenir des entrelacements nouveaux, d'imi-
ter plus fidèlement la taille-douce, la broderie, la dentelle. Les re-
cherches, en vue de diminuer la dépense occasionnée par les cartons,
avaient été poursuivies avec ardeur, et, après un demi-siècle d'études,
le problème de la substitution du papier à ces cartons pouvait être
considéré comme résolu, tout au moins en principe.
Des perfectionnements, ayant pour but de supprimer les brides
produites au lancé, se manifestaient en 1867 dans la fabrique des
châles français. On arrivait à imiter le travail oriental par l'espouli-
nage mécanique : l'idée mère de la solution reposait sur une améliora-
tion du battant-brocheur combiné au métier de tissage; les espolins*
étaient manœuvres pair un moteur, au lieu de l'être à la main, et des
dispositions avaient été imaginées pour en mettre le plus grand nombre
|>ossible sur la largeur du tissu.
En 1878, le nombre des métiers à bras était encore, chez nous, de
beaucoup supérieur au nombre des métiers mécaniques: 3 â 8,000
contre 1 3 1 ,ooo. L'Angleterre avait une forte avance : dès 187/1, elle
comptait 665,0 00 métiers automatiques.
La lenteur avec laquelle ces métiers se répandaient en France tenait,
non à des difficultés techniques, mais à des raisons économiques, à
l'importance des frais de construction et d'installation du nouveau ma-
tériel, au coût de la force motrice, à la variété de notre production;
cette variété, source de succès poUr plusieurs de nos grands centres de
fabrication, nécessitait des modifications fréquentes dans le montage et
252 MATÉRIEL DU TISSAGE.
se prétait mal à l usage des métiers mécaniques, qui exigent la conti-
nuité et la rapidité de fabrication. II n en fallait pas davantage pour
expliquer l'extrême vitalité du tissage à bras, surtout dans les cam-
pagnes où le prix de la main-d'œuvre demeurait relativement modique.
Le travail manuel gardait même la prépondérance dans les villes,
pour le tissage des façonnés, dont la jacquard constituait le facteur
essentiel et qui réclamait non seulement l'expérience de l'ouvrier,
mais aussi l'inspiration du dessinateur et l'habileté du monteur :
les fabriques urbaines de soieries continuaient à employer près de
1 00,000 métiers à bras.
Tout autre était la situation en Angleterre et en Amérique : les
constructeurs s'efforçaient d'y faire prévaloir de plus en plus l'élément
mécanique. Dans la Grande-Bretagne, notamment, les manufactures,
ayant des débouchés vastes et nombreux, pouvaient se consacrer exclu-
sivement à des produits déterminés, mettre constamment les mêmes
matières en œuvre, fabriquer invariablement les mêmes articles, uti-
liser ainsi les métiers automatiques sans perte de temps, sans discon-
tinuité : le terrain était donc éminemment propice au travail de la
machine, que favorisait en outre la cherté du travail manuet
Les efforts faits en vue d'accroître la puissance mécanique des in-
dustries textiles se traduisaient par un perfectionnement des machines
préparatoires : ourdissoirs munis de casse-fils débrayeurs; encoUeuses,
substituant le séchage par rayonnement et ventilation au séchage par con-
tact; dévidoirs et canetières améliorés, comme la canetière Honegger.
Malgré les causes retardant l'expansion du tissage automatique, son
développement se manifestait par la production à la machine de cer-
tains tissus jusqu'alors réservés au travail à la main.
On signalait principaleoient la transformation du tissage des soieries,
dans lequel la mesure, le tact de l'ouvrier habile avaient toujours paru
défier la concurrence des procédés automatiques. Les difficultés sem-
blaient vaincues pour la faille , grâce à des inventions telles que celle
de la navette Honegger : au lieu d'être chassée d'une lisière à l'autre
en glissant ou en roulant sur les fils, cette navette était portée alterna-
tivement d'un côté du battant au côté opposé par deux pinces arti-
culées, de façon à éviter tout frqissement, toute usure de la chaîne.
MATÉRIEL DU TISSAGE. 253
De nouveaux métiers avaient été adaptés à la fabrication mécanique
des velours unis, spécialement du velours d'Utrecht, et des velours de
soie double pièce.
Les constructeurs anglais se préoccupaient de remplacer entièrement
les substances hygrométriques par le métal dans les transmissions de
mouvement; ils employaient des tringles métalliques de préférence
aux cordes de lisse et aux cordes d'empoutage de la jacquard. Ils
s'étaient également attachés à l'amélioration et à la simplification des
mécaniques d'armures.*
Parmi les systèmes proposés pour substituer le papier aux cartons
Jacquard, l'un des plus remarquables était celui de MM. Verdol et C'*',
dérivé du système Acklin; il réduisait le rôle du papier à la déviation
d'aiguilles auxiliaires très légères, qui déterminaient l'enlèvement des
crochets. Enfin on remarquait, comme susceptible de quelques appli-
cations avantageuses aux simples damassés, le système Sparre, imi-
tation du cylindre de Dresde; le comte Sparre, voulant supprimer la
mise en carte, reproduisait le dessin par une gravure en relief, puis
plaçait la planche gravée contre les touches correspondant aux poinçons
d'un Usage spécial pour percer les cartons.
Le soin apporté aux détails de construction des métiers était plus
accusé encore à l'Exposition de 1 889 qu'aux Expositions antérieures.
D'une manière générale, les vitesses avaient été augmentées, sans
que la qualité des produits en eût soufl'ert, toutes les précautions
voulues ayant été prises pour assurer la régularité et la sûreté de la
marche, pour faciliter les manipulations et éviter les erreurs. L'emploi
d'appareils débrayeurs, destinés à arrêter le métier en cas d'accident,
soit à la trame, soit aux navettes, était devenu courant. Afin d'échapper
aux chances de confusion, on solidarisait habituellement les méca-
nismes de commande des lames et ceux qui opéraient le changement
des navettes. Certains constructeurs avaient fait avec succès des mé-
caniques Jacquard à lève et baisse^ dans lesquelles les crochets laissés
s'abaissaient pendant que les crochets pris se relevaient.
Depuis 1878, le tissage mécanique de la soie avait réalisé des
progrès considérables; son développement se manifestait par le
254 MATÉRIEL DU TISSAGE.
nombre des métiers exposés. On était parvenu à produire mécanique-
ment des articles pour lesquels il eût été naguère impossible de se
passer du métier à bras ; les tentatives entreprises cinq ou six ans
auparavant, en vue de sauver le tissage à domicile, n'avaient abouti
qu'à imprimer une plus vive impulsion au travail automatique. Les
métiers à soie présentaient des formes stables ; ils se caractérisaient par
leur largeur restreinte, par la grande longueur donnée à la chaîne
afin de ménager davantage les fils, par les mouvements particuliers
dont le battant était souvent animé et qui imitaient lé coup sec du
battant mû à bras. En employant un cylindre- frein pour l'enroulement,
on eût risqué d'érailler l'étoffe : cet enroulement était produit par le
mouvement même de l'ensouple , dont la rotation se ralentissait sous l'ac-
tion d'un mécanisme régulateur, à mesure qu'augmentait son diamètre.
Un autre type distinct, celui du métier à draps, accusait des perfec-
tionnements spéciaux et*sensibles; la largeur de la chaîne et la gros-
seur de la navette avaient conduit à accroître la puissance du chasse-
navette. Le bâti tout entier offrait de fortes dimensions et une structure
robuste. Les métiers pour nouveautés étaient pourvus d'un nombre
considérable de lisses, généralement mues par une mécanique à ar-
mures du système Crompton, et de plusieurs navettes. Dans ces mé-
tiers, les boîtes à navettes étaient plus ordinairement montantes que
tournantes.
En dépit de la stabilité de principes et de formes qu'attestaient les
appareils de tissage automatique, quelques conceptions originales
avaient été mises au jour. La plus intéressante se trouvait dans le
métier à tisser circulaire Wassermann. Ce n'était pas que l'idée fût
absolument neuve : la grande production des métiers circulaires à
bonneterie devait nécessairement provoquer des recherches analogues
pour le tissage proprement dit. Mais le métier Wassermann n'en con-
stituait pas moins le premier appareil de ce genre réellement apte au
tissage; il jalonnait une voie nouvelle, où l'on rencontrerait peut-être
certaines solutions utiles.
A l'Exposition de 1 900 , le fait dominant pour le tissage des cotons
a été le succès du métier Northrop. Ce métier possède une énorme
MATÉRIEL DU TISSAGE. 255
«
puissance de production. H réalise deux perfectionnements d'impor-
tance capitale : changement automatique de la trame dans la navette
sans arrêt du métier et sans changement de navette; mise en œuvre
d un casse-chaîne automatique , très sûr et très pratique , déterminant
Tarrêt du métier. L ouvrier est ainsi dispensé de la surveillance inces-
sante qu exigent les types antérieurs et peut soigner un plus grand
nombre de métiers, avec une bien moindre dépense de fatigue, puis-
que la machine effectue automatiquement les opérations les plus la-
borieuses du tisserand.
Des deux dispositifs qui viennent d'être signalés, le premier se ré-
sume ainsi : un casse-trame à petits leviers, dont un des bras s'appuie
sur le fil de trame et tombe quand ce fil manque, porte à son autre
bras une encoche qui arrête alors un cran à va-et-vient ; l'accrochage
déclenche un revolver armé de canettes pleines, qui sont fixées d'un
seul côté entre deux ressorts à rainure; en même temps, un doigt
s'abaisse et pousse une canette pleine sur la vide ; celle-ci se trouve
chassée de la navette, dont l'œil reçoit le nouveau fil. Tous ces mouve-
ments se produisent presque instantanément ; le levier du casse-trame
se relève et le travail continue. Pour les tissus fins, le casse-trame se
double d'un doigt tâteur, agissant avant l'entière disparition du fil,
quand le diamètre de l'enroulement sur la canette a suffisamment
diminué; la perte de fil ne dépasse pas iài.5p. loo.
Aux deux améliorations principales s'en ajoutent d'autres : fouets
dans le battant, avec déplacement rectiligne des taquets; régulateur
positif avec mouvement de recul , agissant à chaque remplacement de
trame; frein relié au buttoir; régulateur automatique du rouleau d'en-
souple , sans poids de pression.
Depuis 1896, date de l'introduction du métier Northrop dans le
tissage des Etats-Unis, plus de 3 0,000 exemplaires en ont été installés.
Bien que son prix de revient dépasse le double de celui des anciens
métiers, l'économie est cependant Considérable. Sa largeur varie de
om. yoàim. 5o, mais pourrait être augmentée. Un ouvrier soigne
couramment 1 6 métiers à la fois.
Jusqu'ici, le northrop limite son domaine aux calicots, aux cretonnes,
aux coutils croisés et aux satins.
256 MATÉRIEL DU TISSAGE.
La fabrication des cotonnades a bénéficié d'autres progrès. Parmi
ces progrès, il y a lieu de citer la création du mouvement positif dans
les métiers à quatre navettes, grâce auquel les différentes positions des
boites sont obtenues par le moyen d'excentriques permettant tous les
sauts de boîtes avec une très grande vitesse, sans choc et en douceur.
Cette invention a porté le nombre des coups de i3o ou i/io à 180 et
accru de 2 5 p. 100 la production de certains articles.
Pour les lainages, on a pu voir en 1900 une mécanique marchant
sur un métier à nouveauté sans lui imposer de ralentissement et procu-
rant, dès lors, avec une accélération de la vitesse, un accroissement
sensible du rendement.
De nombreux perfectionnements ont été apportés aux détails des
métiers pour soieries : disposition du régulateur différentiel , avance-
ment de ce régulateur, compensation des inégalités de la trame,
chasse à sabre, mécanisme à changer les boîtes de navettes, etc.
Le matériel de fabrication du velours a subi des modifications plus
profondes. Un constructeur français exposait en 1 900 de remarquables
métiers tissant à la fois quatre pièces en velours de soie ou deux pièces
en peluche de soie pour chapellerie, à la vitesse de 1 3o ou 1 4o coups
par minute. La disposition la plus intéressante était celle de la coupe '
du poil, réglée avec une précision pour ainsi dire mathématique; tra-
vaillant toujours dans le même sens, le couteau s'armait à gauche sur
un taquet à ressort, se désarmait au bout de sa course à droite, puis
revenait sans toucher le tissu.
Un nouvel appareil brodeur s'applique à tous les métiers de tissage,
marchant avec ou sans jacquard , et permet de broder en tissant sans
diminuer la production du métier. Les effets sont obtenus au moyen
d'excentriques ou cames à profils variés. On fait ainsi des articles
qui ne pouvaient jusqu'ici être obtenus qu'à la main et au battant*
brocheur*
De cet appareil, il est naturel 'de rapprocher une machine réalisant
à bon marché l'application automatique de la broderie perlée sur les
tissus.
Si les machines de préparation n'accusent pas de réforme profonde,
elles ont cependant bénéficié de perfectionnements multiples.
MATÉRIEL DU TISSAGE. 257
2. Métiers pour tissus à jours ou à mailles. — i . Métiers pour
tulles et dentelles mécaniques. — L'industrie des tulles et dentelles
mécaniques a son origine première dans l'invention du métier à bas
par le Révérend William Lee, de Calverton près Nottingham, au
xvi* siècle.
D'après des récils quelque peu légendaires, un fabricant de bas au
métier, Hammond de Nottingham, serait parvenu en 1768 à produire
une sorte de tricot à mailles coulantes , dit tricot de dentelle. Ce qui est
certain, c'est que, dès cette époque, la fabrication automatique de
tissus à jours, comme le tulle, imitant d'une façon plus ou moins par-
faite la dentelle è la main, commençait à provoquer de nombreuses
recherches, notamment en Angleterre.
Lyon parait être la première ville de France où aient été employés
des métiers mécaniques propres à fabriquer les tulles de soie et fondés
sur Taddition d'une chaîne à la trame de l'ancien métier à bas. Bientôt,
les appareils lyonnais furent perfectionnés dans la Grande-Bretagne,
où leur usage présentait plus d'intérêt encore, eu égard au prix élevé
de la main-d'œuvre et à la moins grande habileté des ouvriers dans
cette spécialité. Malgré les perfectionnements ainsi réalisés au delà
de la Manche , les produits français conquirent une très grande vogue
et purent longtemps soutenir la lutte contre les tulles anglais, grâce
aux ingénieuses combinaisons par lesquelles les fabricants lyonnais
étaient parvenus à les orner de dessins ou broderies, pendant le
tissage même : ces combinaisons dues pour une large part à Calas
etDenomplès, de Lyon, ainsi qu'à Grégoire, de Nîmes (iSâi), re-
posaient sur l'application de la mécanique Jacquard aux métiers à
tulle de chaîne, afin de conduire les fils brodeurs.
Entre temps et après une longue série d'essais tendant à améliorer
le métier à chaîne, les Anglais arrivaient à faire mécaniquement un
tulle très analogue au vrai réseau de dentelle. John Lindley de Nottin-
gham inventa ou plutôt réinventa en 1799 '^ bobine plate, qui est
restée le principal élément des métiers à imitation de dentelle et qui
remplit le même oflBce que les fuseaux dans la main de la dentellière.
Je viens d'écrire le mot de cr réinventions? : en effet, dès 1776, Laplace
avait présenté à l'Académie des sciences un métier dû au professeur
IBPIIVtRIl mnOIALK.
258 MATERIEL DU TISSAGE.
Leturc et comportant 700 bobines minces, chargées de trame et enfi-
lées sur des rangées de pointes horizontales ; ces pointes garnissaient
7 traverses, dont 3 étaient mobiles de façon i réaliser Tenlacement
et le croisement des fils. Le célèbre Heathcoat, utilisant la bobine
plate de Lindley, réussit à tisser un tulle dit tulle-bobin^ ayant la plus
complète similitude avec notre dentelle aux fuseaux, et contribua puis-
samment à établir l'industrie tullière dans son pays, le Nottinghamshire.
Son métier, patenté en 1809, était extrêmement ingénieux. Les fils
de chaîne se trouvaient tendus parallèlement sur deux ensouples pla-
cées lune au-dessus de lautre; quant aux fils de trame, ils étaient
disposés sur des bobines rondes, plates et très minces, dont les deux
rangées encadraient la chaîne, de part et d autre, et pouvaient en
traverser de champ les interstices. Pour réaliser ce mouvement, les
chariots de très faible épaisseur portant les bobines glissaient sur les
branches de deux peignes à lames transversales courbes, situés en
regard l'un de lautre de chaque côté an fossé , qui livrait passage aux
fils de chaîne ; ces peignes se déplaçaient parallèlement à eux-mêmes
et au fossé, de manière à avancer ou reculer exactement d'un rang,
et à faire ainsi enlacer et croiser horizontalement les fils des bobines
autour des fils verticaux de la chaîne. Chaque fil des bobines effec-
tuait ainsi un tour sur chacun des fils successifs de la chaîne. Les jours
ou treilles prenaient d'ailleurs leur forme hexagonale caractéristique,
grâce à l'entre-croisement des déplacements d'évolution des bobines
(dont les unes allaient vers la gauche et les autres vers la droite) et à
l'obliquité que l'avancement du tissu imprimait à leur translation fil
par fil.
Quel que soit le mérite des prédécesseurs de Heathcoat, ce méca-
nicien ne doit pas moins être placé en tête des inventeurs de métiers
à tuUe-bobin; on retrouve dans sa machine graduellement perfec-
tionnée le germe du métier à double barrey plus commode et plus
fécond en ressources.
Au métier primitif de Heathcoat, Lacy et Lindley ajoutèrent les
deux peignes mobiles à pointes croisées qui devaient produire le ser-
rage des treilles, déjà ébauchées par le croisement réciproque des fils
(1816). Puis on parvint à rendre le fonctionnement de l'appareil
MATÉRIEL DU TISSAGE. 259
tout à fait automatique. J. Levers apporta de grandes simplifications
au mécanisme, en laissant fixes les peignes des chariots h bobines et
en déplaçant les fils de chaîne, mis en barres, de telle sorte que chaque
bobine enveloppât alternativement deux fils voisins (i8s8, i83o et
i835). La bobine donna du reste naissance à une foule de métiers,
qu'il m'est impossible de décrire même sommairement : straight-bolt,
Iraverse-warp, pusher, circulaire, levers ou leavers, etc.
La production mécanique du tuile s'était développée en Angleterre.
Malgré les mesures de rigueur prises par le Gouvernement anglais
pour empêcher la sortie des métiers britanniques, Thomassin, de
Douai, réussit à importer, en 1816, une machine complète. En 1 8 1 7,
une autre machine à tulie-bobin échappa à la surveillance de l'Angle-
terre et fut installée à Calais par des ouvriers de Nottingham. Saint*-
Pierre-lez-Calais devint le grand centre de la fabrication française ; les
nouveaux métiers ne tardèrent pas d^aiileurs à gagner Grand-Cou-
ronne ^ près de Rouen, Lyon et Saint-Quentin. Pour la région lyon-
naise notamment, l'introduction du métier à bobines date de 1828,
et le mérite en revient à Dognin.
Cependant 6n n'était arrivé qu'imparfaitement, avant i83o, à
imiter les broderies à la main et à l'aiguille sur le tulle uni; les longues
recherches d'Heathcoat, pour ce genre de travail, n'avaient pas été très
heureuses. On ne savait guère mieux imiter les mats et les entoilages
de fleurs antérieurement à i835 ou i836. Vers cette époque, les
cartons et la mécanique Jacquard se répandirent dans la fabrication du
tulle-bobin ; on les employa à mouvoir des Jines-barres , pour produire
les mat-chaîne ou les mat-bobine et pour réaliser les effets de guimpe par
le déplacement des fils brodeurs, qui allaient se lier* en dessins capri-
cieux aux enveloppements des fils de chaîne par les bobines. Rien
n'empêchait plus dès lors de produire des tulles en coton et en soie,
imitant les malines, les valenciennes, etc., variés è l'infini suivant le
goût et les tendances de la mode. Ce progrès, à propos duquel il est
juste de rappeler les noms d'Isaac (Calais) et de Jourdan (Cambrai),
entraîna la diparition des métiers à chaîne lyonnais.
Depuis, les métiers à tulle ont été améliorés au double point de
vue des ressources en combinaisons et de la simplicité des organes. Ils
260 MATÉRIEL DU TISSAGE.
n'en restent pas moins des appareils complexes et délicats. Aujourd'hui,
le type dominant est celui des leavers k barres indépendantes, pourvus
de jacquards puissantes : son prix varie de 16,000 à 3o,ooo francs.
Les constructeurs français et allemands ont engagé vigoureusement la
lutte contre les constructeurs anglais; ils exposaient en 1900 des mo-
dèles remarquables, dotés d'améliorations sérieuses (navettes à réglage
automatique de la tension du fil ; frein pour le cylindre de la chaîne ,
réglant automatiquement la tension des fils; mécanisme actionnant les
chasse-navettes à l'aide de leviers doubles placés en bas; dispositif per-
mettant de lever les chasse-navettes et de remplacer les navettes à tout
point d'arrêt de la machine ; autre dispositif empêchant la mise en
marche de la machine pendant que les chasse-navettes sont levés; mon-
tage et enfilage automatiques des bobines dans les navettes; enlève-
ment automatique des bobines vides; etc.). Un de ces modèles avait
4,8 4 o navettes.
9 . Métiers pour bonneterie. — Si l'on en croit la plupart des auteui's,
le premier métier mécanique à bas aurait été construit par l'anglais
William Lee, pasteur à Woodborough, vers iSSg; l'inspiration serait
venue au digne clergjman , à la vue d'ouvrages de tricot qu'exécutait sa
fiancée : c'est pour perpétuer ce souvenir que la Compagnie de Londres
a placé dans ses armes un métier avec un ecclésiastique et une jeune
fille présentant à ce dernier une aiguille à tricoter. D'abord accueillie
avec faveur en Angleterre, l'invention ne tarda pas à inspirer des
craintes pour le travail manuel; Lee, découragé par l'indifférence de
ses concitoyens, accepta les propositions de Sully, vint s'établir à Rouen,
mais, après des alternatives de succès et de dures épreuves, mourut
dans la misère vers 1620. Les ouvriers qu'il avait formés retournèrent
à Londres, et cette ville devint bientôt un centre très important de
fabrication, alors que le passage de Lee sur le sol français n'y laissait
pas de trace.
Appréciant mieux cette fois le nouveau métier, l'Angleterre en
interdit l'exportation sous peine de mort. Un Français courageux, Jean
Hindret, pénétra cependant dans les ateliers de Londres et y recueillit
assez de renseignements pour créer, en i656, au château de Madrid
MATÉRIEL DU TISSAGE. 2G1
(bois de Boulogne), une manufacture de bas pourvue de métiers mé-
caniques et spécialement destinée au travail des articles de soie.
Une obscurité assez profonde entoure les premiers développements
du métier de William Lee. On sait néanmoins qu'il est parvenu depuis
longtemps à un état relatif de perfection. Ses aiguilles rangées paral-
lèlement dans un même plan horizontal et recourbées à leur extré-
mité en forme de crochet flexible; ses platines à double échancrure,
maintenues dans des ondes à bascule, dont Tabaissettient replie en
feston le fil étalé sur les aiguilles; son chariot mû à la main, portant
réquipage entier des platines et des ondes à bascule, et permettant de
pousser un feston formé sous les crochets pendant que le précédent
passe au-dessus et va tomber en avant pour constituer une rangée de
mailles, tous ces organes témoignent d une sagacité et d'une profon-
deur de conception vraiment merveilleuses. Leur complication même
semblerait indiquer une longue élaboration par plusieurs générations
successives. Bien que les détails du mécanisme aient subi plus tard
de nombreuses modifications, le principe fondamental na pas varié.
Jusqu'en 1768, la machine primitive ne subit aucune transfor-
mation essentielle. À cette époque, le mécanicien anglais Strutt lui
ajouta une mécanique à bascule, portant un second rang d'aiguilles,
en avant du premier, de manière à adapter le métier au tricotage des
bas à côtes. Cette addition est devenue le point de départ de toutes les
combinaisons nouvelles d'aiguilles et de platines mobiles, qui se sont
greffées postérieurement sur l'appareil ancien, pour pei mettre de
pratiquer dans le tissu, pendant sa fabrication, des vides, des nœuds,
des côtes imitant plus ou moins la broderie à la main. Les construc-
teurs anglais de la seconde moitié du xyiii*" siècle paraissent avoir
devancé les nôtres dans la voie de ces perfectionnements; en 1780,
le Gouvernement français dut même faire venir d'Angleterre des mé-
tiers pour bas à côtes en laine et en coton, métieis qui ne se répan-
dirent guère au Nord de Paris avant 1789.
La première tentative de fabrication des tricots à jour ou orne-
mentés semble avoir été entreprise par l'écossais Brotherston, qui, en
1774, appliqua le système de la tire lyonnaise au métier à bas ordi-
naire, afin d'opérer le basculement des ondes et des platines suivant
262 MATÉRIEL DU TISSAGE.
l'ordre réclamé par le dessin. Mais les embarras causés par Taddition
de la tire firent préférer le système plus simple des cylindres d'orgue
à dessins en relief, soulevant isolément, par Imtermédiaire de tiges glis-
santes, le bec antérieur des aiguilles à crochets. Au commencement
du XIX* siècle, et malgré le blocus continental, la Grande-Bretagne
inondait notre marché de tricots à jour, unis ou façonnés, et les efforts
de la bonneterie française demeuraient impuissants contre cet envahis-
sement.
Le§ métiers à tricot ne fonctionnaient pas automatiquement, puis-
qu'ils exigeaient l'intervention de l'ouvrier pour faire mouvoir l'équi-
page à chariot des platines à ondes. Des recherches persévérantes
furent engagées, surtout en France, pour réaliser une marche parfai-
tement continue. Elles ne devaient pas être suivies de succès avant
l'invention du tricoteur circulaire sans Jin, dont Decroix (1798), Aubert
(1802), Leroy (1808), puis Andrieux (1821), imaginèrentles premiers
éléments et où le système des platines à ondes cueillant, plissant le fil
par leurs chutes successives, faisait place à une roue mailteuse^ dont
la rotation abaissait progressivement le fil sur le corps des aiguilles.
Le tricoteur circulaire fut plus tard modifié dans ses organes fonda-
mentaux par un grand nombre de mécaniciens français, notamment
par Jacquin (1 833) et par Berthelot, et perfectionné au point de pro-
duire sans difficulté les dessins ou ornements les plus divers. Tandis
que la France établissait ses métiers circulaires, l'Angleterre en faisait
aussi , mais de systèmes entièrement différents : après des essais remon-
tant à 1 769 et dus à Samuel Wise, Brunel (auteur du tunnel sous la
Tamise) construisait en 1816 un tricoteur circulaire, repris et amé-
lioré ensuite par William Paget et Arthur Paget; Moses Melior trans-
formait de son côté l'idée primitive de Brunel ; les deux types ainsi
imaginés avaient l'avantage d'un petit diamètre correspondant à celui
du bas et permettaient à l'industrie britannique de produire des bas
tubulaires à des prix jusqu'alors inconnus. Mais on reprochait k la
fabrication des tricots en nappes cylindriques l'inconvénient d'exiger,
dans la plupart des cas, un découpage, alors que le métier ancien
n'entraînait ni la même sujétion, ni les pertes correspondantes : aussi
les fabricants de bas s'en tenaient-ils encore, vers 1 85 1 , au métier droit.
MATÉRIEL DU TISSAGE. 263
Ce métier avait reçu plusieurs améliorations. En France, Delaro-
thière s'était distingué par l'invention du métier à chaîne ou k maille
fixe et par i^elle de la mécanique à pieds; dès i83/i, le métier à
chaîne, commué avec la jacquard, fournissait des produits de fan-
taisie recherchés à cause de leur prix de revient modéré. En Angle-
terre, Luke Barton (iSSâ) et Moses Mellor (i8/i3 à i85o) avaient
réussi à faire des métiers presque entièrement automatiques, fabri-
quant à la fois deux, trois, quatre et même six bas; Tannée 1 854 vit
apparaître l'automatisation complète, y compris les mouvements do
diminution, avec les métiers Hine et Mundella, d'une part, Hine, Mun-
della et Onion^ d'autre part.
Le fonctionnement automatique du métier rectiligne à tricoter les
bas constitua une des grandes nouveautés de l'Exposition de Londres,
en 1862.
Dès lors, le progrès fut rapide. En 1867, grâce à l'application de
la double fonture au métier mécanique , grâce aussi à l'heureuse com-
binaison des transmissions de mouvement, la production du métier
rectiligne simple était centuplée. Le métier circulaire ne restait pas en
arrière; à sa puissance de fabrication (jusqu'à 5 00,000 mailles par
minute, au lieu de 5 0,000 comme sur le ipétier rectiligne le plus
complet) , était venue se joindre la confection de tricots tout à fait com-
parables aut produits des métiers droits ; il réalisait parfois des effets
analogues à ceux du métier Jacquard. Parmi les innovations relatives
an métier circulaire , on remarquait un changement profond des sys-
tèmes antérieurs, la suppression des platines et de la roue mailleuse,
l'adoption d'un nouveau type d'aiguille self-aeting^ qui effectuait elle-
même le cueillage et qui avait été inventée en i853 par Townsond.
Ce type d'aiguille apportait au métier une simplification extrême. L'une
des conséquences de son emploi était l'apparition du tricoteur omnibus,
Lamb et Buxtorf, rectiligne par sa forme, mais réunissant les qualités
maîtresses des deux systèmes, c'est-à-dire la grande production unie à
la variété de forme des pièces.
L'Exposition de 1878 fit ressortir l'usage de plus en plus général
des aiguilles self-acting et l'automatisation complète des métiers, même
pour la diminution et l'augmentation du nombre des mailles, qu'exigent
2G4 MATERIEL DU TISSAGE.
les rétrécissements et élargissements du bas tricoté. On constatait 1 ac-
croissement de production dû à la division du travail, spécialement
dans la fabrication des bas. Plusieurs emprunts directs avaient été faits
au matériel du tissage proprement dit, par exemple l'application de
larmure pour les dessins ajourés.
En 1889, le fait saillant était l'extension du domaine des tissus à
mailles. Jusqu'alors, le métier à mailles n'avait guère d'autre ambition
que de remplacer Taiguille à tricot; mais, depuis quelques annéeS, les
tissus sortant de ce métier empiétaient sur le domaine des tissus à fil
rectiligne; des tricots en laine étaient parvenus dans certains cas à se
substituer aux draps, après avoir subi le foulage, le lainage et le ton-
dage. La propagation de ces étoffes s'expliquait par la perfection do
l'outillage, qui permettait de produire désormais sur le tricot des
dessins de diflFérentes couleurs, d'y tracer des rayures ou de lui donner
un aspect velouté, tout en lui conservant ses propriétés caractéristiques
d'élasticité. Suivant le rapporteur des industries accessoires du vête-
ment, le métier Paget et ses similaires avaient épuisé leur carrière et
allaient s'effacer devant le métier Cotton , vraie merveille de cinéma-
tique, dont l'introduction en France remontait à 1867.
L'Exposition de ,1900 a montré les anciens métiers, avec des per-
fectionnements plus ou moins notables : métier-cbaîne, founiissanl
à la ganterie ses meilleurs tissus; métier circulaire à platines ou à
mailleuses, outil principal de la bonneterie coupée; métier Cotton,
producteur par excellence de l'article diminué ; métier rectiligne Onion
ou Cotton à côte, pour les articles à côte; tricoteuse rectiligne. Un
dérivé du métier à chaîne, également d'origine allemande, prévalait
sur le Drekketen; entre autres mérites, il avait celui de faire seul
dos tissus à double face, pouvant être laines des deux côtés. Parmi les
progrès du métier Cotton , se rangeaient : l'augmentation du nombre
des têtes porté à 12, 1 5 ou 18 ; l'adoption d'un système de passe-fils
donnant des imitations de broderies ; l'habile utilisation de la jacquard ,
seule ou combinée avec les passe-fils, pour l'exécution des dessins à
jour; etc. La tricoteuse rectiligne était rendue entièrement automa-
tique et pourvue de 2, 4 ou 6 têtes. D'une manière générale, les ma-
chines à tricoter apparaissaient capables de produire les articles
MATÉRIEL DU TISSAGE. 2G5
façonnés comme les métiers hollandais ou Gotton. On remarquait une
tricoteuse circulaire américaine pour maille carrée, ainsi qu un métier
Jacquard, d'Emmanuel Buxtorf, dans lequel le dessin s exécutait au
moyen de cylindres reproducteurs et par contact électrique.
3. Statistique commerciale. — La situation de la France au point
de vue de la fabrication du matériel s'est sensiblement améliorée vers
la fin du siècle. Nous avons maintenant, pour les métiers de tissage
proprement dits comme pour les métiers à bonneterie , des spécifilistes
expérimentés et sûrs d'eux-mêmes. Cependant notre pays reste tribu-
taire de l'étranger.
Pendant la dernière période triennale du siècle, l'excédent annuel
moyen des importations sur les exportations a été le suivant : métiers
à tisser, i,5&3,ooo francs; métiers à bonneterie, 2 28,000 francs;
métiers à tulles et à dentelles, 1,067,000 francs. Nos achats de mé-
tiers 4 tisser se font en Angleterre, en Allemagne, en Suisse et en
Belgique; ceux de métiers à bonneterie, en Allemagne et en Suisse;
ceux de métiers à tulles, en Angleterre, en Allemagne et en Suisse.
200 BLANCHIMENT, TEINTURE, IMPRESSION, APPRÊT.
S 3. MATÉRIEL ET PROCÉDÉS DU BLANCHIMENT, DE LA TEINTURE,
DE L'IMPRESSION
ET DE L'APPRÊT DES MATIÈRES TEXTILES.
1. Observations diverses sur les fibres textiles. — Entre le mo-
ment où elles sont enlevées à leur lieu d origine et celui où elles
apparaissent sous forme de tissu teint ou imprimé , les fibres textiles
subissent de nombreuses manipulations pour lesquelles Tbabileté du
mécanicien, la science du chimiste et lart du dessinateur se prêtent
un mutuel concours. C est surtout le rôle de la chimie qui sera exa-
miné dans ce chapitre.
La chimie prépare les substances propres au blanchiment, extrait
les matières colorantes élaborées par la nature , crée de toutes pièces
des couleurs bien plus riches, plus belles et plus variées que celles
dont les phénomènes naturels ont eux-mêmes réuni et combiné les
éléments; elle fournit, dans chaque cas, les procédés les plus conve-
nables de blanchiment, les meilleures méthodes de teinture et d'im-
pression.
Ces procédés et ces méthodes changent notamment avec la nature
des textiles. Selon leur espèce, en effet, les fibres possèdent une com-
position chimique et des propriétés distinctes; tandis que les fibres
végétales sont principalement formées de cellulose, la laine et la soie
appartiennent au groupe des matières azotées, protéiques ou albumi-
noïdes, et Ion conçoit sans peine que de telles différences dans la
composition entraînent des différences correspondantes dans l'action
des réactifs. Pour ne citer que certains exemples, les alcalis, sans
influence marquée sur la cellulose et sur les fibres végétales, dis-
solvent au contraire et altèrent profondément la laine et la soie ; les
acides peuvent respecter la laine et détruire le coton, le chanvre, le
lin; de nombreuses matières colorantes, en particulier celles qui
dérivent de Taniline, se combinent directement à la fibroïne de la
soie et à la kératine de la laine , et ne présentent que fort peu d'affi-
nité pour le coton.
Si écourté soit-il, ce simple aperçu permet de comprendre le carac-
BLANCHIMENT, TEINTURE, IMPRESSION, APPRÊT. 267
tère chaque jour plus scientifique des industries du blanchiment, de
la teinture et de l'impression, ainsi que Tinfinie variété des moyens
dont la mise en œuvre entre dans leur domaine.
Gomme la plupart des auteurs ayant écrit sur la matière , je rap-
pellerai d'abord quelques faits intéressants qui se rattachent à l'étude
attentive des fibres textiles et de l'action exercée sur elles par les alca-
lis , les acides ou les sels.
Mercerisées, c'est-à-dire soumises à des lessives caustiques suffi-
samment concentrées , les fibres végétales subissent une assez forte
contraction. Cette propriété a été, depuis longtemps déjà, mise à
profit par divers industriels pour produire des reliefs, des effets de
crêpage sur les tissus de coton : il suffit d'imprimer sur l'étoffe des
bandes à la soude ou encore d'y imprimer des réserves à la gomme et
de la passer ensuite à la lessive; la contraction se trouve limitée à cer-
taines parties du tissu et les zones soustraites à l'alcali sont soulevées.
Un autre effet analogue est celui du bosselage, obtenu par les alca-
lis concentrés sur des tissus mixtes en fils de coton et en fils de laine
ou de soie. Les fibres végétales se contractent, alors que les fibres ani-
males conservent leur longueur ; on doit avoir soin de ne pas prolonger
l'opération et de l'effiectuer à basse température, faute de quoi la laine
et la soie risqueraient d'être dissoutes.
Le retrait des fibres végétales sous l'influence des alcalis caustiques
peut aussi être utilisé pour accroître la force et l'élasticité des tissus
légers de coton, avant leur gaufrage à chaud. '
Par le mercerisage, le coton acquiert une affinité supérieure pour
les colorants et se teint en nuanciBs beaucoup plus foncées.
Une nouveauté de la fin du siècle est le mercerisage sous tension, qui
donne au coton le brillant et l'éclat de la soie. MM. Lowe, d'une part,
Thomas et Prévost, d'autre part, sont les inventeurs du procédé. Le
lustre résiste aux lavages. On applique le mercerisage sous tension soit
aux écheveaux, soit aux tissus; le coton similisési de nombreux emplois.
Des effets de damassé sont obtenus par l'impression de réserves à l'al-
bumine ou à la caséine. L'illusion de l'apparence soyeuse s'accroît au
moyen de la compression, à haute température, par un rouleau ou une
2G8 BLANCHIMENT, TEINTURE, IMPRESSION, APPRÊT.
plaque métallique portant l'empreinte d'une étoffe de soie ou gravés
en hachures.
Pour le jute comme pour le coton, la soude ou la potasse caustiques
déterminent une forte contraction et exaltent l'aptitude à prendre les
couleurs. Le jute mercerisé offre un aspect laineux ; il est très employé
dans le Nord de la France.
Quand on imprègne partiellement un tissu de laine avec une lessive
de soude caustique ou carbonatée et qu'on le sèche ou le vaporise, puis
qu'on le lave, les parties ainsi imprégnées apparaissent avec un ton
plus sombre lors de la teinture. L'acide sulfurique peut amener le
même résultat. Ce phénomène permet aisément de faire des tissus en
deux tons d'une même couleur, de réaliser des effets de broché ou de
ciselé; il est aussi susceptible de faciliter la production d'étoffes ayanl
le fond d'une couleur et le dessin d'une autre.
Aimé Girard avait étudié l'hydratation de la cellulose par les acides
forts et décrit, sous le nom d'hydrocellulose, le produit de cette hydra-
tation. Des observations postérieures ont prouvé que le trempage des
fibres de coton dans les acides pouvait développer leur affinité pour
certaines matières colorantes.
À l'action des acides sur les fitres végétales se lie l'épaillage chi-
mique, opération ayant pour but de débarrasser la laine et les tissus
de laine des matières végétales qui y sont mêlées. L'épaillage chimique
est fondé sur la destruction de la cellulose par les acides. Parmi les
nombreux procédés en usage, on distingue trois types principaux:
éj)aillage parles acides dilués (voie humide); épaillagepar les acides
gazeux (voie sèche); épaillage par les dissolutions salines (décomposi-
tion du sel et action de l'acide sec naissant). Généralement appliqué
aux laines en mèches, le premier procédé comporte les manipulations
suivantes : lavage et immersion dans un bain d'acide sulfurique étendu
à 5 degrés Baume ; égouttage et essorage , les rouleaux exprimeurs de-
vant, être préférés à l'essorage centrifuge, qui porte les fibres à se feu-
trer; passage dans l'étuve, où les substances végétales sont carbonisées
avec les précautions voulues pour ne point jaunir la laine et ne pas
lui enlever son élasticité; introduction dans des battoirs-broyeurs, qui
pulvérisent les matières carbonisées; désacidage par leau, le savon et
BLANCHIMENT, TEINTURE, IMPRESSION, APPRÊT. 269
les cristaux de soude; rinçage. Les tissus blancs ou teints en nuances
très solides s'épaillent également par immersion dans un bain d'acide.
Quant aux autres articles, on ne les épaille guère qu'au moyen de dis-
solutions salines (chlorhydrate d'alumine ou chlorure de magnésium).
Une application fort intéressante de l'épaillage chimique est celle
qui a pour objet d'ouvrir des jours dans les tissus. La méthode consiste,
par exemple, soit à imprimer un tissu laine et coton avec une réserve
chimique et à le plaquer en chlorure d'aluminium pour lui faire subir
l'épaillage, soit à imprimer sur le tissu du chlorure d'aluminium et à
le faire passer par l'étuve. On produit de très belles broderies à jour,
en brodant sur coton avec de la laine ou de la soie et en épaillant; in-
versement, on peut obtenir des broderies de coton k jour, en brodant
sur un fond de laine et en le détruisant par la soude caustique.
Soumis à l'épaillage chimique^ les fils mélangés acquièrent plus de
souplesse et de douceur.
Le crêpage de la laine s'effectue industriellement par rem[)loi
d'acides, de sels acides, de réducteurs, etc., combiné ?ivec le vapori-
sage. Il semble que les sulfocyanates présentent des avantages au point
de vue du danger d'altération éventuelle de l'étoffe.
Dès 1862, Jules Persoz avait observé l'action dissolvante du chlo-
rure de zinc concentré sur la soie du mûrier et en avait déduit une
méthode de dosage pour les tissus mélangés. Ce réactif, moins concen-
tré, est capable de rétrécir et de crêper les tissus de soie. Le crêpage
des étoffes de soie se réalise aussi à l'aide des acides.
En 1889, M. Witz s'est livré à de beaux travaux au sujet de Toxy-
cellulose. Cette substance, développée dans les tissus de coton par le
chlorure de chaux et par d'autres agents d'oxydation, décompose les
solutions salines métalliques, attire les couleurs basiques, repousse
les couleurs de nature acide. La découverte de l'oxycellulose a jeté la
lumière sur des faits jusqu'alors inexpliqués ; elle a surtout conduit à
des observations importantes en ce qui concerne le blanchiment,
montré les précautions que nécessite l'usage du chlorure de chaux,
établi qu'il fallait recourir exclusivement à des solutions limpides , di-
minuer la force de ces solutions, réduire le nombre des chlorages,
éviter le grand air et la lumière trop vive. Ce n'est pas seulement pour
270 BLANCHIMENT.
le coton que ces précautions Vimposent, c'est encore pour les autres
fibres végétales, lin, chanvre, jute.
Le chlorage des tissus de laine destinés à l'impression rend les
nuance plus unies et plus intenses.
Depuis quelques années, Tindustrie tisse des laines dotées d'un
éclat soyeux par un traitement au chlorure de chaux, aux acides, au
chlore gazeux.
À l'étude des fibres textiles se lient les travaux entrepris par C&e-
vreul et poursuivis par d'autres savants sur la composition des matières
accompagnant la laine brute. Le liquide sudorique du mouton ren-
ferme les principes de l'urine dos herbivores, ou du moins leurs pro-
duits de décomposition, et, à l'état de sels de potasse, presque tous les
acides de la série grasse, y compris l'acide caprique; il contient aussi
de l'acide malique et de l'acide succinique.
Les indications relatives aux soies artificielles trouveront leur place
dans un autre chapitre. Je ne veux signaler ici que l'une des substances
propres à donner des soies de ce genre, la viscose découverte grâce aux
travaux récents de MM. Cross, Bevan et Beadle. On prépare la viscose
en traitant la cellulose par la soude caustique, puis, en vase clos et
à la température ordinaire, par le sulfure de carbone; les grumeaux
fournis par la réaction sont solubles dans l'eau. La solution se gélati-
nise soit lentement à la température ordinaire, soit rapidement à 80
ou 90 degrés, et le viscoïde ainsi obtenu ressemble à la corne, se tra-
vaille sans difficulté, peut prendre un beau poli. Entre autres applica-
tions de la viscose aux industries qui nous occupent actuellement, il
y a lieu de citer, outre le tréfilage: l'emploi en impression, avec des
pigments appropriés et notamment du kaolin, pour faire des damas-
sés: l'apprêt des étoffes, en particulier des tissus de coton; la confec-
tion de tissus gaufrés, imitant le cuir.
2. Blanchiment. — Quelle que soit leur origine, les fibres textiles
contiennent des substances plus ou moins colorées qui leur donnent
un ton jaunâtre, fauve, désagréable à l'œil, et dont l'élimination est in-
dispensable non seulement pour ce motif, mais aussi parce qu'elles
peuvent altérer considérablement la pureté et l'éclat des couleurs de
BLANCHIMENT. 271
teinture ou d'impression. D'autre part, les tissus, à leur sortie de
la fabrication, sont recouverts ou imprégnés dun grand nombre de
matières étrangères, corps gras, matières résineuses, apprêts, etc.;
parmi ces matières, les unes s'opposent à la fixation de couleurs, les
autres agissent comme mordants et déterminent cette fixation d une
manière irrégulière, de telle sorte que, sans leur enlèvement préa-
lable, il serait impossible de produire des teintures unies ou des im-
pressions correctes. On donne le nom de blanchiment k lensemble des
opérations ayant pour objet de dépouiller les fils ou tissus des sub-
stances qui les souillent et de les décolorer. Ces opérations chimiques
varient avec la nature des fibres.
Jusqu'à la fin du xviii^ siècle, la méthode généralement en usage
pour lesjibres végétales consistait dans l'action alternative de lessives
alcalines plus ou moins caustiques et des rayons solaires. Le blanchi-
ment exigeait plusieurs mois et immobilisait de vastes étendues de ter-
rain. C'est k la fin du xviii* siècle que se place la découverte la plus
importante dans l'art du blanchiment: Scheele avait isolé le chlore et
constaté son action destructive sur les couleurs végétales; en 1786,
Berthollet, reprenant les études de Scheele, reconnut qu'il y aurait
avantage à substituer une solution de chlore au gaz lui-même et pro-
posa de blanchir les tissus par des immersions alternatives dans des
solutions de chlore en bains étendus et dans des lessives alcalines; il
donna d'ailleurs la théorie chimique des effets produits par le chlore.
La belle découverte de Berthollet constituait une véritable révolution.
Watt, qui avait assisté à quelques-unes de ses expériences, en comprit
immédiatement la valeur et dota l'Angleterre du blanchiment au
chlore, alors que la France se confinait encore dans ses anciens procédés.
Voici quelle est aujourd'hui la méthode classique pour les tissus de
colon. Tout d'abord, les pièces subissent le grillage ou le flambage,
dont le but est d'enlever de la surface du tissu les nœuds, les parties
pelucheuses et duveteuses qui la recouvrent (^'. Cette opération s'effec-
tue tantôt par le passage au-dessus d'une plaque métallique chauffée
au rouge, tantôt au moyen d'un cylindre grilleur également porté à
^'^ Autrefois, on tondait Téloffe soit à la main et à Taide de ciseaux courbes, soit au moyen
d'une machine dite tondeuse.
272 BLANCHIMENT.
une haute température , tantôt par l'action des flammes d un mélange de
gaz et d'air, sous une pression de 3o à 80 centimètres d'eaii. Des pré-
cautions doivent être prises pour éviter que les sels introduits dans
lencollage de la chaîne n'altèrent plus ou moins profondément les fibres
lors du flambage.
Après cette opération préliminaire vient le trempage, qui comporte
de nombreuses variantes: immersion, pendant vingt-quatre heures,
des pièces écrues dans l'eau chaude; mouillage au clapot, où l'étofl^e
circule dans l'eaù et se trouve fortement comprimée entre des cylindres
en bois; lavage dans des roues, vastes tambours de bois divisés en
compartiments que séparent des cloisons percées de trous; circulation
guidée par des roulettes dans des cuves spéciales, puis laminage entre
des cylindres presseurs.
Le trempage est suivi du passage au lait de chaux, destiné à
attaquer les matières grasses et à les transformer en savons avec élimi-
nation de glycérine; ce passage a lieu dans une cuve avec cylindres
presseurs et se fait ordinairement à froid. Pour que la saponification
s'effectue , il faut soumettre à une longue ébullition le tissu imprégné
de lait de chaux. Les appareils employés dans cette phase des opé-
rations sont les uns à haute pression, les autres à air libre ou à basse
pression. Chacune des deux catégories d'appareils a ses avantages et
ses inconvénients : la première facilite la saponification, mais affaiblit
quelquefois le tissu; si la seconde n'offre pas les mêmes dangers pour
la solidité de l'étoffe, elle augmente la durée, le nombre et le prix de
revient des manipulations. Dans tous les cas, les tissus doivent être
traversés de part en part; il importe, d'ailleurs, de ne pas oublier que
la chaux attaque énergiquement la cellulose en présence de l'air,
surtout à une température élevée. Généralement, les appareils à basse
pression sont formés de vastes cuves en tôle avec double fond; la
lessive, interposée entre les deux fonds, s'élève, sous la pression de la
vapeur, dans un tube terminé par un champignon , se déverse sur les
tissus et filtre à travers la masse. Quant aux appareils à haute pression,
ils sont constitués par des chaudières closes, dans lesquelles la circu-
lation du liquide est déterminée au moyeii d'un courant de vapeur ou
mieux à l'aide d'une pompe.
BLANCHIMENT. $>?3
A la suite du premier passage alcalin, le tissu subit un lavage à
fond dans des clapots ou appareils analogues. Ce lavage ou dégorgeage
présente une extrême importance; il se reproduit, du reste, après
chaque opération.
Les pièces complètement nettoyées sont soumises à un passage en
acide , qui décompose les savons calcaires , met les acides gras en liberté ,
dissout l'excès de chaux, les oxydes métalliques et une partie de la
matière colorante. On fait usage de T^cide sulfurique ou plutôt de
l'acide chlorhydrique. Les appareils consistent en clapots ou cuves de
bois à double fond, avec pompe pour relever le liquide et le rejeter
au-dessus des tissus.
Un nouveau dégorgeage a lieu. Il est suivi d'un deuxième passage
alcalin au carbonate de soude, qui dissout les acides gras et forme avec
eux des savons solubles. Le carbonate de soude peut être remplacé
par le savon de colophane : celui-ci a la propriété de détruire les ma-
tières résineuses inhérentes à la fibre du coton et fonctionnant comme
mordants.
Ce second traitement alcalin, complété par un lavage, clôt la phase
du dégraissage.
Le tissu doit se trouver alors dépouillé des matières étrangères qu'il
renfermait, à l'exception de la matière colorante. Cette dernière est
détruite par le chlore. Jadis, on employait une solution aqueuse de
chlore; plus tard, on a recouru à une solution de chlorure de chaux,
en ayant soin de la prendre absolument claire, précaution indispen-
sable pour éviter que des parcelles en suspension ne se fixent sur le
tissu et n'y déterminent des brûlures pendant le passage en acide. Une
fois imprégné de cette solution, le tissu est exposé à l'air, dont l'acide
carbonique décompose l'hypochlorite de chaux et dégage de l'acide
hypochloreux; puis il est traité par un acide faible, ordinairement de
lacide chlorydrique , qui achève cette décomposition et dissout la
matière colorante, modifiée par l'action' du chlore ou de l'acide hypo-
chloreux. Les appareils utilisés sont des clapots, des réservoirs en
ciment ou en pierre à fond perforé , des cuves à roulettes et squeezers.
Enfin tout se termine par un lavage très soigné : s'il restait une
quantité même très minime d'acide en contact avec la fibre, cet acide
i3
tlirilllfEBIB XATIOXALI.
274 BLANCHIMENT. ^
se concentrerait par la dessiccation et déterminerait une altération du
tissu.
A ce moment, le blanchiment est achevé. Les opérations subsé-
quentes, telles que le séchage soit à l'air libre, soit au tambour à va-
peur, après essorage à l'hydro-extracteur ou au squeezer, ne s'y ratta-
chent qu'indirectement.
Telle est, dans ses grandes lignes, la méthode en quelque sorte
classique pour les tissus de coton. Il convient de réduire autant que
possible le chlorage, toujours plus ou moins dangereux , sinon au point
de vue de la solidité des fibres, du moins au point de vue de la tein-
ture ou de l'impression, sauf à accroître le nombre et la durée des
lessivages alcalins.
D'autres procédés sont également en application. H. Kœchlin a pré-
conisé le suivant : passage à froid dans un bain d'acide sulfurique à
9 degrés Baume; lavage à fond; trempage dans une solution de soude
caustique et de bisulfite de soude à la température de 70 degrés;
traitement dans un grand cylindre horizontal en tôle par une solution
de soude caustique et de soude avec de la colophane, sous une faible
pression; chlorage; passage au clapot dans de l'acide sulfurique très
étendu ; rinçage final. Certains systèmes excluent l'acide sulfurique ou
chlorhydrique. Il en est qui proscrivent tout traitement acide, tout
lessivage à chaud, et ne comportent qu'un léger lessivage à froid ou
même un mouillage à l'eau pure, suivi de la décoloration par un
hypochlorite de soude. Le chlore agissant comme oxydant, on a cherché,
mais sans grand succès pratique, à le remplacer par l'eau oxygénée.
Une méthode de chlorage, due à M. Hermite et justement appréciée,
est celle de Télectrolyse des chlorures alcalins ou alcalino-terreux.
En ce qui concerne le matériel, je me suis borné à la citation
d'exemples. Les appareils présentent une infinie variété, mais n'offrent
pas assez d'intérêt pour que leur étude de détail prenne place dans cet
exposé sommaire. •
Les écheoeaux de coton sont lavés à l'eau bouillante, passés en
chlorure de chaux et en acide, puis rincés, quand on ne veut arriver
qu'au blanc ordinaire. Pour le blanc fin, les opérations comprennent
un lessivage au sel de soude, un lavage, un passage en chlorure et un
BLANCHIMENT. 275
passage en acide, répétés une ou deux fois; elles se lerminent par un
lavage et un azurage.
Bien que le chanvre et le Un se rapprochent du coton par la com-
position de leurs fibres, ils offrent cependant un caractère spécial
méritant d'être signalé. Je veux parler de la très forte proportion de
matières résineuses, gommeuses et colorantes, mêlées à la cellulose.
Le lin peut perdre ainsi jusqu'à 3o p. i oo de son p^ids pendant le blan-
chiment, alors que la perte du coton ne dépasse pas 5 p. loo. Cette
abondance de matières étrangères conduit souvent à opérer le blan-
chiment sur le fil de préférence au tissu , parce que leur disparition
laisse dans Tétoffe des vides préjudiciables à sa résistance.
Le blanchiment des Jils de Un et de chanvre peut se faire à deux
degrés. Pour le premier, dit crémage, on pratique un lessivage au sel
de soude, un lavage, un passage en chlorure de chaux, un passage
en acide et un lavage. Arrêté à ce point, le blanchiment laisse aux
fibres plus de poids et de résistance; les fibrilles qui les composent
restent collées les unes aux autres, mais la nuance jaunâtre demeure
très prononcée. Souvent, on accuse cette nuance du fil crémé et on la
rend plus franche par une immersion dans de leau tenant en sus-^
pension de Tocre pulvérisée; la coloration factice ainsi obtenue cède à
des lavages prolongés. Quant au second degré de blanchiment, il est
constitué par des lessivages et des passages en chlore.
Pour les tism$^ il est avant tout indispensable de faire disparaître
lapprêt ou parou : en général, on se sert d une décoction d'orge ger-
mée qui, à 35 degrés, transforme les matières amylacées en dextrine
soluble dans l'eau. Ensuite viennent des opérations multiples, dont le
nombre tend toutefois à décroître et qui comprennent, par exemple,
un trempage, un lavage, une exposition sur pré, un lessivage à
l'eau de chaux bouillante, un lavage, un passage en acide sulfurique,
un lessivage au sel de soude, deux lavages suivis chacun d'une expo-
sition sur pré, un nouveau lessivage au sel de soude, un passage en
chlorure de chaux, un passage en acide sulfurique et un dégorgeagc.
Un procédé anglais, applicable an jute ^ supprime les traiteuienls
alcalins énergiques et leur substitue l'action de corps réducteurs; le
276 BLANCHIMENT.
chlorure de chaux est remplacé par un chlorure de soude, et les opé-
rations s'achèvent par une immersion en sulfite de soude. La matière
incrustante du jute peut absorber des quantités considérables de chlore;
M. Albert Scheurer conseille de diminuer la force de Thypochlorite ,
au fur et à mesure que les opérations se succèdent.
Gommé le blanchiment des fibres végétales, celui àesjibres animales
se divise en dégraissage et décoloration. Pour le dégraissage, il nç
peut plus être question d'alcalis caustiques et de chaux, qui altéreraient
les fibres: on emploie des bains de savon ou de cristaux de soude, fré-
quemment répétés et maintenus à des températures peu élevées. Pour
la décoloration, on recourt à des agents chimiques autres que le chlore,
notamment à l'acide sulfureux.
La laine ^ telle qu'elle est prise sur le dos du mouton, s'appelle
laine sarge ou laine en suint et contient, outre l'argile, le sable et les
débris de toute nature qui la souillent, une matière colorante fauve,
ainsi qu'une substance grasse, produit de l'exsudation du mouton,
plus ou moins modilié par les agents extérieurs. On sait que le suint
peut atteindre jusqu'à 55 p. loo du poids de la laine. Presque toutes
les matières composant le suint sont solubles dans l'eau; aussi çom-
mence-t-on toujours par un lavage à l'eau pure. Cette opération pré-
liminaire s'effectue souvent sur le dos même de- l'animal : les laines
ainsi préparées prennent la dénomination de laines lavées à dos; elles
perdent dans ce traitement de ao à 3o p. loo de leur poids. Quand
le lavage a lieu sur la laine en toison, on opère dans des cuves, de
telle sorte que le suint s'y accumule peu à peu , fournissant à l'eau des
savons et des corps gras qui facilitent le dégraissage. Divers procédés,
comme un passage dans dé l'eau tiède additionnée de savon vert ou
de soude caustique, permettent l'enlèvement des matières grasses que
renferme encore la laine désuintée. Une fois le dégraissage terminé,
la laine reçoit un lavage complet.
Ensuite on procède à la décoloration par l'acide sulfureux gazeux,
dans des chambres ou soufroirs susceptibles d'une fermeture her-
métique; une toile grossière étendue au-dessous des laines tamise le
gaz qui, sans cette précaution, jetterait sur elles des impuretés
BLANCHIMENT. 277
entraînées par les vapeurs. Quand le blanchiment est terminé, les
laines sont desséchées soit à Thydro-extracteur, soit au moyen d une
machine analogue aux squeezers, soit à l'air libre dans des étendages.
Les fiU et iis9U8 de laine subissent des opérations analogues. En
général, le blanchiment des tissus donne de meilleurs résultats que
celui des laines en toison. Du reste, il y a lieu de remarquer que, si
la laine doit toujours être soumise à des traitements avant la filature
et le tissage, Tensimage nécessaire à la filature n'en exige pas moins
dans tous les cas un blanchiment soigné des tissus. Le blanchiment
s'applique non seulement aux articles qui doivent rester tout à fait
blancs, mais encore à ceux qui doivent être imprimés, c'est-à-dire
recevoir des dessins variés de forme et de couleur, et dans lesquels des
effets blancs seront ménagés. Pour la première catégorie d'articles,
le blanchiment est exceptionnellement soigné et aboutit au blanc de
vente; pour la seconde, on réalise le blanc d'impression. Avant le dé-
graissage des étoffes, il faut enlever le duvet qui masque le grain du
tissu, soit à l'aide de la tondeuse, s'il s'agit de blanc de vente, soit à
l'aide de la flamme du gaz, s'il s'agit de blancs ordinaires; la pièce se
dégraisse en passant successivement dans des bains de carbonate de
soude et de savon, à une température variant de 9& à /io degrés,
puis dans un bain de rinçage à l'eau pure ; au dégraissage succède le
blanchiment par l'acide sulfureux gazeux; les tissus blanchis sont forte-
ment rincés et azurés avec des couleurs dérivées de l'aniline, opéra-
tion délicate à cause des inégalités que peut offrir la teinte sur les
différentes parties de la pièce.
En 1889, M. Persoz recommandait très fermement la décoloration
à l'eau oxygénée, comme offrant l'avantage de détruire la couleur
jaune des laines, tandis que Tacide sulfureux masquait simplement
cette couleur et la laissait reparaître si les fibres subissaient plus tard
un traitement énergique à l'eau bouillante, aux alcalis ou aux acides
forts. L'emploi de l'eau oxygénée a pris beaucoup d'extension.
Quelques appareils sont spéciaux au blanchiment des laines. Outre
les soufroirs déjà mentionnés, je citerai des chaudières en cuivre,
garnies intérieurement de toile, et des barques en bois, à roulettes,
chauffées à la vapeur au moyen d'un serpentin.
278 BLANCHIMENT.
La soie grège est toujours souillée par des matières étrangères,
matières grasses et résineuses, matière colorante, sorte de cire ana-
logue à celle des abeilles. Il existe des méthodes assez variées de
blanchiment, suivant la nature et la destination des fibres. En voici
quelques-unes, à titre d'exemples.
Pour les soies de première qualité, destinées aux tissus riches, ou
soies cuites, on procède successivement au dégommage ou décreusage,
à la cuite et à la décoloration, quand la matière nest pas blanche à
Tétat brut et doit être teinte en nuances claires ou employée blanche.
Le décreusage s'effectue à l'aide d'une dissolution de savon, vers la
température de 90 ou 96 degrés, dans des chaudières en cuivre sur-
montées de perches en bois ou de bâtons en verre; ensuite vient la
cuite par ébullition dans une dissolution de même nature. Ces opéra-
tions font perdre à la soie environ 26 p. 100 de son poids; elles ne
sauraient être prolongées trop longtemps sans enlever aux fibres une
partie de leur substance. Après le décreusage et la cuite, on lave les
soies à l'eau courante, on leur donne un léger passage en acide sul-
furique très faible et on leur fait subir deux dégorgeages, l'un à l'eau
chaude, l'autre à leau froide. La décoloration est produite par le gaz
acide sulfureux.
Le traitement des soies souples, de seconde qualité, comprend un
passage en eau régale, un lavage à grande eau, un soufrage, un
passage en savon faible et des passages à l'eau bouillante ; il ne fait
perdre que iSàaop. loodu poids.
Pour les tissus ordinaires, teints en couleurs foncées, on se borne
quelquefois à une demi-cuite, c'est-à-dire à un passage à 100 degrés
dans un bain de soude, suivi d'un simple lavage.
Dès avant l'Exposition de 1878, un fait capital s'était réalisé : la
découverte d'un moyen pratique pour décolorer les soies sauvages ou
soies tussah, envoyées par les régions asiatiques. La grège tussah se
présente sous forme d'écheveaux ayant une teinte plus ou moins brune.
A l'origine, elle était utilisée avec sa couleur naturelle dans la con-
fection de tissus mixtes imitant Técru. Après une longue suite de
recherches commencées vers 18/19, Tessié du Motay trouva en 1875
la décoloration au bioxyde de barium : la soie était maintenue
TEINTURE ET IMPRESSION. 279
pendant une heure dans un bain de bioxyde chauffé à 80 degros,
lavëe, mise dans un bain aiguise d'acide chlorhydrique et rincée;
l oxygène abandonné par le bioxyde de barium détruisait la coloration.
Toutefois le bioxyde de barium avait Tinconvénient de durcir la fibre
et d'en altérer la solidité; un progrès sérieux consista dans l'emploi
de l'eau oxygénée, en présence des alcalis et particulièrement de
l'ammoniaque; cette eau s'obtenait par la décomposition du bioxyde
au moyen de l'acide carbonique ou plutôt de l'acide fluorhydrique.
L'addition de magnésie ou de silicate de soude aux bains de blan-
chiment (au lieu de soude caustique ou d'ammoniaque) réduit la
dépense d'eau oxygénée. Parfois, le traitement se fait à l'aide du per-
oxyde de sodium, additionné de sulfate de magnésie. Le peroxyde de
sodium ou l'eau oxygénée peuvent aussi être employés en présence
d'alcools, d'aldéhydes ou d'acétones.
3. Teinture et impression. — La teinture et l'impression se tou-
chent de très près. Elles ont l'une et l'autre pour but de colorer les
fibres textiles; elles mettent en œuvre les mêmes matières premières;
elles peuvent du reste se combiner et se prêter un mutuel concours.
Mais, tandis que dans la teinture on réalise ordinairement des couleurs
unies, l'impression produit au contraire des dessins coloriés. La tein-
ture s'applique aux fibres brutes, aux filés, aux tissus; l'impression,
exigeant une surface quelque peu étendue, ne concerne que les
tissus ^^K
Si loin que l'on remonte dans l'antiquité, on trouve déjà en usage
l'art de colorer les fibres textiles et les tissus. Toutefois les peuples
anciens ne paraissent pas avoir connu l'impression proprement dite.
Celle-ci est apparue en France, en Angleterre, en Suisse, en Hollande,
pendant le cours du xvii* siècle. Une de nos premières manufactures
importantes de cotonnades imprimées fut fondée en 1769 par Ober-
kampf, à Jouy près de Versailles; bientôt des établissements analogues
s'élevèrent en Normandie, à Bolbec, à Rouen, à Maromme. De leur
côté, Mulhouse et le Haut-Rhin entrèrent en lice et marchèrent à
grands pas vers la prééminence qu'allaient leur assurer les travaux des
^*) Exeeptionnellement, elle s^applique aux écheveaux pour le chinage.
280 TEINTURE ET IMPRESSION.
Haussmann, des Kœchlin, des Dollfus, des Hartmann, des Schluni-
berger, des Schwartz, etc.
Notre pays occupa dès lors un rang élevé dans Tart de l'impres-
sion aussi bien que dans celui de la teinture. Le mérite en revient
non seulement aux industriels, mais aussi à une pléiade d'illustres
chimistes, en tête desquels se placent Bertliollet, Ghaptal et Ghevreul.
Après ces très courtes indications historiques, rappelons brièvement
les principes généraux de la fixation des couleurs.
La teinture n a pas pour but unique de colorer les fibres et les
tissus; elle doit fixer la couleur. Cette fixation ne peut d'ailleurs être
simplement superficielle, comme le serait celle d'une couleur disposée
sur une surface imperméable. Il faut que la matière colorante imprègne
le corps de la fibre et s'y fixe ensuite soit mécaniquement, soit par
affinité chimique. On ne saurait considérer comme une teinture
l'application des couleurs insolubles au moyen d'un vernis siccatif ou de
l'albumine, quelle que soit d'ailleurs l'importance dje ce procédé pour
l'industrie des toiles peintes.
Quand on veut fixer une couleur autrement que par application,
il faut avant tout l'amener à l'état de solution : c'est une condition sine
q\ia non pour qu'elle pénètre dans la profondeur de la fibre et se ré-
pande uniformément à la surface.
Si la matière colorante est insoluble par elle-même , on la dissout
au moyen d'un dissolvant physique ou chimique comme l'alcool,
l'esprit de bois, les alcalis, les acides, certains sels; parfois, on ramène
la substance par des réducteurs à l'état de matière susceptible de se
dissoudre dans l'un ou l'autre de ces dissolvants. Cela fait, on imprègne
la fibre. Tantôt le corps insoluble est faiblement retenu par le dissol-
vant et cède à l'attraction plus puissante de la fibre, s'y précipite, s'y
incorpore, s'y emprisonne en quelque sorte. Tantôt l'affinité du dis-
solvant l'emporte sur celle de la fibre, et il devient nécessaire d'opérer
le déplacement du composé insoluble par un artifice convenable, de le
précipiter de telle sorte qu'il s'incorpore à la fibre et y soit ensuite
retenu mécaniquement. Une fois précipitées soit par attraction de
porosité, soit par réaction chimique, les couleurs insolubles sont rete-
TEINTURE ET IMPRESSION. 281
nues dans la flbre et empêchées d en sortir, pour la raison même qui
s opposait à leur pénétration sous forme solide.
Les fibres animales, laine et soie, ont la propriété remarquable
de précipiter et de retenir énergiquement beaucoup de matières so-
lubles, telles que lacide sulfoindigotique, les dérivés de laniline,
lacide picrique, Téosine, etc. Il se forme là une véritable combinaison
chimique plus ou moins stable. G est' la forme la plus simple de la
teinture, puisqu'elle ne fait intervenir que deux éléments, la fibre et
la matière colorante.
Dans le cas d affinité faible ou nulle de la matière colorante pour
la fibre, on imprègne celle-ci dune substance insoluble, faisant corps
avec elle et jouissant de la propriété de se combiner avec la matière
colorante : cette substance intermédiaire, dont la destination est de
modifier Tinertie de la fibre, reçoit le nom de mordant. La fibre mor-
dancée agit alors comme agiraient la laine et la soie jsur les couleurs
daniline.
Les résultats tinctoriaux varient dans des limites très étendues sous
rinfluence de conditions physiques ou chimiques très multiples. Pour
les traduire, Chevreul a établi une nomenclature basée sur la couleur
(rouge, orange, jaune, vert, bleu, violet-rouge, formant 72 types),
sur le ton et le degré d'intensité (couleur pâle, tendre, faible, déli-
cate ou vive, vigoureuse, sombre, formant 31 tons), sur le degré de
pureté ou de mélange au gris et au noir (couleur franche, fraîche,
fine, pure ou éteinte, terne, rabattue, brune, formant 10 degrés).
L'illustre savant distinguait ainsi 1 4,430 nuances représentées par
des cercles chromatiques.
Dans l'impression, les couleurs sont fixées aux tissus, tantôt par
une véritable teinture, tantôt encore par d'autres procédés. A ce point
de vue, on les a souvent divisées en trois catégories : i"* couleurs de
teinture; 2*^ couleurs-vapeur; 3*^ couleurs d'application. M. Paul Schut-
zenberger a proposé une autre classification des méthodes de colora-
tion et distingué la fixation mécanique des couleurs insolubles, la
combinaison de la matière colorante aux fibres, l'incorporation de la
couleur aux fibres sans combinaison chimique. De courtes indications
282 TEINTURE ET IMPRESSION.
suffiront pour mettre en lumière le lien entre ces deux classifications,
qui, du reste, ne sont pas les seules.
Pour la fixation mécanique des couleurs insolubles, on applique la
matière colorante en poudre impalpable et on la fixe par l'intermé-
diaire d un corps qui devient solide et généralement insoluble en pré-
sence de la fibre, comme Talbumine, le gluten, la caséine, la gomme-
laque. Ces substances jouent le rôle de fixateurs plastiques. Il y a là
un procédé rappelant par ses effets la peinture à Thuile; les premiers
essais ont été faits en 1 820 par Blondin, à la Glacière, avec de Toutre-
mer naturel.
La combinaison de la couleur avec la fibre s'obtient de deux
manières. On peut opérer par immersion dans un bain de matière
colorante, après avoir imprimé préalablement une préparation qui
s oppose à la teinture (réserve), ou sauf à détruire la couleur par
places en appliquant après teinture une préparation appropriée
(enlevage). On peut aussi imprimer la matière colorante en disso-
lution épaisse et déterminer la teinture par exposition du tissu à
une chaleur humide, généralement à l'action de la vapeur d'eau;
ce genre comprend une partie des couleurs-vapeur sur laine et
9oie.
Quant à l'incorporation sans combinaison chimique, elle se réalise
par des moyens très divers : fixation, par attraction de surface, de la
couleur au moment où elle se sépare d'un dissolvant; précipitation,
par attraction de porosité, de la couleur faiblement unie à un dissol-
vant; fixation par une action oxydante qui précipite la couleur (»t
développe en même temps la nuance; application de la couleur dis-
soute et volatilisation par l'exposition à l'air ou par le vaporisage;
formation de la couleur sur la fibre par double échange entre deux
sels, un sel et un hydrate d'oxyde ou un carbonate alcalin; applica-
tion des éléments constituants d'une couleur en solution chimique et
dans un état tel que, sous l'influence de la chaleur humide (vapori-
sage pour une grande partie des couleur&-vapeur) ou du temps (pour
un grand nombre de couleurs dites d'application), ils se réunissent et
forment la couleur insoluble qui deviendra en même temps adhé-
rente.
TEINTURE ET IMPRESSION. 283
Les explications sommaires qui précèdent montrent les combinai-
sons susceptibles d'être établies entre la teinture au bain et l'impres-
sion. Il convient dy insister un peu.
Ces combinaisons si intéressantes consistent soit k imprimer avant
teinture des réserves qui s'opposeront à la fixation de la couleur, soit
à imprimer de même avant teinture des dessins formés par une
matière qui modifiera la nuance déposée par le bain , qui la conver-
tira, soit à imprimer sur le fond teint des rongeants qui détrui-
ront la couleur du fond, soit encore à imprimer après teinture des
couleurs qui modifieront la teinte par superposition ou par conver-
sion.
Les réserves agissent, tantôt en repoussant pour ainsi dire la cou-
leur (réserves mécaniques), tantôt en précipitant la matière colorante
avant son contact avec la fibre textile, en détruisant cette matière ou
en l'altérant (réserves chimiques), tantôt en l'absorbant et empêchant
son action sur la fibre (réserves physiques). Il y a les blancs réserves,
laissant apparaître la couleur propre du tissu, et les couleurs réserves,
donnant après teinture une nuance déterminée.
On distingue, parmi les enlevages, les blancs enlevages et les cou-
leurs enlevages.
Aux conversions chimiques se rattachent les conversions mécaniques
faisant, par exemple, apparaître des dessins fond sur fond, comme
dans le genre frappé^ ou provoquant des inégalités de réflexion de
lumière, comme dans le genre moiré.
Les couleurs-.vapeur, déjà citées, offrent de précieuses ressources à
l'impression et agrandissent chaque jour leur domaine. Elles se déve-
loppent par une action plus ou moins prolongée de la vapeur d'eau.
C'est un genre qui permet, grâce aux machines à plusieurs couleurs,
d'imprimer à la fois et de fixer simultanément, par une seule opéra-
tion, toutes les nuances d'un dessin. Il comprend : les couleurs inso-
lubles fixées à l'albumine; de nombreuses préparations renfermant
les matières colorantes nouvelles, dérivées de l'aniline et de ses homo-
logues; les anciennes couleurs-vapeur, dans lesquelles entrent, d'une
part, les matières colorantes naturelles, pouvant se fixer par le con-
284 TEINTURE ET IMPRESSION.
cours de mordants minëraux et employëes sous forme d extraits ou de
dëcoctions, et, d autre part, une préparation métallique, susceptible
de fournir à la matière colorante l'élément basique qui lui est néces-
saire pour former une laque. Dans ce dernier cas, la vapeur déter-
mine la précipitation de. la laque. Actuellement, la prépondérance
appartient aux couleurs sur tanin, parmi lesquelles se placent la plu-
part des couleurs d'aniline.
On se sert presque exclusivement des couleurs-vapeur pour l'im-
pression sur laine ou sur soie. L'usage s'est répandu de cblorer les
tissus de laine, ce qui exalte leur aptitude à prendre la couleur; un
traitement à l'acide sulfureux devient alors nécessaire pour annihiler
les effets de l'excédent de chlore et pour empêcher la laine de jaunir
au vaporisage.
Chevreul a étudié le rôle fixateur de la vapeur d'eau et prouvé
qu'elle n'agit pas seulement à titre de moyen calorique, puisqu'on ne
peut la remplacer par la chaleur sèche.
Il convient d'éviter l'emploi simultané de couleurs dégageant, au
vaporisage, des vapeurs acides ou alcalines qui nuiraient à l'une ou à
l'autre d'entre elles.
Une étude, même rapide, des couleurs trouvera plus naturellement
sa place dans le chapitre de l'industrie chimique.
Parmi les autres matières premières, les épaississants jouent un rôle
considérable. Leur but essentiel est de donner du liant et de la viscosité
à la couleur. On emploie, à cet effet, l'amidon, la fécule, la farine, la
dextrine, le british-gum (obtenu par le grillage de l'apiidon de maïs),
des dérivés de l'amidon et de la fécule préparés au moyen de traite-
ments par les acides, différentes variétés de gommes (gomme du
Sénégal, gomme arabique, gomme adragante, etc.), certains épaissis-
sants d'origine animale, tels que l'albumine et la caséine, parfois des
produits minéraux insolubles comme le kaolin et la terre de pipe,
l'algine ou la gélidine tirées des algues, etc. M. Jules Meyer est parvenu
à corriger le défaut de stabilité des solutions de gomme, de dextrine,
de gommeline, de british-gum, en soumettant ces substances à la
cuisson sous pression avec de la chaux caustique; il a également
TEINTURE ET IMPRESSION. 285
réussi à bien dissoudre les gommes de l'Inde par le chauffage sous la
pression d'une atmosphère,
L'albumine, la caséine, la gélatine n'ont pas pour unique objet de
communiquer au liquide la viscosité voulue; elles servent de fixateurs
plastiques pour les couleurs insolubles ou de mordants pour certaines
matières colorantes. C'est l'albumine qui constitue l'épaississant d'ori-
gine animale le plus répandu; toutefois sa fonction, jadis étendue
dans l'impression des tissus de coton, a beaucoup diminué. Au
nombre des couleurs appliquées à l'aide de fixateurs plastiques,
figurent l'outremer, le vert Guignet, le vert de Schweinfurt, le
blanc de zinc, le gris de charbon, les jaunes et oranges de chrome,
l'oxyde ferrique, le vermillon, le carmin de cochenille, les poudres
métalliques.
Nous avons vu précédemment que certaines matières colorantes ne
pouvaient se fixer sans l'intermédiaire de corps étrangers ou mordanls^
avec lesquels elles s'unissent pour former une laque. Les mordants
métalliques le plus communément employés sonl ceux d'alumine
(sulfate basique, souvent fixé par l'intermédiaire d'un acide gras;
aluminate; nitrate basique; acétate; etc.), de fer (pyrolignite, etc.),
de chrome (chrome alcalin, sulfate basique, bisulfite, mélange de
chromate neutre et de sulfite d'ammoniaque, chromate de chrome,
acétate basique, etc.); on recourt aussi, mais plus rarement, au nickel
et au cobalt. Dans certains cas, le mordant est incorporé à la fibre
avant teinture; dans d'autres, on imprime une préparation contenant
à la fois la matière colorante et le mordant, puis on détermine par
la vapeur d'eau la fixation du mordant et sa teinture sur place. Cer-
taines matières colorantes, comme l'alizarine, donnent naissance à
des- laques de nuances très différentes, selon la nature du mordant.
La teinture sur mordants métalliques a diminué pour les articles
imprimés, mais non pour les fonds couverts et surtout pour les unis.
Le véritable mordant des couleurs basiques est le tanin. Imprégnés
d'une solution tiède de tanin, les écheveaux ou les pièces sont de
suite passés en émétique, lavés et teints.
Une pratique qui s'est considérablement développée depuis vingt
ans est celle de la charge de^ soies; elle a, d'ailleurs, été perfectionnée
286 TEINTURE ET IMPRESSION.
de façon à mieux ménager la fibre. On emploie beaucoup le bicblo-
rure d'étain, qui donne à la matière un toucher particulier, conve-
nant bien à certaines étoffes, et respecte néanmoins le brillant comme
la solidité de la soie; le procédé consiste à tremper dans une solution
froide de bichlorure, à essorer, à laver légèrement, à passer dans un
bain de carbonate ou mieux de phosphate de soude et de savon;
aucune gêne nen résulte pour la teinture, si Ion a égard au rôle que
l'oxyde d'étain peut jouer, en qualité de mordant, vis-à-vis de cer-
taines matières colorantes. Le sesquioxjde de fer hydraté est appro-
prié aux noirs et à quelques nuances foncées; on utilise surtout le
mordant de rouille, obtenu en traitant par Tacide nitrique un mélange
de sulfate de fer et d'acide sulfurique; loxyde de fer vaut mieux que
Toxyde d'étain, au point de vue de laltérabilité de là fibre par Tair et
par la lumière, mais peut rendre la soie très combustible, inconvé-
nient auquel on remédie par le tanin; ajoutons encore que la chaîne
à loxyde de fer contribue à l'obtention de la couleur et à la fixation
ultérieure des . astringents. Exclusivement usitées autrefois pour les
noirs, les charges au tanin peuvent maintenant trouver leur emploi
pour les nuances les plus claires.
De même que le matériel du blanchiment, celui de la teinture et
de l'impression est très varié. Le cadre de cette revue m'oblige à citer
seulement les appareils les plus usuels.
La teinture de la laine et du coton peut se donner sur la fibre
brute simplement nettoyée, sur le filé ou sur le tissu ouvré; celle du
lin, du chanvre et de la soie ne se donne que sur le filé ou le tissu.
À peine y a-t-il lieu de faire remarquer que le matériel varie selon
l'état de la matière et se modifie aussi dans une certaine mesure avec
la nature de la fibre.
En tout cas, la substance est nécessairement immergée dans des
solutions qui exigent l'emploi de terrines, baquets, cuves cylindriques
ou rectangulaires, cuviers, tonneaux, barques ou caisses rectangu-
laires, chaudières en cuivre étamé, récipients doublés de plomb, etc.
Diverses machines sont venues successivement faciliter la manutention,
en substituant le travail mécanique au travail de Thoinme.
TEINTURE ET IMPRESSION. 287
Autrefois, le feu nu était en usage pour les chaudières métalliques.
Maintenant, le chauffage est presque exclusivement opéré à la vapeur.
Si Ton ne craint pas d'étendre le bain par la condensation, la vapeur
y arrive directement, au moyen d'un tuyau percé d orifices réparti-
teurs; sinon, elle circule soit dans des serpentins, soit dans des enve-
loppes doubles.
Pour les matières filamenteuses non filées, le teinturier peut être
conduit à remuer et à retourner la fibre avec des crochets. Souvent,
la circulation du bain colorant est assurée par une pompe.
Le procédé rudimentaire, en ce qui concerne les écheveaux, con-
siste à tremper dans une cuve, à fouler et à opérer des torsions
manuelles. Il existe de nombreuses machines, dont les organes carac-
téristiques sont, par exemple, les suivants : paires de cylindres hori-
zontaux entre lesquels 's'engagent les écheveaux et dont la rotation
fait passer successivement toutes les parties des fils dans le bain, en
même temps que leur pression exprime le liquide; jeux de bâtons
triangulaires tournants et cylindres exprimeurs; bâtons de forme
aplatie, que commandent des engrenages et sur lesquels les flottes
reçoivent tous les mouvemeùts .ordinairement effectués à la main;
doublesjeux de chevilles, les unes supérieures tournant autour d'un axe
horizontal, les autres inférieures tournant autour d'un axe vertical,
s'élevant pour suivre le raccourcissement produit par la torsion des
flottes et soulevant un poids qui remplace l'effort musculaire de
l'homme; etc.
Fréquemment, les étoffes doivent être tendues pendant leur passage
dans le bain; même alors que cette disposition est inutile, les appa-
reils diffèrent de ceux qui sont en usage pour les flocons ou les filés.
On peut citer : la Champagne, cuve dans laquelle l'étoffe se trouve ten-
due par deux cadres supérieur et inférieur, de forme hexagonale; les
cuves à roulettes, avec rouleaux exprimeurs, où le Ttissu parcourt des
circuits multiples; des cuves spéciales de teinture et de savonnage,
dans lesquelles les pièces tordues en torchon circulent sous l'action
d'un tambour supérieur; les machines classiques à foularder.
L'avivage de certaines teintures exige une température supérieure
à 1 00 degrés, et par conséquent des opérations en vase clos. Un dîspo-
288 TEINTURE ET IMPRESSION.
sitif* usuel est celui de deux chaudières à double fond, chauffées lune
à feu nu et l'autre par la vapeur de la première.
Après la teinture viennent le lavage et le dégorgeage, faits à laide
de clapots, de roues à laver ou d'autres machines dites laveuses et
dégorgeuses.
Les séchoirs occupent une place importante dans la teinture. Tan-
tôt ils sont simplement aérés à la température ordinaire; tantôt ils
fonctionnent à chaud. Parfois, la matière textile essorée y parcourt
de longs circuits, grâce à des chaînes sans fin. Dans quelques cas,
on aide à la dessiccation par des châssis ou branloires. Souvent enfin,
les tissus sont desséchés instantanément par le passage sur des tam-
bours que chauffe de la vapeur.
Il me reste à citer les appareils d'oxydation. L'un d'eux est formé
par une chambre close , où arrive de la vapeur et au travers de laquelle
le tissu passe un grand nombre de fois; des cheminées et des ventila-
teurs pourvoient à l'évacuation des vapeurs acides.
Au commencement du xix* siècle, on imprimait à la planche en
relief, à la planche plate en taille-douce^ au cylindre également en
laillc-douce (deux et trois couleui» en Angleterre, une seule en France).
Certaines couleurs d'enluminage s'appliquaient au pinceau , et d'autres
à la planche.
Bientôt, les Anglais eurent recours, pour l'impression en relief, à
des cylindres dits métiers de surface; essayé plusieurs fois chez nous,
le procédé n'y réussit pas. La planche plate gravée en relief resta assez
longtemps sans progrès autre que des perfectionnements secondaires
(accouplement de bois divers; substitution du buis au poirier et au
cornouiller, dans les planches affectées à des dessins délicats). Spœrlin
et Jean Zuber imaginèrent, en 182 4, le ^enre fondu, plus tard dési-
gné sous le nom d'ombré; ils montrèrent que des couleurs différentes,
logées dans un baquet à compartiments, pouvaient être relevées avec
la planche et appliquées sur le tissu en autant de dégradations de
nuances ; toujours effectués au début parallèlement à la direction de la
chaîne, les fondus furent ensuite réalisés dans tous les sens. Cette
méthode d'impression amena la découverte du châssis à comparti-
TEINTURE ET IMPRESSION. 289
nients, qui lit la fortune des imprimeurs parisiens et à l'aide duquel
un certain nombre de couleurs imprimées sur la planche gravée se
transportaient simultanément sur le tissu. En i835, Perrot créa une
machine dite perroliney qui, moyennant lemploi du châssis à compar-
timents, imprimait mécaniquement quatre couleurs et même davan-
tage, avec une netteté et une précision irréprochables.
Mais le succès de la perrotine, en France, et des métiers à surface,
en Angleterre, exigeait l'invention du clichage; Hoffmann, de Schles-
tadt, qui avait trouvé la solution du problème (1788-1790), mourut
sans avoir mis ses idées en pratique. On commença par des clichrs
au plâtre y comme pour la typographie. Puis vinrent les clichés au bois :
après avoir implanté dans un bloc de tilleul des lames de cuivre com-
posant le sujet et formant saillie, on y coulait de Tétain; retirée, la
lame d etain entraînait les feuilles de cuivre et, par suite de la carbo-
nisation du bois, laissait une matrice dans laquelle on coulait Talliage
et dont on pouvait tirer autant d'épreuves que de besoin. L'Angleterre
grava immédiatement la matrice en creux, à l'aide de mèches et avec
le concours du gaz, pour carboniser le bois : ce furent les clichés au
gaz. Vers 1 85o , apparurent les clichés moulés en gutta-percha.
Pour l'impression en creux , il est juste de mentionner d'abord une
machine à planche plate, due à Durand, de Lyon; cette machine dis-
parut avec l'inventeur. Le rouleau faisait merveille : avec les appareils
construits aux environs de Manchester, on imprimait huit, dix et douze
couleurs à la fois; nos constructeurs n'allaient qu'à quatre ou cinq.
Jusqu'en 1 8â o , on gravait les cylindres à la main et au poinçon , du
moins en France. Bien avant cette époque, les Anglais avaient imaginé
de graver d'abord un petit cylindre miniature en acier, ou molette ^ de
le tremper, de transporter la gravure en relief (par une machine à rele-
ver) sur une autre molette d'une surface égale ou multiple , de sou-
mettre cette seconde molette à la trempe et de l'appliquer à son tour
sur le cylindre en cuivre. L'Angleterre (i8âo), la France et la Suisse
(182/1) inaugurèrent l'emploi du tour à guillocher pour la gravure des
cylindres. Dès lors, la gravure ne cessa de recevoir d'utiles modifica-
tions, parmi lesquelles on constatait la tendance rationnelle à user des
mêmes artifices dans la gravure des molettes que dans la gravure dos
iv. 19
290 TEINTURE ET IMPRESSION.
cylindres : cette tendance fit naître la molette canevas y servant à graver
la molette proprement dite. Les graveurs français accomplirent, vers
18 4 G, au point de vue de l'impression des fonds couverts, d'im-
menses progrès dont le caractère est trop technique pour que j y in-
siste ici.
Tel était îe bilan de la première moitié du xix*^ siècle. Depuis, la
marche en avant a continué, et, sans qu'il y ait eu de découverte capi-
tale postérieurement à i85o, le matériel ne s'en est pas moins consi-
dérablement transformé.
Pendant un délai encore assez long, trois systèmes d'impression ont
vécu côte à côte : impression à la main, au moyen de planches plates
en relief; impression mécanique à la planche plate en relief; impressioji
continue au rouleau grav^ en creux.
Il y avait plusieurs sortes de planches plates en relief, pour l'impres-
sion à la main : des planches de bois, gravées; des planches sur les-
quelles on implantait de petites lames de cuivre, formant les contours
et les traits fins du dessin; des clichés métalliques; des planches en
cuivre, gravées. Les planches de bois étaient formées de plusieurs
couches d'essences différentes, superposées de manière à croiser les
fibres et commençant par une couche supérieure de poirier ou de
pommier. On appliquait la planche sur un châssis à matelas élas-
tique garni de couleur et on la reportait sur l'étoffe recouvrant une
table d'impression. À chaque couleur correspondait normalement une
planche; mais, comme je l'ai indiqué, on pouvait faire des fondus. Cer-
tains dispositifs permettaient soit de maintenir les couleurs à une
température plus élevée que celle de la salle, soit d'empêcher leur
altération par l'air; Parfois, le châssis était mobile, quand la table
d'impression avait une grande longueur. L'étendage des couleurs sur
le châssis pouvait, le cas échéant, s'effectuer automatiquement à l'aide
de ftrettr« mécaniques.
La perrotine se composait essentiellement : d'une table à trois faces,
sur laquelle circulait l'étoffe; de trois chariots portant les planches
gravées et recevant un mouvement alternatif, de manière à s'appliquer
contre les trois faces de la table d'impression ou à s'en écarter; de dis-
tributeurs et de châssis à couleurs, qui appliquaient mécaniquement
TEINTURE ET IMPRESSION. 291
ces couleurs sur les planches. Aussitôt les trois coups de planche don-
nés, l'étoffe avançait de la quantité voulue.
Dans rimpression au rouleau^ le tissu passait entre un tâniLour
presseur et le rouleau gravé, qui recevait la couleur d'un autre rou-
leau; des racles enlevaient la couleur, en dehors de la gravure. Les
rouleaux pouvaient être multipliés et donner autant de colorations dif-
férentes- Pour la gravure, on avait recours à divers procédés : poinçon
et balancier; poinçon-molette et machine à graver; molette roulante;
eau-forte; burin; tour à guillocher; pantographe et électricité. Le pro-
cédé le plus usité était celui de la molette roulante, dont le principe
a été précédemment rappelé : une fois gravée en creux et trempée, la
première molette simprimait en relief sur la seconde molette, au moyen
d'une sorte de laminoir ou presse à relever; celle-ci gravait le cylindre,
avec lequel elle était montée sur un tour spécial. Quand plusieurs rou-
leaux devaient imprimer des couleurs successives, leur diamètre allait
en croissant afin de compenser l'extension du tissu. Le nickelage des
cylindres avait constitué une sérieuse amélioration.
Il me reste encore à citer la presse écossaise pour enlevages. Celte
presse puissante maintenait une pile d'étoffe entre deux plaques de
plomb, percées d'ouvertures qui se correspondaient et faisaient office
de dessins (croix, pois, etc.); le liquide pénétrait par les orifices de
la plaque supérieure et sortait par les orifices correspondants de la
plaque inférieure.
Je laisse de côté des fabrications spéciales, comme l'impression des
étoffes de laine pour ameublement. L'examen, même tout à fait som-
maire de ces fabrications, m'entraînerait trop loin.
Aujourd'hui, les machines à imprimer au rouleau ont une prédo-
minance absolue. Elles se prêtent à un travail facile et précis. Toutes
sont munies d'un moteur indépendant, ce qui permet à l'ouvrier de
chercher avec une marche très lente la mise en rapport des différentes
parties du dessin, puis, lorsqu'il y est arrivé, de poursuivre rapidement
l'impression; l'habileté des mécaniciens a su vaincre les difficultés que
soulevait la commande électrique. II existe des machines imprimant
sur les deux faces de l'étoffe et assurant l'exacte superposition des deux
impressions. Un artifice récent, consistant à imprimer Tétoffe sans
•0-
292 TEINTURE ET IMPRESSION.
pression et à donner aux rouleaux gravés une vitesse différente de celle
du tissu engendre des effets d une variété extraordinaire et presque
illimitée.
Le matériel de l'impression ne se borne pas aux presses et à leurs
accessoires. Il embrasse une foule d appareils, dont les uns lui sont
communs avec la teinture, tandis que d'autres lui appartiennent en
propre. Les limites de cet exposé m'obligent k n'en citer que quelques-
uns.
A l'origine de la série se placent les machines battant le tissu, le
brossant, le débarrassant du duvet, des filaments et des impuretés
avant son envoi à la presse.
Le tamisage des couleurs épaissies est fait ftiaintenant par des moyens
mécaniques. Tantôt la couleur, versée dans une trémie avec tamis
métallique, se trouve aspirée à l'aide du vide; tantôt l'appareil repro-
duit automatiquement les anciennes opérations manuelles.
Divers appareils sont utilisés pour la fixation des couleurs-vapeur.
Ils fonctionnent soit à haute pression, soit à moyenne pression, soit à
basse pression. Autrefois, on se servait beaucoup de la colonne, à basse
pression: c'était un cjlindre percé de trous, autour duquel s enroulait
le tissu et où on introduisait de la vapeur, qui traversait l'étoffe. La
fpiérite, le tambour à vaporiser, la chnmbre à vapeur sont des récipients,
où les tissus convenablement disposés reçoivent l'action de la vapeur.
À la suite.de nos deux dernières Expositions universelles, les rappor-
teurs du jury ont particulièrement signalé, d'une part, de grandes
cuves avec chaînes sans fin et roulettes faisant circuler les tissus, et.
d'autre part, de petites cuves à vaporisage continu, moins coûteuses,
mais fonctionnant dans des conditions analogues.
Au sortir de la presse, les étoffes passent dans des chambres de des-
siccation. Les dispositions de ces chambres varient; mais le principe
est toujours de porter l'air du réceptacle au degré requis de tempéra-
ture, d'y introduire les tissus et de les en faire sortir, après un circuit
sur roulettes.
Pour le savonnage au large des tissus imprimés et vaporisés, les
constructeurs ont établi des cuves à roulettes spéciales, qui se divisent
en compartiments de dégommage, de premier rinçage, de savonnage.
APPRÊTS. 293
de second rinçage; des batteurs favorisent l'opération; une seconde
cuve complète le rinçage. On emploie aussi, pour le lavage des tissus
de laine imprimes et vaporisés, un appareil comprenant à la base une
cuve remplie d'eau et au sommet un tambour sur lequel s'enroule
rétoffe.
4. Apprêts. — Les tissus ne sauraient entrer dans la consommation
sans avoir subi diverses opérations qui leur donnent un aspect agréable
à lœii, un éciat particulier, un toucher spécialement approprié à leur
usage. Ces opérations, souvent fort complexes, constituent l'apprêt,
dont la bonne exécution exerce une influence considérable sur la
vente.
Parmi les apprêts, le plus élémentaire, le plus connu, est le repas-
sage du linge : la chaleur du fer, combinée avec la pression, fait dis-
paraître les plis et rend la surface brillante , surtout quand on incor-
pore au tissu un enduit gommeux ou gélatineux; il faut d'ailleurs que
le linge soit légèrement humide, afin de dégager de la vapeur et d'ac-
croître la souplesse des fibres sous le passage du fer.
D'une manière générale, les agents d'apprêt les plus usuels sont
la pression , la chaleur, l'humidité et un enduit. La pression peut se
donner entre des rouleaux, comme dans les calandres, ou à la presse
hydraulique. Tout en étant assez élevée pour sécher les objets et même
pour faire contracter les fibres, la chaleur doit rester au-dessous de la
limite qui les exposerait à des altérations : à ce point de vue, l'emploi
de la vapeur d'eau comme moyen de chauffage ofl're toutes garanties.
Il importe de ne point pousser l'humidité à l'excès; la nécessité de
vaporiser une trop grande quantité d'eau porterait obstacle aux effets
du chauffage. Les enduits le plus en usage sont l'amidon, la fécule, la
dextrine, la colle animale; on y ajoute fréquemment d'autres corps,
tels que l'alun, le savon blanc, la stéarine, le carbonate ou le sulfate
de baryte, la glycérine, etc. Une fois imprégnée, l'étoffe doit être sou-
mise à la dessiccation.
Ces courtes indications ne donnent qu'une faible idée des manipu-
lations diverses exigées par les apprêts. Les effets varient à l'infini, et
avec eux les méthodes de traitement, les agents d'action, les produits
29A APPRÊTS.
utilisés, les appareils mis en œuvre, les manutentions. ÀTapprêt quel-
quefois si compliqué par lui-même se rattachent les opérations ayant
])our but d'élargir ou d'allonger les tissus, de les fouler, de les gaufrer,
de les tirera poils, de les imperméabiliser, etc. On compte aisément,
pour certaines étoffes, jusqu'à dix-huit manipulations successives.
Prenant comme exemple Tapprét des tissus de coton, un éminent
rapporteur de nos Expositions universelles passait en revue lapprét
des tissus légers, l'apprêt chiffon, l'apprêt fleur, les sous-apprêts,
l'apprêt moiré simple ou double, l'apprêt ramé, l'apprêt glacé, l'ap-
prêt calandre, l'apprêt cylindre, l'apprêt satiné, etc.; il expliquait
comment on augmente le poids des étoffes légères, comment on en
comble les mailles, en additionnant la fécule et l'amidon d'autres ma-
tières, notamment de matières minérales. 11 décrivait le déraillage,
opération destinée à supprimer les éraillures, k rétablir la situation
première des Gis dans les tissus dont la trame et la chaîne sont sans
liaison; il montrait la machine à beetler^ servant è l'assouplissement
des satinettes ; il donnait aussi la description du tirage à poils, c'est-
à-dire du grattage au moyen d'une brosse ou d'un chardon métallique,
pour extraire partiellement les fibres et imprimer au tissu une appa-
rence pelucheuse.
Les étoffes de laine et en particulier les draps demandent des mani-
pulations spéciales , un outillage puissant. Une fois dégraissés, les draps
subissent le foulage ; à la simple action des pieds a succédé celle des
moulins y qui tout d'abord rappelaient le mortier à pilon et qui, successi-
vement perfectionnés, se sont répandus sous le nom défoulons hollan-
dais; en 1 838 , l'Angleterre nous a donné les foulons cylindriques y effec-
tuant le foulage en long et en travers, et procurant ainsi une économie
de temps notable comparativement aux anciens moulins ; il existe aussi
des foulons sphériques ou à globe. Jadis , le poil froissé par le foulage
se démêlait à la main, au moyen du chardon à foulon; vers i8o/i,
Douglas ifnporta en France la machine à lainer, agissant sur l'étoflFe à
Taide de chardons portés par un tambour; puis, après des essais entre-
pris en i8i6 (brevet de A.Dubois) et longtemps infructueux, pour
produire des chardons métalliques qui eussent l'élasticité du peigne
naturel , accrochassent bien les filaments et les amenassent à la surface
APPRETS. 295
(lu tissu sans les rompre, les constructeurs réussirent à établir d excel-
lentes garnitures de cardes avec dents de bronze, montées sur des rou-
leaux de petit diamètre et agissant sur la circonférence d'un gros cylin-
dre. Jusqu'au commencement du siècle, le tondage, qui a pour but de
couper et d'égaliser les fibres amenées à la surface du drap par le
lainage , se faisait péni^^lement de main d'homme au moyen de ciseaux
ou forces; des tondeuses mécaniques furent imaginées en Angleterre
(système Lewis) et en Amérique (brevet pris à Paris, en 1812, par
E. Jonathan pour un appareil qu'avait importé G. Bass de Boston);
vers 1 8 1 7 , J. Collier créa un bon modèle français de tondeuse à lames
hélicoïdales et à mouvement continu. On distingue les tondeuses trans-
versales et les tondeuses longitudinales : celles du premier type , aujour-
d'hui délaissées, ne donnent qu'un travail intermittent et occasionnent
une perte de temps sensible pour ramener le chariot , dérouler la pièce
et la fixer sur le bâti; le travail est, au contraire, continu avec les
machines longitudinales du système Collier, dans lesquelles l'appareil
à lames tondeuses reste fixe, tandis que le tissu se meut suivant le sens
de sa longueur. Quant aux opérations finales, dont l'objet, pour les
draps lisses du moins, est de régulariser la direction du duvet, de dé-
velopper le brillant, d'accuser le moelleux, par des pressions réitérées
avec ou sans intervention de la chaleur , elles s'accomplissent depuis
longtemps à l'aide de presses hydrauliques, où l'on place l'étoffe repliée
sur elle-même avec des cartons interposés entre les plis; on emploie
aussi dans le même but des machines cyKndriqties à presser et à décatir.
Un grand progrès a été réalisé en 1893 dans la structure des rames
(le séchage. Ces rames sont maintenant établies à étages et renfermées
dans une caisse métallique, où est insufflé et distribué de l'air chaud.
Elles n'ont pas de tambour-sécheur à la sortie et les pièces se trouvent
ainsi soustraites à l'ancien danger de rétrécissement. Un foulard d'ap-
prêt est généralement placé à Tavanl. *
Parmi les opérations de création récente se rattachant aux apprêts,
quelques-unes sont très curieuses. Tel est le polissage mécanique des
étoffes de soie ou des tissus de soie tramés coton , qui se fait à l'aide
de racles en acier sur l'étoffe soutenue par un tampon en caoutchouc
et qui efface les rayures, détruit l'aspect quadrillé ou grillagé, accroît
296 ' APPRfcTS.
ropacité du tissu. Tels sont encore : le gaufrage inaltérable jdes étoffes
(le laine ou de laine et soie, obtenu par Taction à chaud de cylindres
gravés, après imprégnation d'un hydrofuge; le gaufrage-impression,
ou gaufrage combiné avec l'impression des parties en relief; un traite-
ment spécial des velours d'Utrecht, au moyen de plaques à la fois gra-
vées et découpées, qui laissent le poil debout dans les parties décou-
pées et le sertissent par la couleur déposée dans les parties gravées; etc.
Les tissus sont imperméabilisés soit par des solutions de caou-
tchouc, de paraffine, etc., dans les hydrocarbures, soit par l'acétate
d'alumine transformé en acétate basique sous l'influence d'une tempé-
rature supérieure à 80 degrés. On recourt aussi à la suintine, à la
lanoline ou à des corps analogues.
MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L HABILLEMENT. 297
S 4. MATÉRIEL ET PROCÉDÉS DE LA COUTURE
ET DE LA FABRICATION DE L'HABILLEMENT.
1. Machines à coudre d'un usage général. — Parmi les machines
employées à la confection des vêtements, celle qui mérite la place d'hon-
neur est incontestablement la machine à coudre d un usage général.
L'idée de réaliser une couture mécanique remonte à une époque
fort éloignée. On attribue la première tentative à Karl Weisenthal,
qui y dès 1755 , se fit délivrer une patente en Angleterre; on cite aussi
un brevet pris en France, pendant Tannée 180/i, par deux Anglais,
Thomas Stone et James Henderson , dont le procédé fut du reste im-
médiatement abandonné.
Mais le mérite de la première invention ayant un caractère pra-
tique revient à un Français, Barthélémy Thimonnier, né à TArbresle
(Rhône) en 1798. C'était un pauvre ouvrier tailleur, doué de beau-
coup d'intelligence et d'imagination : il entreprit ses recherches en
1 8â5, et, après quatre ans d'un travail opiniâtre, il avait créé un ap-
pareil cousant au point de chaînette, pour lequel un brevet d'invention
lui fut délivré le 1 7 juillet 1 83o '^^.
L'année suivante, sous la raison Germain Petit et G**, une société
exploitait le brevet de Thimonnier et installait rue de Sèvres, n** 1 55,
un atelier de 80 machines pour la confection des uniformes mili-
taires. Quelques mois plus tard , une bande d'ouvriers tailleurs sacca-
geait cet atelier et brisait les machines. Le malheureux Thimonnier
n'avait pas perdu courage et allait se relever, quand la Révolution de
18/18 vint abattre ses espérances. Vainement exposa-t-il en 18/19 sa
mécanique à coudre ; vainement encore voulut-il exposer à Londres
en i85i : par un fatal concours de circonstances, il arriva trop tard
et ne put subir l'examen du jury. Décidément, la fortune lui était con-
traire. 11 mourut misérablement à Amplepuis en 1857. Son histoire
est celle de nombreux inventeurs.
Née en Europe, la machine à coudre était passée aux Etats-Unis, et
^*^ Ije brevet ^tait au nom de Thimonnier et d'un bailleur de fonds, Ferrand, son associ*^.
298 MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HABILLEMENT.
les Américain», comprenant l'importance du nouvel instrument de tra-
vail, appliquaient toutes les ressources de leur gënie inventif à l'amé-
liorer et à le perfectionner. Sans prétendre donner une nomenclature
complète des inventions, je ne puis m'abstenir de relater les suivantes,
pour la période comprise entre i84/i et i85i , date de la première
Exposition universelle internationale : machine cousant avec deux fils,
dont l'un enroulé dans une navette (Fisher et Gibbons, Elias Howe) ^^^ ;
entraînement à roue (John Bachelder) ; entraînement à griflfe et na-
vette circulaire avec crochet tournant (Allen Wilson); combinaison
heureuse des divers organes (Meritt Singer).
L'Exposition de Londres en i85i assura le succès d'Elias Howe,
qui, du reste, n'avait cessé de faire, avec son frère Amasa, les efforts
les plus soutenus pour vulgariser la machine à coudre et pour y appor-
ter des perfectionnements.
À l'Exposition de Paris, en i855, la classe de rla mécanique spé-
^'ciale et du matériel des manufactures de tissus >? comprenait une
{Jurande variété de types se rattachant aux quatre catégories suivantes :
1** machines à coudre dont l'aiguille passait complètement au travers de
l'étoffe ; 2*^ machines à coudre avec un fil, produisant un point de chaî-
nette; 3** machines à coudre avec deux fils, produisant le point de na-
vette ; k^ machines à coudre avec deux fils, produisant un double point de
chaînette. Une médaille de i'* classe fut attribuée à M. Magain, ancien
collaborateur de Thimonnier, pour sa machine à point de chaînette ou
couso-brodeur, qui n'était autre que la machine inventée par l'ouvrier
(le l'Arbresle, avec diverses améliorations : le rapporteur, Willis, pro-
fesseur à l'université de Cambridge, rendait enfin hommage à Thimon-
nier, en déclarant que son invention avait servi de point de départ à
toutes les machines plus modernes. Le jury décerna une autre médaille
de i'* classe à Singer, qui exposait une machine à point de chaînette,
avec arrêt tous les huit points. On remarquait aussi: la couseuse
Seymour; la machine à navette circulaire, avec entraînement à griffe
à quatre mouvements, de Wheeler et Wilson ; la machine à chaînette
double deGrower et Baker, particulièrement appropriée à la couture
^^ La navette avait dèjh été employée en i83a par Waker Hunl»
MATERIEL DE LA COUTURE ET DE L'HABILLEMENT. 299
(les étoffes tricotées ou jerseys; une nouvelle machine à aiguille droite,
présentant des dispositions ingénieuses pour régler la longueur du point
et munie d'un entraînement puisé dans la machine de Morey ; etc.
En 1 807 , Howe remania complètement sa machine ; il lui appliqua
la came et l'entraînement de Seymour, et lui donna la forme sous
laquelle elle a été si longtemps appréciée. Vers cette époque, Howe eut
à soutenir des procès, relativement à la priorité de l'invention de la na-
vette : il gagna sa cause en Amérique, où Singer, Wheeler et Wilson,
et d'autres encore durent lui payer redevance, mais la perdit en Angle-
terre, oii la priorité/ut reconnue en faveur de Fisher et Gibbons.
Lors de l'Exposition de 1867, la véritable innovation consistait
dans les machines à faire les boutonnières. Il y en avait de deux sortes :
les unes spéciales comme celles de Wheeler et Wilson, inventées par
les frères House^^*; les autres mixtes, c'est-à-dire pouvant servir,
moyennant le changement de certaines pièces , soit à la couture ordi-
naire, soit à la confection des boutonnières, comme celles de Wheeler
et Wilson, de Bertram et Fanion, de TAmerican button hole Company.
Pour les machines à coudre proprement dites, le progrès résidait sur-
tout dans la création de guides spéciaux permettant d'exécuter les ou-
vrages les plus variés et les plus complexes. Au milieu de beaucoup
de noms se dégageaient ceux de Howe (point lié à navette), Wheeler
et Wilson (point lié sans navette), Willcox et Gibbs (point de chaînette
bouolé à retors), Hugand (couso-brodeuse), Bonnaz (entraînement
universel), Henricksen (type originaire des surjeteuses). L'industrie
de la machine à coudre prenait un développement merveilleux, mais
se concentrait principalement en Amérique; à elle seule, la maison
Wheeler et Wilson accusait une production de 5o,ooo machines par
an, tandis que les bonnes maisons européennes n'en fournissaient pas
plus de 1 5,000.
Tout en marquant une nouvelle étape dans la voie du progrès,
l'Exposition de 1878 ne révéla, pour les machines à coudre d'un
usage général, que des perfectionnements de détail. Le public, qui
avait longtemps hésité entre le point de navette, dit point tndécou-
^'^ Ces machines ëtaieal basées sur le principe que devait i-eproduire en 1 889 la machine
Roece (éloffe fixe, organes <\e couture mobiles).
300 MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HABILLEMENT,
sable, le point de chaînette à deux fils, dit point noue\ et le point
de chaînette à un fil, fixait ses préférences sur le premier; le point de
chaînette à deux fils était abandonné pour les travaux ordinaires de
famille ou d'atelier. Au premier rang se plaçaient les machines à
manivelle, bielle ou petits excentriques, à crochet circulaire formant
navette et à aiguille courte. Le prix ordinaire des machines à coudre
avait baissé de 5o p. loo depuis 1867. D'après le rapporteur du jury,
il se fabriquait dans le monde entier &oo,ooo machines environ par
an, et nous ne figurions dans ce chiffre que pour 60,000. Cependant,
si les Etats-Unis et l'Angleterre nous devançaient au point de vue de l'in-
tensité de la production, la France se distinguait par le nombre et la
valeur des inventions nouvelles. À côté des Américains et des Anglais,
notamment de Wheeler et Wilson (titulaires de la seule grande mé-
daille, pour leurs machines à navette circulaire et à aiguille droite), la
liste des lauréats comprenait plusieurs Français : Reimann, Peugeot,
Hurtu et Hautin, Gornély, etc.
Déjà la machine à coudre était parvenue à un tel état de perfection,
qu'il ne restait plus guère de place aux innovations d'importance ca-
pitale. Les faits essentiels mis en lumière par l'Exposition de 1889
furent les suivants : triomphe définitif de la navette circulaire sur cro-
chet rotatif et des aiguilles courtes ; abandon complet des machines à
point de chaînette, sauf pour certaines coutures particulières; adoption
générale des bielles, des leviers h rotule, pour les transmissions de
mouvement; bonnes dispositions pour l'entraînement; recherches,
peu fructueuses d'ailleurs, en vue de rendre la manœuvre moins fati-
gante; améliorations dans la forme des bâtis; rapidité plus grande du
travail qui allait jusqu'à i,5oo points par minute. Sans cesse crois-
sante, la consommation était évaluée, pour la France, à i5o,ooo
machines par an. Comme en 1878, les fabriques américaines et les
fabriques anglaises, fondées par les Américains, tenaient la tête du
marché; la puissance prodigieuse de leur outillage et leur immense
publicité leur assuraient une prépondérance indiscutée ; l'une d'entre
elles annonçait une fabrication annuelle de 700,000 machines.
Depuis, les efforts des constructeurs ont continué à porter sur les
détails. Le but constant de ces efforts a été de rendre la construction
MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HABILLEMENT. 301
j)lus précise, d'établir des pièces réellement interchangeables, d em-
ployer des matériaux de meilleure qualité, de diminuer les trépidations,
d assurer un graissage automatique, d accroître la vitesse et la puis-
sance de production, de réduire le prix de revient, de spécialiser les
types suivant la nature des diverses opérations de couture. Aujour-
d'hui, la vitesse de 3,5oo tours par minute peut être pratiquement
atteinte : on est loin des âoo tours que fournissait la machine Thi-
monnier et des 3 3 points du travail à la main.
Grâce à l'abaissement du prix de vente et aux facilités de payement
par termes, la machine à coudre est devenue accessible aux personnes
les moins fortunées et a pénétré partout; les avantages de son em-
ploi, au point de vue de la rapidité et de l'économie du travail, en
font un instrument nécessaire dans le plus humble ménage comme
dans le plus grand atelier; le soin et la rigueur avec lesquels l'éta-
blissent la plupart des constructeurs en rendent l'entretien et les ré-
parations simples et faciles. Elle se prête aux ouvrages les plus variés,
les plus coquets, les plus élégants; la couture mécanique est du reste
aussi solide et plus régulière que la couture manuelle.
Malgré leur habileté, leur conscience, leur ingéniosité, la qualité
et le fini de leurs produits, nos fabricants luttent de plus en plus
péniblement contre la concurrence étrangère. Pendant les trois der-
nières années du siècle, l'importation moyenne annuelle a représenté
une valeur de 11,180,000 francs, tandis que l'exportation ne dé-
passait pas 54o,ooo francs. Les principaux pays de provenance sont
l'Angleterre et l'Allemagne; ensuite, mais beaucoup en arrière, se
placent les Etats-Unis et la Belgique.
2. Machines à coudre d'un usage spécial. Machines à broder. —
Comme je viens de l'indiquer, la spécialisation des machines à coudre
s'est peu à peu accentuée. Il existe maintenant une extrême variété
de machines spéciales employées dans la confection du vêtement, de
ses accessoires ou d'autres articles usuels. Sans en dresser une nomen-
clature complète, on peut citer à titre d'exemples les machines
suivantes : machines à deux aiguilles et à deux navettes pour piqûres
parallèles; machines pour point à jour; machines pour point de zigzag;
302 MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HABILLEMENT.
surjeteuses; machines pour boutonnières de diffërents genres; ma-
chines à ouater, pourvues de a 5 aiguilles et faisant à la fois a 5 lignes
de points de chaînette en chevron; machines .pour border les cha-
peaux de feutre; machines pour coudre les tresses de chapeaux de
paille; machines pour coudre les devants de chemise; machines pour
corsets; machines pour gants; machines diverses pour la couture des
bottes, bottines, souliers; machines pour coudre les boutons; machines
pour assembler les lés de moquette; machines pour plusieurs rangs
de coutures sur courroies; machines pour sellerie ou bourrellerie;
machines pour bâches, voiles, prëlarts; machines pour sacs. Parmi
ces couseuses, quelques-unes travaillent à fil poissé, ciré ou huilé.
Nous aurons à revenir plus loin sur la couture des chapeaux, des
gants et des chaussures.
L'une des catégories les plus intéressantes est celle des machines à
broder, dites causo-brodeurs. Dès i855, apparaissait le couso-brodeur
Thimonnier-Magnin, récompensé par une médaille de i" classe. En
1867, Hugand exposait à son tour une couso-brodeuse fonctionnant
avec des crochets, opérant sur quatre fils et donnant des produits
remarquables en broderie, soutache et application d'Angleterre.
Bonnaz montrait lun des premiers spécimens de sa machine à bro-
der, formant un point de chaînette vu du côté de la boucle : celte
machine, rendue pratique Tannée suivante, se répandit bientôt en
France, en Suisse, en Angleterre, aux Etats-Unis, et acquit à Ta-
rare, Saint-Quentin et Saint-Gall, la même célébrité que le métier
Jacquard à Lyon. Après avoir décerné à Bonnaz les éloges les plus
mérités, le rapporteur du jury de 1878 citait également d'autres
machines exposées par M. Comély et par MM. Hurtu et Hautin. A
l'Exposition de 1889, on trouvait au premier rang M. Cornély, avec
des combinaisons nouvelles réalisant tous les points de broderie ima-
ginables, soutachant, festonnant, donnant le j)oint de ganse ou d^.
cordonnet, imitant la peluche ou le velours de Gênes, etc; on revoyait
aussi le couso-brodeur Bonnaz et le bras-brodeur Hurtu-Hautin; une
machine dite éventailkuse-brodeuse autonuUiquey pour la broderie en
forme de palmette, faisait le plus grand honneur à M. Darracq. En
1 900, la maison Coruély gardait incontestablement la première place;
MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE LHAHILLEMENT. 303
elle produisait une admirable série de machines à un fil (souta-
cheuses, festonneuses, machines à broder les bas ou les gants), de
brodeuses k plusieurs fils, de machines à plusieurs aiguilles n em-
ployant qu'un fil, de perleuses. J^ France conserve la suprématie
qu'elle a acquise depuis la découverte de Tentraînement universel par
Bonnaz.
Pourvus d'une seule aiguille ou, du moins, d'un nombre restreint
d'aiguilles, les couso-brodeurs n'ont qu'une capacité de production
bien inférieure à celle des grandes machines à broder, dues au génie
inventif de Josué Heilmann, contremaître alsacien. Le mécanisme de
Heilmann, breveté en tSâg et construit dans les ateliers d'André
Kœchlin, fut exposé en i83/i et provoqua l'admiration du public. Il
ne comprenait pas moins de i3o aiguilles à deux pointes, enfilées
par le milieu, qui passaient et repassaient au travers de l'étoffe
tendue verticale;nent. Deux jeux de pinces , adaptées à des chariots de
part et d'autre du tissu, se fermaient périodiquement après avoir saisi
les aiguilles, pour les manœuvrer en faisant l'oflSce des deux mains
d'une ouvrière brodeuse. Le châssis portant l'étoffe s.e déplaçait sous
l'action d'un fort parallélogramme articulé ou pantographe, dont le
style suivait sur un tableau les contours du dessin. Toutes les lignes,
tous les contours de ce dessin se trouvaient dès lors fidèlement re-
produits. Incompris en France, Josué Heilmann dut vendre son
métier en Suisse, où il ne tarda pas à se multiplier. Sauf des perfec-
tionnements de détail, la machine Heilmann sert encore à la grande
fabricaXion mécanique; elle offre une puissance étonnante : en 1878,
le rapporteur du jury évaluait à 5oo,ooo environ le nombre jour-
nalier de points fournis par une machine suisse de 9s5 aiguilles,
sous la conduite d'un homme et de deux femmes, et faisait remar-
quer que, pour produire manuellement le même travail, il faudrait
5o brodeuses.
En 1900, M. Saurer, d'Arbon (Suisse), exposait une machine dé-
rivée ^e celle d'Heilmann, faisant de même le point de passé, mais
présentant des transformations profondes et constituant un véritable
chef-d'œuvre de mécanique. Tous les mouvements, sauf la conduite du
pantographe, ont été rendus automatiques; les chariots n'ont plus à
304 MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L HABILLEMENT.
subir leurs longs déplacements ; un dispositif ingénieux assure le rem-
placement des aiguilles dont le fil est épuisé par d'autres aiguilles
enfilées; Tenfilage se fait au moyen d'une machine spéciale. M. Sau-
rer accouple deux métiers, pourvus ensemble de 6 ù II aiguilles. Cha-
que aiguille donne environ 8,000 points doubles par journée de dix
heures.
Une autre catégorie de métiers à broder est celle des métiers dits
à fil continu^ véritables machines à coudre munies d'aiguilles mul-
tiples. Ces aiguilles ne traversent pas le canevas; elles piquent dans
le tissu et font de l'autre côté une boucle à travers laquelle passe
une navette; le fil de la navette se croise avec celui de l'aiguille pour
former le point. Ici encore, les organes fonctionnent mécaniquement;
seul, le pantographe se manœuvre à la main. Un modèle exposé en
1900 par M. Saurer présentait 46o aiguilles, fournissant 100 points
à la minute.
3. Matériel de la confection du vêtement. — Les inventeurs se
sont ingéniés à. réaliser des appareils pour la prise des mesures et
le tracé de la coupe. Des appareils de ce genre ont pam à presque
toutes les Expositions, depuis 1827, sous le nom de somatomètres ,
bustomètres, patronomètres , conformateurs, etc.
Dès 1867, on a songé à se servir de la scie à ruban pour découper
les étoffes. Le ruban est, suivant la nature du tissu, à tranchant rec-
tiligne ou à dents arrondies, fonctionnant en sens inverse de leur
marche habituelle. Il importe, afin d'éviter la rupture fréquente des
lames, de donner aux poulies un diamètre suffisant. L'emploi des
modes de graissage perfectionnés et le montage des axes sur billes
permettent de diminuer notablement les résistances passives.
Les bustes et les mannequins, propres à l'essayage des effets, sont
devenus l'accessoire presque obligé de la machine à coudre. Certains
industriels ont poussé le raffinement jusqu'à établir des mannequins
élastiques, suivant les variations du corsage et les modifications dues
à la grossesse.
Bien que fort ancien, l'outillage à presser et à repasser a reçu
d'utiles améliorations, ayant pour objet principal de réduire la fa-
MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HABILLEMENT. 305
tigue causée par la manœuvre, de pourvoir au chauffage du fer par
un foyer intérieur continu, d'éviter les gaz délétères. Une solution élé-
gante donnée récemment au problème du chauffage intérieur consiste
à utiliser Tare voltaïque ou les résistances électriques.
Les tissus se plissent à laide de machines appropriées, par exemple
au moyen de cylindres-laminoirs et d un peigne dont Tavancement
détermine la largeur des plis.
Des appareils simples et commodes permettent de faire aisément
les boutons d'étoffe et de les assortir par suite aux vêtements.
Cette nomenclature pourrait être indéfiniment allongée. Il n'y a
plus qu une chose qui ne relève pas de la mécanique industrielle :
c'est le goût.
4. Matériel de la fabrication des chapeaux. — Les propriétés
feutrantes du poil et de la laine semblent avoir été utilisées de temps
immémorial : la laine feutre naturellement; mais le poil demande
une préparation qui s'apelle secrétage et qui consiste en un traitement
au nitrate de mercure.
A la fin du xviu* siècle, l'industrie des chapeaux de feutre de poil
se pratiquait dans de petits ateliers disséminés sur tout le territoire.
L'outillage, des plus simples, comprenait un arçon, un bassin chauffe
à feu nu, quelques tables et quelques formes en bois.
Maintenant, cet outillage est bien transformé.
Tout d'abord, il y a des machines à couper le poil. Jadis, la tonte
se faisait à la main, avec une paire de ciseaux, ou plutôt avec un
ciseau droit. Une couperie mécanique, fondée à la Briche en i8a5,
ne réussit pas, et ce fut seulement en i8/i2 que la première machine
pratique put être rapportée des États-Unis par M. Othon de Clermonl.
Peu de temps après, M. Bouhey, alors simple ouvrier mécanicien,
créa un type qui lui valut à l'Exposition de 18/19 ^^ première mé-
daille et qui ne devait pas être surpassé.
C'est également M. Bouhey qui, imitant une souffleuse anglaise in-
troduite vers i845, établit en 18/18 la première souffleuse française,
pour le criblage du poil ou sa répartition en divers numéros.
Le bastissage à l'arçon était fort lent : un bon ouvrier bastissait
IT. 20
IHPMHBMI «ATlOaALI.
306 MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HABILLEMENT.
13 chapeaux par jour. De Glermont importa en 1862 la bastisscusc
américaine, qui avait pour principe i aspiration du poil projeté par
un soufflet sur un cône percé de trous (brevet français Burr et
Taylor, de i85o); Laviiie modifia cette machine, dont l'Exposition
de i855 montrait un spécimen capable de bastir journellement
5oo chapeaux. A la même époque. Caillot de Sées inventait Yarçan-
neuse mécanique, bastissant 70 chapeaux par jour et convenant bien
aux petites manufactures. La bastisseuse reçut plus tard un complé-
ment indispensable, Tinjecteur, dont le modèle devenu usuel est du
belge Rochet(i863).
Au bastissage succède le sémaussagey qui constitue un commence-
ment de feutrage. Une machine importée d'Espagne (1881) a permis
d'exécuter aisément cette opération en pressant la cloche entre deux
cônes mobiles.
Jadis, pour fouler la cloche, l'ouvrier la manipulait longuement,
enroulée autour d'un mandrin de bois, et la plongeait de temps à autre
dans de la lie de vin. Impoi*ée en i85a par de Glermont, la/ou/ewc
américaine dut à Laville de sérieuses améliorations. Vimenet, Fran-
çais établi en Belgique, créa ensuite une excellente machine à rou-
leaux garnis de bois, tournant en sens différents avec un mouvement
de va-et-vient. La lie de vin, qui faisait des chapeaux durs et empê-
chait la teinture en couleurs claires, fut remplacée par de l'acide
sulfurique dilué, dont l'emploi assura la souplesse des chapeaux,
permit de leur donner les nuances les plus tendres et valut à la
fabrique d'Aix-en-Provence une réputation universelle. On a conti-
nué à utiliser les foulons à marteaux, concurremment avec les fou-
leuses.
Après avoir subi le foulage, la cloche doit être débarrassée des
jarres restant à sa surface! Cette opération se fait à l'aide de la
ponceuse, inventée en France vers 186/1. À la même époque, nous
arrivaient d'Angleterre les dresseuses de foule et de teinture.
Peu à peu, le matériel s'est complété, pour la mise en forme et
Tappropriage, par des presses hydrauliques comme celle de Légat
(1867), ^^^ camhreuses, des toumurières, etc. La machine à coudre
est venue elle-même apporter son concours à la fabrication. *
MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HABILLEMENT. 307
En ce qui concerne les chapeaux de latne^ le matériel comprend
d'abord des machines préparatoires, effectuant le lavage de la laine,
le séchage, la carbonisation des matières végétales par des agents
chimiques ou Tégrateronnage qui extrait mécaniquement ces matières.
Les machines spéciales employées à la confection proprement
dite sont : le loup, qui ouvre la laine et la prépare au cardage; la
première carde, au moyen de laquelle on commence à placer les
fibres parallèlement les unes aux autres; la deuxième carde, finissant
le cardage, disposant la laine sur un double cône et formant ainsi
deux chapeaux qui sont ensuite séparés (appareil importé d'Angle-
terre en 1860); la sémomseuse, feutrant les cônes cardés; Isifauleuse;
la dresseuse défoule.
Quant au matériel dappropriage et de finissage, il est le même
que pour les chapeaux de feutre.
L outillage de la fabrication des chapeaux de paille offre plus de
simplicité que celui des chapeaux de feutre ou de laine. Des machines
ont été créées pour le découpage des feuilles de latanier. I^es tresses
sont assemblées mécaniquement : c'est de 1868 que date l'impor-
tation en Angleterre des premières machines faisant la couture à
points invisibles. Pour la mise en forme, on s'est servi d'abord de
iours à cylindreTy puis de presses hydrauliques ou autres, enserrant
par exemple le chapeau entre deux formes de métal chauffées au gaz.
Il y a lieu de mentionner les opérations de blanchiment ou de tein-
ture et d'apprêt à la gélatine, à la gomme, au vernis, etc.
Jusqu'ici, la machine n'a pu pénétrer sérieusement dans l'industrie
du chapeau de soie.
5. Matériel de la fabrication des gants. — Au xviii^ siècle , l'outil-
lage pour la fabrication des gants se bornait à peu de chose. La peau
était découpée avec une paire de ciseaux, et l'ouvrier faisait les cou-
tures à l'aiguille.
Xavier Jouvin a eu le mérite de transformer cette industrie. Il
imagina en 1817 des emporte-pièce compliqués, permettant de
couper d'un coup les diverses pièces, puis, en i835, l'ingénieux sys-
308 MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HABILLEMENT.
tème de mesures, universeUement adopté depuis. La France lui dut
sa première manufacture , installée dans Tlsère.
Une machine à coudre les gants fut exposée en i855; mais la
première machine pratique a été celle de Thorloger danois Hen-
ricksen, présentée à l'Exposition de 1867, P^^^ exposée de nouveau
en 1878 avec des perfectionnements. Le nom d'Henricksen et celui
de Jouvin dominent l'industrie des gants.
Depuis, les machines spéciales à coudre les gants se sont multi-
pliées. Il existe aussi des meules en émeri pour amincir les grosses
peaux, des machines pour poser les boulons, des machines à tambours
de peluche pour le lissage définitif.
6. Matériel de la fabrication des chaussures. — Le travail méca-
nique de la chaussure ne remonte guère qua i85o ou i855; sa
naissance a coïncidé avec celle des premières manufactures. Stimulés
par la cherté de la main-d'œuvre, les Américains ont imaginé des
outils remarquables; une part assez large d'invention revient aussi
aux industriels français.
Dès le début, les fabricants eurent recours aux emporte-pièce avec
balancier pour le découpage du cuir; des dispositions nouvelles ne
tardèrent pas à être inventées aux États-Unis.
Autrefois, le cambrage des tiges s'effectuait à force de bras et
demandait une main-d'œuvre considérable; aussi la tige était-elle le
plus souvent réunie à l'empeigne par une couture en rosette. Simon,
corroyeur à Paris, établit en i838 une machine à cambrer très pra-
tique, qui figura à l'Exposition de 1889 et dont les bons résultats
firent successivement adopter la guêtre en cuir pour l'infanterie et la
botte cambrée pour la cavalerie. Cette machine reçut plus tard des
perfectionnements de détail.
L'idée d'appliquer la couture mécanique à l'assemblage des pièces
du dessus tenta les fabricants de machines à coudre; en 1867, Howe,
Grower et Baker présentèrent des machines agencées pour coudre le
cuir, pour assembler ou piquer les tiges.
En 1867 également, Sylvain Dupuis exposait une excellente
machine à monter; la section américaine à l'Exposition de 1889
MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HABILLEMENT. 309
comprenait des modèles nouveaux, de beaucoup supérieurs, notam-
ment celui de Paine, et le progrès s'est poursuivi jusqu a la fin du
siècle.
La fixation des semelles peut se faire mécaniquement, soit au
moyen de chevilles ou de vis, soit par la couture. Déjà au xviir* siècle,
les chevilles étaient en usage dans certains pays; à l'Exposition de
i855 apparurent les machines américaines à cheviller, dont Ténorme
succès aux Etats-Unis ne fut ralenti que par l'invention de la couture
mécanique; le procédé n'a jamais rencontré beaucoup de faveur en
France. C'est Duméry qui, en 1844, vulgarisa les chaussures vissées:
Sellier, Lemercier et .Goddu inventèrent ou perfectionnèrent des
machines pour cette fabrication et y employèrent du fil continu en
laiton; dans les premières machines, le filet de vis se produisait au
moment où le fil allait pénétrer le cuir, tandis que, dans la dernière,
il était formé à l'avance.
Il y a plus de cent ans que la couture traversant de part en part
la semelle intérieure, l'empeigne et la semelle extérieure fut définiti-
vement abandonnée, dans le travail à la main, pour le système des
deux coutures réunissant, l'une la semelle intérieure, l'empeigne et
la trépointe, l'autre la trépointe et la semelle extérieure. La célèbre
machine, inventée en 1869 par l'américain Lyman Reed Blake, fai-
sait la couture de part en part et à chaînette, d'abord sur bigorne
fixe, puis sur bigorne tournante; celle de Keats (1878) donnait la
même couture, mais avec deux fils (navette). En 1889, l'imitation
mécanique de la couture première ne paraissait pas encore avoir
réussi; la couture deuxième triomphait, au contraire, avec la machine
Batley et Keats.
Mollière, de Lyon, prit le premier, eh 1 85 5, un brevet pour le
finissage de la chaussure par des appareils rotatifs : une fraise dres-
sait les lisses et les talons; un disque chaufl^é intérieurement eflVc-
tuait le finissage. L'américain Tapley vint ensuite et donna au fer un
mouvement rapide d'oscillation. De ces deux types d'appareils dérivent
toutes les machines de finissage qui ont si puissamment contribué au
développement des manufactures de chaussures.
Je ne saurais donner une notion plus précise de la fabrication
310 MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HAHILLEMENT.
mécanique actuelle qu'en rappelant la sërie des machines exposées et
mises en action, dans les galeries de notre dernière Exposition, par
la (f Collectivité américaines? (procédé du cousu-trépointe) :
1** Machine à graver la semelle première;
a*" Machine à relever la gravure de cette semelle;
3** Machine à entoiler la même semelle, en collant la toile, sauf
au droit du talon, à Taide dune composition caoutchoutée;
U"* Machine opérant le montage de la chaussure, après fixation de
la première semelle et de la tige sur la forme (lorgane principal est
une pince tirant les différentes parties de la tige comme le ferait un
ouvrier avec une pince à main; un semenceur automatique fixe la
tige par des pointes sur le pourtour de la première semelle; à l'en-
droit du talon, on ne se sert pas de la pince, mais une petite plaque
tend et rahat la tige, que le semenceur fixe au moyen de petites
semences; à la pointe, la semence est remplacée par un fil de fer,
dont remploi supprime le faufilage);
5*" Machine à coudre, au point de chaînette, la trépointe sur la
chaussure et à l'assembler, en même temps que la tige, sur la lèvre
relevée de la première semelle (le fil se poisse sur la machine
même);
6® Machine enlevant, par un couteau circulaire à tranchant den-
telé, les parties de tige et de trépointe qui dépassent le point;
7° Machine martelant la couture, laplatissant et relevant la tré-
pointe;
8** Presse pour le collage de la seconde semelle sur la première,
dont la partie creuse, à l'intérieur du bourrelet formé par la couture,
a été préalablement garnie au moyen de cuir ou de liège et de colle;
9*" Machine à semenceur automatique, enfonçant des clous sur le
pourtour de remplacement du talon;
1 o"* Machine pour couper régulièrement le bord de la semelle et
de la trépointe, à l'aide d'une lame oscillante, et pour graver la
semelle, à l'aide d'un couteau oscillant, sur l'emplacement où sera
pratiquée la couture;
11"* Machine pourvue d'une hélice à rotation rapide, amincissant
la cambrure et ouvrant la gravure de la semelle;
MATÉRIEL DE LA COUTURE ET DE L'HARILLEMENT. 311
13"* Machine, à alêne, aiguille et navette circulaires, effectuant la
couture, au fil poissé, de la semelle sur la trépointe;
1 3® Machine à disque rotatif pour rabattre la gravure par-dessus
la couture;
i4** Machine à porte-ouvrage oscillant et à rouleau animé d'un
mouvement de va-et-vient, en même temps qu'il tourne et s'incline,
pour faire disparaître toutes les irrégularités qui existent sur la surface
extérieure de la semelle;
i5® Machine rainant la trépointe aux endroits où elle est tra-
versée par la couture;
i6** Machine pour fixer le talon sur la chaussure, au moyen de
clous qui se rivent d'eux-mêmes à l'intérieur, et pour y adapter le
bonbout;
17** Machine à cheviller le bonbout;
18** Machines à fraiser et à gouger les talons;
19*" Machine à fraiser les lisses, c'est-à-dire les bords de la se-
melle ;
3 0** Machine à gratter les talons;
31** Machine à petits fers oscillants, chauffés par le gaz, le pétrole
ou l'alcool, pour faire briller les bords de la semelle, passés au noir;
9 3*" Machine à papier de verre et meule d'émeri pour gratter le
dessous de la semelle, les cambrures et le bonbout;
3 3** Machine analogue, terminant le ponçage dans les parties
d'accès difficile;
3 4** Machine à brosses en crin et en étoffe, déformant à froid la
semelle et le talon;
3 5^ Machine à brosse et tampons, pour nettoyer la tige et les
cambrures;
36** Machine imprimant la marque de fabrique.
7. Matériel de la fabrication des fleurs artificielles. — Naguère
encore, les fleurs artificielles étaient presque exclusivement fabriquées
à la main. Pendant les dernières années du siècle, M. Clément a doté
cette industrie de machines fort ingénieuses, dont l'objet est surtout
de découper les pétales et de les gaufrer.
\
:
312 FILS ET TISSUS DE COTON.
S 5. FILS ET TISSUS.
1. Fils et tissus de coton. — Le coton est, de toutes les matières
textiles, celle qui donne lieu, sur la surface du globe, au mouvement
d affaires le plus intense. Aujourd'hui, les tissus de coton présentent
une infinie variété et s'emploient partout, grâce à leur bon marché,
à leur solidité et à leur durée. Les préparations nouvelles, comme le
mercerisage, ne pourront qu'en répandre encore lusage.
Vers la fin du xviu* siècle, la quantité de coton manufacturée en
France et en Angleterre était respectivement évaluée à U millions et
à 1 9 millions de kilogrammes. Ainsi l'Angleterre avait déjà pris une
avance sensible. Préoccupé de cette situation et surtout de l'infériorité
de notre matériel, le Gouvernement français ouvrit en i8oi un con-
cours de machines à filer. Cependant l'emploi de la machine dans
l'industrie du coton existait à peine en France, quand intervint le
décret du ââ février i8o6 établissant le blocus continental. Réduits
à leurs propres ressources, nos fabi-icants durent améliorer leur maté-
riel; en moins de six ans, il y eut plus de soo filatures comptant un
million de broches. Le rappoit du jury de l'Exposition de i8o6
constatait que les filateurs français ne dépassaient guère le n® 6o,
malgré le débouché important offert au fil fin par les manufactures
de mousseline de Tarare et de Saint-Quentin.
Un peu avant la fin du premier Empire, la France avait doublé sa
production de 1 790 et travaillait 8 millions de kilogrammes de coton.
Quant à l'Angleterre, elle atteignait 45 millions de kilogrammes.
Les événements de 1 8 1 4 ne nous furent point favorables. Derrière
l'invasion des armées étrangères arriva l'invasion des étoffes anglaises;
le lieutenant général du royaume leva brusquement le droit dont
Napoléon I*^ avait frappé à l'entrée le coton en rame. Ce fut la ruine
de nos industriels : le plus célèbre d'entre eux, Richard Lenoir, qui
possédait 7 filatures et occupait 11,000 ouvriers, ne put résister à
la tempête et mourut quelques années plus tard dans la misère. Ce
fut aussi un nouvel élan donné à la prospérité des manufactures
anglaises.
FILS ET TISSUS DR COTON. 313
Pour y remëdier, le Gouvernement de la Restauration crut de-
voir confirmer le principe, temporairement abandonne, de la prohi-
bition des produits étrangers (Loi du 98 avril 1816).. La protection
à outrance reprenait le dessus. Quoi qu'il en soit, les capitalistes y
virent un gage de sécurité et notre industrie cotonnière se développa
rapidement. Dès 1817, nous transformions lâ millions de kilo-
grammes de coton. À la même époque, la Grande-Bretagne en manu-
facturait /i5 millions de kilogrammes. Le prix du kilogramme de
chaîne filée n** 3o s'élevait alors, en France, à 13 fr. 60; celui des
tissus anglais pour l'exportation, à la francs. On estimait à 80 mil-
lions de kilogrammes environ la quantité totale de coton consommée
en Europe.
Quand s'ouvrit l'Exposition de 1819, les filateurs français produi-
saient déjà avec une grande perfection les fils du n** 80 au n® 1 00 et
allaient même jusqu'au n"* 900. Notre production en tissus appro-
chait de 3 millions de kilogrammes. Les Anglais manufacturaient
69 millions de kilogrammes; ils avaient, dans une large mesure,
substitué la vapeur à l'action des chevaux pour la préparation dans les
filatures et à celle de l'homme pour la mise en mouvement des mulo-
jennys. Cette transformation commençait seulement à se dessiner on
France et ne devait se généraliser qu'après i83o.
L'Exposition de 1898 mit en lumière les progrès nouveaux de la
filature nationale, qui atteignait le n"" 991, et la bonne qualité do
nos tissus.
Vers 1895, la quantité de coton transformée en Europe était de
i4o millions de kilogrammes, dont 98 pour la France et 78 pour
l'Angleterre. Le prix du kilogramme de chaîne filée n** 3o descendait
a 6 fr. 4o. Se sentant assez forle, la Grande-Bretagne levait l'interdit
frappant depuis 1700 les tissus de coton, et les admettait moyennant
un droit de 90 p. 100.
En 1896, l'industrie cotonnière française entra dans une période
de crise. Cette ère de souffrance fut attribuée à la surproduction;
pourtant, nous consommions beaucoup plus de filés que nous n'en
produisions. Le mal tenait à des causes multiples : droits énormes de
douane sur les matières premières; droits de navigation; entraves à
314 FILS ET TISSUS DE COTON.
l'industrie et au commerce; haut intérêt de iargent; manque de
capitaux; prix élevë de nos produits; introduction en contrebande des
tissus ou des fils étrangers sur le sol de la France et de ses colo-
nies; etc. La Commission d'enquête chargée de faire un rapport au
sujet de la crise économique rédigea un long cahier de doléances et
présenta un programme étendu de réformes, qui ne péchait point
par défaut d'ampleur : tout y était, jusqu'au conseil dune bonne
administration et d'un loyal gouvernement, afin de ramener la con-
fiance et la sécurité. A Tenquête de 1828 en succédèrent d'autres,
spécialement celle de i83/i.
L'Angleterre continuait à progresser. Elle avait pu réduire à
10 p. 100 ses droits d'entrée sur les tissus de coton et manufacturait,
en 1 83 4 , 1 2 5 millions de kilogrammes de coton. Ses efforts se portaient
principalement vers la production des tissus communs destinés à l'expor-
tation; le prix moyen de ces tissus ne dépassait pas 6 francs par kilo-
gramme.
De son côté, l'industrie française, sortie de la période d'affaissement
qu'elle venait de traverser, et qu'avaient encore aggravée les événements
de i83o et l'épidémie de i83i, perfectionnait ses procédés. Vers
i83/i , elle travaillait 38 millions de kilogrammes de coton, possédait
3 millions de broches et 5, 000 métiers mécaniques, faisait couramment
les fils du numéro 200 et allait même au numéro 3 00, élevait à
3o grammes par broche et par journée de treize ou quatorze heures le
rendement en fil numéro 3o, n'avait plus en moyenne qu'un ouvrier
pour 5o broches, commençait à employer les métiers à la Jacquard, et
réussissait dans les tissus fins, d'une consommation malheureusement
moins considérable et d'une vente moins facile que celle des tissus
communs dont les Anglais s'étaient fait une spécialité. Le prix du kilo-
gramme de chaîne filée numéro 3o avait pu être abaissé à 5 fr. 60.
Afin de faciliter ia fabrication des tulles et des mousselines, les
pouvoirs publics venaient de lever et de remplacer par un droit pro-
tecteur la prohibition des fils numéros 1 43 et au-dessus. Cette mesure
troubla et enraya un peu la filature du coton fin ; mais le mal ne fut
pas de longue durée; d'ailleurs, comme le prix du coton filé diminuait
constamment, le droit, qui était fixe, ne tarda pas à représenter
FILS ET TISSUS DE COTON. 315
/lo p. 1 00 de la valeur, chiffre suffisant pour contenter les plus ardents
protectionnistes.
Un fait mérite encore d'être signalé à cette époque : c'est la tendance
à la séparation de la filature et du tissage, qui réussissait du resle
beaucoup mieux en France.
Lors de l'Exposition de 1839, nous manufacturions Sa millions
de kilogrammes de coton. Le nombre des broches françaises était de
3,/ioo,ooo et leur débit de 1 kilogramme par ùk broches, chiffre
notablement supérieur à celui de 1 834. On ne payait plus que ti francs
le kilogramme de fil ordinaire.
De i84o à i85i, les progrès de l'industrie cotonnière se poursui-
virent sans interruption. En 1 844 , la France consommait 58 millions
de kilogrammes de matière première, disposait de 3, 600, 000 broches
rendant chacune â 5 p. 1 00 de plus qu'en 1 834 , abaissait à 3 fr. 60 le
prix du kilogramme de chaîne numéro 3 o , et ne recourait plus au tissage
à la main que pour des tissus très ordinaires. Peu après, un dénom-
brement des métiers mécaniques en fixait le nombre à 3 1 ,000.
Au milieu du siècle, le poids des cotons mis en œuvre par les filatures
de l'Europe et des Etats-Unis était de 550 millions de kilogrammes,
savoir : Angleterre, 277; France, 64; Russie, 3 1 ; Autriche, 3o; Zoll-
verein ,18; Espagne ,10; Belgique ,10; Suisse , 9 ; États-Unis ,110.
Mimerel, rapporteur du jury de l'Exposition universelle* de i85i,
évaluait ainsi le nombre des broches : Angleterre, 18 millions; États-
Unis, 5, 5oo, 000; France, 4,5oo,ooo; Autriche, i,4oo,ooo; Suisse,
960,000; Zollverein, 900,000; Espagne, 700,000; Belgique,
4 00,000. D'après lui, les produits fabriqués annuellement repré-
sentaient un poids de 485 millions de kilogrammes et une valeur
dépassant 3 milliards, dont deux environ distribués en salaires; la
filature et le tissage occupaient 5 millions d'individus et leur procu-
raient une rémunération journalière variant de o fr. âo à 8 francs,
suivant l'âge, la capacité professionnelle et le pays.
Malgré le prix supérieur de la main-d'œuvre en Angleterre, ce pays
avait marché à pas de géant; grâce à sa puissante organisation indu-
strielle, à ses ports, à ses mines de charbon, à ses moyens intérieurs de
transport, il produisait à meilleur marché que ses concurrents. Le fil
316 FILS ET TISSUS DE COTON.
n y coûtait pas en moyenne plus de a fr. 5o le kilogramme; la valeur
courante des tissus destines à l'étranger était de /i fr. 5o. Tant en fils
quen tissus, les fabricants anglais exportaient 17/1 millions de kilo-
grammes, estimés à 673 millions. Le nombre des métiers mécaniques
à tisser dépassait a5o,ooo. Néanmoins la Grande-Bretagne commen-
çait à redouter la concurrence des États-Unis et de la Russie.
Dans ses conclusions, Mimerel classait ainsi les nations : pour le
bon marché, TAngleterre, et après elle les États-Unis et la Suisse; pour
l'importance des valeurs créées, T Angleterre et, fort loin en arrière,
la France et les États-Unis; pour la perfection, la France, TAngleterre
et la Suisse.
Pendant la période de i85o à 1860, l'industrie cotonnière jouit
d'une extrême prospérité. Mais l'ancien monde était devenu tribu-
taire du nouveau pour l'alimentation de ses usines : vers 1860, sur
56 a millions de kilogrammes de coton importés .annuellement en An-
gleterre et représentant plus des quatre cinquièmes de la consomma-
tion européenne, les États-Unis fournissaient à eux seuls 43 5 millions
de kilogrammes; il ne restait ainsi que 187 millions de kilogrammes
pour les autres pays producteurs. L'Europe se préoccupait à peine du
danger auquel elle serait exposée, si ses relations avec l'Amérique
venaient à être interrompues, lorsque éclata comme un coup de foudre
la guerre de Sécession, qui devait durer jusqu'à la chute de Ricbmond,
en i865. Immédiatement, la matière première subit un renchérisse-
ment considérable : le coton de la Louisiane, coté à 1 fr. 68 le kilo-
gramme sur le marché de Liverpool en décembre 1860, monta pro-
gressivement à 7 fr. 26, au mois de juillet et d'août i864; en 1867,
la cote était encore de a fr. 3o. Cette hausse inattendue porta une
atteinte profonde à la filature du coton. Des hommes d'initiative en-
couragèrent la culture du coton dans divers pays où elle n'existait pas.
Les filateurs, de leur côté, s'ingénièrent à remplacer les cotons de
l'Amérique par ceux de l'Inde, depuis longtemps presque délaissés;
on modifiant leurs machines, en donnant au fil plus de torsion, ils
parvinrent à introduire largement le coton indien dans la consom-
mation. Grâce à ces mesures, l'approvisionnement de l'Angleterre put
se répartir ainsi, pour l'année 186 5 : États-Unis, Bahamas et Mexique,
FILS ET TISSUS DE COTON. 317
96 millions de kilogrammes; Indes anglaises, 331; Egypte, 87; Bré-
sil, 18; Chine, i3; littoral de la Méditerranée (Egypte exceptée), 98;
autres pays, 99. C'était, au total, ^79 millions de kilogrammes. L an-
née suivante, l'importation anglaise remontait à 667 millions de kilo-
grammes, dont 986 des États-Unis. Malgré la crise, TEurope et par-
ticulièrement la Grande-Bretagne navaient pas perdu courage. Il
convient d'ajouter que le traité de commerce de 1860 avec la France
stimulait les industriels anglais, en présageant de nouveaux débou-
chés pour leurs vastes manufactures.
En 1 867, le nombre des broches de filature était passé à 67 millions
environ : Angleterre, 34 millions; États-Unis, 8 millions; France,
6,800,000; Zollverein, 9 millions; Autriche, i,5oo,ooo; Suisse,
1 million; Belgique, 696,000; autres pays, 3 millions. Comptées à
raison de 3o francs lune '*', ces 67 millions de broches représentaient
un capital de 1,700 millions de francs. Le poids de coton filé attei-
gnait 900 millions de kilogrammes; on estimait k 3 milliards et demi
la valeur du fil livré à la consommation; ce chiffre, ajouté aux milliards
du tissage et de l'impression, faisait de l'industrie du coton la plus
importante des industries textiles.
Partout, la filature tendait à se constituer sur des bases plus larges :
outillage perfectionné, force motrice plus puissante, aménagement
plus économique par sa concentration dans un petit nombrtî de grands
établissements. Les tâtonnements avaient cessé; la construction des
machines à filer avait ses lois précises et un outillage spécial opérant
avec une précision mathématique; la peigneuse Heilmann se répan-
dait; les métiers à filer self-acting gagnaient sans cesse du terrain.
Dans la branche du tissage, le travail automatique progressait
également. On admira, à l'Exposition de 1867, ^^ puissance produc-
trice de l'Angleterre , qui consommait à elle seule plus de la moitié du
coton fourni par le monde entier, possédait /ioo,ooo métiers et main-
tenait son exportation d'étoffes au-dessus de 1 milliard, à l'époque la
plus critique de la crise. La France n'avait pas moins de 80,000 métiers
mécaniques et de 900,000 métiers à bras; notre fabrication, souvent
supérieure à celle des autres peuples au point de vue du soin, de la
^'^ Evaluation de M. Mimerel fils, rapporteur du jury à TËxposition univei*8eUe de 1867.
318 FILS ET TISSUS DE COTON.
qualité et du fini, était en revanche trop coûteuse; invoquant 1 exemple
de TAngleterre, Jules Kœchlin, rapporteur du jury, reprochait aux
industriels français leur tendance à se passer d'intermédiaires, à sup-
porter les stocks, à faire eux-mêmes le crédit, à diviser ainsi leurs
forces. Mulhouse présentait une incontestable supériorité dans l'indu-
strie des impressions, comme pour les tissus les plus fins, les plus
transparents et les plus riches ; Rouen n avait point avancé aussi vite
dans la voie du progrès, et le rapporteur appelait le stimulant salu-
taire du libre échange complet : il n est pas sans intérêt de noter ce vœu,
qui jetait une note discordante dans le concert du protectionnisme.
L'Exposition de 1878 permit de constater un nouvel accroissement
du nombre des broches de filature : Angleterre, Ai, 000, 000; Amé-
rique, io,5oo,ooo; Allemagne, /i,65o,ooo; France, 4,600,000;
Russie, 3,000,000; Suisse, i,85o,ooo; Espagne, 1,760,000;
Autriche, 1, 555, 000; Indes, i,25o,ooo;Relgique, 800,000; Italie,
800,000; Suède et Norvège, 3o5, 000 ;Pays-Ras, a3o,ooo; ensemble,
72,290,000. A eHe seule, l'Angleterre possédait les quatre septièmes
du nombre total des broches, et, malgré rétablissement de filatures
dans les pays qu'elle alimentait antérieurement, l'augmentation y avait
été plus forte que partout ailleurs; la consommation anglaise
n'absorbant pas plus de i5 k 20 p. 100 de la production en filés,
80 p. 100 environ restaient pour approvisionner l'étranger. La guerre
franco-allemande et l'annexion de l'Alsace nous avaient fait perdre
1,670,000 broches; il nous en manquait de 3 00, 000 à 35o, 000 pour
alimenter le tissage ; mais , par suite de la concurrence entre l'Angle-
terre et la Suisse, le déficit était comblé sans trop lourdes charges.
Nos filatures avaient complètement transformé leur matériel depuis
1 860, et quelques-unes d'entre elles pouvaient être citées comme des
modèles. Parmi les échantillons de filés exposés dans la section fran-
çaise, plusieurs allaient jusqu'au numéro lioo; néanmoins la filature
en fin, principalement concentrée à Lille, manifestait une tendance à
réduire la finesse moyenne de ses produits. M. Carcenac, rapporteur
du jury, attribuait ce fait aux difficultés inhérentes à notre climat,
moins humide que celui de l'Angleterre; peut-être les variations de la
mode y avaient-elles aussi une large part. Les tissus français de colon
FILS ET TISSUS DE COTON. 319
pur ou mélangé étaient tous justement appréciés; nous avions d'ailleurs
développé notre tissage mécanique, qui, malgré la perte de TAlsace,
comptait environ 68,000 métiers. Un grand établissement de teinture
et d'apprêts avait été créé de toutes pièces à Thaon (Vosges); la blan-
chisserie de Senones venait de prendre une extension considérable.
Mais rimpression, qui constitue de même que le blanc et la teinture
une des trois industries finisseuses, ne s'était pas encore implantée au
centre des tissages vosgiens; bien qu'ayant peut-être manqué un peu
d'initiative pour le transport en France de l'industrie mulhousienne,
l'impression normande témoignait cependant d'heureux progrès, dus
surtout à l'emploi de couleurs nouvelles, dérivées de l'aniline et de
l'alizarine, ainsi qu'à l'application des couleurs solidifiées par le vapo-
risage.
La Grande-Bretagne souffrait de sa surproduction et avait dû
abaisser dans une forte proportion le prix de ses filés^ dont l'expor-
tation en 1876 atteignait i/t5 millions de livres anglaises; elle
excellait dans les fils retors. Ses tissus blancs étaient irréprochables au
point de vue de la qualité, de l'apprêt et de la variété; les tissus de
couleur n'offraient pas la même supériorité. Le nombre des métiers
dépassait /t8o,ooo.
Sans cesse grandissant, les États-Unis montraient avec une légi-
time fierté leurs immenses progrès : de 760,000 balles en 1867, ^^
consommation était passée à plus de i,5oo,ooo en 1878. L'in-
dustrie américaine avait su s'affranchir de la tutelle anglaise pour ses
machines et profiter de l'expérience des autres pays. Elle possédait
190,000 métiers à tisser. Son exportation se chiffrait par 386 millions
de francs; les manufacturiers américains soutenaient la lutte contre
ceux de la Grande-Bretagne en Chine, à la Plata, au Canada, à
Haïti^ en Afrique, en Autriche, en Allemagne et jusque sur le sol
anglais lui-même.
Protégée par des droits très élevés, l'industrie russe s'était sin-
gulièrement développée. Elle avait 60,000 métiers mécaniques de
tissage et /io,ooo à 5o,ooo métiers à la main, occupait 200,000
ouvriers et exportait dans l'Asie centrale, la Chine, la Perse, l'Asie
Mineure, etc.
320 FILS ET TISSUS DE COTON.
Les filateurs suisses exposaient des produits supérieurs, atteignant
le numéro 600. Quant au tissage de la Confédération helvétique (près
de 5x3,000 métiers mécaniques et 20,000 métiers à la main), il était
fort bien représenté, spécialement dans les articles de couleur à desti-
nation de l'Amérique du Sud, de l'Afrique , des Indes , du Japon. A cette
époque, la Suisse imprimait une grande quantité de bakicks pour Java
et Tarchipel Indien.
En 1889, la consommation du coton dans le monde atteignait
ii,/ioo,ooo balles àe tioo livres anglaises, ou â milliards de kilo-
grammes (7 millions de balles venant des Etats-Unis, 2 millions et
demi des Indes orientales, le surplus de l'Egypte, de l'Amérique du
Sud et de l'Asie Mineure); par rapport à 1870, l'accroissement était
de 85 p. 100. Le total se répartissait ainsi : Angleterre, 8,770,000
balles (augmentation de 26 p. 100 par rapport à 1870); Europe
continentale, 4,069,000 balles (augmentation de 1 1 o p. 1 00); Etats-
Unis, 2,692,000 balles (augmentation de i/iop. 100); Indes orien-
tales, .891,000 balles (augmentation de 1,01 5 p. 100). Deux faits
essentiels frappaient l'esprit : d'une part, l'immense espace franchi par
les États-Unis; d'autre part, la progression beaucoup plus rapide dans
l'Europe continentale qu'en Angleterre. L'essor de l'industrie améri-
caine s'expliquait par la richesse du nouveau monde en matière pre-
mière, par son initiative, par son système douanier, par l'élasticité de
son marché intérieur, par la facilité et l'étendue de ses relations com-
merciales avec les régions du Pacifique et des mers de la Chine on du
Japon. Quant au second fait, il était plus inattendu : pour la première
fois, en 1888 et 1889, l'Europe continentale avait absorbé plus de
coton que la Grande-Bretagne. La plupart des marchés européens
tendaient à se suffire. Cependant l'Angleterre ne s'en préoccupait pas
outre mesure : en effet, l'Europe n'entrait que pour un quatorzième
environ dans son exportation de tissus, estimée à 1,286 millions de
francs, et, si la part européenne dans l'exportation des fils atteignait
52 p. 1 00 , on devait remarquer que la valeur de cette dernière expor-
tation ne dépassait pas 292,600,000 francs, que la création des
filatures présentait des difficultés bien supérieures à celles de la con-
stitution des tissages, que longtemps encore les tisseurs resteraient
FILS ET TISSUS DE COTON. 321
tributaires de Manchester et de Glasgow, surtout pour les filés fins,
peu protégés par la législation douanière des divers pays. De plus,
il fallait porter au compte de l'Angleterre le développement de l'indu-
strie des Indes due à ses capitaux.
La consommation se chiffrait comme il suit dans les différentes par-
ties de l'Europe continentale : Allemagne, 85o,ooo balles; France,
700,000; Russie d'Europe, 600,000; Espagne et Portugal, /i5o,ooo;
Italie, 4oo,ooo; Suisse, /ioo,ooo; Autriche-Hongrie, /ioo,ooo; Bel-
gique, 180,000; autres pays, 80,000. Nous ne venions qu'au second
rang : l'annexion de l'Alsace avait permis à l'Allemagne de prendre
la tête.
D'après les dénombrements de l'époque, la Grande-Bretagne avait
4o,5oo,ooo broches, non compris les broches à retordre, et 61 5,o 00
métiers à tisser; l'Europe continentale, 24,576,000 broches; les
Etats-Unis, 1 4, 4 00,0 00 broches; les Indes orientales, 3,900,000
broches et 22,000 métiers. Notre contingent était de 6,090,000
broches, 72,800 métiers mécaniques de tissage et 28,200 métiers
à bras.
En France, il n'existait pas de maisons réunissant, comme en An-
gleterre, aux Etats-Unis , en Russie et en Belgique, toutes les branches
de l'industrie cotonnière. La production y était divisée et spécialisée.
Cette spécialisation avait ses avantages et ses inconvénients : elle
grevait les prix de revient et entravait ainsi l'exportation; mais, en
revanche, elle assurait à la marchandise un fini et une perfection
qui se rencontraient rarement à l'étranger.
Des progrès considérables avaient -été accomplis depuis 1878 par
les producteurs français. Tout était mis en œuvre pour diminuer le
prix de fabrication et, par suite, le prix de vente. Les machines de fila-
ture, plus rapides, rendaient davantage; des métiers à plusieurs na-
vettes remplaçaient les anciens métiers employés au tissage des articles
de fantaisie; la fabrication de ces articles se généralisait, sauf dans
la région de l'Est qui continuait à réussir spécialement pour les écrus et
les articles fins devant être blanchis ou teints. Une extension considé-
rable donnée à l'emploi des fils de couleur avait déterminé des per-
fectionnements dans la teinture du coton. Nos manufacturiers abor-
ai
iMrRlMCBIB SAnoiALB.
322 FILS ET TISSUS DE COTON.
daient certains articles jusqu'alors exclus de leur fabrication et repre-
naient d autres articles abandonnés. *
Parmi les nations étrangères exposant en 1889, la Russie se distin-
guait particulièrement. Le rapporteur du jury attribuait le développe-
ment de rindustrie cotonnière russe aux mesures de protection prises
par le Gouvernement, à la baisse du cours du rouble, à lamélioration
t des moyens de transport. Il citait deux maisons occupant. Tune
35,000, l'autre 1 4,000 ouvriers : rien de comparable n'existait ni
I en Angleterre, ni aux Etats-Unis. Naguère encore tributaires de la
Grande-Bretagne pour les filés et les tissus écrus, de l'Allemagne, de
F l'Autriche, de la Suisse ou de l'Alsace pour les tissus teints et les tissus
t imprimés, les Russes parvenaient à se suflfire et limitaient leur impor-
tation aux articles de luxe et de fantaisie.
Nous venons de parcourir rapidement le siècle, de son origine à
1889. Il ne ^^^^ ^^^^ ^^'^ envisager la situation vers 1900.
Gomme je l'indiquais dans un précédent chapitre, la récolte visible
du coton dans le monde, pendant les trois années 1898, 1899 et
1900, a atteint en moyenne 3,5 5 o millions de kilogrammes (3,6 00
millions de kilogrammes en 1898, 3,799 millions en 1899, 3^240
millions en 1900). La production de 1899 et celle de 1900 se sont
réparties comme il suit:
1899. 1900.
kilognmm«t. kilognii
Ëlals-Unis Q,/i3i,âoo,ooo 1,999,000,000
Indes anglaises 639,600,000 /i6/i,6oo,ooo
Egypte 966,900,000 985,600,000
Asie centrale, Pérou, Bré-
sil, etc 179,600,000 179,600,000
Chine, Corée 39o,ooo,ooo 890,000,000
Abstraction faite des stocks, la consommation des principaux pays
manufacturiers aurait été de 2,987,325,000 kilogrammes, en 1899,
et de 2,870,100,000 kilogrammes, en 1900, ce dernier chiffre se dé-
composant ainsi: Grande-Bretagne, 7 5 0,1 5 0,0 00 kilogrammes; con-
tinent d'Europe, 1,029,600,000; Etats-Unis, 852,076,000; Indes
anglaises, 238,276,000. En tenant compte des stocks, il y a lieu de
ramener la consonmialion de 1 900 à 3,866 millions de kilogrammes.
i
FILS ET TISSUS DE COTON.
323
On n'évalue pas à moins de io5 millions environ le nombre des
broches de filature: Grande-Bretagne, /i5,/ioo,ooo ; continent d'Eu-
rope, 33 millions; Etats-Unis, 19,100,000; Indes anglaises,
4,945,000; pays divers, 9,5 00,000. Depuis quinze ans, l'augmen-
tation annuelle est régulièrement de 1 i/ii à 2 p. 100. Seule, la
Grande-Bretagne reste à peu près stationnaire ; elle n'en conserve pas
moins un monopole presque exclusif pour les filés fins. Notre outillage
actuel comprend 5,5oo,ooo broches et près de 100,000 métiers mé-
caniques à tisser.
D'après les documents publiés par le Ministère du commerce et de
l'industrie, la situation des divers pays, au point de vue de leur com-
merce extérieur, était la suivante en 1 900 :
PAYS.
Allemagne
Autriche-Hongrie .
Belgique
Bulgarie
Danemark
Europe. . .
France
I Grèce
Utalie
Norvège
Pays-Bas
Portugal
Boyaume-UniW ,
Bussie
Suède.
Suisse
( Canada .......
Amérique. <
( états-Unis
I Chine
Indes anglaises.
Japon
Australie . 1 Victoria
IMPORTATIONS
EN MILUONS DK FIANCS.
A 90,8
160,6
4o,i
a
#
8a,7
11»
i5o,9
3,a
59,6
95,1
i,o33,6
169,1
34,0
#
a
93,4
49,5
6,8
i5o,8
a
76,5
96,8
4,4
9,8
5,2
3,6
i4,9
0,9
5,1
3,7
58,8
a,3
a
10,5
3,9
9'^
a
4,4
a
43,6
i3,o
37,1
4,4
^•^i4,7
6,3
48,4
2,0
10,9
3i,i
i4.5
190,4
5,3
9.0
35,8
96,1
5o,9
33,5
906,1
119,6
60,1
18,7
a
169,4
669,9
45,7
90,5
EXPORTATIONS
ex MILLIONS DE FRA\G8.
53,7
a
a
a
a
a
a
«,6
a
29*9
a
a
a
a
a
a
333,8
a
1,259,7
^ 36,8
943,7
a
a
3oa,8
5,4
a
11,5
a
19,5
a
iy5,9
a
a
30,0
a
a
980,5
i6,t
3o,8
a
0,9
34,1
174,4
a
3o,8
a
7i»3
1 1,6
1,563,9
a
0,6
1 '1 6,0
a
193,5
a
179,0
59,9
a
64,1
a
a
(') Y rompris les tissus de lin et de rhanvre.
W A rinverse des statistiques de rimportation , celles de Texportation ne comprennent que le coromerte spécial
324 FILS ET TISSUS DE COTON.
Les prix relativement élevés du coton atteignaient en France : t fr. 3o
le kilogramme pour les provenances des Etats-Unis; i fr. 87 pour
celles de l'Egypte ; 1 fr. 16 pour celles des Indes anglaises.
Des modifications heureuses ont été réalisées dans l'industrie coton-
nière française, pendant la dernière période décennale du siècle.
Grâce au renouvellement de son outillage et à l'accroissement du
nombre de ses broches , notre filature n'est plus loin de suffire aux be-
soins des tisseurs, qui, auparavant, devaient faire largement appel à
rétranger pour certaines catégories de filés. Plusieurs manufactures
se sont organisées de manière à produire la chaîne double mèche,
dont nous devions nous approvisionner au delà de la frontière, notam-
ment en Suisse. La propagation du métier continu a diminué les prix
de revient. On constate de grands progrès pour les filés teints en
bourre ou en bobine , ainsi que pour les jaspés et les mélangés. Une
variété sans cesse croissante se manifeste dans les tissus ; les étoffes
lisses ou croisées d'autrefois cèdent devant la jacquard ou les armures ;
mélangés au coton pur, la soie ou les fils de coton mercerisé fournissent
des effets surprenants.
Au cours des années 1898, 1899 et 1900, la quantité moyenne de
coton restée en France pour la consommation a approché de 1 70 mil-
lions de kilogrammes. L'exportation, qui, après avoir atteint 54, 000
tonnes, était descendue au-dessous de 20,000 tonnes, est remontée à
plus de 3 0,0 00 tonnes ; il y a lieu de s'en féliciter pour la prospérité
du marché du Havre et pour la facilité d'approvisionnement des fila-
tures françaises ; nous devons redoubler d'efforts dans la défense contre
les avantages qu'offrent Anvers, Brème et les voies étrangères au point
de vue des transports vers l'Alsace et la Suisse.
Il y a vingt ans, la valeur des fils importés oscillait aux environs de
ko millions ; celle des fils exportés ne surpassait guère 3 millions. De
189841900, les entrées sont tombées à moins de 1 4 millions, tandis
que les sorties montaient à près de 5 millions. ♦
Notre importation de tissus, supérieure à 76 millions en i884, a
subi une notable réduction (43 millions environ pour la période
1898-1900). D'autre part, l'exportation, continuant sa marche ascen-
dante, s'est élevée à 17^ millions en 1899 ^^ ^^ 1900. Les princi-
FILS ET TISSUS DE COTON. 325
paux mouvements, classés par nature d'articles, ont été les suivants
en 1900:
IMPOITATION* KXPOITATION.
francs. franrs.
1' écrus 1,166,000 16,375,000
blanchis ou fabri-
qués avec des
fils blanchis. . 876,000 36,3o/i,ooo
croisés J teints ou fabri-
et coutiis J qués avec des
fils teints. . . . i,56o,ooo 67,895,000
imprimés 6, 659, 000 3,65o,ooo
Brillantes et façonnés 1,987,000 1,695,000
Tulles unis 91 5,ooo 9,o65,ooo
Dentelles mécaniques et tulles bo-
binots 8,916,000 33,899,000
Dentelles à la main 8,307,000 778,000
Bonneterie 3,ii3,ooo i6,o3o,ooo
Passementerie 880,000 6,6o3,ooo
Rubanerie 987,000 1,91 1,000
Broderies à la main ou mécaniques. 1 1,695,000 7,585,ooo
Toiles cirées 9,639,000 639,ooo
Étoffes mélangées 919,000 99759,000
La France fait venir surtout le coton des Etats-Unis et de l'Egypte ;
elle achète des fils en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, en
Suisse, et des tissus en Allemagne et en Angleterre. Ses débouchés les
plus importants sont: pour le coton, l'Allemagne et la Belgique; pour
les fils, l'Angleterre, la Belgique, la Suisse, l'Algérie, la République
Argentine, l'Indo-Ghine, la Tunisie; pour les tissus, l'Algérie, la Bel-
gique, les États-Unis, l'Angleterre, Madagascar, l'Indo-Chine, la Ré-
publique Argentine. Nous ne saurions faire trop d'efforts en vue de
développer nos ventes déjà considérables de tissus aux colonies et pays
de protectorat.
Depuis vingt ans, l'industrie cotonnière allemande a pris un essor
prodigieux.; elle compte près de 8 millions de broches et plus de
80,000 métiers à tisser ; sa consommation annuelle de coton est
passée de 177 millions de kilogrammes , en 1880, à 3i5 millions de
kilogrammes. Les centres manufacturiers les plus actifs sont en Saxe,
dans les provinces rhénanes, en Bavière.
32fi FILS ET TISSUS DE COTON.
Après dos débuts pénibles, V Autriche est arrivée à avoir également
8 millions de broches et 80,000 métiers de tissage. Le travail du co-
ton présente une grande intensité dans le nord de la Bohême, la basse
Autriche et le Vorarlberg.
La Belgique possède 800,000 broches de filature simple, 2/10,000
broches de retordage, 19,000 métiers mécaniques de tissage et plus
de 8,000 métiers à la main. Aujourd'hui, la production gantoise trouve
de précieux débouchés au Congo.
C'est en Espagne qu'arrivèrent les premières balles de coton impor-
tées d'Amérique. On peut évaluer à 9,600,000 environ le nombre des
broches dont dispose l'industrie espagnole ; cette industrie s'est parti-
culièrement développée dans la Catalogne. Les importations de tissus
ont beaucoup diminué.
Dotés comme ils le sont au point de vue de la matière première, les
États-Unis devaient nécessairement donner à leurs manufactures une
impulsion exceptionnelle. La filature (19 millions de broches) a triplé
son outillage en trente ans. Des progrès analogues se sont accomplis
dans le tissage , où l'introduction du métier Northrop constitue une vé-
ritable révolution.
Avec ses 45 millions de broches, ses 700,000 métiers à tisser et
SOS 5 3 0,000 ouvriers, la Grande-Bretagne représente, à elle seule,
près de la moitié de la puissance productive du monde.
En 1870, Yltalie n avait que 45o,ooo broches; actuellement, elle
dépasse 2 millions. Le tissage emploie 100,000 métiers mécaniques
et n'a pas entièrement abandonné les métiers à bras. Un assez vaste
champ d'exportation est ouvert aux produits italiens dans l'Amérique
du Sud.
Avançant d'un pas rapide, le Japon comptait, dès 1900, plus de
1,3 0,000 broches; le travail du tissage suivait une marche pa-
rallèle.
Sous l'action des causes qui ont été précédemment signalées et
auxquelles se sont jointes les conquêtes de la culture cotonnière dans
l'Asie centrale, la Bussie a brûlé les étapes, porté le nombre de ses
broches à plus de 8 millions, amplement élargi le domaine de son tis-
sage et de son impression, mis en œuvre les procédés les plus nou-
FILS ET TISSUS DE LIN, DE CHANVRE, ETC. 327
veaux et les plus perfectionnés. Presque partout, la force motrice y est
demandée à l'énergie électrique. Moscou, le gouvernement de Wladi-
mir, celui de Kostroma et Saint-Pétersbourg tiennent la tête du mouvc-
vement. Plusieurs manufactures ont une importance qui ne se ren-
contre nulle part ailleurs.
La Suisse reste stationnaire. Si le nombre des métiers à tisser
(18,000) accuse une augmentation, celui des broches (1,595,000) a,
au contraire, légèrement fléchi.
2. Fils et tissus de lin, de chanvre, etc. Produits de la corderie.
— C'est seulement à la période comprise entre 1830 et 182/1 que
remonte la filature mécanique en grand du lin dans le Royaume-Uni.
Des essais plus ou moins heureux avaient été faits antérieurement,
mais ne donnaient que des résultats incomplets ; la révolution a daté
du jour où nos voisins ont recouru au système de l'eau chaude et aux
peignes sans fin, Marshall de Leeds monta dans ses ateliers plus de
60,000 broches, Hives et Atkinson en installèrent 3 0,000, et l'on
comptait 100 autres manufactures en activité.
Ainsi outillée, l'Angleterre monopolisa presque la grande industrie
manufacturière du lin. Elle s'était complètement assimilé, en les per-
fectionnant, les belles découvertes de Philippe de Girard ; elle y avait,
d'ailleurs, ajouté la préparation des étoupes par des procédés et à
l'aide de machines analogues à celles de l'industrie cotonnière , mais de
dimensions plus considérables. Nos ingénieurs durent aller y chercher
les méthodes et les métiers que la France avait trop longtemps dédai-
gnés. Ils le firent au prix de longues études et de gros sacrifices pécu-
niaires, parfois même au péril de leur liberté: car la Grande-Bretagne
interdisait la sortie de ses mécanismes. Féray d'Essonnes, Scrive de
Lille, Vaison d'Abbeville, Malo et Dickson de Dunkerque, Decoster
de Paris, réussirent à doter la France des appareils qui lui faisaient
défaut.
Vers i84o, l'Angleterre avait 1 million de broches, dont 200,000
dans le comté d'York, 1 00,000 dans le comté de Lancastre, 5 00,0 00
en Ecosse et 900,000 en Irlande. La France n'en possédait que
57,000; la Belgique, 45, 000; le Zollverein (Pnisse, Bavière, Bade,
328 FILS ET TISSUS DE LIN, DE CHANVRE, ETC.
Wurtemberg), 60,000. Quant à TAutricbe, elle entreprenait à peine
la filature mécanique. Bien des causes expliquaient Ténorme avance
prise par les Anglais : leur esprit de suite et d'ordre dans les exploita-
tions industrielles, leur persëvérance , la générosité de leurs associa-
tions à regard des ingénieurs ou constructeurs, leurs immenses res-
sources matérielles et commerciales, leur expérience en mécanique, la
confiance que devaient leur inspirer les succès de l'industrie cotonnière,
l'intérêt considérable qui s'attachait à la suppression du travail manuel
eu égard au taux élevé des salaires.
Le i5 mai i8/io, Pbilippe de Girard adressait au Gouverne-
ment français une pétition dans laquelle, revendiquant pour son
pajs l'invention des procédés soi-disant nouveaux de filature du
lin et du chanvre, il proposait de créer, sous sa direction et celle
d'autres professeurs, un établissement national destiné à former
des ouvriers et contremaîtres habiles. Cette proposition demeura sans
suite.
Quand s'ouvrit l'Exposition universelle de i85i, on comptait
i,5oo,ooo broches en Angleterre, 3oo,ooo en France, 100,000 en
Belgique, 80,000 dans le Zollverein, 3 0,000 en Autriche. A côté
de très grandes manufactures, il y en avait beaucoup de plus modestes:
la moyenne du nombre des broches par établissement variait de 2,5oo
à 3,00 0, sauf en Belgique où elle atteignait 6,000. L'Angleterre, ex-
portant une large part de sa production de fils, concentrait ses princi-
paux moyens d'action sur les numéros moyens ou fins : car les frais de
transport et les tarifs de douane rendaient les marchés étrangers
inabordables aux fils trop communs. Au contraire, la France, tra-
vaillant bien plus pour sa consommation intérieure que pour le dehors,
se consacrait principalement à la filature en gros ; le filage mécanique
du chanvre y jouait d'ailleurs un rôle important. Lille se voyait dispu-
ter par les Anglais et les Belges sa vieille supériorité pour le retordage
des fils de couture. La Belgique excellait dans le filage manuel et réa-
lisait des prodiges de finesse : certains fils, destinés aux dentelles super-
fines, étaient cotés à raison de 7,000 francs le kilogramme, c'est-à-dire
au double du prix de l'or. On évaluait la réduction du prix des fils de
lin en Angleterre à 80 p. 100, pendant la période de 181 3 à i833
FILS ET TISSUS DE LIN, DE CHANVRE, ETC. 329
correspondant à l'installation de la filature mécanique, et à 35 p. i oo,
pendant la période de i834 à 18/19. Indépendamment de cette dimi-
nution du prix des filés, les machines avaient apporté d'autres avan-
tages et facilité le travail du tisseur, en lui donnant des fils égaux et
réguliers, en lui permettant de s'approvisionner sans peine et au jour
le jour.
Le tissage résistait à l'invasion des métiers mécaniques. Il n'y
avait guère plus de 1,000 métiers de ce genre en Angleterre ni plus
de 600 en France. Mais une tendance se manifestait à la con-
centration dans des ateliers où le travail, mieux ordonné et mieux
surveillé, acquérait plu^ de perfection. Le rapporteur de la Com-
mission française formait des vœux pour le maintien du tissage à
la main, si favorable aux ouvriers de la campagne. Malgré leur
bonne qualité, nos tissus luttaient péniblement contre ceux de la
Belgique, de l'Allemagne et de l'Angleterre, faute d'une variété
suffisante et surtout d'un apprêt soigné; cependant la prééminence
des batistes françaises demeurait incontestée. De i8i3 à 18/19,
une diminution notable s'était produite dans le prix des tissus de
lin : pour la toile anglaise à voiles, elle pouvait être estimée à
5o p. 100.
En i855, la peigneuse Heilmann avait fait son apparition; sans
révéler aucune découverte nouvelle, les machines de filature n'en
continuaient pas moins à se perfectionner et constituaient notamment
de véritables chefs-d'œuvre de construction pour les numéros fins;
on était arrivé successivement à produire les n*"* 100, 200, 3 00 et
même ioo du numérotage anglais (60,000, 120,000, 180,000
et 2^0,000 mètres au kilogramme). L'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande
avaient i,4oo,ooo broches en activité; la France, 5 00,000; la Bel-
gique, i5o,ooo; l'Autriche, 120,000; la Prusse, 80,000; les autres
Etats de l'Allemagne, 20,000; la Russie, 60,000; les autres pays,
70,000 : c'était un total de 2,4oo,ooo broches. Le tissage méca-
nique prenait quelque extension. Des progrès se manifestaient dans le
blanchiment et l'apprêt. La production annuelle de l'industrie linière
en Europe s'élevait à i,5oo millions de francs.
L'Exposition de 1867 ne mit point en lumière d'invention capitale.
330 FILS ET TISSUS DE LIN, DE CHANVRE, ETC.
Toutefois de nombreuses modifications dordre secondaire étaient
venues perfectionner sensiblement 1 outillage ; les établissements of-
fraient des conditions meilleures au point de vue de la facilité du
travail et de Thygiène; la production augmentait, en même temps
que diminuait le prix de revient des produits fabriqués. On continuait
à employer concurremment dans la filature les deux méthodes du
filage à sec et du filage au mouillé : la première, spéciale aux gros
nunjéros, consistait à filer les mèches telles qu'elles sortaient des
bancs à broches; la seconde, appliquée aux numéros moyens ou fins,
faisait passer la mèche dans de Teau chauffée par la va|>eur, afin de
dissoudre la matière gommeuse et d'étirer plus facilement les fibres.
Dans les principaux pays liniers, le nombre des broches en acti-
vité atteignait 2,5o5,ooo : Grande-Bretagne, i, 266,000; France,
563,000; Autriche, ai 1,000; Prusse, 1 5 1,000; Belgique, i35,ooo;
Amérique du Nord, 80,000; Bussie, 76,000; etc. Les mêmes pays
avaient 5o3,ooo broches en construction: Grande Bretagne, 196,000;
France, 60,000; Autriche, ii6,5oo; Prusse, 9/1, 5oo; Belgique,
60,000; Amérique du Nord, 30,000; Bussie, 19,000; etc. Depuis
quelques années, une véritable révolution s opérait dans le tissage,
par remploi de plus en plus général des métiers automatiques, non
seulement pour les toiles lourdes, mais aussi pour les toiles fines. La
France gardait le premier rang dans la fabrication des batistes, des
mouchoirs, du linge damassé.
À l'Exposition de 1878, le rapporteur du jury constatait avec
regret une notable diminution de la culture du lin en France et
Tattribuait à diverses causes : risques de cette culture ; concurrence de
la betterave dans la région du Nord; disparition progressive du filage
manuel, développement de la filature mécanique, et dès lors exagé-
ration des frais de transport imposés aux cultivateurs par Téloi-
gnement entre les centres de travail et les centres de production.
Il insistait pour rabaissement des tarifs de chemins de fer ainsi que
pour la création d'ateliers de rouissage et de teillage sur divers points
du territoire, afin d'éviter le transport onéreux d'une marchandise
aussi encombrante que le lin en paille^ D'après ses évaluations, la
consommation française se partageait également entre les lins étran-
FILS ET TISSUS DE LIN, DE CHANVRE, ETC. 331
gers et les lins indigènes. Plusieurs autres pays, spécialement la
Grande-Bretagne et rAutriche-Hongrie, voyaient, comme la France,
décliner la culture du lin. Avec ses 700,000 hectares et sa récolte
annuelle de â5o millions de kilogrammes, la Russie était la princi-
pale nation productrice; elle exportait plus de 180 millions de kilo-
grammes.
Notre industrie linière, après avoir largement profité de la crise
cotonnière, s'était trouvée, dès la fin de 1867, aux prises avec de
graves embarras provenant de son excès de production et du dévelop-
pement de là fabrication étrangère. Les événements de 1870-1871
avaient encore aggravé la situation qui restait fort critique, malgré
une reprise passagère en 1873. Aussi le nombre des broches était-il
descendu au-dessous de 5 00,000. Les statistiques les plus récentes
en accusaient i,485,ooo pour la Grande-Bretagne, plus de 4o 0,000
pour TAutriche-Hongrie, â85,ooo pour la Belgique, 120,000 pour
la Russie, 5 5, 000 pour l'Italie,
Le commerce des fils en France avait subi, depuis 1867, ^^^
transformation profonde, par suite de l'établissement de rapports
directs entre le filateur et l'acheteur. Notre tissage faisait de plus en
plus appel aux procédés mécaniques et demeurait à la hauteur de sa
vieille réputation; la première place appartenait toujours au dépar-
tement du Nord. Tout en enregistrant nos succès pour les articles de
fantaisie et de nouveauté, le rapporteur ajoutait que nous perdions
du terrain pour les articles unis et ordinaires, en raison de leur prix
excessif.
Après avoir débuté à Leeds et Manchester, la filature britannique,
de beaucoup la plus importante du monde, s'était retirée en Ecosse
et en Irlande. Dans cette dernière région, la fabrication des fils et
tissus avait pris un essor merveilleux; on y trouvait près de 1 million
de broches et 91,000 métiers mécaniques; les fileuses irlandaises
possédaient une extrême habileté. L'industrie anglaise rencontrait
dans le voisinage des ateliers de construction de Leeds, Belfast et
Dundee un élément précieux de supériorité.
Grâce au bas prix de sa main-d'œuvre, de ses charbons, de ses
transports, grâce aussi à sa richesse en lins des qualités les plus
332 FILS ET TISSUS DE LIN, DE CHANVRE, ETC.
diverses et k sa proximité des cultures hollandaises, la Belgique sui-
vait de près TAngleterre, toutes proportions gardées; elle avait une
exportation considérable. En Autriche-Hongrie, l'industrie du lin
s'était rapidement développée depuis vingt ans; elle consommait
annuellement ko millions de kilogrammes, dont les trois quarts
récoltés à Tintérieur, et vendait au dehors des quantités importantes
de fils; le tissage s'y faisait encore presque exclusivement à la main.
L'industrie russe n'était pas en rapport avec la culture du lin dans le
pays; pourtant, son exposition témoignait de vigoureux efforts accom-
plis à la faveur de tarifs douaniers très élevés. Au delà des Alpes, le
Gouvernement italien aidait de tout son pouvoir l'industrie naissante.
L'Espagne, le Portugal, la Suède, le Danemark et même la Hol-
lande, jadis si célèbre pour ses toiles, restaient tout à fait au second
plan.
Pour le chanvre, notre industrie primait celle des autres pays :
c'est d'ailleurs en France que se récoltaient les plus belles va-
riétés de ce textile. À notre production de 5o ou 60 millions de
kilogrammes s'ajoutaient i5 à 16 millions de kilogrammes, four-
nis principalement par l'Italie et la Russie : les chanvres italiens,
moins forts et moins résistants que ceux de l'Anjou et du Maine,
offraient plus de souplesse et se prêtaient mieux à la filature sur
les grosses machines à lin; quant aux chanvres russes, ils étaient
assez grossiers et difficiles à travailler. Les établissements de fila-
ture mécanique, relativement peu développés, filaient presque tous
à sec et ne dépassaient guère le n"" 20 anglais (1 3,000 mètres au
kilogramme). Nos centres les plus importants de tissage à la ma-
chine se trouvaient dans les départements de Maine-et-Loire et de
la Sarthe.
Lors de l'Exposition universelle de 1889, ^^^^^ ^i^^ ^^ culture du
lin et du chanvre avait continué à se restreindre. Rapprochées des
superficies de 1862, celles de 1887 marquaient une réduction de
60 p. 100 en ce qui concernait le lin et de 4o p. 100 en ce qui
concernait le chanvre. La diminution, bien qu'atténuée par une aug-
mentation du rendement moyen à l'hectare, n'en était pas moins très
regrettable. Il paraissait difficile de l'enrayer, eu égard à la baisse
FILS ET TISSUS DK LIN, DE CHANVRE, ETC. 333
de 00 p. 100 qui avait frappe les cours du Un et du chanvre depuis
1869, sous Faction de la-^îoncurrence du coton ainsi que des végé-
taux filamenteux de Tlnde et de rExtrême-Orient. Au surplus, des
effets analogues se manifestaient à Tétranger, en Allemagne, en*
Belgique, en Hollande, dans le Royaume-Uni, en Autriche, en Italie
et même en Russie; par exception, les Etats-Unis semblaient avoir
réalisé un léger accroissement.
D après la statistique générale de la France (1887), ^^^ manufac-
tures comptaient 63/1,000 broches, 18,080 métiers mécaniques de
tissage et 21,000 métiers à bras; mais une partie de ce matériel
restait inaclive. L'Allemagne possédait 276,000 broches; TAutriche,
870,000 broches et 60,000 métiers ' de tissage ; la Belgique .
807,000 broches; la Grande-Bretagne, 1,212,000 broches et plus
de 60,000 métiers à tisser en Ecosse et en Irlande.
Nos fils étaient dignes du vieux renom de l'industrie nationale.
Du reste, beaucoup d'établissements secondaires, nés ou développés
à la faveur de la guerre de Sécession, avaient disparu depuis la re-
prise du coton, et les autres avaient su perfectionner leurs moyens
d'action, réaliser de sérieux progrès. Cependant la persistance des
filateurs français à ne pas produire les filés fins réclamés par les
tisseurs de toiles fines et de batistes nous laissait toujours, à cet
égard, tributaires de l'étranger. La substitution complète du travail
mécanique au travail manuel avait déterminé une baisse considé-
rable du prix des filés : en France, par exemple, le kilogramme de
fil du n"" 80 anglais (18,000 mètres au kilogramme) ne valait plus
que 1 fr. 85, au lieu de li fr. 45 en 1886; l'installation déjà
ancienne des machines en Angleterre et leur rapide amortisse-
ment rendaient la diminution encore plus sensible au delà de la
Manche.
Une branche intéressante de la filature , celle de la filterie ou fabri-
cation des fils retors à coudre, à tricoter, à repriser, à broder, etc.,
constituait un véritable apanage pour les régions de Lille et de
Comines. Certaines de nos marques jouissaient, dans le monde entier,
d'une légitime célébrité.
Le tissage du lin souffrait cruellement de la concurrence du coton
334 FILS ET TISSUS DE LIN, DE CHANVRE, ETC.
et même de la laine : dans les campagnes, la toile de coton tendait à
remplacer de plus en plus la toile de lin ou de chanvre pour les che-
mises et les draps; la blouse bleue était délaissée pour des vêtements
de laine ou de laine et coton. Un certain nombre de fabricants avaient
dû se retirer de la lutte dans la région de l'Ouest; d'autres se main-
tenaient très péniblement dans la région du Nord; plusieurs s'étaient
résignés à mélanger le coton au lin pour les articles qu'il fallait abso-
lument vendre à très bas prix. Néanmoins beaucoup d'entre eux
continuaient à livrer des produits remarquables, aussi bien par la
façon que par la qualité. Pour les articles de vente courante, le travail
mécanique avait éliminé le travail manuel; les machines mues par la
vapeur donnaient aux toiles une texture bien plus uniforme et des
lisières plus solides. On était même parvenu à tisser mécaniquement
les toiles fines et légères avec les n~ 60, 70, 80, 90 et 100; mais
l'ancien métier à la main servait encore à la fabrication de ces tissus ,
des batistes et des linons.
Tandis qu'autrefois trois pays, l'Angleterre, la France et la Bel-
gique, avaient seuls une prééminence marquée, nous subissions,
vers 1889, une concurrence redoutable de l'Allemagne, de l'Au-
triche, de la Russie, sur notre ancien champ extérieur de vente.
L'Allemagne notamment venait lutter jusque sur le marché intérieur
français.
Les faits généraux signalés à propos de l'Exposition de 1889 sont
apparus d'une manière plus frappante encore en 1900. Suivant le
distingué rapporteur du jury, M. Faucheur, le nombre des broches, à
cette époque, était le suivant dans les principaux pays d'Europe :
Grande - Bretagne , 1 , 1 3 3 , o o ; France , 5 o , o o o ; Allemagne ,
299,000; Autriche, 39^,000; Belgique, 285, 000 à 3oo,ooo;
Russie, 25i,ooo; Italie, 65, 000; Pays-Bas, 11,000. Dans le
rapprochement entre ces chiffres et ceux des années antérieures,
il importe de ne pas perdre de vue l'augmentation du rendement
unitaire par broche. L'Angleterre avait 3 2,000 métiers mécani-
ques; la France, 92,000 métiers mécaniques et 20,000 métiers
à main.
Parmi les mouvements qu'enregistrent les publications du Ministère
FILS ET TISSUS DE LIN, DE CHANVRE, ETC. 335
du commerce et de i'industrie pour les échanges des nations étran-
gères en 1900, quelques-uns méritent d'être cités :
PAYS.
Europe..
AUemi^e
Autriche-Hongrie .
Bdgîque
Espagne
France
lUKe
Pay»-Ba8
Royaume-Uni . . . .
Russie
Suisse. .
( Canada.
*^"'ï"''- ÉUU-U
ni8.4
IMPORTATIONS
EN MILLIONS DE PRANCS.
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EXPORTATIONS
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a
^*) 11.6
a
t'i i3i,7
#
W 1,6
a
a
(') Lia. — O Lia , chanvre et jate. — O Lia et chanvre,
f hanvre , jate et autres fibres végétales.
<*) Lin, rhanvre et ramie. — (») Chancre. — (•) Lin
Pendant les dix dernières années du siècle, les machines de fila-
ture du lin ne se sont pas modifiées. Mais on a notablement réduit la
vitesse des peigneuses et des autres machines de préparation , afin de
ménager la matière au commencement du travail et d'accélérer ensuite
la marche des métiers à filer. Des améliorations ont été apportées au
cardage de Tétoupe; les ingénieurs cherchent encore, pour cette
matière, une bonne peigneuse à rendement convenable et de pri\
modéré. La protection assurée par les tarifs douaniers de 1892 a
permis la fabrication, en France, de fils fins supérieurs pour toiles
dlrlande.
Bien que les statistiques certaines fassent défaut, l'extension de
notre tissage depuis 1889 paraît indubitable. Les centres où cette
industrie offre le plus d'activité se trouvent dans le Nord, en Nor-
mandie et dans les Vosges. Malheureusement, le désir du bon marché
entrave la fabrication des toiles de première qualité.
Malgré la concurrence du coton, notre filterie de lin garde sa
haute réputation. Ses produits sont évalués à 9 5 millions de francs.
336 FILS ET TISSUS DE LIN, DE CHANVRE, ETC.
Le chanvre trouve maintenant dans la corderie son débouché
dominant.
Au cours des années 1898, 1899 et 1900, notre importation
annuelle de matière première a représenté en moyenne 63 millions
et demi de francs, pour le lin, et 16 millions 3, pour le chanvre; les
deux textiles réunis ont donné lieu à une exportation de 1 1 millions 4.
Les entrées et les sorties des produits manufacturés sont respective-
ment : de 6 millions 1 et 1 3 millions 9 , en ce qui concerne les fils
de lin, de chanvre ou de ramie; de 10 millions 3 et 10 millions 6,
en ce qui concerne les tissus faits des mêmes textiles. Nous achetons
surtout le lin de Russie, le chanvre d'Italie, les fils et les tissus d'An-
gleterre. Les pays où s eflFectuent nos ventes sont principalement : la
Belgique, pour le lin; la Belgique et l'Angleterre, pour les fils;
l'Angleterre, la Belgique et les colonies françaises, pour les tissus.
Des différents Etats étrangers , la Grande-Bretagne est certainement
celui où l'industrie linière a toujours le plus d'importance. Le siège
de la filature des fils fins, de la fabrication des fils à coudre et du
tissage des toiles fines ou moyennes se trouve en Irlande ; cette partie
du Royaume-Uni présente un climat doux et humide, qui convient
parfaitement à la filature; l'Ecosse conserve la spécialité des gros
numéros en fils secs et des toiles fortes.
Les plantations de jule dans les Indes britanniques couvrent plus
de 5 00,000 hectares et donnent une récolte évaluée, en 1897, à
1,2 5 0,0 00 tonnes, dont 700,000 vont aux manufactures locales,
tandis que le surplus est exporté en Europe et en Amérique.
De nombreux établissements se sont successivement élevés pour la
filature et le tissage du jute aux Indes, en Amérique, en Australie,
en Europe et notamment en Angleterre, dans le district de Dundee.
L'introduction de la filature en France date de i843; elle est due à
MM. D. Dickson et J. Carmiehaêl. MM. Saint frères ont ensuite fondé
le premier tissage mécanique (1857). Comme au début, notre indu-
strie du jute reste cantonnée dans la région de Dunkerque et dcins la
Picardie. Ses progrès sont incessants : nous avons actuellement près
de 85,000 broches. La Grande-Bretagne a un outillage encore plus
FILS ET TISSUS DE LIN, DE CHANVRE, ETC. 337
puissant On ne compte pas aux Indes moins de 376,000 broches et
1 3,600 métiers à tisser.
Pendant la période triennale 1898-1900, la valeur annuelle
moyenne des importations de jute en France a dépassé 3o millions
de francs, celle des exportations de fils 3 millions et celle ies expor-
tations de tissus 6 millions.
La statistique des Indes britanniques pour 1900 évalue à 198 mil-
lions les sorties de matière première et à 1 54 millions l'exportation des
tissus. Plus de la moitié du jute expédié par les Indes (10 4 millions)
est allée dans le Royaume-Uni , qui en a réexpédié une forte part sous
forme de fils (12 millions) ou de tissus (^7 millions).
Dans un précédent chapitre, j'ai déjà rappelé, en même temps que
les qualités de la ramier les difficultés qui jusqu'ici ont enrayé les em-
plois de cet excellent textile. Il serait très désirable que ces difficultés
pussent enfin être vaincues,
La France a cinq filatures de ramie, l'Allemagne deux et l'Angle-
terre également deux.
\ Entre autres produits remarquables obtenus au moyen des fils de
ramie, on peut citer le linge, beaucoup plus résistant au lavage que la
toile de lin. Certaines grandes entreprises, comme la Compagnie trans-
atlantique, font maintenant usage du linge de ramie, dont la solidité
et la durée compensent largement le prix élevé.
L'usage a prévalu de joindre dans les classifications le travail de
Yamtanle à celui du lin, du chanvre ou du jute, bien qu'il s'agisse là
d'un minéral, composé de silice, de magnésie et d'alumine. C'est qu'en
effet l'amiante se file et se tisse, fournit des étoffes, soit seul, soit en
mélange avec d'autres textiles. Les caractéristiques de l'amiante sont
l'incombustilité, l'inconductibilité électrique ou calorique, l'imputresci-
biïité.
On trouve l'amiante en France (Pyrénées, Savoie, Corse), en Si-
bérie, en Italie, au Canada, au Cap de Bonne-Espérance. Il y a vingt-
cinq ans environ, l'Italie était le seul pays vraiment producteur.
Aujourd'hui, le Canada est le principal centre d'extraction ; dès 1898 ,
93
niPlltirillK ^ATIOSILK.
338 FILS ET TISSUS DE LAINE.
il donnait près de 16,000 tonnes. Le contingent de la province de
Québec représente 90 p. 100 de k consommation du monde entier.
À la filature du lin et du chanvre se rattache la corderie, pour
laquelle les fabricants mettent d'ailleurs en œuvre d'autres matières pre-
mières. Les textiles habituellement utilisés sont : le chanvre d'Europe
(ficelles, cordes et cordages ordinaires); le lin (cordelettes fines et
cordes de fantaisie); le jute (ficelles et cordes de qualité inférieure); le
chanvre de Manille, le sisal et \e phormium tmax (ficelles de mois-
sonneuses-lieuses, câbles de mines, câbles de transmission).
Notre importation annuelle de ficelles ou de cordages est inférieure
à 4oo,ooo francs, tandis que l'exportation dépasse 5,53 0,000 francs.
3. Fils et tissus de laine. — On sait que la laine est employée pour
la fabrication de deux genres de tissus très différents : les tissus ra» et
les û^^w^ feutrés ou draps. Dans les premiers, les fils restent à décou-
vert, bien visibles : ils doivent être souvent très fins, toujours réguliers
et homogènes, et ne peuvent arriver à cet état que par des opérations
multiples, avec intervention du peignage^ ce qui leur a fait donner le
nom de JiU peignés. Dans les tissus feutrés, les fils n'atteignent jamais
une grande finesse; ils ne forment, en quelque sorte, que le canevas
de l'étoffe, qui se condense et prend corps par le foulage : on y emploie
ou plutôt on y employait k peu près exclusivement autrefois de la laine
cardée. Aujourd'hui, la laine peignée est fréquemment utilisée pour la
fabrication de certains draps, notamment des draps de fantaisie; en
outre, les mélanges de laine peignée et de laine cardée sont devenus
usuels : c'est même ce qui a déterminé les organisateurs des Expositions
à réunir, depuis 1 889, les deux classes antérieurement distinctes dans
les classifications. Néanmoins on peut encore dire que le domaine de
la laine cardée comprend surtout les tissus épais et chauds pour vête-
ments d'homme, et celui de la laine peignée les étoffes légères, des-
tinées en grande partie à la consommation féminine.
Afin de rendre mes explications plus claires, je devrai, du moins
jusqu'à une époque récente, examiner successivement la marche de
l'industrie pour les tissus foulés et pour les tissus non foulés.
FILS ET TISSUS DE LAINE. 339
Vers i8o3, Douglas et Cockerill importèrent en France les pre-
mières machines à carder et filer mécaniquement la laine : de cette
époque date une véritable rénovation de l'industrie drapière.
Malheureusement survint, en 1 81 4, une crise due à diverses causes,
parmi lesquelles il convient de citer Ténorme importation des draps
belges : nos voisins avaient, en effet, employé avant nous les machines
anglaises; ils étaient parvenus ainsi à produire davantage, plus vite
et à meilleur marché. Les industriels français n'hésitèrent pas à faire
des sacrifices pour s'outiller comme leurs concurrents de Belgique et
d'Angleterre; mais, en même temps, ils sollicitèrent la prohibition
des draps étrangers et réclamèrent un droit de sortie sur les laines*
L'Exposition de 1819 prouva que l'industrie nationale avait recon-
quis le terrain perdu, et la supériorité des draps français y fut officiel-
lement reconnue. Cette supériorité était due, pour une certaine part,
au soin apporté dans le triage des laines. Jusqu'alors, on n'avait pas
assez remarqué la différence de finesse des toisons d'une même prove-
nance ni celle des parties d'une même toison. Le triage permit d'ob-
tenir des matières exceptionnellement belles et fines pour les tissus
du plus haut prix. De grands efforts avaient, d'ailleurs, été faits dans
le but de perfectionner les machines et d'en inventer de nouvelles :
MM. Temaux, qui possédaient des manufactures de draps à Sedan,
Louviers, Elbeuf et Saint-Ouen, exposaient en 1819 un métier à tisser
mécaniquement; le baron Poupart de Neuflize (manufacturier à Sedan,
Louviers et Elbeuf), Sevenne (négociant à Paris) et John Collier
(ingénieur-mécanicien), montraient une tondeuse à forces hélicoïdes.
Sedan et Louviers, placés à la tête du mouvement industriel, fabri-
quaient des draps d'une extrême finesse, sans rivaux en Europe ; Elbeuf
offrait une grande variété de produits, très remarquables par leur
qualité ; les départements de l'Aude, de THérault et du Tarn faisaient
des tissus destinés à l'exportation, et le jury signalait en particulier les
draperies pour le Levant, venant de Garcassonne, Saint-Pons, Maza-
met et Clermont-l'Hérault.
Cependant l'industrie française était au lendemain d'une crise et de
ruines imputables à la surproduction qui avait suivi l'introduction des
machines. Les chefs d'établissements, assez habiles pour résister aux
3A0 FILS ET TISSUS DE LAINE.
entraînements et assez heureux pour franchir ce mauvais pas, jouirent
bientôt dune prospérité exceptionnelle. En 1898, les rapporteurs du
jur\ central estimaient à plus de i5o millions la valeur des draps
livrés annuellement au commerce par les fabricants français : à elle
seule, la ville d'Elbeuf entrait pour 36 millions dans ce total.
À l'Exposition de 1827 figurèrent des draps de toute sorte : draps
forts appelés cuirs laine; draps imperméables; étoffes légères, telles
que zéphyrs, amazones, bolivars ou flanelles avec chaîne et trame en
fils cardés, entrant en concurrence avec les flanelles croisées à chaîne
peignée et Irame cardée. Tous les tissus étaient bons. Mais les couleurs
et les nuances manquaient parfois de régularité et donnaient lieu à des
barres ou barrages.
Le danger de la surproduction apparaissant de nouveau , on songea
à accroître l'exportation et on demanda au Gouvernement de Tencou-
rager. Plusieurs industriels de Sedan, d'Elbeuf et d'Abbeville trouvèrent
des débouchés en Chine et dans les deux Amériques; leurs draps
étaient quelquefois paj es en thé et en indigo.
Après les troubles de juillet i83o, le Gouvernement accorda un
subside de 3o millions aux commerçants et industriels les plus
éprouvés ; la fabrication drapière continua à se développer et à étendre
son exportation qui, de i5 millions en 1897, P^^^^^ p'^^ ^^ *^ "^îl"
lions en 1882.
L'Exposition de 1 834 fut, pour la draperie, l'occasion d'une nou-
velle victoire ; le nombre des exposants, la qualité et la diversité des
produits attestérejit les progrès incessants réalisés par notre industrie.
Elbeuf se fit remarquer par ses nouveautés et devint le Leeds de la
Franco : au drap uni venait ainsi s'adjoindre le drap façonné. Un fait
regrettable commençait à se manifester : par suite des pertes de nos
cultivateui^s sur les laines fines, l'importation en France des laines
étrangères augmentait sensiblement; dès i84o, cette importation re-
présentait la moitié de la consommation, malgré le droit de 3 9 p. 1 00
à l'entrée.
Ici se placent deux perfectionnements considérables dans le matériel
de la filature : la carde à boudins, fil continu, remplaça la carde à
loqueltes, et le métier mule-jenuy de 100 à 3oo broches, mu par un
FILS ET TISSUS DE LAINE. Ui
moteur mécanique, fut substitué au métier à main de 4o à 60 broches,
ce qui abaissa de 10 p. 100 environ le prix de la filature.
En i844, rExposition montra que non seulement les trois grands
centres de l'industrie drapière, Sedan, Louviers et Elbeuf, mais aussi
tous les autres, comme Vire, Vienne, Mazamet, etc., avaient accompli
des progrès notables dans les étoffes de goût. Partout également, l'an-
cien outillage disparaissait devant les machines perfectionnées, qui
augmentaient la production et amélioraient la qualité. Les foulons à
l'anglaise commençaient à être employés ; l'action des anciennes piles
était ainsi remplacée par la pression entre deux cylindres, qui donnait
un drap plus égal , plus ferme , moins exposé aux tares.
Nos fabricants redoublaient d'efforts pour élargir leurs débouchés à
l'étranger et pour réparer la faute de quelques producteurs, qui avaient
pris la fâcheuse habitude de n'expédier au loin que des tissus de second
choix.
Vers 1845, les étoffes drapées se divisaient en quatre catégories :
1** étoffes foulées et garnies, unies, façonnées et brodées, connues sous
le nom de tartans, coatings, vénitiennes, etc.; 3** draps proprement
dits ; 3** draps croisés, tels que castors, satins, casimirs ; li"" étoffes plus
ou moins drapées, en armures de fantaisie, pour pantalons d'hiver et
d'été. Les nouveautés drapées de la quatrième catégorie s'exportaient à
Batavia, à Manille, à Singapour, au Cap, où les articles d'Elbeuf, en
particulier, jouissaient d'une réputation incontestée. Elbeuf et Abbe-
ville faisaient aussi un commerce important avec la Chine et y
envoyaient des étoffes légères dites zéphyrs. D'une enquête oflScielle
organisée à cette époque et portant sur les seuls ateliers de plus de
10 ouvriers, il résultait que la production française en lainages foulés
n'était pas inférieure à 3 00 millions de francs, dont 55 à 60 millions
pour Elbeuf, 30 millions pour Sedan, 9 millions pour Louviers.
Elbeuf, réputé pour la fabrication des draps de couleurs fortes, se
mit à faire en grand les draps noirs fins, dont l'usage se répandait
chaque jour, et la fabrique elbeuvienne ne tarda pas à fournir le cin-
quième de la consommation totale du drap noir en France. Bischwiller,
de son côté, continua la fabrication des draps noirs intermédiaires, et
sa production s'éleva en 1 8/16 à 6 millions.
342 FILS ET TISSUS DE LAINE.
Bientôt apparurent les machineg & effilocher les chiiïonB de tissus,
afin d'utiliser à nouveau la laine et de créer, par suite, des articles d'un
prix très modique.
A la veille de la première Exposition universelle internationale,
celle de Londres en i85i, notre industrie drapière tenait dans le
monde une situation sans égale; son outillage était perfectionné, ses
prix de revient avantageux, et ses étoffes universellement recherchées.
Grâce au travail mécanique, elle avait pu, avec un personnel ne
dépassant pas celui de 1 800, accroître dans une proportion énorme le
chiffre de sa fabrication, augmenter les salaires et diminuer le prix des
draps; ce dernier résultat était, du reste, facilité par un abaissement
du prix des laines.
En i85i, 4a production française des lainages de toute nature
représentait 990 millions de francs, dont 6/10 pour les étoffes foulées;
notre exportation atteignait 110 millions. L'Angleterre produisait
967 millions de tissus foulés ou ras, chiffre peu supérieur au nôtre ; elle
exportait pour uko millions. Dans le ZoUverein «• la production n'allait
pas au delà de 4oo millions, l'exportation au delà de 5o millions. Les
industriels français qui prirent part à l'Exposition de Londres furent
peu nombreux, mais soutinrent dignement leur renom; de hautes
récompenses affirmèrent les mérites de leurs produits.
L'année i855 marque peut-être l'apogée de notre industiîe dra-
pière. De Montagnac, manufacturier à Sedan, obtint un gros succès
pour le drap-velours qu'il venait de créer par le battage de l'étoffe
mouillée et qui imitait le velours de soie , tout en gardant la douceur
et la souplesse de la laine. Quelques fabricants d'Elbeuf , et en parti-
culier Ghenevière, avaient su trouver des tissus nouveaux et variés, par
le mélange à la laine de diverses matières, telles que la soie, A ce
moment, la laine indigène n'entrait plus que pour un quart dans la
consommation ; on faisait venir des laines étrangères de Russie, d'Alle-
magne, d'Australie, d'Espagne et de la Plata; en revanche, les expor-
tations de tissus s'étaient développées et le marché de nos draps
s'étendait non seulement en Italie et en Espagne, mais dans le Levant
et dans tous les Etats des deux Amériques.
Peu de temps après, les traités de 1860, seconde application du
FILS ET TISSUS DE LAINE. 343
libre échange vis-à-vis de l'Angleterre, vinrent jeter une certaine per-
turbation dans rindustrie française : la fabrication se ralentit et subit
des chômages ; l'invasion des tissus anglais causa des pertes irrépa-
rables à un grand nombre de petits industriels qui travaillaient encore
pour leur compte dans les campagnes. Notre fabrique n'en tint pas
moins une belle place à l'Exposition de Londres, en 1863 ; elle s'y
distingua spécialement ff par le choix des dessins et l'harmonie des cou-
(fleurs». Mais cette Exposition permit surtout d'apprécier l'importance
de l'industrie drapière en Belgique, et spécialement à Verviers : les
étoffes belges, sensiblement inférieures à celles de la France au point
de vue de la qualité , avaient l'avantage du bon marché. On vit aussi à
Londres les premières machines pour le séchage de la laine.
Après une période de découragement, nos producteurs entreprirent
de lutter contre leurs concurrents anglais. Ils spécialisèrent davantage
les étoffes pour les différentes parties du costume. Elbeuf fabriqua à la
fois des cuirs-laine, des imperméables, des zéphyrs, des draps croisés,
des satinés, des édredons, des castors, des ondulés, des ratines, des
frisés, des draps de fantaisie mélangés de soie et de coton, etc.; la
gamme s'enrichit de tissus nouveaux, de satinés aux nuances tendres,-
de casimirs jaspés et chinés , de tartans légers et duveteux pour con-
fections féminines, d'une foule d'articles naguère inconnus. Sedan se
signala par ses façonnés, ses draps noirs, ses twines fines et mélan-
gées, ses velours de laine. Louviers entreprit d'imiter les articles
anglais. Vire suivit l'exemple de Sedan et fabriqua plus spécialement
les bleus unis et les veloutés pour le costume de dame. Vienne exécuta
avec des matières communes les mêmes étoffes qu'Elbeuf. Ce qui
distinguait tous les tissus de cette époque, c'était l'excellence de la fila-
ture , grâce à laquelle on pouvait déjà composer des étoffes d'une net-
teté remarquable.
L'introduction des laines coloniales, particulièrement des laines de
Buenos-Ayres et de Montevideo, donnait des tissus plus fins et moins'
coûteux. Toutefois ces laines présentaient un grave inconvénient pour
la filature : elles renfermaient des débris végétaux, chardons ou grate^
rons, en quantité beaucoup trop considérable pour qu'il fût possible
de les employer sans une épuration préalable ; aussi vit-on figurer à
344 FILS ET TISSUS DE LAINE.
l'Exposition de 1 867 une machine à échardonner. Outre les graterons,
les laines coloniales contenaient d'autres débris végétaux que les
moyens mécaniques étaient impuissants à faire disparaître et qui exi-
geaient des opérations coûteuses, l'époutillage et l'épincetage; heureu-
sement fut découvert Tépaillage chimique, fondé sur la propriété
qu'ont des acides portés à une certaine température, de détruire les
matières végétales sans altérer les matières animales.
Un autre événement capital fut l'emploi de la blousse, déchet pro-
venant des laines soumises au peignage. D'abord utilisée timidement
vers 1863, la blousse ne tarda pas à trouver sa place dans la draperie
unie, et principalement dans le drap noir, où son mélange avec la laine
mère donnait plus de finesse et de moelleux ; la blousse blanche pou-
vant, à l'inverse de la blousse teinte, se filer à des taux élevés, on com-
prend tout le parti qu'en tirèrent les fabricants pour les draps teints en
pièce. Ce fut une économie notable : le prix moyen du kilogramme
de blousse variait de 4 à 7 francs, alors que le prix de la laine d'Al-
lemagne servant à la fabrication du drap noir oscillait entre 8 et
ili francs.
D'autres perfectionnements remontent à la même époque : sub-
stitution de moyens automatiques, surs et rapides, à la main de
l'homme, pour le dégraissage de la laine ; remplacement de l'ensimage
ou graissage à l'arrosoir par l'action du loup graisseur de Gélestin
Martin; mise au point, par le même constructeur, du métier que
Vimont de Vire avait inventé dès i855 et qui réalisait «la simulta-
ffuéité des trois fonctions de la filature, étirage, torsion, renvidage??;
retordage mécanique au moyen des machines de Ryo-Gatteau et de
Sjkes; construction de cardes nouvelles par la maison Mercier de
Louviers ; adaptation des métiers à tisser aux besoins divers de la fabri-
cation. Mercier, Lacroix de Rouen, Stehelin de Bischwiller, avaient
établi des métiers mécaniques à draps et à satins, extrêmement pra-
tiques pour la draperie unie ; mais ces métiers n'étaient pas appliqués
au tissage des nouveautés, le travail inconscient de la machine n'ayant
pu jusque-là remplacer pour ces tissus l'intelligence et la sagacité de
l'ouvrier.
Malgré tous ces efforts, la fabrique française luttait difficilement
FILS ÇT TISSUS DE LAINE. 345
contre les conséquences des traites de 1860. C'est ainsi que le chiffre
d'affaires d'Elbeuf et de ses annexes, qui, dans la période comprise
entre i853 et i858, avait progressé de 55 à 85 millions, se retrou-
vait à 85 millions en 1866 et tombait à 80 millions en 1867. Les
rapporteurs du jury de 1867, quoique rendant un juste hommage à la
qualité de nos produits, insistaient sur la concurrence redoutable de
l'Angleterre et delà Belgique, sur les moyens mis en œuvre par ces
deux pays pour envahir le marché français, sur les conditions difficiles
dans lesquelles se trouvaient nos manufactures, notamment en raison
de la cherté du combustible , sur l'énergie qu'il nous fallait déployer,
sur la nécessité de nouvelles améliorations dans l'outillage , sur l'oppor-
tunité de recourir davantage au tissage mécanique.
Le bon marché des laines imprima cependant une certaine activité
à notre fabrication; diverses villes travaillant la laine cardée, Sedan,
Louviers, Bischwiller, Vire, Mazamet, prirent d'ailleui^s le parti de
diminuer leurs qualités pour imiter les draps anglais et belges.
Une fois encore, les transactions commerciales furent arrêtées par
les événements de 1870. A Elbeuf, l'entrée des laines brutes, qui
avait atteint près de â 0,000 tonnes en 1869, descendit à 1 i,/i6o tonnes
en 1870 et à ii,iâo tonnes en 1871; la production tomba de
90 millions de francs en 1869 à 5i millions en 1.870. Tout concou-
rait du reste à aggraver la crise : interruption du service des transports,
pénurie du charbon dont le prix s'éleva jusqu'à 70 francs la tonne,
hausse rapide et inattendue de la laine.
11 y eut bien une reprise à la signature de la paix ; mais l'essor fut
vite enrayé par l'insurrection de la Commune et par l'annonce des
droits que le Gouvernement se proposait d'instituer sur l'entrée des
matières premières.
Les débouchés offerts à notre exportation tendaient à se fermer :
l'Amérique du Nord élevait ses droits de douane à 80 p. 1 00 ; l'Espagne
se protégeait par une taxe de 3 o p. 100, la Russie par un droit de
4o p. 100 ; des révolutions intestines troublaient l'Amérique du Sud.
D'autre part, l'Angleterre, qui voyait également diminuer son com-
merce avec ces pays, déversait sur notre marché le trop-plein de sa
production. Les importations de tissus étrangers, évaluées à âo mil-
346 FILS ET TISSUS DE J.AINE.
lions en 1861 et à ^9 millions en 1867, montaient à 79 millions en
1876.
L'Exposition de 1878 ne révéla aucune de ces découvertes impor-
tantes qui modifient les conditions d'existence d'une industrie. Pourtant,
l'outillage continuait k se perfectionner et les anciens procédés clispa-
raissaient de plus en plus.
Parmi les nations étrangères, l'Angleterre affirmait sa suprématie,
grâce aux facilités d'approvisionnement qu'offraient ses marchés de
laines coloniales à Londres et à Liverpooi ^^\ grâce aussi au bon mar-
ché de la houille, à l'immense développement de la construction des
machines, à l'abondance des capitaux, aux débouchés que la métropole
trouvait dans ses colonies. Gomme la Grande-Bretagne, la Belgique
était dans une excellente situation, qu'elle devait à son magnifique
port d'Anvers, à ses puissantes mines de houille, à ses nombreuses
voies de communication, à sa population active et intelligente. L'Au-
triche comptait au nombre des grands pays producteurs. Quoiqu'elle eût
notablement progressé, la Russie devait encore accroître et améliorer
sa fabrication.
La caractéristique de l'Exposition consistait dans l'uniformité rela-
tive des produits du monde entier. Suivant l'habileté ou la force pro-
ductive de chaque nation, les tissus étaient un peu plus ou un peu
moins bien fabriqués, un peu plus ou un peu moins chers; mais le
cachet spécial ne s'accusait plus comme autrefois.
En France, à côté d'une admirable collection de nouveautés, Elbeuf
présentait des draps unis, dont la finesse et les apprêts ne laissaient
rien à désirer. Sedan et Louviers conservaient la réputation de leur
draperie unie et de leurs fantaisies. Vienne et Mazamet témoignaient
d'efforts persévérants et montraient des draps communs rivalisant avec
les produits similaires anglais. La production nationale en tissus de
laine cardée était estimée à 3 5o millions ; l'exportation, qui, en 1 876,
approchait de 76 millions, avait fléchi depuis 1 876 et ne dépassait pas
58 millions en 1878; quant à l'importation, elle était passée de
10 millions en iS'jkk 19 millions en 1876 et 17 millions en 1878 :
(^^ Ces deux places recevaient annuellement i5o millions de kilogrammes de laines colo-
niales.
FILS ET TISSUS DE LAINE. 347
ainsi Tinvasion de» tissus étrangers, et surtout des nouveautés an-
glaises, devenait plus menaçante, en même temps que notre expor-
tation diminuait.
Avant de poursuivre cet historique, jetons un coup d'œil sur
l'évolution de l'industrie des laines non foulées depuis le commence-
ment du siècle.
On signale à Reims Tannée 186& comme le point de départ de la
production du mérinos. La première pièce fut tissée à rétablissement
dit le Mont Dieu avec une trame en fil lisse tordu , employé ordinairement
à la chaîne, et devait servir à faire des châles. Cette étoffe, dont la
chaîne et la trame étaient peignées, constituait un article nouveau pour
larmure croisée. Elle fit l'objet du brevet pris le 4 décembre i8o4
par Jobert^Lucas et C" de la maison Ternaux.
L'initiative des premiers essais sérieux de peignage mécanique
appartient à la France. Vers 1 8 1 9 , débutèrent les applications effec-
tives des machines à peigner ; en même temps commença l'essor de
l'industrie des châles français. Cependant les tentatives de peignage
mécanique demeuraient encore sans succès signalé, quand Laurent eut
l'idée de se servir du peigne cylindrique ou manchon circulaire armé
d'aiguilles, pour faciliter et régulariser les étirages. Cet engin fut per-
fectionné par différents industriels.
Pendant la période de tâtonnements du peignage, la filature méca-
nique frayait sa voie, mais très péniblement, à partir de 1 8 1 s. Bazan-
court prit la tête du mouvement; LeCateau, Rethel, Reims, puis Paris,
Roubaix et Amiens suivirent.
A l'Exposition de 1838 figuraient de très beaux échantillons de
laine peignée et filée mécaniquement, que le jury récompensa par
des médailles d'or. On y voyait également d'excellentes étoffes rases
et des châles cachemires fort remarquables.
En 1896, apparut une peigneuse originale, inventée par Godard,
d'Amiens, et construite par Collier. A la même époque naissait la
filature de Fourmies, embrjon d'un des grands centres industriels de
la France.
Les fils et les tissus de laine peignée continuèrent à faire bonne
348 FILS ET TISSUS DE LAINE.
figure aux Expositions de 1837, i83A, ^^89 et 1 86 'i. On constatait,
lors de cette dernière Exposition, des progrès notables non seulement
dans la fabrication mécanique, mais encore dans la confection même
des articles de goût et de luxe, et spécialement des cachemires, dont la
valeur, pour un châle de même surface (1 m. q. 60), variait de 8 francs
à 800 francs et davantage.
Il était réservé à une nouvelle machine, la peigneuse Heilmann, de
provoquer une véritable révolution. Cette peigneuse, qui divisait la
mèche, agissait en quelque sorte sur les fibres isolées et, sans l'inter-
vention de la chaleur, les réunissait ensuite pour en former un ruban
continu. Elle tarda néanmoins à être utilisée.
La France occupa une place des plus importantes à l'Exposition
de i85i. Nous étions alors les maîtres incontestés pour la filature et
le tissage de la laine cardée; quant au peigné, notre outillage de
création récente semblait devoir être le point de départ d'une rénova-
tion industrielle, et nos tissus ras, façonnés ou à armures, étaient sans
rivaux. J'ai déjà dit, à propos des tissus foulés, quelle était alors l'im-
portance de notre production et de notre exportation ; je me borne à
ajouter que la France comptait plus de 8 5 0,0 00 broches de filature
pour laine peignée, occupant 5 1 ,000 personnes, dont le salaire dépas-
sait 26 millions de francs.
En Angleterre, l'histoire de la ville de Bradford était presque celle
de la laine peignée dans ce pa\s. Au commencement du siècle, Bradford
avait une population de i3,ooo âmes; le nombre des habitants
s accrut dès l'introduction des métiers à filer ; lors de l'Exposition de
Londres, il dépassait 100,000. Les Anglais se montraient tout à fait
supérieurs dans la filature de la laine peignée ; ils fabriquaient d'incom-
parables tissus de laine longue ; leurs tissus mérinos mélangés de coton
revenaient à un prix incroyable de bon marché.
L'industrie de la laine peignée en Allemagne n'était due qu'à l'appli-
cation de nos procédés. Tous les produits exposés parle Zollverein,
en laine peignée , mélangée ou non de soie et de coton , imitaient ceux
de la France, mais en qualité inférieure.
Des aptitudes franchement anglaises se manifestaient en Autriche,
où la filature de la laine peignée avait pris naissance vers i83i. Un
FILS ET TISSUS DE LAINE. 349
mouvement très remarquable s'y dessinait par suite de la création
d'immenses usines réunissant la filature, le tissage, l'impression et les
apprêts.
Dans la section russe avaient pris place des tissus de laine pure ou
mélangée de soie et de coton, imités des tissus français. Il n'existait pas
encore de peignage mécanique en Russie, sauf dans les établissements
qui filaient pour leur propre tissage. A l'origine, le système adopté fut
le peignage à la carde, dont le produit était dénommé peigné-cardé.
La Belgique avait une exposition médiocre en tissus de laine peignée.
Il en était de même de l'Espagne, des Etats-Unis et des Pays-Bas.
Ce que nous avions, en définitive, le plus à redouter, c'était le bas
prix des tissus anglais, dû à l'application presque universelle de la
mécanique dans le tissage, à la combinaison économique des étoffes
que l'Angleterre créait ou copiait, au bon marché des capitaux et sur-
tout du combustible. L'Allemagne tendait à arriver au même résultat.
Notre savant rapporteur conseillait aux industriels français d'employer
davantage leur goût à la fabrication des étoffes consommées par les
masses, de développer l'usage du ^ métier mécanique, de créer des
comptoirs directs sur les principaux marchés.
L'Exposition suivante, celle de i855, permit de constater que ces
conseils avaient été écoutés. Suivant les appréciations du jury, la pei-
gneuse Heilmann constituait l'instrument le plus précieux qui eût été
découvert depuis quarante ans dans la filature. Les assortiments si
complets de tissus présentés par MM. Schlumberger furent, de l'aveu
même des Anglais , jugés supérieurs à tous les autres.
À l'Exposition de Londres, de 1 863 , nos étoffes rases surent, comme
la belle draperie, garder leur prépondérance. Dans la fabrication des
châles, le problème du spoulinage mécanique, pendant longtemps
réputé insoluble, était sur la voie de solutions industrielles qui ten-
daient à faire disparaître l'infériorité des châles français vis-à-vis de
ceux de l'Inde, ou plutôt à assurer leur suprématie. L'Alsace se faisait
remarquer par ses filatures de laines peignées. En dix ans, de i85i
à 1861, Roubaix avait élevé le nombre de ses broches de 1 45, 000 à
200,000, Tourcoing de 81,000 à 189,000, Amiens de /i3,ooo à
55,000. Pour les principales nations européennes, le mouvement avait
350 FILS ET TISSUS DE LAINE.
été pvdièie à celai de la PraBee. En Angieterre, on constatait, pen-
dant la dernière période décennale, une augmentation de 60 p. 100
sur le matériel de la laine peijg^née et des tissus ras ; le goût des Anghw
s'était d'ailleurs épuré, et ils cherchaient k lutter même sur ce terrain
avec la France.
L'Exposition de 1867 mit encore davantage en lumière le dévelop-
pement de Tindustrie du peigné* MM. Holden, dont les établissements
de Reims et de Croix fournissaient, en 1866, /(,5oo,ooo kilogrammes
deiaine peignée, exposèrent des produits de premier ordre; les laines
longues, les alpagas, les poils de chèvre peignés à Roubaix pouvaient,
sauf quelques défectuosités de triage, rivaliser avec les plu» beaux
spécimens de Bradford; les laines moyennes et communes de toutes
provenances étaient satisfaisantes. De 1861 à 1867, ^^ Fraûce avait
vu la valeur de ses exportations de laine peignée, presque exclusive-
ment en destination de TAllemagne, passer de 65o,ooo francs è
7 millions et demi, tandis que Timportation d'An^eterre se réduisait
& 9 3 5, 000 francs. Deux centres industriels contribuaient particulière-
ment à ce succès : Reims, qui possédait 536 peigneuses pouvant four-
nir 19,000 kilogrammes par jour, et Roubaix, qui en avait 356,
donnant une production journalière de & 0,000 kilogrammes.
Plus de 60 filateurs et beaucoup de tisseurs exposèrent en 1 867 des fils
de laine peignée , fils simples en laine mérinos , fils retors pure laine , fils
pour tapisserie et bonneterie, fils simples et retors en laine longue, etc-
L'Angleterre avait une prééminence marquée dans les trames simples
en laine longue, les retors et les fils d'alpaga; Rradford surpassait
Roubaix, malgré le parti que cette place avait su tirer des laines
d'Afrique, de Perse et des Indes. Mais, après TAngleterre, la France
occupait le premier rang, et, pour la filature de la laine peignée mé-
rinos, elle servait de modèle à toutes les autres nations. Si aucune ma-
chine nouvelle de filature ne pouvait être signalée, du moins l'usage
du métier self-acting devenait chaque jour plus général; en outre, la
supériorité du matériel français pour les laines mérinos s'accentuait
nettement.
La fabrique anglaise consommait, en 1866, 1 39, 000 tonnes de
laine, soit 9 1 p. 1 00 de j^us qu'en 1 861 ; son exportation de fils de
FILS ET TISSUS DE LAINE. 351
laine (fils de laine peignée pour la plupart) atteignait 1 18 millions de
francs, en augmentation de 33 p. loo sur le chiflfre de i86i- Notre
filature n était pas restée en arrière; de 1863 à 1866, le nombre de
broches pour laine peignée avait reçu un accroissement notable ; il
s'élevait à 1,760,000, au lieu de i,3o 0,000; le département du Nord
figurait dans le total pour 900,00b broches. Quant à notre exportation
de fils, elle avak fait un bond de 6 millions et demi à sS millions.
D'après les chiffres statistiques consignés dans le rapport du jury, les
pays du Zollverein ne comptaient que 820,000 broches, dont très peu
pour les laines longues; l'Autriche, 5o,ooo; les Etats-Unis, 100,000 :
l'industrie de l'Amérique du Nord, qui ne remontait guère au delà de
1860, trouvait une protection efficace dans des droits presque pro-
hibitifs, de 6 5 et même 7 5 p. 1 o o , selon la nature des produits importés.
En France, les principaux centres de production des tissus en peigné
étaient Reims, Roubaix, Saint-Quentin, Amiens, Le Gâteau, Guise,
Sainte-Marie-aux-Mines, Mulhouse, Rouen et Paris. Depuis 1861,
Roubaix ne cessait de grandir; en dix ans, sa production et sa popu-
lation avaient décuplé; ses fabricants, pleins d'initiative, n'hésitaient
pas à risquer de gros capitaux pour perfectionner leur outillage et
lutter contre leurs rivaux de Rradford; ils avaient, en 1867, plus de
1 0,000 métiers mécaniques. Reims avait porté , dans la période de 1 869
à 1866, le nombre de ses métiers mécaniques de 2,5oo à 6,.90o; il y
restait encore 1 5,ooo métiers à main, occupant 4o,ooo personnes; sa
production était passée de 76 millions à io5 millions. L'exportation
de nos tissus de peigné (laine pure) s'élevait à 55 millions et demi en
1 866 , au lieu de 3o millions et demi en 1 86 1 .
Toutefois, à la veille de l'Exposition de 1 867, Je marché français se
trouvait quelque peu encombré. Poussés par la concurrence, nos fabri-
cants avaient exagéré leur production et le danger apparaissait d'au-
tant plus sérieux que les pays d'exportation commençaient à se protéger
par des droits excessifs. En même temps, à la faveur des traités
de commerce, l'Angleterre portait son importation sur nos places de
12 millions en 1861 à 37 millions en 18 66, Il est juste d'ajouter que
k France lui donnait la riposte et déversait au delà de la Manche
37 millions et demi de tissus au lieu de 1 1 millions.
352 FILS ET TISSUS DE LAINE.
Dans l'ensemble , le jury apprécia les étoffes exposées par le Royaume-
Uni comme cria dernière expression de la belle fabrication mécanique t»,
et celles de la France comme supérieures en qualité et en bon goût. La
Prusse et TAutriche offraient de belles copies des tissus anglais et fran-
çais; la Belgique, en pleine renaissance industrielle, montrait que
Bradford et Roubaix auraient désormais en elle un concurrent redou-
table; la Russie apparaissait aussi en progrès, grâce à ses grandes
usines de Moscou, et cherchait à refouler les produits étrangers par ses
droits de douane.
Les événements de 1870-1871 n'exercèrent pas sur l'industrie de
la laine peignée une influence aussi désastreuse qu'on eût été fondé
à le croire. Après la crise, la spécialité se développa dans le Nord,
la Marne, la Somme, les Ardennes et l'Aisne. Des progrès nouveaux
furent réalisés dans la fdature, notamment par la substitution plus
complète du métier self-acting au métier mule-jenny, ainsi que dans
le tissage, par la généralisation des machines : ces progrès étaient
d'ailleui's solidaires, car il fallait de meilleurs fils pour pouvoir rem-
placer le travail manuel du tisseur par le travail automatique.
Nous arrivons ainsi à l'Exposition de 1878. Vers cette époque, le
nombre des broches pour laine peignée était en France de 3,370,000,
dont 1,3 5 0,0,00 dans le département du Nord; nous avions cependant
perdu l'Alsace, cette région aussi industrieuse que française, qui, en
1867, ne comptait pas moins de 100,000 broches. La production
nationale en fils pouvait être évaluée à 34 millions de kilogrammes,
sur lesquels 4, 676, 000 kilogrammes allaient à l'étranger. Au total,
l'industrie de la laine peignée devait représenter environ 5 60 millions.
Les filateurs cherchaient à ajouter le peignage à leur filature, et la
façon correspondant à cette opération baissait de 3 5 p. 100; partout,
la mule-jenny, avec son renvidage à bras, avait fait place au
self-acting de 5oo, 600 et même 1,000 broches : cette substitution
diminuait de moitié le prix de la main-d'œuvre, bien que, depuis 1861,
lé salaire des fileurs et des rattacheurs eût augmenté de /io p. 100.
Dans le tissage, de grands progrès avaient été également réalisés :
tandis que le tisserand à la main lançait seulement 3,5 00 duites en
douze heures et recevait un salaire de 1 fr. 76 à 3 francs par jour, le
FILS ET TISSUS DE LAINE. 353
tisseur mécanique, menant deux métiers, lançait i/io,ooo duites et
recevait un salaire moyen de 4 francs à 4 fr. 3 5. Le tissu présentait
d'ailleurs une régularité beaucoup plus grande.
Pour le mérinos, le cachemire, les étoffes de laine peignée longue
et commune, nos grandes cités industrielles, Reims, Roubaix, Tour-
coing, Fourmies, obtinrent des succès considérables, et, dans son
rapport, M. Koechlin-Schwartz n'hésitait pas à placer la France au
premier rang. Il en était de même des tissus de haute nouveauté fabri-
qués à Paris et en Picardie. Le rapporteur signalait aussi la bonne qua-
lité de nos draps en laine peignée.
On constatait un rapprochement des deux industries de la laine
peignée et de la laine cardée, qui se réunissaient dans des établisse-
ments de Reims, Roubaix, Tourcoing, Elbeuf. Ce rapprochement se
manifestait également en Angleterre, en Autriche, en Russie, en Ita-
lie, en Belgique; depuis 1878, il n'a fait que s'accentuer, diminuant
ainsi la spécialisation des centres industriels.
Le rapporteur de la classe unique où se trouvaient confondues la
laine cardée et la laine peignée, à l'Exposition de 1889, P^*^ déclarer
avec un légitime orgueil cjue la France était à la tête de tous les pays
du monde dans lesquels se transformait la laine. Cette appréciation,
basée sur les statistiques de 1887, se confirmait par les statistiques
de 1889.
On évaluait, en effet, à 9 1 8 millions de kilogrammes la quantité de
laine mise à la disposition de l'industrie européenne et américaine,
pendant l'année 1889, et la seule consommation française avait atteint
221 millions de kilogrammes, représentant une valeur de /ioo mil-
lions de francs. Le contingent de l'Angleterre ne dépassait pas 2 1 3 mil-
lions de kilogrammes, y compris les poils de chèvre et d'alpaga, qui
figuraient dans ce chiffre pour une assez forte part et qui , au con-
traire, n'entraient pas dans le total relatif à la France.
Sur les 221 înillions de kilogrammes mis à la disposition de l'in-
dustrie française, 5o millions seulement avaient été fournis par notre
agriculture; le surplus provenait de l'Afrique du Sud, de l'Australie,
de la Plata et de l'Uruguay. Nos laines indigènes étaient d'ailleurs gé-
93
IWraillEftIK lATlOSALI.
35â FILS ET TISSUS DE LAINE.
néralenient communes : par la nature même des choses, les cultivateurs
français ne pouvaient se livrer à lelevage en grand des moutons, ni se
préoccuper des qualités delà laine, nécessairement sacrifiée à la viande.
La France faisait des efforts vigoureux pour soustraire ses appro-
visionnements au monopole des marchés étrangers d'Angleterre et de
Belgicjue. Plusieurs négociants de Roubaix, de Tourcoing et de Reims
avaient envoyé des acheteurs et créé des succursales dans les pays de
production, en Australie et à laPlata; ils effectuaient des importations
directes, soit pour leur compte, soit pour celui des filateurs. D'autre
part, des commerçants de Mazamet, établis à la Plata, importaient des
cuirs et des laines de peaux, rendant ainsi la prospérité à une ville
dont le tissage périclitait. Londres n'en restait pas moins de beaucoup
le premier marché de laine du monde : en 1 889, il y avait été offert,
aux ventes publiques, près de i,3oo,ooo balles de laines d'Australie
et du Cap. Bien loin en arrière venaient Liverpool (2 1 4, 000 balles),
Anvers (67,000), Marseille, le Havre et Bordeaux.
Grâce à Tindustrie du peignage, très dévelop|)ée dans le Nord et à
Reims, la France était devenue le plus grand marché de laine peignée
du monde; elle en avait produit, au cours de l'année 1889, 65 mil-
lions de kilogrammes et vendu à l'étranger 1 1 millions de kilogrammes,
valant 60 millions de francs. Cette situation assurait constamment à
nos manufacturiers un choix varié de matières premières, leur per-
mettait de satisfaire à toutes les demandes et de suivre toutes les indica-
tions de la mode, constituait pour eux un précieux élément de supériorité.
Douze millions de kilogrammes de laine étaient entrés à la filature
du cardé. Il fallait y ajouter un poids à peu près égal de renaissance,
c'est-à-dire de laine effilochée, ainsi qu'un poids important de filés de
coton.
Notre exportation de fils en 1889 s'élevait à 56 millions de francs
et notre importation à 20 millions seulement (fils de laine, i3 mil-
lions; fils de poil de chèvre, 7 millions). La valeur des tissus de laine
sortis de nos usines était estimée à 787 millions de francs et celle des
tissus exportés à 364 millions, alors que les entrées ne dépassaient pas
68 millions de francs. En ajoutant à la valeur des tissus celle des pei-
gnés, des fils, des blousses et des déchets exportés, on arrivait à un
FILS ET TISSUS DE LAINE. 355
total de 925 millions de francs, sur lesquels le commerce extérieur
absorbait environ 4 00 millions de francs. La laine et les lainages for-
maient le huitième de notre commerce extérieur spécial; les fils et les
tissus de laine donnaient le cinquième de ce commerce pour les objets
manufacturés.
D'après la statistique générale de la France (1887), Tindustrie lai-
nière nationale comptait 3,i5â,ooo broches, 4^,700 métiers méca-
ni(|ues de tissage et 2 5,4oo métiei's à bras. Les seuls chiffres connus
alors, en ce qui concernait les autres pays, étaient les suivants : Espagne,
1 million de broches, 4,5oo métiers mécaniques à tisser et 5,aoo mé-
tiers à la main; Autriche-Hongrie, 693,000 broches, 28,600 métiers
mécaniques et 18,000 méliei's à la main pour tissage; Etats-Unis,
65 o peigneuses, 4 00,0 00 broches, 3,5 00 métiers mécaniques , et
4,700 métiers à la main pour draperie, 55,ooo autres métiers à tisser
de toute nature; Russie, 180,000 broches.
Parmi les faits caractéristiques dé Tépoque, il y a lieu de mention-
ner d'abord la substitution de la laine peignée à la laine cardée ou son
mélange en forte proportion dans les tissus de draperie d'hommes, et
spécialement dans les articles de fantaisie pour pantalons ou costumes
complets. Cet emploi de la laine peignée , dont le début datait de 1 8 7 8 ,
permettait d'obtenir des étoffes plus fines, plus réduites et d'apparence
plus riche, surtout par les effets de soie fine, d organsins, etc., retor-
dus avec la laine : Roubaix, Tourcoing, Elbeuf et Verviers y excellaient.
De véritables tours de force, au point de vue du bon marché, avaient
été réalisés par les fabricants de lainages pour robes ou pour vête-
ments de femmes; malgré la haute nouveauté qui les distinguait, le
prix des tissus de Reims, Fourmies, Roubaix et même Paris, s'était
notablement abaissé, sans que leur qualité en fût amoindrie; cet
abaissement tenait non seulement à la réduction du prix de la matière
première, mais encore au développement de nos usines et à l'écono-
mie opérée dans les moyens de production.
Le tricot fin en laine peignée s'imposait sous toutes les formes; il
servait dans le vêtement et remplaçait la flanelle; les nombreux échan-
tillons exposés en 1889 ^^^^î^^^l remarquables par leur finesse, ainsi
que par la diversité des mélanges et des coloris.
!l3.
356 FILS ET TISSUS DE LAINE.
Partout, en Europe et dans l'Amérique du Nord , on voyait se vulga-
riser le métier mécanique. Cette vulgarisation contribuait puissamment
au nivellement des prix, qui dépendaient beaucoup moins des salaires,
et à l'uniformisation des produits, qui n'exigeaient plus les mêmes
aptitudes spéciales de la part des ouvriers.
Une innovation remarquable était l'emploi généralisé des déchets
de la filature et de la fabrication. Il n'y avait plus rien qui ne fût ré-
employé, grâce aux procédés de carbonisation et d'effilochage. On fai-
sait ainsi des tissus pure laine , de qualité relativement bonne et d'un prix
extrêmement bas.
' En France, Roubaix, Tourcoing, Fourmies, Reims, Elbeuf parais-
saient être les centres ayant accompli le plus de progrès pour la per-
fection et le bon marché des étofl'es nouvelles; la fabrication de Paris-
Picardie restait l'une des plus belles et des plus riches; Vienne avait
accompli de vrais prodiges pour les draps à bas prix et l'imitation de
la nouveauté chère.
Ainsi que je l'indiquais dans un précédent chapitre, la quantité
de laine mise à la disposition de l'industrie du monde, pendant
les trois années i8g8, 1899 et 1900, a atteint en moyenne
987,800,000 kilogrammes (1,02/4,200,000 kilogrammes en 1898,
1,091,800,000 en 1899, 917,800,000 en 1900). Les chiff'res rela-
tifs aux années 1899 et 1900 se sont répartis comme il suit entre les
régions productrices ou exportatrices (en millions de kilogrammes) :
1899. 1900.
! France 43.o iS.o
Grande-Bretagne 63. i 68.9 ^
Continent d'Europe (France
exceptée) 160.8 160.8
Amérique du Nord isg-i i36.4
! Australie 268.6 93îi.8
Cap 39.9 20.8
Plata et Uruguay 235.5 180. 3
Autres pays hors d'Europe. . . 81. 5 79.3
Totaux 1,021.8 9i7«3
FILS ET TISSUS DE LAINE.
357
Le parta{je de la laine disponible entre les grandes régions raaniH
facturières a été le suivant en 1898, 1899 et 1900 :
ANNÉES.
1898
189'J
1900
GRANDE-
BRBTAGNE.
95/1,5
93A,5
997,4
CONTINENT
D^BCttOPI.
AMÉRIQUE
DU NOBD.
Millions d^ kilo^ramn
598,0
61 5,6
^^89,7
»7*»7
900,9
TOTALX.
1,09^,9
1,091,8
9«7»3
M. Marteau, rapporteur du jury des fils et tissus de laine à TExpo-
sition de 1900, donne les évaluations que voici pour le nombre des
broches et des métiers mécaniques dans les principaux pays indu-
striels :
BBOCBES.
Grande-Bretagne 5,55o,ooo
Allemagne 6,170,000
États-Unis 3, 000,000
France 3, 000,000
Autriche-Hongrie i,5oo,ooo
Russie 700,000
Belgique 626,000
Italie 35o,ooo
Suisse 1 3o,ooo
Espagne et Portugal, chacun 100,000
MériBBS X TISSEB.
199,000
&/i,ooo
70,000
/i5,ooo
37,000
65,000
6,000
5,5oo
1,700
9,5oo
D après les documents publiés par le Ministère du commerce et de
l'industrie, la situation des divers Etats au point de vue de leur com-
merce extérieur se chiffrait ainsi en 1900 :
Allemagne
I Autriche-Hongrie.
Europe. . . l Belgique
Danemark
Espagne
IMPORTATIONS
EX MILLIONS DE FBAKCS.
393.1
83.9
/i.3
i36.6
4.7
M
a
19-3
37.6
91.1
937i
11.5
EXPORTATIONS
EN MILLIONS DE FBANG9.
97.1
93.7
/i3.8
*-9
8.1
70.9
t
39.5
a
a
ào5.5
63.1
13.9
0.3
*-7
358
FILS ET TISSUS DE LAINE.
PAYS.
France
Grèce
Italie
Norvège
Payif-Bas. . . .
Europe... ^'Portugai
( Suite, ) Royaume-Uni.
Russie.
Suède .
Suiâse.
Afrique . . | ^|
Cap
Egypte.
République Argentine . . .
Amérique.
1 Canada . . .
Étati^Unis .
Mexique .
Uruguay.
Chine .
j^jjîp J Indes anglaises
Indes néerlandaises
Japon * .
[ Australie méridionale . . .
Australie . < Nouvelle-Galles du Sud ,
f Victoria
IMPORTATIONS
KN MILLIONS Dl PBANCS.
LAMR.
nw.
447-9
7.8
M
t
/ia.8
3.1
3.'i
5
Î7.7
11.5
8.6
f
557.7
5i.6
a8.3
5.5
15.4
5.5
r
t
M
M
M
a
^19.0
3.1
ig.a
iâ.9
93.3
6.3
a3i.8
ià.5
36.9
7-9
T
a
(0 5
bg.o
i58.8
9-9
8.3
17.5
68.6
a
63.9
a
9.6
6.6
65.0
a
a
a
17.9
a
J9.5
EXPORTATIONS
EN MILUONS DE PB1TVC8.
901.7
a
5.6
a
a 9.5
0.8
î
11.7
3.9
31.1
1.1
160
a
a
a
60.1
66.9
a
a
33.1
9 10.6
io6.6
36.6
39
6.8
7.9
a
a
a
O LaÎDe e( tissus.
Le prix moyen du kilogramme de laine de Champagne lavée à fond
était de 4 fr. 60 environ vers la fin du siècle. Ce prix subit d'ailleurs
d'énormes variations : on l'a vu à 5 francs en 1798, à 16 francs en
1809. à 5 fr. 10 en i848, à 10 fr. 10 en 1866, à 3 francs en 1895.
Dans l'ensemble, la Commission permanente des valeurs de douane
a admis, pour les laines en masse importées ou exportées pen-
dant l'année 1900, les prix de 2 fr. 2.5 à l'entrée et de 2 fr. 96 à la
sortie.
FILS ET TISSUS DE LAINE. 359
Nos importations et nos exportations de laines en masse, poils de
chèvre, etc., déduction faite des laines de peaux, ont été respective-
ment de i6o,5o3,ooo kilogrammes et de 29,100,000 kilogrammes,
pendant Tannée 1900. Kexcédent des entrées n'a donc pas dé-
passé i3i,/io3,ooo kilogrammes, chiffre très inférieur à celui des
années précédentes (179,543,000 en 1898 et 183,459,000 en
La part de la France dans l'approvisionnement général de la laine
en 1900 se chiffre ainsi :
Tonte française &3,ooo,ooo kiiogr.
Laines d'importation restées en France i3i,&o3,ooo
Laines de peaux importées 99,099,000
Laines de moutons importés vivants 1,367,000
Total 1 97,869,000
Cette part reste bien au-dessous de sa valeur en 1 898 (2 5 4,9 2 3, 000
kilogrammes) et en 1899 (2 58, 433, 000 kilogrammes). Pour la
période triennale 1898-1900, la moyenne annuelle serait de
237,075,000 kilogrammes; celle de la période 1895-1897 avait été
de 2 45 millions de kilogrammes. Les inégalités apparentes se trouvent
corrigées dans une certaine mesure par les stocks.
La quantité de laine nouvelle lavée à fond, restée en France à la
disposition des filatures, peut être évaluée à 68, 192,000 kilogrammes
pour 1898, 60,691,000 kilogrammes pour 1899, 5 1, 3 16,000 kilo-
gramines pour 1900, et, en moyenne, à 60 millions de kilogrammes
pour la période 1898-1900. Il faut y ajouter i5 millions do kilo-
grammes de laine d'efiilochage et de coton mélangé à la laine. Nous
avons importé 2,1 44, 000 kilogrammes et exporté 6,1 34, 000 kilo-
grammes de fils en 1900, au lieu de 2,4 18,000 et 5,967,000 kilo-
grammes en 1899.
Quant au tissage français, il a disposé de 80 millions et demi de
kilogrammes de fils en 1 8 9 8 , de 7 2 millions en 1 8 9 9 et de 6 2 millions
en 1900. Les entrées et les sorties de tissus ont été de 4,5^8,000
et 18,778,000 kilogrammes en 1900, au lieu de 4,173,000 et
360 FILS ET TISSUS DE LAINE.
3 1,533,000 kilogrammes en 1899. Classés par nature d'articles, les
principaux mouvements de 1900 sont les suivants :
IMPOBTATIOR. nPOBTATION.
francs. francs.
Draps, casimirs et autres tissus
croisés , foulés et drapés aS, 3^5,000 93,901,000
Étoffes de pure laine pour ameu*
blement - 3,399,000
Étoffes de pure laine pour habille-
ment 5,&8i,ooo 8/1,600,000
Tapis en laine pure ou mélangée. 9,5o8,ooo 9,77/1,000
Bonneterie en laine pure ou mé-
langée i,&89,ooo 3,900,000
Passementerie et rubanerie 1,893,000 ^,99 1,000
Couvertures - 3, 903, 000
Étoffes mélangées 5,638,ooo 98,016,000
Tissus d'alpaga , de poils 5, 060,000 9,690,000
Le tableau ci-après donne en millions de francs la valeur des
échanges de matière première et de tissus entre la France et les
autres pays, pour les années 1898, 1899 et 1900 :
LAINES.
Europe . . .
Afrique . .
Amérique.
Australie .
/ Allemagne
Belgique
Espagne
IUlie
Royaume-Uni
Russie
Turquie
Suisse
Algérie
! République Argentine .
Uruguay
5.a
9.5
7-9
18.6
60.3
17.8
91.6
i5.3
191.0
i35.i
90.6
17.6
19.5
4.9
l'I
t
a
a
6.8
8.1
55.6
61.9
âo.8
99.9
37.8
3.6
4.5
4.8
3.7
5.0
6.1
6.4
9.1
«
a
a
0.7
0.9
5.3
9-a
7-9
10.6
11.5
a
a
177.8
933.6
93 1.0
a
a
i5./i
17.6
9.6
a
a
81.]
9>-7
87.1
a
a
TISSUS DE LA1NE«
Europe .
Allemagne.
I Belgique. .
Espagne . .
IUlie
Pays-Bas. .
10.4
11.9
9-7
6.7
9.5
1.3
1.1
1.1
39.8
34.1
a
a
a
«•7
7.6
a
a
a
5.1
5.5
a
S a
a
3.9
4.8
46.6
85.8
6.5
9.4
39.3
4.3
a
6.9
a
a
a
7.6
3o.3
6.7
5.0
4.1
FILS ET TISSUS DE LAINE.
361
Europe...
(Suite.)
Afrique . .
Asie
PAYS.
Amérique.
IMPORTATIONS.
1898.
1899.
1900.
EXPORTATIONS.
1898.
TIS8D8 DE LAINB. (Suite.)
Royaume-Uni
Suisse
Turquie
Algérie
Japon
République Argentine .
Brésil
ÉUts-Unis
Mexique
1899.
«7-7
39.8
33.7
98.0
i3o.a
t
0.4
/i.8
5.0
M
6.4
5.1
M
6.5
6.5
a
8.7
4.9
t
4.8
4.3
H
6./1
6.0
a
is.o
i4.4
a
5.1
5.8
1900.
io4.i
5.5
7-7
3.7
3.4
a.5
18.3
4.8
On a estimé à 833, 100,000 francs la valeur des produits de notre
industrie lainière en 1900, savoir: peignés exportés, ■77,5 00, 000 francs;
fils exportés, 3 8, 00 0,000 francs; tissus, 678,000,000; blousses et
déchets, 39,600,000 francs.
Une des caractéristiques de la fin du.xix* siècle est la tendance au
nivellement dans les procédés de fabrication et dans la qualité des
produits chez les grands peuples. Protégés par leurs tarifs de douane,
les pays nouveaux venus à Tindustrie ont créé des manufactures pour-
vues de l'outillage le plus moderne, recruté au dehors un personnel
assez habile pour les initier aux meilleures méthodes et imprimé ainsi
à leur production un vif essor. Les nations précédemment entrées dans
la carrière devaient nécessairement en souffrir et voir se restreindre
peu à peu leur marché extérieur; elles allaient être d autant plus me-
nacées que le poids mort d'un matériel moins nouveau et moins per-
fectionné pesait lourdement sur leur fabrication. De là l'état de stagna-
tion où languissent à des degrés divers les industries lainières de la
France, de l'Angleterre, de l'Allemagne. Les esprits clairvoyants pré-
voyaient le mal depuis longtemps, et le caractère en apparence satis-
faisant des statistiques du commerce extérieur ne leur laissait guère
d'illusions, car ils savaient que les exportations, entretenues par les
nécessités d'une production trop abondante, n'apportaient plus les
mêmes profits. Ces illusions mêmes ne peuvent subsister : un simple
rapprochement entre les tableaux annuels successifs de notre com-
362 FILS ET TISSUS DE LAINE.
merce e\lerieiir montre, par exemple, que les exportations de tissus de
laine, après avoir dépasse 4oo millions de francs en i88â, sont des-
cendues à moins de 2/10 millions pendant la période 1898-1900; les
sorties de fils ont également subi une réduction notable; si les impor-
tations accusent, de leur côté, une chute considérable, la compensation
est loin de s'établir.
Personne ne conteste cependant que nos manufacturiers aient su,
par leur énergie, maintenir la haute et légitime renommée de leurs
produits, au point de vue de la qualité, du bon goût et de la variété.
Elbeuf, Roubaix, Tourcoing, Reims, Paris s'ingénient sans cesse à
faire mieux dans la fabrication des nouveautés. Le jury de 1900 a été
unanime à rendre hommage au choix habile des matières, aux mérites
de la teinture et des apprêts, au fini du tissage, dont chacune des
vitrines de la section française offrait des preuves irrécusables. Il est
permis d'affirmer que les progrès de l'industrie nationale des laines
peignées ont été supérieurs à ceux des industries rivales.
Au cours de la dernière période décennale, la production allemande
a poursuivi sa marche ascendante. Pourtant, l'essor paraît avoir été
enrayé par le bill Wilson relevant les droits de douane aux Etats-
Unis. D'après les statistiques de 1897, la valeur des tissus fabriqués
en Allemagne atteignait aloi-s 778 millions de francs et celle des tissus
exportés i85 millions. Nos voisins sont parvenus à s'ouvrir un dé-
bouché assez important au Japon pour les peignés et les fils de laine.
L'industrie lainière à' Autriche s'est progressivement développée pen-
dant la seconde moitié du siècle, d'abord dans le seul domaine de la
laine cardée, puis, à partir de 1878, dans celui de la laine peignée.
Reichenberg, Brûnn, Bielitz et Jâgerndorff en sont les sièges princi-
paux; les provinces du Sud comptent aussi quelques grands établisse-
ments.
C'est surtout dans la Catalogne, près de Barcelone, que les Espa-
gnols se livrent au travail de la laine. Sabadell et Tarrasa ont depuis
longtemps une réputation méritée pour les draperies fines en peigné
et cardé.
Abstraction faite des oscillations annuelles, il ne semble pas que
l'industrie lainière américaine ait notablement augmenté ses moyens
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 363
(le- production pendant les dix dernières années du siècle. Le Lill
Wilson, en relevant les droits sur la laine et sur les tissus de laine,
paraît avoir surtout favorisé la consommation des tissus de coton.
Pour la Grande-Bretagne, la période 1891-1900 se caractérise par
un accroissement sensible des exportations de fils de laine peignée et
par une sérieuse diminution des sorties de tissus (895 millions et demi
de francs en 1900, au lieu de 619 millions vers 1890). Les fils de
laine exportés sont, pour une large part, des fils cheviotte ou cr lustre?),
et TAllemagne en prend les deux tiers*.
Autrefois, le Japon importait beaucoup de mousselines venant surtout
de France. Il est arrivé successivement à les teindre et à les imprimer,
à les fabriquer manuellement au moyen de fils achetés en Europe, à
monter des métiers mécaniques, à établir des filatures alimentées par
des peignés européens. Ses efforts actuels tendent à l'installation de
peigneuses et à Tachât direct des laines en Australie.
Depuis vingt ans, le peignage, la filature et le tissage sont devenus
très actifs en halte , notamment dans la région du Nord. La production
des tissus dépasse certainement 5o millions de francs.
Par la valeur des capitaux engagés, l'industrie lainière russe est la
seconde des industries textiles du pays. Elle donne lieu à un mouve-
ment d'affaires de 43 G millions. La Russie se suffit à elle-même pour
les tissus de laine cardée; elle importe encore des tissus de laine pei-
gnée, mais espère refouler bientôt les produits étrangers.
La Suisse a quelques excellentes filatures de laine peignée.
4. Soies et tissus de soie. — Jusqu'au commencement du xix*' siècle ,
le tirage des cocons formait en France, comme il forme encore dans
l'Extrême-Orient, l'annexe des magnaneries; les éducateurs filaient
eux-mêmes leurs cocons et portaient la soie ainsi obtenue au marché
local, d'où elle arrivait à Lyon par des intermédiaires. En i8o5,
Gensoul appliqua la vapeur au chauffage des bassines; cette grande et
heureuse transformation se vulgarisa rapidement; de puissantes usines
furent créées, avec 100 bassines et davantage. Pendant la période de
1825 à i85o, l'outillage de nos filatures ne cessa de recevoir des
perfectionnements.
36^ SOIES ET TISSUS DE SOIE.
Attaquée clans ses œuvres vives par la maladie du ver, Tiiidustrie du
tirage chercha à s'alimenter en important des cocons étrangei^, pris
surtout dans le Levant. Défalcation faite des cocons réexportés, cette
importation atteignit, de 1867 à 1876, une moyenne annuelle de
1,210,000 kilogrammes environ; Marseille était le grand centre
d'approvisionnement.
Mais les pays du Levant, ayant amélioré leurs méthodes de filature,
réduisirent les envois de cocons, et nos filateurs souffrirent cruelle-
ment du défaut de matière première ainsi que de l'immigration des soies
grèges exotiques. L'excédent des entrées de cocons sur les sorties tomba
à 590,000 kilogrammes durant la période 1877-1886, à 1/19,000
kilogrammes en 1887, à 3 3, 000 en 1888. Puis il y eut déficit en
1889: les filateurs français n'employaient même plus intégralement
la récolte nationale.
Une enquête faite en 1878 avait constaté l'existence de 27,2 5 o bas-
sines. Le dénombrement de 1888 n'en compta plus que io,3oo,
dont 4,800 dans le Gard, 2,3 00 dans l'Ardèche, i,34o dans la
Drôme, 766 dans le département de Vaucluse et 680 dans l'Hé-
rault, le surplus se répartissant entre le Tarn-et-Garonne , l'Ain, le
Var, l'Isère, la Loire, la Gôte-d'Or, la Haute-Garonne. Toutefois cette
diminution du nombre des bassines ne se traduisait pas par une dé-
croissance proportionnelle de la filature : la meilleure qualité des
cocons, les perfectionnements de l'outillage, l'emploi plus général
de batteurs et de jette-bouts mécaniques, la division mieux entendue
du travail avaient déterminé ime forte augmentation du rendement
de chaque bassine.
On a parfois attribué, du moins pour une certaine part, les souf-
frances de la filature française aux hésitations qu'auraient éprouvées nos
fileurs pour transformer leur matériel et leurs procédés de fabrication.
Cette appréciation ne pouvait être acceptée sans réserves, car de nom-
breux industriels avaient su ne pas s'attarder dans la routine du passé.
Les grèges des Gévennes ne trouvaient de rivales dans aucun pays du
monde; mais, principalement appropriées aux soieries de luxe, elles
luttaient péniblement contre les soies à plus bas prix du Levant et de
l'Extrême-Orient, qui convenaient pour les tissus à bon marché. Si les
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 365
soies orientales étaient moins bien filées, la justice commandait ce-
pendant de reconnaître les progrès réalisés en Asie.
Depuis 1889, la situation de la filature s est améliorée, comme
nous le verrons en jetant un regard d'ensemble sur Imdustrie des
soies à la fin du siècle.
Le moulinage, qui transforme la soie grège en trames et en organ-
sins, n'est point, de même que la filature, étroitement lié à la récolte
des cocons; son indépendance lui permet de vivre en dehors des régions
séricicoles. De très remarquables progrès ont été réalisés au cours du
XIX* siècle : création des moulins ovales accouplés; nombreux perfec-
tionnements des tavelles, bobines, mécanismes moteurs; moulinage à
tours comptés automatiquement; accélération de la vitesse des mou-
lins; etc. Si quelque reproche pouvait être adressé aux mouliniers
français, ce serait de ne pas avoir abordé assez tôt le travail des soies
asiatiques pour les étoffes à bas prix et de s'être laissé devancer à cet
égard par les Italiens. Mais, sous le bénéfice de cette observation, on
doit rendre hommage à l'esprit d'initiative avec lequel nos industriels
ont successivement amélioré leur outillage et leurs méthodes. Le suc-
cès a, d'ailleurs, récompensé leurs efforts : en 1 889 , le jury reconnais-
sait hautement le mérite des ouvraisons françaises, même comparées
aux plus beaux produits du Piémont et de la Lombardie.
D'après une statistique de 1 876 , le moulinage français disposait de
876,590 tavelles. Vers 1889, ce nombre était réduit à 2 63,4 00, dont
io4,6oo dans l'Ardèche, 48, 100 dans la Drôme, 34, 600 dans la
Loire, 19,800 dans le département de Vaucluse, 18,600 dans le
Rhône, 12,900 dans la Haute-Loire, 10,800 dans l'Isère, 8,700 dans
le Gard, 9,600 dans l'Ain, 2,800 dans la Gorrèze, i,4oo dans le Puy-
de-Dôme, 1,800 dans l'Hérault, et le surplus dans la Savoie, le Pas-
de-Calais, Seine-et-Oise, les Bouches-du-Rhône, les Hautes-Alpes et
le Var. Le rendement des tavelles avait doublé par suite de l'amélio-
ration d(*s soies grèges, particulièrement des soies asiatiques, et de
l'accélération des moulins. Après s'être élevé en moyenne à 1,1 46, 000
kilogrammes pendant la période 1867-1876, l'excédent annuel des
importations sur les exportations de soies ouvrées s'était abaissé à
366 SOIES ET TISSUS DE SOIE.
779,000 kilogrammes pendant la période décennale suivante, puis
à 75,000 Jtilogrammes en 1888 et à 138,000 kilogrammes en 1889.
Ces chiffres témoignaient de l'espace franchi par nos mouliniers. Une
menace paraissait peser sur le moulinage : Temploi de la soie à Fétat
grège dans les tissus teints en pièce, en^ploi qui se généralisait et
représentait i,5oo,ooo kilogrammes tant en Franco qua l'étranger.
Aujourd'hui, les importations sont minimes et les exportations béné-
ficient d'un très notable accroissement.
J'ai déjà eu l'occasion de signaler la grande et brillante industrie
de la filature mécanique des déchets de soie. Cette industrie est née
au début de la Restauration. Elle a eu pour berceau en France le dé-
partement de la Drôme. Ses succès l'ont peu à peu propagée dans
l'Europe entière et souvent entraînée loin des centres naturels d'appro-
visionnement, par suite de la similitude entre son outillage et celui des
filatures de laine ou de coton.
Notre filature de déchets de soie transforme actuellement 1,675,000
kilogrammes de peignés par an.
La Révolution avait dispei^sé les tisseurs, anéanti les capitaux, fermé
les ateliers. En 1801, au moment où elle commençait à se relever, la
fabrique française des étoffes de soie dut s'adapter à l'ordre de choses
nouveau, pour reconquérir dans FEurope sa vieille prépondérance.
Le costume était profondément modifié; on avait renoncé aux tissus
façonnés, et la mode, allant chercher ses inspirations en. Angleterre,
donnait la vogue aux indiennes, aux cotonnades imprimées. Il fallait
absolument produire des soieries h bon marché: c'est vers ce' but que
tendirent tous les efforts des Lyonnais. Néanmoins, convaincus que
sans la maîtrise du façonné ils ne sauraient prétendre à la souverai-
neté industrielle, nos manufacturiers sollicitèrent et obtinrent du
Gouvernement iuipérial des commandes de tissus destinés à l'ameuble-
ment des palais nationaux : ils purent ainsi reconstituer une pépinière
de dessinateurs et d'ouvriers exceptionnels ; Lyon rouvrit ses écoles de
dessin; ses belles soieries retrouvèrent, sous une forme nouvelle, le
grand style du temps passé.
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 367
De 5,0 00 en 1801, le nombre des métiers de Lyon passai 13,000
en 1810. Vers cette époque, apparut la machine Jacquard, perfec-
tionnée par Breton. Elle ouvrit la voie du travail automatique et de la
grande production manufacturière, à l'heure précise où la fabrique
lyonnaise se transformait afin de répondre aux besoins nouveaux des
consommaleui's et de fournir des tissus dun prix peu élevé.
Pendant quelques années, le blocus continental avait fait de Lyon
l'entrepôt principal des cotons du Levant. Les industriels lyonnais
apprirent à connaître et à employer ce textile ; bien avant la Suisse ou
rAllemagne, ils pratiquèrent les mélanges de soie et de coton. A l'Ex-
position de 1819, où les mélanges se montrèrent pour la première
fois, le jury constata que la nouvelle branche de fabrication occupait
près de la moitié des ouvriers de Lyon.
Tandis qu'à ce point de vue la fabrique lyonnaise réalisait d'im-
menses progrès, l'élévation du style et la pureté classique des grands
façonnés tendaient à déchoir; on entrait dans une |)ériode d'effacement
artistique, qui devait être fort longue et durant laquelle l'étoffe décorée
allait devenir un simple tableau sur la soie. H n'en cbûte rien de
lavouer aujourd'hui , puisque les tissus façonnés ont plus tard recon-
quis la faveur du public et que la génération suivante a assisté à une
véritable renaissance des anciennes traditions décoratives.
Quoi qu'il en soit, avec les années de paix qui suivirent la chute
du premier Empire , l'industrie lyonnaise vit grandir sa prospérité. En
1824, elle comptait 30,000 métiers produisant pour 100 millions de
soieries de tout genre; le nombre des métiers montait ensuite à 42,000
en 1882, à 5o,ooo en i845, à 60,000 en i853. Ainsi la première
moitié du siècle avait été une période de marche incessante en avant,
malgré les charges inhérentes aux transformations de l'outillage,
malgré les crises réitérées d'ordre social ou politique, telles que les
émeutes de i83i et de i834, la banqueroute américaine de 1887,
la révolution de 18 48, le coup d'Etat de i85i.
A la fin de 1860, la guerre de Sécession des Etats-Unis vint priver
temporairement l'industrie lyonnaise d'un de ses meilleurs débouchés
et l'eut jetée dans une perturbation profonde, si la liberté commerciale
n'était arrivée à point pour la tirer de ce mauvais pas, en lui ouvrant
368 SOIES ET TISSlJS DE SOIE.
de nouveaux marchés et en développant dans une proportion inat-
tendue ses relations avec TAngleterre. Lyon conquit proniptement la
Grande-Bretagne et en fit sa principale cliente.
Du reste, quand fut inaugurée la nouvelle politique internationale,
les fabricants lyonnais connaissaient toutes les ressources de la mé-
canique Jacquard; la filature, le moulinage, la teinture avaient pro-
gressé ; la beauté des soieries de Lyon était universellement appréciée;
les combinaisons de fils appelées armures et les merveilleuses couleurs
tirées de la houille donnaient naissance à une infinie variété d'étoflFes
unies. Vers 1869-1870, la fabrique lyonnaise inventa Pindustrie des
étoffes mélangées teintes en pièce, qui devait devenir si vivace et
si florissante. De 1867 à 1873, Lyon produisit annuellement pour
46 o millions de soieries, dont 35o correspondant à l'exportation : ces
simples chiffres suffisent à attester les succès toujours croissants des
industriels lyonnais. En 1 878 , le nombre des métiei's était de 110,000
ou lâ 0,000, y compris 6,000 métiers mécaniques.
liorsque, en 1876, on revint au façonné, la fabrique lyonnaise y
déploya la nfême habileté qu'autrefois et se trouva prête à satisfaire
aux exigences du public. Ce fut un beau réveil des vieilles qualités,
pour un temps endormies. Du crayon des dessinateurs, du métier des
tisseurs, sortirent d'admirables dessins Renaissance, Louis XIV, Pom-
padour, des fleui's et des feuillages indigènes ou exotiques merveilleuse-
ment interprétés.
Dans l'intervalle qui sépara les Expositions de 1 878 et de 1 889 , Lyon
eut à subir quelcpies épreuves, par suite de l'extension du protection-
nisme à l'extérieur. La Russie et l'Autriche opposaient à nos étoffes des
barrières presque infranchissables; d'un autre côté, les Etats-Unis, où
nous avions jusqu'aloi's notre plus large clientèle, après celle de l'An-
gleterre, défendaient leur production naissante par des droits énormes
et réduisaient considérablement leurs achats sur le marché français.
À cette cause de malaise s'ajoutait le développement de l'industrie
suisse et allemande, assez forte déjà non seulement pour concurrencer
la France au dehors, mais aussi pour lui enwyer des produits à bas
prix. La situation se compliquait encore par la crise financière de 1 882.
Quelle que fût leur vaillance, les fabricants de Lyon faiblirent un peu :
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 369
leur production, évaluée à 896 millions en 1881, fléchit jusqu'à
3/n millions en i885; heureusement, elle reprit ensuite sa marche
ascendante et dépassa 4oo millions en 1889. Pour apprécier la véri-
table portée de ces chiff*res, il importe de ne pas oublier que le prix du
kilogramme de tissu de soie s'était notablement abaissé et que la quote-
part des mélanges atteignait un chiff're beaucoup plus élevé. Après
avoir diminué de 1878 à 1887, l'^>^portation des soieries lyonnaises
marqi^ait une tendance à la reprise: en 1889, ^^^ sorties de tissus de
soie ou bourre de soie, enregistrées par la douane, représentaient
200 millions de francs, somme à laquelle s'ajoutait la valeur des
soieries exportées sous forme de vêtements ou emportées par les voya-
geurs dans leurs bagages personnels. L'importation dépassait 5o mil-
lions et accusait un accroissement manifeste, dû pour une part assez
forte à l'achat de tissus chinois, indiens ou japonais, qui n'avaient pas
leurs similaires en France. D'après les statistiques de l'époque, la
fabrique lyonnaise faisait battre 85, 000 à 90,000 métiers, dont
9 0,000 métiers mécaniques; si le nombre total des métiers s'était
réduit, en revanche, le travail automatique avait pris une bien plus
grande extension, et, tout compte fait, les forces productives bénéfi-
ciaient d'une notable augmentation. On pouvait considérer les a 0,000
métiers mécaniques comme équivalant à 76,000 ou 80,000 métiers
ordinaires. Les métiers automatiques se répartissaient entre plusieurs
départements: l'Isèrp, 9,/ioo; la Loire, 3,4 5 o; le Rhône, 2,3 15; la
Savoie, 1,020; l'Ardèche, 1,000; etc.
Pondant les dernières années du siècle, la fabrique lyonnaise a été
de plus en plus entraînée vers la production des étofl'es à bon marché,
que réclamaient la division des fortunes et le nivellement des condi-
tions. Les tissus mélangés figurent pour moitié dans l'ensemble des
tissus proprement dits de soie; avec les tissus de bourre de soie et
foulards, ils forment près de 60 p. loo du total. Abandonnant les
soieries de haut prix, grands façonnés et étofl'es unies de belle qua-
lité, la consommation s'attache aux petites étoffes de prix bas ou moyen,
à la mousseline, aux autres tissus légers teints en pièce; elle diminue,
dès que les cours de la soie s'élèvent au delà d'un certain niveau, et
augmente, au contraire, quand la baisse s'accentue. C'est merveille
ad
INrillMl.lllt. <IAtlU»Al.l
370 SOIES ET TISSUS DE SOIE.
de voir la souplesse qu'ont déployée les manufacturiers de Lyon pour
démocratiser leur industrie et se mettre à la portée des nouvelles
couches de consommateurs, sans oublier les traditions séculaires, sans
sacrifier le sentiment du beau, le goût et la science décorative. À tous
les degrés de la hiérarchie industrielle, les Lyonnais possèdent les
moindres secrets de la soie; il y a là un remarquable atavisme de
plusieurs siècles. Seule, l'industrie lyonnaise peut créer à la fois les
innombrables articles auxquels se prêle la soie, depuis le velours épais
usqu'à la gaze impalpable, depuis le brocart à âoo francs le mètre
usqu'à la guenille brillante à o fr. 60 ; seule, elle peut affirmer pour
tous ces articles une égale maîtrise , au point de vue du savant emploi
des matières, de la teinture ou de l'impression et des apprêts. Ailleurs,
on rencontre surtout des spécialités. Lyon est universel et essentielle-
ment créateur ; ses rivaux l'épient au point de dérober les échantillons
sur les métiers. Constructeurs de matériel, fabricants, tisseurs, tein-
turiers, apprêteurs, luttent d'émulation pour maintenir et consolider
la suprématie lyonnaise.
La production lyonnaise de 1899 et 1900, sur laquelle je revien-
drai avec plus de détails, a été en moyenne de 446 millions. Malgré
ses mérites, elle doit faire des efforts héroïques pour se défendre
contre la concurrence étrangère, qui l'enserre chaque jour davantage.
Sans parler de l'Europe, l'industrie des Etats-Unis présente un essor
extraordinaire; elle avait, en 1900, 3o,ooo métiers mécaniques,
c'est-à-dire autant que l'industrie française; à la vérité, celle-ci emploie,
en outre, 60,000 métiers à bras, qui sont l'équivalent de 17,000 à
18,000 métiers autoipatiques.
Quelques indications très brèves sur l'organisation du travail lyon-
nais ne seront pas inutiles. Antérieurement au xix^ siècle, ce travail
était concentré dans certains quartiers de Lyon, d'abord le quartier
de Saint-Just et les rives de la Saône, puis la Croix-Rousse, Vaise, la
Guillotière, les Brotteaux; les métiers appartenaient aux ouvriers. Dès
les dernières années du premier Empire, le tissage se répandit dans
les campagnes avoisinantes ; le cercle s'élargit progressivement et la
fabrique de soieries prit le caractère d'une industrie régionale, étendant
ses rameaux dans un rayon de plus de 80 kilomètres. Les rapporte
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 371
entre le personnel urbain et celui de la banlieue ne furent pas toujours
des rapports de parfaite intelligence : en i83i et 1 83 4, les ouvriers
de Lyon, ne comprenant pas les nécessités de la production et voulant
résister à la concurrence des ouvriers extérieurs, protestèrent par de
sanglantes émeutes ; leurs tentatives renouvelées k diverses reprises,
loin d'arrêter Texode, ne pouvaient que l'accélérer; le rayonnement de
la fabrication était une conséquence fatale et inévitable de la loi éco-
nomique. Quand, vers i86o, le métier mécanique commença à rem-
placer le métier à bras, ce fut encore dans la petite ou la grande
banlieue que se fit l'installation des usines. Actuellement, Lyon n'a
guère plus de i o,ooo métiers, dispersés dans 5,ooo ou 6,ooo ateliers.
Il est un point sur lequel l'organisation séculaire a subsisté : les
métiers à bras continuent à appartenir aux ouvriers ou aux petits chefs
d'ateliers ruraux et urbains, qui restent ainsi plus indépendants,
s'attachent plus étroitement à leur outil et à leur profession, déploient
plus d'initiative , recherchent avec passion les perfectionnements et les
progrès. Généralement, les ateliers de tissage mécanique sont de même
la propriété, non des fabricants, mais d'intermédiaires travaillant à
façon. Les fabricants conservent encore une tâche assez lourde, celle
de fournir la matière première, de créer les modèles, d'assumer les
risques commerciaux. Ces risques sont pourtant moindres qu'on ne
pourrait le supposer : le plus souvent, les tissus se font sur commande;
quant aux stocks d'étoffes unies préparées à l'avance, l'écoulement en
est presque certain, sauf concessions sur les prix.
Au moment où le canut lyonnais voit son rôle diminuer continuelle-
ment sous la poussée de la fabrication mécanique et de la démocra-
tisation des soieries, on ne saurait trop rendre hommage à ce colla-
borateur intelligent, actif, ingénieux et probe. Ses beaux jours ont
été ceux de la vogue des étoffes riches et de haute nouveauté, pouvant
supporter des prix élevés de façon. Le tisseur à bras, chef d'atelier,
est à la fois entrepreneur et ouvrier : propriétaire du métier, il fait un
contrat de façon avec le fabricant et exécute la pièce à ses risques et
périls. Autrefois, il était aidé par un compagnon qui recevait la moitié
du prix de façon, mais subissait un prélèvement de 5o p. loo pour
le local et l'usage du matériel ; l'émigration continue du travail vers la
aft.
372 SOIEvS ET TISSUS DE SOIE.
campagne a fait disparaître le compagnon, et le chef d'atelier doit
maintenant se substituer à son ancien collaborateur. Cette émigration
s'accentue chaque jour; le fabricant y a poussé non seulement par des
raisons économiques, mais aussi parce qu'il y trouvait une sécurité
contre des coalitions éventuelles. Des hommes d'initiative ont, récem-
ment, aménagé une chute du Rhône et créé une distribution d'énergie
électrique, en partie destinée aux ateliers familiaux; il ne semble pas
que l'œuvre doive, dans une large mesure, transformer le travail des
soieries à domicile ni imprimer un regain de vie aux ateliers des
canuts.
De nombreuses institutions se rattachant à l'industrie des soies ont
été organisées à Lyon, soit dans un but commercial et professionnel,
soit dans un but d'instruction technique et artistique, soit dans un
but philanthropique. Ce sont: dans l'ordre commercial, la Condition
des soies (véritable établissement modèle) et ses annexes, le Magasin
général des soies, les Chambres syndicales des fabricants de soieries
et des marchands de soies de Lyon, TEssai public des marchands de
soies et des fabricants de soieries, le Laboratoii'e d'études de la soie et
le Laboratoire de chimie de la douane; dans l'ordre de l'enseignement,
l'Ecole de la Martinière, l'Ecole supérieure de commerce et de lissage,
l'École de chimie industrielle, l'Ecole centrale lyonnaise, les cours de
la Société d'enseignenxent professionnel, l'Ecole municipale de tis-
sage, l'Ecole Saint-Pierre, le Musée d'art et d'industrie du Palais du
commerce; dans l'ordre philanthropique, la grande Société de secours
mutuels et la Caisse des retraites des ouvriers en soie, la Caisse de
secours des fabricants de soieries et des marchands de soie; la Caisse
des prêfe pour les chefs d'atelier.
Si Lyon personnifie en quel([ue sorte l'industrie française de la soie ,
d'autres centres ont cependant tenu pendant le cours du xix® siècle
et tiennent encore une place importante dans cette industrie.
Tout d'abord, Saint-Etienne est au premier rang pour la fabrication
des rubans, connue Lyon pour la fabrication des soieries. Etablie dans
le Forez depuis le xiii** siècle, la fabrication des rubans a débuté à
Saint-Chamond , puis s'est installée à Saint-Etienne. Elle n'a pris tout
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 373
son développement que le jour où le métier à haute lisse, disposé
pour produire une seule pièce, a été remplacé par le métier à la
barre , permettant de tisser à la fois plusieurs pièces: Grâce à leur
ingéniosité et à leur persévérance , à l'habileté de leur personnel
ouvrier, aux efforts constants des teinturiers et des dessinateurs, les
manufacturiers de Saint-Etienne ont pu résister aux nombreuses crises
provoquées par les variations de la mode et les luttes économiques,
soutenir la concurrence redoutable de la Suisse et de TAllemagne,
modifier sans cesse leur tissage suivant les caprices du moment, pro-
duire selon les circonstances du broché, du façonné, du satin ou du
velours, introduire soit le fil, soit le coton, dans la confection des
tissus mélangés. Depuis fort longtemps, les Stéphanois ont dû substi-
tuer largement le régime de la manufacture au système des métiers
isolés, avec lequel ils ne pouvaient suivre assez vite les besoins de la
consommation et qui occasionnait trop de frais. La plupart des fabri-
cants ont adopté une spécialité et y consacrent toutes les ressources
de leur intelligence. Nulle part ailleurs, on ne tisse mieux les rubans;
nulle part ailleurs, on ne tire un meilleur parti du métier; nulle part
ailleurs, la science de la composition et du coloris n'est poussée à un
plus haut degré.
La production de Saint-Etienne était évaluée à 1 7 millions de francs
en i8o5, à 5o millions en i834,à 120 millions en 1872 : ce der-
nier chiffre correspondait au travail de 20,000 métiers environ, dont
i,5oo mus par la vapeur ou par des moteurs hydrauliques. Après
1 872 , on rencontre des estimations de 68 millions eni883,io/i mil-
lions en 1889, 88 millions en 1898 et 1899, 77 millions en 1900.
Ces variations s'expliquent notamment par les fluctuations de la mode
et par l'abaissement du prix moyen de la matière première.
En 1889, des supputations approximatives fixaient à 68 millions
(5o pour les rubans de soie pure et i8,5 pour les rubans mélangés)
l'exportation des rubans, y compris les sorties à l'état de garniture des
costumes ou comme articles de mode et de fantaisie. Ces supputations
ont nécessairement un caractère aléatoire. L'exportation visible, saisie
par la douane, était alors de 35 millions; elle a été de lio millions et
demi en 1900.
374 SOIES ET TISSUS DE SOIE.
Paris, déjà en possession d'une assez importante fabrique de soie-
ries, y avait joint les châles au commencement du xix* siècle. Ulté-
rieurement, son rôle s'est presque restreint à la passementerie, aux
galons, aux franges, aux chenilles , en un mot aux articles pour gar-
niture de vêtements ou de meubles, articles sans cesse renouvelés et
rajeunis, dans lesquels les Parisiens mettent en œuvre la fécondité
de leur imagination. La capitale a aussi dans son domaine les soies
à coudre ou à broder et les cordonnets de schappe.
Vers le milieu du siècle, Roubaix et Amiens ont pris place parmi
les centres du travail de la soie ; leurs tissus mélangés pour meubles
ou pour vêtements jouissaient, dès avant 1878, d'un renom mérité.
Tourcoing a abordé la même fabrication que Roubaix. Citons encore
Tours (tissus d'ameublement). Calais et Caudry (dentelles et tulles),
Nîmes (bonneterie), Toulouse (bluterie). Paris et les divers centres
([ui viennent d'être énumérés ont une production deiooàiâo mil-
lions.
En Allemagne y l'industrie des soies, après avoir débuté à Rerlin ,
s'est installée dans les provinces rhénanes, où elle trouvait la main-
d'œuvre à bas prix et pouvait ainsi supporter les inconvénients de sa
situation géographique loin des centres producteurs et des grands
marchés de matière première; Crefeld, Rarmen, Weisen et Ronsdorf
devinrent les principaux lieux de fabrication; contrairement à la pra-
tique lyonnaise, les métiers appartenaient aux industriels. Le travail
disséminé offrait de tels avantages, que les patrons reculèrent long-
temps devant la création de grands ateliers, même après l'apparition
du tissage mécanique ; leurs hésitations s'expliquaient par la crainte de
voir l'instabilité de la consommation rendre leurs sacrifices inutiles,
par leur impuissance à faire incessamment des articles nouveaux
comme les Lyonnais, par les dangers de la surproduction dans les puis-
santes manufactures, par la répugnance des ouvriers pour le séjour
dans les villes et pour le travail aggloméré, par les dispositions du
Gouvernement en faveur de l'atelier familial. Ces dispositions n'étaient
pas douteuses : une loi interdisait l'emploi des enfants au-dessous de
(juatorze ans dans les manufactures, afin de déterminer le père de
SCHES ET TISSUS DE SOIE. 375
famille à diriger lui-même Téducation industrielle de ses fils; des
écoles spéciales donnaient aux jeunes gens de treize à quinze ans les
notions relatives à la pratique de leur métier; les pouvoirs publics
venaient en aide aux caisses de retraite et de secours mutuels fondées
et dirigées par les tisserands sous le contrôle des municipalités. Du
reste, la fabrique allemande ne sortait guère des tissus simples, des
étoflFes à poils, des velours, des peluches et de quelques étoffes mélan-
gées de schappe et coton. Cependant, après 1870, la physionomie de
l'industrie prussienne dut se modifier sensiblement; en présence de la
vogue qu'avaient obtenue certains tissus à bon marché de leur fabri-
cation, les industriels transformèrent leur outillage et cherchèrent à
suivre les variations de la mode ; d'importantes améliorations s'accom-
plirent dans les multiples opérations que nécessitent les velours. Le
nombre des métiers,* qui était seulement de 95, 000 en i846, passa à
58,000 en 1878. Poursuivant sa marche en avant, la fabrique alle-
mande aborda tous les genres unis ou façonnés, se renseigna très
exactement sur les progrès et les créations hors de l'Empire, chercha
sans relâche des débouchés nouveaux, déploya beaucoup d'intelligence
dans ses relations commerciales, multiplia lés échantillons, se montra
prête à toutes les complaisances. Aujourd'hui, sa production annuelle
représente au moins 35p millions de francs. Crefeld et Elberfeld sont
les centres prédominants. De ces deux centres, le premier fait des
velours, des peluches, des étoffes pour robes et pour meubles, etc.; le
coton joue un grand rôle dans sa fabrication. Elberfeld tisse des
rubans.
Vers 1810, Vienne possédait 2,5 00 métiers et l'industrie sérique
autrichienne consommait 3,ooo balles de soie, pour en faire des
façonnés, des velours, des crêpes, des gazes, des galons et des den-
telles. Au milieu du xix® siècle, les fabricants viennois entrèrent cou-
rageusement en lutte avec leurs concurrents européens, sous le régime
des traités de commerce ; mais l'inutilité de leurs efforts les détermina
à réclamer un régime protecteur, frappant certains articles étrangers
d'un droit de 3o p. 100 (WÎ valorem. Ils avaient à satisfaire aux
goûts, aux coutumes, aux mœurs des éléments très hétérogènes dont
se compose l'Empire; leur clientèle s'étendait aux populations de-
376 SOIES ET TISSUS DE SOIE.
rOrient limitrophes de l'Autriche : de là une diversité de fabrication,
qui les forçait à aborder les genres les plus différents et les empêchait
de se perfectionner dans aucun de ces genres. En 1 878 , on évaluait le
nombre des métiers à 9,5oo (6,5oo pour étoffes et 3,ooo pour
rubans); la consommation de matière première était de â5o,ooo kilo-
grammes ; l'exportation atteignait 2 3 millions de francs et comprenait
des velours de soie pure ou mi-soie, unis ou façonnés, des satins, des
rubans, des gazes, des foulards. L'Autriche a des ouvriers intelli-
gents et adroits; ses dessinateurs sont doués de goût et repro-
duisent habilement soit les tissus d'Occident, soit les étoffes byzan-
tines, hindoues ou persanes; ses fabricants savent composer la tissure
et ont le sens artistique. Actuellement, la valeur de la production an-
nuelle est de 80 à 90 millions de francs.
Beaucoup d'éducateurs chinois tirent eux-mêmes la soie de leur
récolte et la tirent autant que possible de cocons frais; quoique des
plus simples, les procédés et les appareils de tirage donnent des pro-
duits de bonne qualité, gréce à l'attention et à l'habileté des fîleuses.
Une certaine quantité de soie sort de filatures montées à l'européenne;
ces établissements ont longtemps végété, soit que leur direction fût
mauvaise, soit que l'hostilité du Gouvernement ou du peuple nuisît à
leur développement. Comme la filature, le moulinage en Chine est
surtout une industrie domestique; dès 1 878 , les envois de soies ouvrées
vers l'Europe avaient considérablement diminué, et le déclin allait
s'accentuer rapidement. De tout temps, les Chinois ont tenu en hon-
neur le tissage de la soie : nous leur devons le taffetas, la gaze, le crêpe,
le satin; oh leur attribue aussi le mérite d'avoir, les premiers, réalisé
l'impression des tissus. Habiles dans tous les genres, ils produisent
également bien les étoffes les plus diverses et y emploient la matière,
tantôt en écru, tantôt en fil teint, tantôt en grège, tantôt en poil; sou-
vent, ils arrivent à des effets fort curieux par le mélange de ces soies
entre elles et par l'utilisation des soies sauvages. Un grand nombre de
familles préparent, tissent et teignent leurs étoffes; il n'y en a pas
moins des tisseurs de profession, pour les étoffes de luxe telles que les
brocarts et les tissus façonnés. Plusieurs centres de fabrication très
renommés existent -dans le Chen-si et le Sse-tchouèn (velours), le
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 377
Honan* (salins), le Tche-kiang (crêpes), le Kiang-sou (étoffes façon-
nées), le Fo-kièn (popelines et velours ciselés), la région de Canton
(tissus légers), etc. En 1878, le nombre des métiers était évalué à
3 5 0,0 00 et la production à 3 00 millions de francs. L'Europe et l'Amé-
rique ne demandent guère à la Chine qu'une étoffe légère et molle,
connue sous le nom de pongee : cette étoffe ressemble à un taffetas
exécuté dans le genre du corah indien , avec des soies écrues ou avec
des schappes et des soies sauvages; elle se rapproche aussi du foulard;
on la teint ou on l'imprime dans le pays d'importation.
L'JSspogTie n'a plus qu'une production limitée, 18 à 20 millions de
francs par an. C'est surtout dans la Catalogne et la province de Valence
que s'exerce l'industrie soyeuse. Barcelone constitue le centre le plus
important pour la fabrication des étoffes. Certains tissus se recom-
mandent par l'originalité de leurs dessins et sont recherchés dans
l'ameublement.
Aux Etats-Unis y l'ouvraison des soies a pris naissance à Mansfield
(Connecticut) en 1810. Les moulins se sont ensuite multipliés dans les
États de Pensylvanie, de Connecticut, de New-York, de Massachusetts,
de New-Jersey; en 1876, on comptait déjà 1 5 1,000 broches. Pour
produire rapidement des articles dont la demande était éphémère,
les métiers devaient marcher à grande vitesse, ce qui n'était possible
qu'avec de la soie très régulière : aussi les mouliniers préféraient-ils à
toute autre la soie indigène très soigneusement filée; mais la récolte
américaine restait minime , et il fallait nécessairement recourir aux
soies asiatiques. Vers 18/10, les tisseui-s américains demandèrent à
Canton de la matière première mieux préparée et reçurent des soies
dites redévidées, qui toutefois n'acquirent que beaucoup plus tard un
degré suffisant de perfection et dont l'importation s'accrut rapidement
à partir de 1868, malgré les plaintes des mouliniers. La fabrica-
tion des soies retorses, suivant une progression continue, dépassait
3o millions de francs, dès 1878. Avant la guerre de Sécession, New-
York était devenu un grand marché de soieries européennes; son com-
merce n'avait cessé de grandir depuis le commencement du siècle.
Fidèles aux tissus anglais jusqu'en 1807, les acheteurs américains
entrèrent à cette date en rapport avec les manufactures de Lyon et de
378 SOIES ET TISSUS DE SOIE.
Saint-Etienne : notre exportation aux Etats-Unis monta à 3 5 millions
de francs ëni833,à i3o millions en iSBg. A leur tour, les produits
suisses et allemands passèrent l'Atlantique. L'Amérique ne cherchait
point encore à enrayer ce courant par une production nationale , que
le prix de la main-d'œuvre eût rendue trop coûteuse. Après la guerre,
le Gouvernement, obligé de faire face à une dette énorme, frappa de
droits très élevés les produits étrangers. À la faveur de ces droits,
qui atteignaient 6o p. loo ad valorem ^ naquit de toutes pièces une
industrie nouvelle : les fabricants américains, écartant le régime des*
métiers isolés, adoptèrent immédiatement celui des vastes usines et
entreprirent d'abord le tissage des rubans, puis celui des étoffes; ils
prirent à Lyon , à Saint-Etienne , à Zurich , dans tous les centres renom-
més, l'outillage le meilleur et appelèrent des contremaîtres expérimen-
tés. Il n'était pas rare de trouver réunis l'ouvraison , le tissage et la tein-
ture ; en d'autres temps et en d'autres lieux , pareille concentration eût
été désavantageuse. Quoi qu'il en soit, la fabrique américaine se mit
ainsi en mesure de produire tous les tissus susceptibles d'être faits sur
des métiers mécaniques. Les importations de soies du Japon, de la
Chine et de l'Europe étaient évaluées, en 1887, à a,5oo,ooo kilo-
grammes; elles avaient triplé depuis 1870. Des manufactures nom-
breuses existaient à Paterson (New-Jersey), à New- York, dans le
Connecticut, en Pensylvanie; on estimait à 260 millions de francs la
production d'étoffes, de rubans, de passementeries, de soies retorses, et
pourtant les entrées de soieries étrangères représentaient 176 mil-
lions. Maintenant, la production est estimée à38oou4oo millions et
l'importation n'a pas très notablement décru.
Quoique relégué au second plan par le développement des industries
de la laine et du coton, le tissage de la soie tenait cependant une place
considérable dans la Grande-Bretagne, pendant les premières années
du siècle; la perfection de l'outillage et l'excellente ouvraison des soies
de Chine assuraient aux manufactures anglaises de soieries une réelle
supériorité; nos voisins réussissaient merveilleusement dans les crêpes
et tissus mélangés à bon marché. Du reste, à cette époque comme plus
tard, l'Angleterre a été puissamment servie par les crises intérieures
ou extérieures qui ont si cruellement éprouvé la France; si elle avait
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 379
pu produire les façonnés et créer des œuvres de goût comme celles de
la fabrique lyonnaise , notre industrie aurait eu de la peine à ne point
sombrer. En i8a5, les Anglais se sentirent assez forts pour lever la
prohibition sur les soieries étrangères; toutefois ils laissèrent subsis-
ter un droit d'entrée représentant à peu près 3o p. .100 £wi valorem :
la production et la consommation ne firent que croître; de 1,200 en
1820, le nombre des métiers monta, en i84o, à 5o,ooo, répartis
autour de Londres , de Manchester, de Gongleton, de Glasgow; Tiin-
portation des soies passa de 1 million à 3 millions de kilogrammes.
Le moulinage prospérait également : on vit le nombre des broches
de Manchester s'élever de 20,/ioo (1828) à 8/1,000 (i833) et à
129,000 (18 5 o). L'exportation atteignait 9 millions de francs en
1826 et 39 millions vingt ans plus tard. En i8/i5, les droits d'entrée
sur les soies grèges et les soies ouvrées disparurent; l'essor du mouli-
nage s'accusa encore ; l'exportation des soies ouvrées fut de 1 o o , o o o kilo-
grammes en 1854, et la progression continua jusqu'en 1860, époque
à laquelle elle se trouva enrayée par la concurrence suisse, italienne
et française. Lors de l'Exposition de i85i, l'Angleterre venait immé-
diatement après Lyon; néanmoins ses tissus laissaient à désirer sous
le rapport du goût, des dessins, des dispositions, de l'entente des cou-
leurs. L'année 1860 marqua l'apogée de l'industrie britannique, qui
consommait 1,870,000 kilogrammes de soie, prélevés sur une impor-
tation de plus de 4 millions de kilogrammes, et qui possédait 76,000
métiers disséminés à Spitalfield, Manchester, Midleton, Macclesfield
(unis et façonnés), Nottingham (tulles et dentelles), Goventry, Gongle-
ton, Derby (rubans), Norwich (crêpes), Rochdale (peluches), Leck
(galons), Bradford (velours); on évaluait là production du tissage à
2^0 millions de francs; ce résultat était dû, pour une large part, aux
mesures économiques telles que l'abolition des droits sur les matières
premières, celle de l'acte de navigation de Gromwell, l'établissement
de transports réguliers et rapides subventionnés par l'Etat, etc.
Après les traités de 1860, nos fabricants surent exploiter avec une
extrême habileté le marché nouveau qui leur était largement ouvert;
ils fondèrent des agences et des dépôts à Londres, ainsi que dans les
principales villes du Royaume-Uni, et purent ainsi profiter de tous les
380 SOIES ET TISSUS DE SOIE.
débouchés du commerce britannique dans le monde entier; notre
exportation, de 70 millions en 1889, arriva à i38 millions et demi
en 1869 et ^ ^^^ millions en 1867. Néanmoins Imduslrie anglaise
iuttait vaillamment; à l'Exposition de 1 867, elle fit admirer ses moires
antiques, ses popelines écossaises et irlandaises, ses tissus foulards
unis ou sergés, façonnés ou imprimés; mais ses eflforts avaient été im-
puissants à lui donner la science du dessin et le goût du coloris.
Les symptômes fâcheux pour Tindustrie britannique ne tard'.rent
pas à se caractériser. Cette industrie se heurtait contre les bas prix
obtenus en France, comme en Prusse et en Suisse, par la dissémina-
tion des métiers chez les petits artisans des campagnes; d'un autre
côté, les ouvriers anglais, si admirables dans les travaux utilitaires, ne
parvenaient pas à conquérir la délicatesse du sens artistique. Il y eut
une reprise en 1 870 , à la faveur de la crise des industries française et
allemande : TAngleterre occupait alors 60,000 métiers, dont près de
1 3,000 métiers mécaniques. La reprise fut de courte durée, et Tannée
1878 inaugura une période de déclin manifeste. En lutte avec les
trade uniom pour les prix de main-d'œuvre, les fabricants anglais
essayèrent vainement de soutenir la concurrence de leurs rivaux par
le transport des métiers en Ecosse; possédant des usines puissantes,
travaillant avec de gros capitaux, accablés de frais généraux, limités
par lefactory act pour la journée des ouvriers, ayant un personnel
peu apte aux transformations rapides de la production, ne trouvant qu'à
grand' peine des débouchés pour leurs tissus riches, ils ne purent con-
jurer le mal, en dépit de vigoureux efforts pour l'éducation des tisse-
rands par les écoles de dessin et les écoles professionnelles. Une
enquête instituée en i885 révéla l'extrême gravité de la situation : à
Midleton, par exemple, le nombre des métiers avait diminué des neuf
dixièmes; à Macclesfield, la réduction était de moitié; l'industrie des
rubans de Coventry n'employait plus que i,5oo métiers au lieu de
9,000; sur les â4,ooo métiers qui avaient existé en 1835 à Spital-
field, il en restait seulement a, 000; Paishley (Ecosse) ne gardait que
quelques tisseurs pour rideaux et tapisseries; la teinturerie avait
disparu de Manchester.
Jamais, l'Angleterre n'est parvenue à reprendre son ancien rahg. Sa
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 381
production actuelle de tissus ne va pas au delà de 70 ou 80 millions
par an. Le marché des soies asiatiques a déserté Londres au profit de
la France et de Tltalie.
A aucune époque, la sériciculture n'a tenu dans VInde la place que
semblaient devoir lui assigner l'étendue du pays, la densité de la po-
pulation et la nature du climat. Elle parait même avoir décru. Vers
1 868 , les exportations de soie hindoue (cocons, soies grèges et déchets
de soie) étaient de 1 million de kilogrammes; en 1878, elles avaient
subi une baisse de 4oo,ooo kilogrammes, et maintenant on ne les
évalue qua 370,000 kilogrammes; les importations sont de beaucoup
supérieures. L'Inde a deux catégories de filatures, les filatures euro-
péennes et les filatures dites des natifs, dont le produit s'emploie dans
les tissages locaux; celles-ci ont été moins éprouvées que les premières
par la décroissance des exportations. Souvent encore, le moulinage
s'effectue à la main. C'est surtout par les foulards imprimés et les
corahs écrus que sont connus les produits du tissage indien; mais la
production s'étend à des étoffes très variées, entre autres à des étoffes
brochées et façonnées, avec décor formé par des poissons, par des tor-
tues, par des perroquets, par des fleurs de lotus, ainsi qu'à des tissus
brodés d'or et d'argent, employés pour vêtements de cérémonie, cous-
sins, couvertures, écharpes, turbans, etc., et remarquables par la va-
riété des dessins comme par la pureté des nuances. L'adoption par
les indigènes des tissus anglais de laine et de coton a naturellement
diminué la consommation des tissus de sole à bon marché.
VIndo- Chine et la Birmanie ont fourni, en moyenne, 900,000 a
1 million de kilogrammes de soie pendant les années 1896 à 1898.
Elles importent plus de matière première et de tissus qu'elles n'en
exportent. L'usage des soieries est très répandu au Tonkin, mais les
tissus sont en général légers, grossiers, unis et teints en pièce;
cependant des étoffes brochées de la région d'Hanoï jouissent d'une
véritable célébrité. Au Cambodge, l'île de Ksach-Kondal et ses envi-
rons produisent une soie de bonne qualité, qui sert à la fabrication de
langoutis très recherchés dans l'archipel Indien et le Siam. Les Birmans
tissent des étoffes appréciées par les Hindous, les Siamois et les habi-
tants de Tarchipel Indien.
382 SOIES ET TISSUS DE SOIE.
Dans la première moitié du \s%^ siède, les fileurs et mouliniers ùa-
Kmg s'étaient laissé surpasser par les français; le baron de Rcede»
constatait leur infériorité en 18 4 5. Bientôt, ils s'assimilèrent nos
méthodes de travail, se pénétrèrent de nos procédés, transformèrent
leur industrie, la perfectionnèrent, concentrèrent leurs opérations. En
1868, le recensement constatait l'existence de 4,8 o 5 filatures conte-
nant 61,900 bassines (dont 3 5, 600 a vapeur), utilisant 30 millions
et demi de kilogrammes de cocons et donnant 1 ,3 1 4,ooo kilogrammes
de soie grège; huit ans après, il y avait 3, 600 filatures avec 83, 000
bassines (dont plus de 53, 000 à vapeur); vers 1878, on évaluait à
2,800,000 kilogrammes en moyenne la production de soie grège.
Les mouliniers avaient réalisé des progrès plus remarquables encore,
accru la rapidité de rotation des fuseaux, régularisé les torsions; aussi
la consommation recherchait-elle les produits italiens. De grands efforts
s'étaient accomplis pour le moulinage des soies asiatiques. L'industrie
était d'ailleurs favorisée par la modicité des impôts, le prix peu élevé
dos appareils, les conditions économiques du personnel ouvrier, la
faculté d'emploi des enfants. Une statistique ofiicielle de 1876 enregis-
trait 2,680,000 fuseaux, dont 268,000 inactifs; l'ouvraison des soies
se faisait surtout en Lombardie, dans le Piémont et en Ligurie. En
1878, l'exportation des soies écrues, grèges et ouvrées, dépassait nota-
blement 3 millions de kilogrammes; la fabrique lyonnaise prenait une
forte part de ce contingent. Tandis que se développaient les indu-
stries de la filature et du moulinage , celle du tissage était complètement
délaissée. Les tentatives de relèvement datent de la constitution du
royaume d'Italie; Corne fut le centre de cette renaissance; sa fabrique
recueillit les manufacturiers de Milan, à la suite de leurs différends
avec les ouvriers, et le nombre des métiers monta à 7,000 en 1878.
Après avoir vu ses débuts facilités par la vogue des étoffes unies, failles
et satins, l'industrie de Gôme, pendant un certain temps menaçante
pour la place de Lyon, périclita lors de l'abandon des tissus de soie
pure; elle ne put ni se transformer rapidement, ni lutter contre les
avantages de la France, de la Suisse et de TAllemagne, au point de
vue de l'approvisionnenient des matières premières destinées aux
mélanges.
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 383
Pendant les vingt dernières années, l'Italie est restée à la tête de la
sériciculture européenne. Sa filature et son moulinage ont prospéré.
Le tissage a bénéficié d'une reprise sensible; on en évalue la produc-
tion moyenne annuelle à 70 millions de francs, et l'exportation suit
une marche rapidement ascendante. C'est principalement en Lombardie
et dans le Piémont que se font les étoffes.
Vers 1878, la production de soie grège au Japon était estimée à ,
2 millions de kilogrammes environ, dont le tiers restait dans la con-
sommation locale, le surplus étant exporté en Europe, aux Etats-Unis ,
aux Indes. Des négociants japonais avaient habilement organisé le
commerce d'exportation et créé à cet effet de grandes compagnies,
avec succursales à Paris, Londres, New-York. Le Gouvernement, de
son côté, protégeait la sériciculture et entretenait à Tôkyô, depuis
1874, un établissement d'études pour l'éducation des vers à soie.
Egalement soucieux des intérêts de la filature, il avait recommandé,
dès 1870, l'emploi des méthodes européennes et fondé lui-même des
usines à Tomioka et à Tôkyô; son exemple ne tarda pas à être suivi
dans les provinces de Shinshû, de Kôshû, de Hida, etc. Cette heu-
reuse initiative détermina une progression notable du commerce exté-
rieur. L'ouvraison des soies constituait alors au Japon une industrie
très divisée ; les mouliniers ne travaillaient que pour la fabriqué indi-
gène; parmi les procédés en usage, on distinguait le filage en torsion
simple, la torsion de gauche à droite de plusieurs brins de soie, leur
torsion de droite à gauche, la torsion très forte de plusieurs brins, le
doublage et la torsion de deux soies déjà fortement tordues, l'une de
gauche à droite, l'autre de droite à gauche. Sans disposer de l'excel-
lent outillage européen, l'industrie du tissage se caractérisait néan-
moins par la beauté et le goût des étoffes, et tout faisait prévoir qu'elle
s'assimilerait promptement les méthodes occidentales; différents cen-
tres étaient célèbres pour les taffetas blancs, les tissus brochés dor,
les étoffes légères, les crêpes unis ou rayés, les velours; le nombre
des métiers en activité atteignait 4 0,0 00. Le progrès s'est poursuivi :
aujourd'hui, le Japon produit près de 8 millions de kilogrammes de
soie, y compris les matières inférieures, et exporte 3,4 5 0,0 00 kilo-
grammes; ses sorties de tissus approchent de 60 millions de francs.
384 SOIES ET TISSUS DE SOIE.
En RttësiCy deux régions donnent de la soie : le Turkeslan et le
Caucase. Tous les cocons du Turkestan continuent à être dévidés sur
place au moyen d'appareils primitifs et leurs produits servent à fabri-
quer des articles n'ayant d'autre clientèle que les indigènes du pays.
La sériciculture du Caucase, fort compromise par la pébrine jus-
qu'en 1890, est entrée dans la voie du relèvement et fournit environ
5 00,0 00 kilogrammes de soie grège; le dévidage a lieu dans la contrée
même, et la moitié de la soie alimente le tissage local, tandis que le
surplus va à Moscou. Durant les dix dernières années du siècle, le
moulinage a pris beaucoup d'extension, en particulier dans le gouver-
nement de Moscou, qui possède des établissements très bien outillés.
Les progrès du tissage ont été continus. Au fur et à mesure qu'ils déve-
loppaient leur matériel, les industriels ont sollicité et obtenu des taxes
de plus en plus élevées sur les produits étrangers : la fabrique lyon-
naise, dont les soieries étaient si appréciées de la population russe, en
a souffert; il y a d'autant plus lieu de le regretter que les Slaves se sont
toujours montrés épris des tissus de soie et qu'après avoir été d'excel-
lents clients pour Byzance et l'Italie, ils l'étaient devenus pour la
France. La production des étoffes de soie, évaluée à 10 millions en
i8a4età/io millions en 1872, l'est maintenant àiooouiio mil-
lions. Grâce à des efforts incessants pour développer l'instruction artis-
tique et technique de leurs auxiliaires, les fabricants russes sont par-
venus non seulement à faire des brocarts irréprochables, mais aussi
à tisser des étoffes remarquables de tenture ou d'ameublement et à y
adapter avec un sens très original les anciennes formes décoratives de
l'Orient. Dans la catégorie des tissus d'habillement, ils imitent encore
les Lyonnais; cependant leur émancipation se dessine nettement.
La Suisse produit, dans le Tessin et dans quelques vallées méridio-
nales des Grisons, une petite quantité de soie; celle-ci est filée par des
manufactures de la région, qui s'alimentent également en Italie. Sans
suffire à la consommation intérieure, le moulinage peut être considéré
comme prospère. Jadis, les Suisses s'adonnaient à la fabrication d'un
tissu léger, uni, brillant, rayé ou quadrillé, fait avec des soies fines;
par son prix modique et son excellente qualité, ce tissu conquit la
vogue et contribua au développement de l'industrie locale. Quand la
SOIES ET TISSUS DE SOIE. 385
faveur publique, tant en Europe quaux Etats-Unis, abandonna les
étoffes de soie pure, nos voisins durent modifier leur production et leur
manière de faire; ils opérèrent cette transformation avec Tesprit de
ténacité, de patience , d'observation minutieuse et d'ordre qui a toujours
assuré le succès de leurs entreprises. Les manufacturiers suisses furent
les premiers à pratiquer la division du travail; ils perfectionnèrent
lourdissage et le pliage , améliorèrent les moindres détails du métier
mécanique et réussirent si bien, que Lyon leur fit plusieurs emprunts.
Voyant leur exportation vers les États-Unis diminuer par suite des
progrès de l'industrie sérique au delà de l'Atlantique, ils allèrent
combattre les Américains dans leur propre pays et installèrent d'impor-
tantes manufactures à Union-Hill dans le New-Jersey. La fabrique suisse ,
qui ne vit que par l'exportation et ne peut se régler sur une consom-
mation certaine, a éprouvé plusieurs crises de pléthore; elle y a résisté
par son énergie et n'a, en somme, cessé de progresser pendant le
xiv*" siècle. On sait que les deux principaux centres sont Zurich pour les
tissus et Bâle pour les rubans. Zurich possédait 5,ooo métiers en 1 800 ;
ce nombre s'est élevé à 7,000 en 181 1, à 9,000 en i83o, à i5,ooo
en 1889, ^ 20,000 en i85i, à 27,000 en 187a, à près de 3o,ooo
en 1878, et depuis, la substitution des métiers automatiques aux
métiers à bras a été énergiquement poursuivie; bien que très variés,
les produits se composent surtout d'articles à bon marché , qui , du reste ,
sont fort bien faits et pour le placement desquels les manufacturiers
déploient une extrême activité. Bâle, obligé de lutter contre Saint-
Etienne, refoulé des Etats-Unis, éliminé au moins en partie de
l'Allemagne, a eu une fortune moins facile, malgré ses sacrifices pour,
avoir un outillage parfait et de grandes usines; trop souvent, les Bâlois
se sont appliqués à reproduire les créations de Saint-Etienne, ce qu'ils
faisaient d'ailleurs avec une étonnante promptitude. La valeur actuelle
de la production d'étoffes est de 180 à 200 millions de francs, dont
les trois quarts pour l'exportation.
Suivant des supputations approximatives , la Turquie ^Europe et la
Turquie d'Asie fourniraient 1 ,1 00,000 kilogrammes de soie. Beaucoup
de filatures y ont été établies par des Français ou par des étrangers
d'autres nationalités ; elles sont bien outillées et bien dirigées.
IWrktlIBKII lATIOKALK.
386
SOIES ET TISSUS DE SOIE.
Il ne me reste qu a préciser par des chiffres la situation des indu-
stries de la soie à la fin du xix* siècle.
Gomme je Tai indiqué dans un précédent chapitre, la quantité de
soie mise à la disposition du commerce et de l'industrie (récoltes
d'Europe et d'Asie Mineure; exportations de l'Extrême-Orient) a été de
1/1,724,000 kilogrammes en 1898, de 18,067,000 kilogrammes en
1899 et de 16,717,000 kilogrammes en 1900 : la moyenne ressort
à i6,5oo,ooo kilogrammes environ. Il y a dix ans, la moyenne n'était
que de i2,4oo,ooo kilogrammes.
Le poids des soies mises en vente sur le marché français s'est élevé k
6,64o,ooo kilogrammes en 1898,48,720,000 kilogrammes eni 899
et à 6,292,000 kilogrammes en 1 900. Ce dernier chiffre se décompose
ainsi : récolte française, 7/1/1,000 kilogrammes; importation de soies
grèges , tare déduite ,6,880,900 kilogrammes ; importation de soies ou-
vrées, 1 5 , 8 o o kilogrammes ; importation de cocons fins, comptée à raison
de 1 kilogramme de soie pour ti kilogrammes de cocons, 1 5 1 ,3 00 kilo-
grammes. La moyenne triennale de 7, 217, 000 kilogrammes représente
/i/i p. 1 00 du poids total des soies livrées au commerce dans le monde.
Nos fabriques ont retenu 3,578,600 kilogrammes en 1898,
/i, 698,800 kilogrammes en 1899, 8,823,200 kilogrammes en 1900,
ce qui donne pour la moyenne triennale 8,866,700 kilogrammes. La
consommation en France n'a pas augmenté depuis 5 ans.
D'après les travaux de la Commission permanente des valeurs de
douane , la consommation industrielle des divers pays pendant les trois
dernières années du siècle aurait été la suivante :
PAYS.
États-Unis
Franco
Allemagne
Suisse
Russie
Italie
Grande-Bretagne
Autriche-Hongrie
Indes anglaises
Espagne
Levant, Nord de l'Afrique et pays divers.
TOTAIIX
1898.
Idlognuomes.
3,81 5,000
3,578,000
1,758,000
1,556,000
i,35o,ooo
900,000
1,063,000
700,000
a35,ooo
110,000
53o,ooo
16,595,000
1899.
5,090,000
^,698,000
9,895,000
1,685,000
i,35o,ooo
950,000
1,095,000
715,000
36o,oo